IRÏANA
Le vent jouait avec le désert, invitant le sable dans une danse mélancolique et le spectateur à la contemplation.
Irïana, assise en tailleur, la peau exposée au Soleil, inspirait et expirait avec lenteur, savourant cet instant de calme dans sa caravane.
Bientôt, ils reprendront leur inlassable vagabondage, sans jamais cesser de rouler, encore et encore, à la recherche d’eau et d’un abri. Pour l’heure, néanmoins, elle appréciait le doux sifflement du vent, les grains s’entrechoquant, et les herbes sèches frissonnantes dans la rocaille. Elle se leva néanmoins, obligée de retrouver les siens après cet instant de méditation.
Son collier de perles chanta, et d’un mouvement elle repoussa sa longue tresse noire dans son dos. Il était temps de préparer ses affaires. Sa sœur Misa allait rentrer de ses rondes quotidiennes autour des voitures pour prévenir des attaques éclairs des Crowsang. Elle aimerait revenir pour lui offrir une infusion avant qu’ils ne repartent et hâta donc son pas.
Le ciel se couvrait de son voile de poussières. Le bleu s’effaçait pour laisser sa place au gris acier. Le monde était désormais grisâtre et la jeune femme remonta son foulard sur son visage pour le protéger du sable qui allait bientôt voleter autour d’elle.
D’après Kaylan, ils traverseraient les Terres Vagues dès le lendemain, en direction du sud ; les fortes pluies du nord devenaient bien trop dangereuses, surtout que les tremblements de terre de l’an dernier. Les montagnes et les Plaines Sèches en étaient désormais instables. Au moins étaient-ils en sécurité dans le sud, même si le Soleil les brûlait, même s’ils devaient tous se protéger de Ses rayons.
Seule Irïana en était prémunie par sa condition particulière. Condition qui devait rester secrète, surtout aux yeux et aux oreilles des Crowsang et de son armée.
Elle revint sur ses pas, bondissant entre les rocailles et les arbustes séchés. Les pierres crissaient sous ses sandales de cuir, tandis qu’au loin, le cercle de voitures scintillait au loin. Elle les rejoignit, un sourire aux lèvres.
Marä s’occupait de la distribution de l’eau, en charge de la citerne de la caravane. Kaylan supervisait les armes, épées, sabres, couteaux et revolvers – pour ceux du moins en état de fonctionner – un peu plus loin, près de son camion. Les rares munitions étaient sous clefs, et la cheffe n’en donnait qu’en cas de nécessité absolue. Dans quelques minutes, tous mettraient sur les épaules et le crâne les châles, lunettes de soleil, foulards autour de la bouche pour se prémunir des rayons de l’Astre et des grains de sable.
Ils s’insinuaient de partout, glissaient dans les cols et dans les chaussures, irritaient la peau si le vent s’en mêlait, crissaient sous les dents, asséchaient les yeux si les lunettes aux verres fumées n’étaient pas étanches. Irïana les imiterait, même si cela la faisait souffrir de ne pas s’exposer au Soleil, même si sa peau en demandait toujours plus sans qu’elle comprenne pourquoi.
La peste solaire était une malédiction qui ne la concernait pas ; Irïana était une enfant du Soleil capable de prouesses incroyables qu’elle gardait en elle, au risque d’être capturée par les Crow. Les Crow qu’ils s’ingéniaient à éviter, échappant pour l’heure au contrôle de leur territoire.
— Nous entrerons bientôt sur les Terres Vagues, murmura Kaylan quand la jeune femme se rapprocha. Tu resteras bien à l’intérieur de votre voiture avec Misa et Miako.
Les véhicules, legs des Anciens, étaient entretenus, choyés, aimés par la caravane depuis plusieurs générations. Qu’ils fonctionnent encore relevaient du miracle, mais les Errants avaient de nombreux secrets, dont celui de la magie de leurs ancêtres. Les panneaux noirs fixés sur les toits fournissaient de l’énergie pour que les voitures puissent continuer de rouler. Ils ne leur rendaient visite que rarement, car leurs difformités physiques étaient dérangeantes et nourrissaient une peur incontrôlable face aux visages et aux corps boursoufflés par la peste nucléaire.
