La lumière du jour avait de nouveau frappé ses iris encore habituée à l'obscurité marine. Quelques secondes en arrière, il s'était noyé, il en était persuadé. Mais il était de retour à l'endroit de départ, sa tête collée à la vitre. Les paysages défilaient toujours à une allure affolante. Il sentait sa respiration se faire plus pressante, remplissant son corps d'un oxygène qui lui avait manqué. Et dans sa bouche, un goût désagréable qu'il n'arrivait pas à définir.
"- Ça va?! Tu t'es évanoui sans prévenir !"
Cette fois ci, il parvint à se redresser pour regarder autour de lui. Il se trouvait donc bien dans un bus, qu'il aurait plutôt désigné comme un car scolaire très ancien. Il se trouvait approximativement sur les rangées du milieu, et devant lui, chaque rangée était occupée par au moins deux personnes. La voix qui l'avait appelé à plusieurs reprise venait d'une place un peu plus à l'avant. Si il ne savait déjà pas trop ce qui se passait, le plus effrayant restait ce silence. Aucun mouvement, aucun chuchotement, et c'est lorsqu'il observa un visage qu'il comprit que tous les passagers étaient profondément endormis. Comme lui l'avait été un peu plus tôt. Plus confus qu'il ne l'était déjà, il tourna enfin son regard vers la jeune femme qui l'observait d'un œil inquiet. Il inspira discrètement, tentant de calmer les battements puissants de son cœur.
"- On s'évanouit rarement en prévenant. On est où la ?"
Comme à son habitude, il avait laissé son mauvais caractère prendre le dessus. Il ne voulait pas la brusquer, après tout ils étaient dans la même situation. Mais inconsciemment, étant la seule personne réveillée, il l'avait rendu coupable de sa situation. Et c'était donc d'un ton très peu plaisant, voir même agressif qu'il lui avait répondu. En réponse, elle se recula légèrement. Son air inquiet laissa place à un visage renfrogné, et d'un mouvement de tête elle argumenta.
"- Si t'avais été un peu plus attentif, tu saurais que c'est la question que j'ai posé tout à l'heure. On est dans la même galère, m'agresse pas comme ça..."
Il ne répondit que par un grognement étouffé, retournant à nouveau dans sa contemplation de l'extérieur. En retour, elle laissa échapper un soupire contrarié.
"- Au lieu de bouder, tu viens m'aider à réveiller les gens ? Qu'on comprenne un peu où on est..."
"- Ils seront tous comme nous, comme des cons sans savoir ce qu'on fou là."
"- On peut pas le savoir sans avoir essayer !"
"- Ils sont tous endormis Sherlock. On l'était aussi, alors ils sauront pas plus que nous."
Elle ne fit qu'aborder une simple moue, forcée de constater qu'il avait raison sur certains points.
"- Peut être mais tout de même...! Peut être qu'il y aura quelqu'un qui pourra nous aiguiller un peu... "
Il ne lui répondit qu'en levant les yeux, agacé par cette jeune femme insistante. Il se leva, et la poussa sans grande délicatesse sur le siège de la rangée d'en face. Il lui adressa un regard sombre, avant de reprendre la parole.
"- T'es pas foutue de te démerder seule, c'est pas possible... Si les passagers ne savent rien, qui saura ?"
Elle aborda un regard confus, surprise par sa réaction et sa question.
"- Je... Suis censé te donner une réponse là ?"
Exaspéré, il fit un mouvement de la main et s'avança vers l'avant du bus.
"- Le chauffeur p'tite dame... Le chauffeur."
Elle poussa un petit cri d'exclamation qui fit sursauter le jeune homme. Elle se releva aussitôt et s'approcha de lui.
"- Mais oui t'as raison ! Comment j'ai pu ne pas y penser plus tôt ?"
Il ne pouvait que la regarder d'un air dégoûté , aussi attirante soit-elle. De longs cheveux roux, des taches de rousseurs, des yeux aussi verts que les siens et des lunettes, servant de bandeau pour tenir ses cheveux fins, elle avait tout pour lui plaire, mais il ne parvenait tout simplement pas à l'apprécier.
"- J'en sais rien, et je me pose vraiment la question sur tes capacités mentales actuellement..."
Sans attendre de réponse, il avança dans le bus en s'agrippant aux sièges. Elle, resta à sa place, la bouche légèrement entrouverte après la remarque peu agréable du jeune homme.
