Beaucoup expliquent notre situation par des théories du complots, une expérience ratée échappée d’un laboratoire, voire une punition divine. A en croire le premier exemplaire de Science qui s’était penché sur le sujet à l’époque, et qui traine toujours quelque part dans le bureau du regretté Dr Fréderic Martin, ce ne serait dû qu’à une malencontreuse mutation sur un virus passée au patient zéro par la morsure d’un chat.
Je me souviens encore de ce patient zéro. Nous l’avions récupérée dans notre service de médecine interne et elle était bien resté un bon mois avec nous . A l’époque, il n’était pas encore question de syndrome de Lazare, de pandémie ou d’annihilation du trois quart de l’humanité.
Mme Kadjan, 80 ans, transférée de son unité de soins palliatifs aux urgences pour agitation et agressivité envers elle-même et le personnel soignant.
La pauvre dame, après des mois de chimiothérapie qui lui avait bousillé son système immunitaire, avait contracté une infection carabinée à cause d’une morsure de son chat adoré. L’infection s’était généralisée et quelques jours plus tard, le médecin prononça son décès un jeudi à 14h36. A 14h48, elle attaqua et mordit les deux aides-soignantes chargées de sa toilette mortuaire. Dix minutes plus tard, le médecin et l’infirmier du service allèrent la voir et la retrouvèrent recroquevillée dans le coin de sa chambre, l’avant-bras dans la bouche qu’elle machait et broyait jusqu’au sang.
Ce jour-là, je n’avais pas arrêté de faire remarquer au cours de ma vacation que la journée était calme pour une fois et qu’il était agréable de ne pas avoir à courir dans tous les sens et de pouvoir prendre le temps avec mes patients. Et comme tout bon infirmier le sait, il suffit de mentionner que la journée est calme pour que tout se bouscule et que le chaos s’invite dans son service. Le chaos s’appelait Laure, et lorsqu’elle débraqua dans le poste infirmier trente minutes avant la fin de mon service, un grand sourire malicieux au visage, je savais que le karma m’avait rattrapé.
« Non, l’interrompis-je, caché derrière l’écran de mon ordinateur, il en est hors de question. »
- Désolé, je leur ai déjà dit qu’on la récupérait. On la place à la 7 en isolement gouttelettes. »
- Encore un isolement ?! Ah non ! Je dis non ! Non, non, non, non, non ! C’est mon troisième jour d’affilé, l’équipe de nuit arrive dans dix minutes, je ne veux rien savoir, ce sera leur problème ! »
- Justement en parlant de ça… »
- Quoi encore… »
- Je suis allée en bas pour la voir tout à l’heure. Ils lui ont mis les contentions et j’ai fait les prescriptions pour les maintenir au moins ce soir et demain en attendant qu’elle se calme…»
- Et des contentions en plus ! M’étais-je exclamée. Tu nous gâtes en ce moment, Laure… Tu sais, on est en médecine interne ici, pas en psychiatrie ! Elle rentre pour quoi ta patiente ? »
- C’est une dame de 80 ans, arrivée aux urgences pour troubles neuro avec agitation et agressivité sur infection généralisée à pathogène inconnu. »
- Je te déteste… "
- Moi aussi je t’aime, Marie. Ça ne te dérange pas du coup de rester un peu, juste le temps qu’on fasse le transfert en chambre ? M’avait-elle demandé derrière l’encadrement de la porte, prête à détaler au moindre jet de sabot.
Malgré les promesses de boites de chocolat et de tomme du Jura, j’avais continué à rouspéter jusqu’à l’arrivée de la relève. Déjà à l’époque, nous avions du mal à avoir des effectifs complets pour la nuit et dans mes souvenirs, il n’y avait qu’Amhed et une intérimaire pour prendre en charge la vingtaine de patients que nous avions en service. Laura et un autre interne étaient restés pour nous aider au transfert ainsi que mes trois collègues de jour. Lorsque nous vimes arriver la patiente, nous comprimes très vite pourquoi elle avait insisté pour que nous restions.
Une enragée. Le brancard tremblait sous les assauts de ses coups de hanches et de buste retenus de justesses par les contentions. Des sons gutturaux s’échappaient de sa gorge alors qu’elle s’agitait et sursautait. Les brancardiers en nous voyant avaient lâché le brancard et reculé de trois pas.