— Oui, cheffe, répondit Irïana sur un ton doux.
Elle en avait l’habitude. Elle n’aimait de toute façon pas trop sortir de sa voiture qu’elle partageait avec sa sœur Misa et son ami Miako lorsqu’ils s’engageaient sur des territoires dangereux. Quand elle était au volant, les yeux rivés sur la route poussiéreuse en compagnie de toute sa caravane, la jeune femme se sentait heureuse, avec sa famille et en sécurité.
Entière.
— Elle va rentrer, dit Kaylan, et nous nous mettrons en route.
Irïana acquiesça avant de filer vers son propre camion. Kaylan faisait référence aux tours de surveillance que les sentinelles de la caravane effectuaient avant chaque départ, vérifier les collines, le chemin le plus praticable et la sécurité de leur départ.
Il s’agissait d’une voiture haute sur ses énormes roues de plastic, aux fenêtres couvertes de grillages métallique et à l’arrière aménagé pour la vie de tous les jours ; elle récupéra plusieurs gourdes et leur réserve d’eau pour en prendre à la citerne quand un long sifflement suivi de deux autres plus courts retentit.
Le signal du retour des sentinelles. Un large sourire fleurit sur le visage de la jeune Yrathienne. Le groupe dont Misa faisait partie apparue au détour d’un 4x4 ; les foulards noués autour du cou et de la bouche, ils étaient méconnaissables. Les gros verres fumés sur les yeux effaçaient d’autant plus les expressions du visage, mais Irïana reconnue immédiatement sa grande sœur, son ancre dans le désert.
Le Soleil grimpait dans le ciel, et tous se couvraient malgré la chaleur. Miako ouvrit la portière arrière de leur camion, un immense sourire aux lèvres et les yeux brillants. Grand pour son âge, les cheveux longs attachés en chignon, il pétillait de joie. Il vivait avec Irïana et Misa depuis plusieurs années désormais, et sa présence rayonnait dans le cœur de la jeune femme. Elle le considérait comme un petit frère.
Ses parents étaient décédés de la peste solaire. La perte de ses deux papas avait rendu le jeune garçon aphasique. Hébété. Désormais, il recouvrait de son allégresse habituelle, et de son humour plus que douteux.
Elle sentit en elle une vague d’amour la submerger.
— Misa ! Tu es rentrée !
Il sauta à terre, sans prendre le temps de se couvrir la tête et les épaules et courut dans les bras de sa sœur adoptive. Elle le serra contre elle, se plia légèrement en deux. Irïana les rejoignit, son foulard lâche autour du cou.
— Rentrez vous mettre à l’abri, sermonna Misa en riant. Allez, ouste ! Je m’occupe des gourdes et des réserves d’eau.
Irïana lui tendit les récipients.
— Vous avez vu des gens ? s’enquit-elle.
La jeune Yrathienne ne pouvait s’empêcher de poser la question.
— Comme d’habitude, pas âmes qui vivent dans les environs. On va continuer à explorer ce soir, mais on doit bouger avant. Le Sud me semble une bonne promesse. Kaylan a raison de changer de cap, pour une fois.
Irïana hocha la tête et embarqua Miako avec elle dans le camion aménagé. Il contenait une table fixée au sol, des bancs contre les murs, et les couchettes relevées contre la paroi séparant l’habitat du cockpit. À sa droite, un coffre contenait toutes les affaires de Misa, d’Irïana et du garçon : vêtements, trésors, livres et, surtout, nourriture.
La plupart du temps, la caravane se nourrissait de racines, de fruits et de chasses ; quelques fois, ils parvenaient à négocier quelques échanges avec les Errants, mais rien de bien probant. Ils préféraient, lorsque les affaires se concluaient avec ce peuple aux corps difformes, échanger de la technologie des Anciens ou réparer les voitures dont le clan était si dépendant. Misa revint chargée de gourdes d’eau fraîche, et invita Irïana à prendre le volant. Elle était déjà épuisée par la ronde effectuée le matin-même, pour sécuriser la caravane.