"- Non mais-" À peine avait-elle entamé sa phrase, qu'elle se mit à le suivre. " La gentillesse, c'est un concept que tu connais ?!"
"- Non madame."
Elle rechigna, mais il n'y prêta pas attention. Arrivé à l'avant du bus, il fut forcé de constater que sa solution n'en n'était pas une. Le chauffeur, il le voyait bien. Mais une porte les séparait, et elle semblait bien plus solide que nécessaire. Il tenta de frapper à la vitre, d'appeler cet homme qui les guidait vers un endroit inconnu, mais rien ne lui fit décrocher son attention de la route. La rousse s'approcha du jeune homme, et le regarda d'un air victorieux.
"- Pas si terrible que ça ta solution, petit génie."
Il ne daigna même pas lui lancer un regard, mais d'un ton sec il répliqua.
"- Le petit génie il t'emmerde, il sait réfléchir au moins, lui."
"- T'es vraiment- Tu dois être insupportable à vivre au quotidien, je suis bien contente de pas t'avoir connue avant !"
"- J'aurais été très heureux de pas te connaître du tout. Maintenant tu me fais plus chier, y a plus de solution, on attend que ce connard s'arrête et on improvisera après."
Sans en attendre plus, il retourna à sa place. Sur son passage, il constata que plusieurs autres personnes s'étaient réveillés, et, par curiosité, il regarda aussi vers le fond du bus. Il semblait qu'il restait peu de personne qui n'avait pas encore réussi à émerger de leur long sommeil. Forcé de constater qu'il y avait une tranche d'âge très large, il s'enfonça un peu plus dans le flou de la situation. Rien n'avait de sens, et un tel kidnapping ne serait pas passé inaperçu, on les aurait obligatoirement vus. Peut être avaient-ils étaient drogués, et emmenés ici sous l'emprise d'une quelconque substance illicite. Mais pour en avoir déjà fait les frais, il ne se sentait pas étourdi comme on l'était normalement. Malgré tout il n'engagea la discussion avec personne, et ignora même le peu qui tentèrent de lui adresser la parole, quand bien même il aurait pu avoir des avis différents, et donc de possibles réponses.
De son côté, la jeune femme se précipita vers les nouveaux éveillés. Au fond d'elle, elle espérait toujours obtenir une information, aussi petite soit-elle. Elle avait été un peu refroidie par cet homme sec et simplement méchant, mais elle s'arma d'un sourire rassurant, et parla avec le plus de personne possible. Ce fut sans succès, comme il l'avait malheureusement prédit.
Elle se dirigeait vers le fond du bus, quand elle sentit une main agripper vivement son bras et la repousser avec violence sur son siège. Elle savait pertinemment qui en était à l'origine, car elle l'avait observé en passant près de lui. Le jeune homme peu agréable, au visage fermé, mais avec de très beaux yeux verts. Elle s'apprêtait à répliquer sévèrement, mais le visage déconfit du jeune homme la coupa net. Elle l'entendit simplement crier, sans comprendre le sens de ces mots, avant de ressentir un puissant choc s'étaler tout le long de ses membres. Elle n'eut pas plus le temps de réagir, qu'un corps la projeta au sol. Elle entendit des hurlements, des cris de souffrances, des bruits de craquements étrange, le son d'un liquide se répandant contre une surface, mais tout ça, elle ne l'intégra pas. Elle ne se rendit compte de rien, sonnée par le coup qu'elle avait prit à la tête lorsqu'il s'était jeté sur elle. Elle ne put qu'entendre un craquement désagréable, bien trop fort pour qu'il n'y ai pas de blessure, s'échapper de l'épaule de son protecteur, qui avait agrippé le pied du siège. Ce n'est qu'à ce moment là qu'elle prit conscience de leur vitesse, mais aussi des chocs qui s'enchaînaient.
Du peu qu'elle distinguait, les vitres avaient toutes éclatées, éparpillant de nombreux bouts de verres au sol. Elle se rendit d'ailleurs compte que plusieurs s'étaient logés dans ses bras et ses jambes, seules parties qui n'étaient pas protégées par le corps du jeune homme. Ils longeaient des rochers, d'énormes rochers contre lesquels le véhicule entrait en collision, toujours plus violemment. Et jamais ils ne ralentissaient. Au contraire, ils accéléraient. Paralysée par la peur, son seul réflexe fut de fermer les yeux, et prier pour qu'elle s'en sorte. Même si elle était retenue par le jeune homme, elle ressentait les chocs traverser son corps, elle entendait les hurlements qui précédaient une collision , hurlements qui se faisaient de moins en moins nombreux, jusqu'à qu'il n'y en ai plus aucun. Le silence régna, seulement interrompu par le bruit de la ferraille raillant la roche, encore et encore.