« Vous pouvez nous aider pour le transfert ? Demanda Laure en interceptant de justesse le lit avant qu’il ne finisse dans le mur.
- Hors de question ! S’était exclamé l’un d’eux. Je touche pas à ça, j’ai failli y laisser mon bras ! »
Était-ce la fatigue de fin de journée qui l’avait retenu de recadrer le brancardier à ce moment-là, je n’en sais rien, mais Laure s’était contenté de hausser les épaules et nous étions allés installer la patiente. Malgré son âge et nos seize bras pour la maintenir le temps de la transférer sur son matelas, j’avais cru bien perdre prise sur sa jambe et elle avait réussi à dégager un bras et à écorcher Amhed à la joue avec ses longs ongles exacerbés. Sans perdre de temps, nous avions remis en place ses contentions aux poignets, jambes et bassin, baissé le lit au maximum et remonté les barrières avant de la laisser. Laure ferma la porte derrière elle et pourtant, nous pouvions encore entendre ses grognements passer à travers.
« Ça va aller ? Avais-je demandé à Amhed en voyant sa joue lacérée.
- Oui, je vais passer un peu de Dakin et ça ira. »
Si seulement il avait suffi d’un peu de Dakin.
J’étais revenue le lundi suivant et, étant arrivée avec dix minutes de retard, j’avais hérité du secteur A, des chambres 1 à 11, et donc de Madame Kadjan. Ce fut Amhed qui m’accueillit ce matin-là et je fis presque tomber ma gourde en le voyant dans un aussi piteux état.
« Mon dieu, mon pauvre ! M’exclamai-je en m’approchant. Ne me dit pas que tu es venu travailler dans cet état ? »
Recroquevillé derrière le bureau, il tremblait sous sa couverture et avait le visage rosit de fièvre. Je n’avais même pas eu à poser la main sur son front pour sentir la chaleur qui en émanait.
« Tu veux qu’on t’appelle un taxi ? Lui demanda Anaïs, ma binôme. Tu ne vas pas rentrer comme ça, tu vas finir dans un fossé. »
- Non, c’est gentil mais ça va aller. Je dois couvrir une grippe, c’est tout. »
- Et ta joue ? Comment ça va ? Demandai-je en pointant le pansement rose sous son œil droit.
- Ouh, ne parlons pas de choses qui fâchent. Ça fait trois jours que c’est gonflé, c’est chaud, ça ne s’arrange pas. Bon on fait la relève ? J’aimerais rentrer chez moi, la nuit a été horrible. »
Je pris ma feuille et notai comme d’habitude ce qu’il avait à me dire : pour la plupart, il ne s’était rien passé, ils avaient bien dormi et Madame Boucher -Bouker ? Boucher ? Je ne sais plus, nous l’appelions tout le temps Aimée- avait passé la nuit à déambuler comme d’habitude. Cette petite dame était rentrée pour bilan cognitif sur désorientation spatio-temporelle et perte de mémoire deux mois auparavant et nous n’arrivions toujours pas à la placer dans un établissement adapté pour elle, sans compter sa famille qui avait coupé tout lien. Elle passait ses journées à déambuler dans les couloirs sans savoir où aller ni où elle était. Les premiers temps, nous la raccompagnions toujours en chambre et bloquions la porte avec un fauteuil, mais elle arrivait toujours à s’échapper et nous avions fini par abandonner. Nous lui donnions des petites tâches à faire avec les aides-soignantes pour l’occuper la journée comme trier les confitures sur le chariot à petit-déjeuner ou bien détacher les sacs poubelles du rouleau et les donner à l’ASH lorsqu’elle faisait le tour des chambres avec sa serpillère. Le reste du temps, elle trainait avec nous dans l’infirmerie et même si elle ne comprenait pas toutes nos blagues, elle semblait passer de bons moments en notre compagnie et avait toujours un compliment ou un gentil surnom pour nous.
« Elle n’a pas arrêté cette nuit. Continua Amhed. Elle n’arrêtait pas d’aller à la 7, je devais la surveiller tout le temps. »
- Bizarre, d’habitude elle déambule sans rentrer dans les chambres… »
- Je ne sais pas ce qui l’attirait, peut-être le bruit mais dès que je quittais sa chambre, deux minutes plus tard, elle y retournait. »
- Mon pauvre… »
- Alors vers 3 heures du matin, j’ai pris une chaise longue, deux draps et son oreiller et je l’ai installée dans l’infirmerie. Elle dort toujours. »
En me retournant, je la vis, assoupie sous son drap, devant le plan de travail.
