Chapitre I pt. 2

Par Lellap

         Melody et Augustín s'étaient rapidement quittés pour se préparer. Elle lui avait donné l'adresse de Loïcia mais lui avait fermement conseillé de l'attendre en bas de l'immeuble. Il avait fait un effort vestimentaire, en optant pour une chemise bleu ciel, portée avec un jean droit et des Superstar tout à fait banales. Il n'était pas du genre à être chic et il considérait que s'habiller correctement suffisait, sa personnalité faisait le reste. Melody lui avait donné rendez-vous à vingt heures et il était arrivé légèrement en avance alors il attendit. Seul dans une rue encore animée, le jeune homme commença à patienter, les mains dans les poches de son manteau. Un vent froid lui mordait le visage et il enfouit sa tête dans sa grosse écharpe. Melody ne semblait pas pressée d'arriver.

       
          Il s'appuya contre le mur, observa la rue, face à lui. Il faisait déjà sombre, les lampadaires diffusaient une lueur orangée, attirant les rares insectes de cette fin d'hiver, qui voletaient autour. Augustín se demanda ce que les insectes pensaient. Leur vie était-elle ennuyeuse, ou bien passionnante ? Comment un moustique dormait-il ? Que de questions inutiles, fascinantes pourtant pour le bel Espagnol, qui fixait d'un air très sérieux le lampadaire le plus proche. Un bruit de talons se fit entendre et il détourna le regard. Ce n'était pas Melody, mais il put prendre quelques secondes pour observer discrètement une femme aux courbes affolantes qui passait par là.

          
          L'étonnante rousse se faisait toujours attendre. Il avait déjà vu deux personnes entrer, qui l'avaient regardé de travers. Chaque tenue qu'il avait croisée jusqu'alors puait le luxe et ça lui plaisait. C'était inspirant. Il dégaina son téléphone et prit quelques notes. De toutes petites phrases lui venaient à l'esprit, qu'il glisserait dans ses chansons, ou qu'il laisserait mûrir au fin fond des lignes de son fidèle carnet. Être banalement vêtu dans une masse de sacs Chanel et de colliers en diamant, il adorait ça. Il se sentait spectateur d'une sorte de série où il pouvait se moquer des personnages parce qu'il se sentait supérieur. Lui, il éduquait les adultes de demain. Alors que tous ces riches-là, ils ne servaient à rien. Ils n'avaient pas conscience des problèmes du monde, aveuglés par leurs millions. Lui aussi vivait aisément, mais il savait que le monde allait mal.

          
           Melody arrivait enfin et elle était superbe. Elle avait relâché ses cheveux longs, qui tombaient en cascade désordonnée sur ses épaules. Une robe bordeaux très simple épousait ses jolies courbes rebondies, un délicat collier venait habiller son décolleté vertigineux. Un léger maquillage mettait en avant ses yeux et un air coquin achevait de parfaire cette vision divine.

— Ah, les femmes. Tu n'avais pas besoin de tout ce temps pour être belle, remarqua l'Espagnol.

— Ah, les hommes. Tu aurais dû t'abstenir de ce commentaire ridicule. J'ai eu une urgence au travail. J'ai mis moins de vingt minutes à me préparer.

— Moi, j'ai mis cinq minutes, après la douche.

— Oui, mais tu n'es pas habillé comme il faut, jugea Melody en observant la tenue de son cavalier. Un effort aurait été de trop pour Monsieur ?

— Je n'ai pas besoin d'artifices pour briller en société.

           Il lui lança un sourire en coin, et elle haussa un sourcil. Il était réellement agaçant.

— On va voir si tu vas briller... dit-elle en se dirigeant vers la porte de l'immeuble.

           Ils pénétrèrent dans une immense pièce blanche, au sol de marbre éclatant, surplombée de moulures élégantes. Au plafond pendaient deux immenses lustres qui devaient valoir une petite fortune. Il n'y avait pas besoin de décoration superflue, c'était simplement magnifique. Augustín était fasciné par la somptuosité des lieux, mais il n'en laissait rien paraître.

— Pas fou, quand même... Venant de Paris septième, je m'attendais à mieux, fit-il d'un air déçu.

— Si tu le dis... allez, viens !

           L'ascenseur était élégant, à l'image du pallier où ils s'arrêtèrent, à l'avant dernier étage. Gus resta en retrait, alors que Melody sonnait à la porte de Loïcia. L'hôte ouvrit vite, et affichait un air contrarié.

— Il était temps !

— Désolée, j'ai eu une urgence de dernière minute, répondit Melody en entrant, suivie de près par Augustín. J'ai amené quelqu'un... Je t'interdis de m'en vouloir !

          Augustín ne remarqua pas le regard assassin de la blonde, tant il était fasciné par le magnifique costume orange qu'elle portait. Il était ouvert sur un simple débardeur noir, mais elle réussissait à dégager énormément de sensualité et de grâce alors même qu'elle se tenait simplement droite. Décidément, il rencontrait des femmes vraiment sexy.

           Elle fit entrer ses invités, en déposant leur veste sur un porte-manteau. C'était un immense appartement, qui devait occuper la moitié de l'étage. C'était moderne, élégant, très pur. Il y avait du blanc partout, avec ici et là des touches de gris ou de noir. Un immense canapé faisait face à un écran de télévision. Ce dernier surplombait une cheminée, qui diffusait une douce chaleur. Loïcia avait réellement bon goût. Augustín s'approcha de la fenêtre du salon, depuis laquelle on pouvait voir la Tour Eiffel.

— Bienvenu chez moi, dit-elle avec un sourire tout à fait convainquant, bien qu'elle fut particulièrement contrariée par cet imprévu.