Irïana adorait ce moment où, assise derrière le volant, elle enclenchait le contact du véhicule, sentait les rouages de la machine se réveiller de son sommeil, les vibrations courir le long de la carrosserie métallique… Elle sourit par anticipation et fila.
— Moi aussi je veux venir ! s’écria Miako.
Sans attendre qu’on lui donne l’autorisation, il grimpa à ses côtés et claqua la portière d’un coup sec, ses verres fumées sur le nez.
Le Soleil était si brillant qu’il fallait s’en prémunir, même dans le cockpit du camion.
— Tu es prêt ?
— Bien sûr que je le suis ! s’écria-t-il. J’ai même un livre avec moi !
Illustrant sa parole par le geste, il sortit de sa poche un ouvrage de papier abîmé roulé et attaché par une cordelette qu’il défit. L’objet, remarquable, contenait des images effacées par le temps et la lumière. Un magazine, disaient les Errants. La couverture représentait un homme souriant, un chapeau sur la tête et le torse nu au Soleil.
Cette vision incongrue fit sourire la jeune femme. Que leurs ancêtres pussent s’exposer de la sorte, semi-nus, au Soleil, était une aberration !
Elle posa les mains sur son volant, abaissa la vitre de sa portière, emplit ses poumons et remonta son écharpe sur son nez. Les grains de sable, volubiles et légers, étaient un danger auquel il fallait se prémunir.
Les autres véhicules se mirent en marche et elle les imita.
Kaylan marcha au milieu des nomades, les bras levés et hurla pour que tous puissent l’entendre :
— Direction le Sud ! Que tous me suivent !
Un frisson d’excitation parcourut l’échine d’Irïana.
Dehors, le ciel se couvrait de son voile gris de poussière, le Soleil réduit à un disque pâle et blanc, brûlant. Les températures grimpaient terriblement vite dans le désert. Un à un, les voitures et les camions, les citernes, se mirent en branle.
Ils partaient sous un ciel d’acier.
"savourant" => Attention, dans les deux premières phrases, tu utilises des rythmes assez similaires, avec deux fois un participe présent :) ça donne un côté un peu redondant
"hâta donc son pas." => Je pense que le donc n'est pas nécessaire :) tu peux gagner en fluidité en l'ôtant (ui c'est de l'extra pinaillage hahaha)
Eh bien, je dois dire que j'ai beaucoup aimé ce chapitre, il est vraiment très immersif ! Quelques redondances d'informations à des endroits (Irïana est spéciale, le sable est mauvais), et un passage très très dense en information, vers le milieu, mais en dehors de cela, c'est top. C'est vraiment immersif, on se croirait dans le désert avec eux et j'apprécie beaucoup les pions que tu places, notamment cette tribu des Errants, qui m'intrigue beaucoup ! Les personnages aussi sont bien campés, je suis curieuse d'en découvrir plus à leur sujet. Puis, ce Soleil avec un grand S, quelle bonne idée ! J'aime beaucoup ce côté divinité cruelle que tu en fais
J'ai cru voir que ce chapitre datait un peu, j'ignore si tu travailles toujours sur cette histoire, mais je suis très curieuse à l'idée de lire un jour la suite <3
Ton premier chapitre a rempli sa mission : je me pose plein de questions. Pourquoi le soleil est devenu insupportable pour notre peau ? Pourquoi n’est-ce pas le cas pour notre héroïne ? Comment va-t-elle changer le monde ? (Parce qu’il y a déjà cette sensation de : elle va tout changer.) J’ai envie de rencontrer les Errants, bien sûr, un peu nos futurs fantômes. Et je sens tout le potentiel de ce trio central qui me semble bien complémentaire.
Comme il y a pas mal d’informations dans ce premier chapitre, je me dis que ça pourrait être chouette de rajouter du mouvement, de la direction, une destination à atteindre ou un objet à récupérer. Je dis ça parce que j’ai eu l’impression parfois que c’était un peu statique pour qu’on puisse intégrer les explications, alors que je pense que tu peux te permettre de laisser plus de questions en suspens, et rajouter à la place des choix/actions, et qu’on te suivra. Tu vois ce que je veux dire ?
Courage pour la suite !