- Et la 7 du coup ? »
- Alors elle, ne m’en parle pas… ça a été l’enfer pendant tout le weekend. L’équipe de jour m’a dit qu’ils n’avaient pas pu lui faire la toilette ni changer sa protection une seule fois. »
- Non ! C’est une blague ? Ne me dit pas que cette dame n’a pas été changé une seule fois du weekend. »
- Attends la suite, tu vas voir… Depuis son arrivée, absence de selles et de miction. »
- Ça fait trois jours qu’elle ne pisse pas ? »
- Non, et au BladdScan, il n’y a absolument rien. »
- C’est-à-dire, rien ? »
- Rien. Nada, 0 millilitre, sa vessie est vide. »
- Oh putain… »
- Dans le doute, Laure nous a demandé de la sonder, mais impossible. Les filles s’y sont repris à trois fois, j’ai essayé deux, elle ne se laisse pas faire. »
- Oh putain, ne me dit pas que je dois la sonder… »
- Voit avec l’interne mais je crois que tu n’y échapperas pas. Bref. Elle est toujours agitée depuis son arrivée, elle essaie de te sauter dessus dès que tu l’approches et elle a mordu une AS de la contre ce weekend. Ça et impossible de lui prendre la moindre constante. »
- Comment ça ? »
- Impossible. Les machines ne la captent pas et personne n’a réussi à lui prendre manuellement. »
Sur ces bonnes paroles, Ahmed était retourné aux vestiaires et sans perdre de temps j’étais allée préparer mon chariot de soin et avais commencé mon premier tour des traitements.
Ce jour-là, Mme Kadjan était la seule patiente isolée de mon secteur. Je laissai donc sa chambre de côté et y allai à la fin de mon tour. Je pouvais l’entendre grogner à travers la porte alors que je revêtais surblouse, gants, masque et charlotte et une odeur nauséabonde émanait de la chambre et me retournait l’estomac. Cachée derrière l’ordinateur portable, je rassemblais tant bien que mal le peu de courage que j’avais à disposition et essayait de gagner du temps avant d’entrer en chambre en lisant les transmissions de mes collègues. « Nulle », « nulle », « nulle » annoté à la place des tensions et pulsations, « Soins impossible à réaliser : patiente agressive » , « Prélèvement impossible » se répétaient en boucle sur la page de transmission. Quant aux prescriptions, toutes celles que Laure avaient mise en place avaient été annulée la veille. Il m’avait fallu bien quinze minutes pour me décider à rentrer avec mon tensiomètre et je cru perdre l’équilibre sur mes jambes tant elles tremblaient lorsque j’ouvrit la porte et la découvrit.
Les suivants ne m’avaient pas autant marqué qu’elle : au bout du cinquième, dixième, centième patient pris en charge, on finit par s’y habituer. Mais elle était la première et il me fallut bien toute ma volonté pour ne pas hurler, claquer la porte et m’enfuir en courant pour vomir. Ses yeux gris et exorbités me fixaient à travers son visage émacié et pelé et elle affichait de grandes dents ensanglantées à peine retenue par des gencives noires et retractées et qu’elle faisait claquer à mon encontre.
Jamais je n’avais craint autant d’approcher un de mes patients jusqu’à ce jour, et ce n’était pas faute d’avoir travaillé deux ans aux urgences.
En m’approchant, je découvris avec horreur des lambeaux de chair sanglants se détacher de son épaule : cette pauvre femme devait se la mâcher dès qu’elle se retrouvait seule. Ne voulant m’attarder une seconde de plus dans sa chambre, j’essayai de placer le brassard de mon tensiomètre sur son bras et elle en profita pour se jeter sur ma main que j’eu à peine le temps de retirer hors de sa portée. J’improvisai sur sa jambe et plaçai le saturomètre sur un de ses orteils.