Lorsqu'ils semblèrent enfin ralentir, incapable de bouger, elle ne sentit que le corps du jeune homme s'effondrait contre elle, avant de sentir un liquide rouge carmin couler le long de sa tempe. Elle voulut ouvrir les yeux, mais ses paupières étaient trop lourdes. Elle sombrait peu à peu dans l'inconscience, et la dernière chose qu'elle entendit fut un rire. Un rire clair, simplement moqueur.
❧❧❧❧❧❧❧
Le crépitement d'un feu résonnait près de son oreille, tandis que la fumée âcre infiltrait sa gorge. Il sentait une gêne contre son œil, mais n'arrivait pas à comprendre de quoi il s'agissait. Pour le moment, il ne parvenait pas à les ouvrir, trop enfoncé dans un état comateux qui précédait son malaise. L'herbe venait chatouiller sa peau, tandis qu'une douce brise rafraîchissait le côté de son corps qui n'était pas face au feu. Au loin, une chouette appelait son compagnon, afin de partir chasser leur proie. Avec le peu de conscience qu'il avait réussi à récupérer, il en déduisit qu'il faisait nuit. Ça ne le rassura par pour autant, car, comme tous les passagers du bus, il n'avait aucune idée d'où il était.
Des fragments de mémoire lui revenaient peu à peu, lui rappelant les chocs douloureux qu'il avait enduré durant son voyage. Il n'entendait aucun son autour de lui, mis à part le feu qui brûlait face à lui. Il pensa d'abord que le véhicule était à l'origine de cet incendie, et il se mit à penser qu'il était peut être l'unique survivant. Mais quelques secondes plus tard, il entendait des pas tourner autour de lui. Dans un premier temps rassuré, l'inquiétude le gagna bien vite. Il ne parvenait même pas à ouvrir ses yeux, si cette personne, peu importe son identité, lui était hostile, il n'aurait aucune arme dans son camps. Cependant, les pas se stoppèrent loin de lui, si il pouvait toujours se fier à son ouïe. Si tel était le cas, alors elle se trouvait certainement de l'autre côté du brasier. Il devait absolument réussir à bouger, s'enfuir si la situation n'était pas à son avantage, et retrouver son chez lui. Il puisa dans ses ressources les plus profondes, pour finalement parvenir à ouvrir un œil. Ce qu'il avait prit comme un incendie provenant du bus n'était en fait qu'un feu fait main, un feu de camps. Il se trouvait allongé sur le ventre, la tête orienté vers les flammes. Il apercevait les bottes en cuir d'une figure masculine, de l'autre côté du feu, comme il l'avait déduit. Celui ci ne bougeait pas, et donnait même l'impression d'être ancré dans le sol. Malgré son incertitude concernant cet inconnu, il se décida à regarder autour de lui. Il se disait simplement que la personne ne l'avait pas encore vu, et plus il connaissait son terrain, plus il avait de chance de survivre. Près de lui se trouvait une jeune femme rousse. La jeune femme qui lui avait demandé un peu plus tôt si il savait leur destination, si sa mémoire ne lui faisait pas défaut. À la gauche de cette jeune femme, se trouvait un homme. Lui, avait des cheveux très clairs. Dans la pénombre de la nuit il ne pouvait pas le dire avec certitude, mais il lui semblait qu'ils étaient gris. Il ne l'avait que brièvement aperçu, car peu après son passage la jeune femme rousse l'avait interpellé. Un peu plus loin il apercevait une troisième forme, mais il n'arrivait pas à distinguer ses traits. Impossible donc de savoir si c'était une femme ou un homme, ou même si il, ou bien elle, était conscient. Pour le reste, il semblait être au beau milieu d'une forêt. La fuite n'était donc pas réellement la meilleure option. Il devait d'ailleurs se trouver bien loin de chez lui, car il était presque persuadé de ne pas avoir vu de forêt avant des milliers de kilomètres de sa maison, si sa mémoire était intacte.