           Elle prit Melody à part, laissant l'intrus à son admiration.

— Qu'est-ce qui t'a pris ?

— Rien. Je le trouve amusant, tu m'as autorisée à venir accompagnée, et il saura se tenir.

— En es-tu certaine ?

— Non.

           Loïcia soupira, secouant la tête.

— Fais en sorte qu'il se tienne à carreau. Je ne tiens pas à devoir le virer.

— Ah oui ? Tu préfères qu'il reste ? demanda Melody d'un ton lourd de sous-entendus.

— Non. Je préfère qu'il se fonde dans le décor, et qu'il se contente de manger des toasts.

— Je l'occuperai, ne t'en fais pas.

— N'hésitez pas à vous éclipser plus tôt que prévu, surtout. Faites vous plaisir.

           Le coin des lèvres de Melody se recourba en un sourire qui sut adoucir les traits crispés de son amie.

— Irrécupérable..., soupira la blonde. Bon. Bonne soirée et fais attention à lui. Au fait, il y a tes toasts préférés.

— Oui Madame, répondit ironiquement Melody en rejoignant son cavalier.

           À sa grande surprise, Augustín avait déjà un verre de champagne et papotait joyeusement avec Monsieur Desportes, un homme élégant extrêmement ridé aux grands yeux noirs. À ses côtés se tenait Claude D'Arcy de Fontainebleau... le père de Loïcia, un homme à l'épaisse chevelure blanche et aux yeux bleus d'une clarté étonnante, qui se tenait parfaitement droit dans son costume classique qui lui seyait parfaitement. Tous deux semblaient intéressés par les propos de Gus, bien que Claude lançât quelques regards méprisants aux chaussures du nouvel arrivant.

— C'est tout à fait scandaleux que l'on encourage ce genre d'actes, je vous rejoins là-dessus. Je n'ai jamais rien vu de pareil, et je m'efforce de combattre ces fléaux, disait-il d'un air engagé.

           Il semblait tout à fait à sa place et s'était fondu dans le décor très rapidement. Melody le regarda d'un air étonné, et attrapa un verre également. Elle s'approcha de Monsieur D'Arcy.

— Bonsoir, Melody, dit-il doucement, en adressant à la jeune femme un sourire qu'elle lui rendit.

— Bonsoir Claude. Vous allez bien ?

           Il lança un regard en coin à Augustín, puis s'écarta pour parler tout bas à Melody.

— Parfaitement bien. Dis moi... Connais-tu cet homme ? demanda l'homme en fronçant les sourcils.

           L'interrogée but une gorgée de sa boisson pour cacher son petit sourire.

— Pas vraiment... pourquoi ?

— Jean-Marie et moi discutions quand il s'est littéralement imposé dans la conversation. Il ne m'a pas l'air bien méchant mais il est... spécial. J'espère avoir mal interprété ses propos, mais il me semble avoir compris que... comment dirais-je ? Que je l'attire.

           Melody manqua de s'étouffer et dut mettre en œuvre toute sa force pour ne pas éclater de rire. Claude était un homme relativement âgé et il avait parfois du mal à concevoir qu'on puisse être aussi libre sexuellement que semblait l'être Augustín. Aux yeux de Monsieur D'Arcy, peu importe qu'on aime les hommes ou les femmes, la drague devait s'exercer lorsque c'était le moment. En l'occurrence, ça ne l'était pas.

— C'est possible, mais excusez-le, ce n'est pas un habitué de ce genre de fête.

— Je vois. Dans ce cas... que fait-il ici ?

— C'est mon cavalier.

— Depuis quand fréquentes-tu ce genre de personne ?

— Lui, depuis seize heures.

          Claude avait toujours trouvé Melody particulière sur certains points, mais il ne l'avait jamais vue aussi dévergondée et spontanée avec un homme. Il essaya d'avoir l'air indifférent, mais il était choqué.

— Je suppose que tu veux dire que vous êtes officiellement engagés dans une relation depuis seize heures.

— On peut dire ça comme ça, oui.

— Je vois. Je vais aller voir si Loïcia n'a pas besoin d'aide, à bientôt, improvisa-t-il pour s'éclipser de cette discussion qui le gênait terriblement.

           Melody eut un petit rire, puis se dirigea vers un autre groupe d'habitués qu'elle connaissait bien. De son côté, Claude avait rejoint sa fille, qui s'affairait en cuisine auprès du serveur.

— William, s'il te plaît, commence à ranger ici, ordonnait-elle.

           William était un grand blond très mince, à l'air avenant et délicat. Il semblait habitué aux ordres de Loïcia, et réagissait vite. Il était efficace, c'est pour cela que Loïcia faisait toujours appel à lui pour ce genre d'événements.

— Oh, bonsoir Papa. Tout va comme tu veux ?

— Très bien, oui. Et toi ?

— Parfaitement. Henri Albert semble très intéressé par ma ligne de sous-vêtements, je pense que nous aurons l'occasion de collaborer. C'est un bon entrepreneur. Je suis vraiment satisfaite.

— C'est merveilleux. Je suis si fier de toi, dit Claude en adressant à Loïcia un regard empli de tendresse.

— Si tu veux bien m'excuser, j'ai encore du monde à voir...

           Sans plus de cérémonies, elle s'en alla. Claude la regarda s'éloigner, en secouant la tête doucement. Peu importait, il avait lui aussi des gens à fréquenter. La soirée se poursuivit de la sorte : Augustín faisait le malin, s'amusant à titiller les limites qu'on lui imposait. Loïcia, elle, travaillait, comme toujours. Son père parlait business, mais retraite aussi. Melody se contentait de faire acte de présence, comme d'habitude, mais cette fois-là, elle s'amusa bien avec son cavalier.

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