J’avais déjà vu des patients en état critique, mais ce que j’observai ce jour-là fut une découverte totale. Une température corporelle en dessous des 25C° et ma machine qui sonnait l’alerte, incapable de détecter la moindre constante. Je réinstallai mes instruments encore et encore et à chaque fois, la machine me répondait avec un message d’erreur et ses bips incessants excitaient de plus en plus ma patiente. Sans perdre une seconde, je décrochai mes appareils d’elle et m’enfuit en courant de la chambre avec ma machine. L'odeur, ce regard à la fois vide et sans vie pourtant fixé sur moi sans cligner ou se détourner une seule fois, cette apparence de cadavre -à l'époque je n'osais pas encore utiliser de tel mots mais appelons un chat un chat et un cadavre un cadavre- et ces chaires en lambeaux suintantes. Sans même prendre le temps d'ôter mes protections, je fonçai aux toilettes rendre mon petit-déjeuner. A quatre pattes, mes jambes ne me soutenaient plus et mes mains tremblaient sur la cuvette à ne plus pouvoir la saisir.
"Oh, répond moi, ça va ? Me demanda Anaïs en s'agenouillant près de moi.
Je ne l'avais pas entendue arriver. A vrai dire, je n'entendais, ni ne voyais plus rien hormis ces yeux gris immondes, ces gencives noires et ces dents déchaussées, prêtes à me sauter dessus. Et cette odeur ! Elle me semblait presque collée à moi, me suivant partout et imprégnant ma blouse et ma peau. Je crois bien que de toute les calamités qui se sont abattues sur nous, l'odeur est bien la dernière chose à laquelle je me suis habituée aujourd'hui.
Après avoir repris mes esprits et changé d'uniforme, je m'étais rendue dans l'infirmerie où nous attendaient les aides-soignantes, la cadre, le Dr Martin et les internes. Anaïs m'avait laissé la dernière chaise disponible de la pièce.
"Hey, ça va ? M'avait demandé Laura en me voyant arriver. T'es plus blanche que ta blouse."
- Oui… ça va aller. »
Sans perdre de temps, le Dr Martin nous fit passer à chacun une pochette noire avec marquée « Protocole de recherche : Lazarus virus ».
« Qu’est-ce que c’est ? Demanda une des aides-soignantes en ouvrant la pochette. C’est pour la 7 ? »
Le Dr Martin hocha la tête. Bien qu’il n’ait jamais été très expressif, jamais encore ne l’avais-je vu aussi sombre.
« Qui ici a été en contact direct avec Madame Kadjan depuis son arrivée ? »
Laure, Anaïs, un interne et moi levâmes la main. Nous étions présentes toutes les trois pour la transférer dans le service et j’avais été un peu plutôt dans sa chambre.
« Tous les quatre, vous partez en isolement au 3B. Carole, rappelez tous ceux qui étaient là ce week-end et demandez-leur de venir sur le champs. Eux aussi doivent être mis en quarantaine. Et contactez la cadre des urgences, je veux savoir qui était présent aux urgences pendant son séjour, ils doivent être isolés eux aussi. »
- Très bien, acquiesça la cadre, l’air grave.
- Comment ça, en isolement ? S’affola Anaïs. Qu’est-ce qu’elle a, c’est grave ? »
- On ne sait pas. Répondit Laure. »
- C’est-à-dire, « on ne sait pas » ? »
- C’est-à-dire qu’on ne sait pas, répondit le docteur Martin, sec. On a éliminé tous les diagnostics possibles et on a retrouvé un virus dans sa salive mais impossible de savoir ce que c’est. On ne sait pas du tout où on met les pieds. »
Un frissons me parcourut la nuque. Sans plus d’explication, nous partirent pour l’étage d’infectiologie, par les monte-charges, loin du public. En sortant, nous furent accueillies par un groupe d’infirmiers couvert de la tête au pied, ne laissant entrevoir que leurs yeux cachés derrière leurs lunettes de protection. L’un d’eux passa avec une boite pour récupérer nos téléphones portables, ils nous prirent nos constantes, nous firent passer un électrocardiogramme et un électroencéphalogramme et récupérèrent des échantillons sanguins, nasaux et buccaux. Avec Laure, nous avions été placées dans une chambre double tandis qu’Anaïs avait été placée ailleurs.
« Tu sais ce qu’il se passe ? Avais-je demandé à Laure à notre arrivée dans la chambre.