Il lui fallut une bonne dizaine de minutes avant de ne serait-ce que réussir à bouger quelques uns de ses doigts. La douleur tiraillait ses muscles, et il sentait des plaies tout le long de ses membres, sans qu'aucun sang ne coule. A ni rien comprendre, se disait-il. Il se rappelait maintenant parfaitement de chaque seconde de l'accident, et son corps avait été recouvert de verre. Il ne voyait qu'une seule explication logique, on l'avait soigné. Et la seule personne qui aurait pu le faire... C'était cet homme au bottes cuivrées. Beaucoup de questions se battaient dans son esprit fatigué. Cette personne, qui semblait les avoir soigné, était-ce par désir de leur venir en aide, ou bien une raison beaucoup plus sombre ? Comment pouvait-il espérer survivre dans une forêt, lui qui venait d'une ville, ainsi que d'une famille aisée qui n'avait jamais manqué de rien ? Et c'était ainsi qu'il avait prit la décision, certainement ridicule, de ne pas bouger. Attendre que quelques chose arrive, en espérant que les deux personnes face à lui, toujours inconsciente, se réveillent à leur tour. Encore fallait-il qu'ils ne soient pas aussi peureux que lui, et se décident à bouger. Un paris qui ne tenait à rien, mais c'était la seule solution que son esprit avait pu lui proposer. Lui, était paralysé par la peur de toute façon. Il se savait pourtant capable de bouger, mais son esprit le refusait.
Ses membres étaient engourdis après tant de temps sans bouger, mais c'est à peine si il osait respirer. Le temps était passé, décomptant de longues secondes, puis des minutes, et enfin, ce qui avait paru comme des heures, de longues heures interminables. L'attente avait été si longue qu'il avait finit par penser que les deux évanouis étaient morts. Mais enfin, sa patience payait. Devant son seul œil capable de voir, l'autre ayant une sorte de patch collé dessus, le jeune homme au cheveux clairs commençait enfin à bouger. Il n'avait toujours pas ouvert les yeux, mais ses membres tressautaient légèrement de temps à autre. L'impatience avait envahi son être tout entier, l'espoir revenait au grand galop tant il espérait que cet homme deviendrait son sauveur. Peu importait qu'il lui arrive quelques chose, il aurait le temps de s'enfuir en courant. Après tout ce temps à attendre, il avait entièrement retrouvé ses forces. C'était lâche, il le savait, mais il tenait à la vie plus que tout. Il avait déjà manqué de faire une crise de panique lorsqu'il s'était aperçu qu'on l'avait certainement enlevé, tout ce qui lui importait maintenant c'était de sauver sa peau. Peu importait du sort des autres. Enfin, lui il tentait de se convaincre qu'en fuyant il pourrait appeler les secours, et ainsi les sauver. Mais son cœur savait la vérité, même si son esprit ne l'accepterait certainement jamais.
Le jeune homme au cheveux clair avait entièrement reprit conscience. Ses yeux émeraudes scrutaient son environnement tandis que ses bras tentaient tant bien que mal de relever son corps meurtri. Sa tête lui lançait terriblement, le sang pulsait violemment contre sa tempe, lui faisant voir trouble. Il avait un goût acide dans la bouche, un liquide remontant le long de sa gorge et le brûlant, mais il continuait de lutter. Il voulait, devait se redresser. Voir son entourage, comprendre ou il était, ce qui c'était passé était primordial. À ses côtés, il avait aperçu une chevelure rousse qu'il avait reconnu comme étant la fille du bus. Des autres, il n'en avait reconnu aucun, mais ils étaient certainement eux aussi des passagers. Un seul était réveillé, et n'avait cessé de le fixer. Il ne savait pas ce qu'il attendait, mais lui ne patienterai pas une minute de plus. Parvenant enfin à se redresser et se mettre à genoux, la première chose qu'il vérifia fut sa tête. Il se souvenait vaguement avoir reçu un coup, certainement un débris qui lui était tombé dessus lorsqu'il avait protégé la jeune femme. Il palpa son crâne, et avisa un simple bandage déjà humide, sûrement imbibé de son sang. Il n'avait donc pas été complètement soigné, et le sang qui n'avait pas encore du stopper l'étourdirait sûrement un peu plus qu'il ne l'était déjà. Mais peu importait, il avait autre chose à penser. D'un simple coup d'œil, il aperçu les blessures superficielles qui ornaient le corps de la jeune femme encore inconsciente. Un soupire rassuré lui échappa. Sa protection n'avait pas été inutile. Il ne s'intéressa pas au jeune homme qui l'observait encore, mais s'attarda plutôt sur l'immense personne qui se tenait face à lui. Elle ne lui prêtait pas attention, et semblait faire griller un morceau de viande dans le feu. Des cheveux longs, une barbe qui n'avait pas été rasé depuis quelques temps, un long manteau marron, des bottes en cuivre, il ressemblait en tout point à un personnage de jeu vidéo. Celui qui guide le jeune héro à travers sa quête. Malgré l'image quelques peu comique, il ne pensa même pas à faire une plaisanterie sur son apparence. Lui qui était déjà grand, il se sentait minuscule à côté de cet homme qui dépassait certainement les deux mètres. Il avait l'air d'un bûcheron fou, en quelques sorte. Et pourtant, il était d'un calme affolant. Comme si il se rejouait la scène d'un meurtre en boucle.