- J’en ai aucune idée… ça fait quelques jours que nous courrons dans tous les sens pour essayer de comprendre, mais c’est la première fois que je vois quelque chose du genre… »
- C’est-à-dire ? »
- Aucune constante détectable, l’EEG plat, pareil pour l’ECG… Cliniquement, cette femme est morte… »
- Mais ce n’est pas possible… Tu l’as vu toi-même, elle bouge, elle nous voit, elle réagit… »
- Je sais… Fred a organisé une réunion pluridisciplinaire ce week-end, ils ont éliminé tous les diagnostics possibles… Il y a bien ce virus qu’on a retrouvé dans sa salive, mais c’est la première fois qu’on l’observe… »
- Et qu’est-ce qu’il va se passer pour nous ? »
- Aucune idée… Fred a fait intervenir le comité d’éthique et de recherche pour étudier ce virus, il a fait une visio conférence avec le ministre de la Santé, l’HAS, l’INSERM, on débute le protocole aujourd’hui. Tous ceux qui ont été en contact avec la patiente ce dernier mois vont être retrouvés et mis en isolement pendant quinze jours. »
Jamais encore le temps ne s’était écoulé aussi lentement que lors de ces quinze jours de quarantaine. L’horloge au mur était restée bloquée sur 9h37, et seul l’avancement des ombres dans nos chambres nous permettait d’estimer le temps passé enfermées dans ces 20 mètres carrés. La fenêtre était condamnée, la climatisation n’avait toujours pas été mise en place et ces tenues jetables que l’aide-soignante nous avait fourni à notre arrivée me collaient à la peau et craquaient systématiquement à l’entre-jambe. Sans téléphone ni droit de sortir, aucune de nous deux n’avait pu descendre au rez-de-chaussée payer pour avoir la télévision, ou au moins la radio.
Malgré les quatre passages quotidien des infirmiers, les sept des aides-soignants et la visite journalière de l’infectiologue, personne ne nous disait rien. Tous sortaient les même phrases bateaux que j’avais pu sortir des centaines de fois à mes propres patients : on attend toujours les résultats ; je ne sais pas, demandez à machin il saura mieux vous dire ; je vais me renseigner. Tous les jours, l’infirmière passait nous donner des antiviraux oraux, en prévention. Elle restait quelques secondes s’assurer que nous prenions bien les cachets qu’elle nous tendait avant de repartir aussitôt, sans rien ajouter de plus.
Si personne ne voulait nous informer, nous essayions tout de même les premiers jours de gratter tant bien que mal des informations par-ci, par-là. Au moindre bruit, nous nous jetions avec Laure sur la porte, oreilles collées à l’entrebâillement. La plupart du temps, nous ne percevions que les bruits habituels de l’hôpital : les couinements des divers chariots, les sonnettes résonner dans les couloirs, les allers-retours des soignants, rien de très intéressant. Cependant, nous arrivions parfois à percevoir quelques bribes de conversations, mais ces rares instants nous plongeaient d’autant plus dans l’incertitude, appelant plus de questions qu’ils n’apportaient de réponses.
« Allô, docteur ? La 16 empire… Bradycardie à 30, bradypnée à 6, T.A. à 8/4, température à 34°C et elle sature à 94% air libre… On met un Ringer ? Bien… Bilan sanguin et test PCR ? OK… Et ? Des contentions ? Pourquoi faire, elle n’est pas… D’accord… Ce sera fait… Merci, je vous attends. »
Un soir, un peu avant la fin de notre quarantaine, alors que nous étions penchées sur une des grilles de sudoku que nous avait passées une aide-soignante pour tuer le temps, une dispute éclata derrière la porte.
« Vous n’avez pas le droit de me retenir contre mon gré ! Vociférait un homme.
- Monsieur, retournez dans votre chambre. Ce sont les ordres de l’armée. Répétait une jeune femme.
- Hors de question ! Je suis patron, je ne peux pas me permettre de rester une journée de plus ici ! »
- Monsieur, s’il-vous-plait, vous avez de la fièvre… Vous devez rester en quarantaine, ordre de l’armée.
- J’emmerde l’arm… Lâchez-moi ! Lâch… »
Une explosion. Un bruit lourd étouffé. Plus rien.
Je regardai Laure, figée sur place, ses mains tremblantes suspendue au-dessus de ses genoux. Je sentais mon cœur battre à tout rompre dans ma cage thoracique et mes membres alourdis, incapable de bouger. Nous restâmes ainsi, paralysées, jusqu’au passage de l’infirmière quelques instant après pour prendre nos constante. Aucune n’osa dire quoi que ce soit.