Il secoua vivement la tête pour empêcher son esprit de faire un quelconque film plus angoissant que ce qu'il ne vivait déjà. Il était un artiste, on lui avait répété des millions de fois. Mais dans ce genre de situation, il aurait aimé ne pas avoir à inventer des scènes toutes plus sordides que la précédente. Il avait beau s'en empêcher, les idées continuaient à fuser, faisant trembler son corps, car à chaque fin de scène revenait la même idée... Et si celle là, si elle, elle était vraie ? Ça le terrifiait, mais rien n'y faisait. Elles se bousculaient toutes, encore et encore, et lui se perdait de plus en plus dans son imagination. Il s'était même imaginé qu'encore une fois, il vivait un rêve très réaliste, et qu'il se réveillerai bientôt, à nouveau dans ce bus. Mais c'était des espoirs futiles, cette fois-ci il le savait bien. C'était la réalité, et rien d'autre.
Un mouvement attira son attention et le sortit de ses idées les plus tordues. Le géant avait retiré sa brochette improvisée du feu, pour l'amener près de son visage. Au lieu de la manger, il n'avait fait qu'humer la fumée qui s'échappait de la viande maintenant marron, puis l'avait posé sur une assiette qu'il n'avait jusque là pas vu. Il y en avait déjà une dizaine, et elles allaient sûrement refroidir. Pourquoi ne pas les manger, ce serait demander une personne normale. Lui, il s'était dit qu'il les avaient empoisonné, et qu'il comptait leur donner. Leur faisant ainsi croire qu'ils étaient leur ami, qu'il les avaient sauvé, pour ensuite commettre un meurtre, peut être dans d'horrible souffrances. Joyeux, se disait-il. Je vais me faire tuer par un psychopathe des bois, qui est certainement cannibale, avait-il pensé.
Le titan, après avoir posé une nouvelle brochette dans le feu, s'était redressé de toute sa hauteur pour le fixer, lui qui était toujours à genoux. Même à cette distance, il avait eu l'impression que l'homme l'avait écrasé, aussi simplement que lui aurait pu écraser une mouche. Se sentir faible à ce point, soumit par un homme qui ne l'avait même pas menacé, simplement regarder, était humiliant. Il se savait fort, physiquement autant que mentalement, mais à ce moment précis il ne ressentait qu'une honte et un dégoût puissant envers lui même, incapable de répliquer quoi que ce soit à ce géant de muscle. Ses lèvres étaient scellées, cousues par le fil de l'instinct, qui lui criait de ne pas jouer au fier. Sa vie était en danger, il le sentait bien. Mais son cœur ne souhaitait pas ça. Alors il lutta, il lutta contre ses démons intérieures pour enfin réussir à enlever le sceau qui pesait sur ses lèvres.
"- Tu cherches à tous nous assassiner, le vieux ? Tu pourrais faire plus original."
"- Je pense que tu as mal interprété la situation."
Il avait été cloué au sol, de nouveau incapable de répondre. Ses mots n'avaient pourtant rien de menaçant, mais sa voix était grave, profonde, et imposait le respect. À chaque mot qu'il prononçait, l'épée de Damoclès qui trônait au dessus de sa tête manquait de tomber, jouant avec ses nerfs déjà mis à l'épreuve. Pour la première fois de sa vie, il fit preuve de prudence, réfléchissant à ses mots avant de les laisser passer la barrière de ses lèvres. D'une voix peu assurée, il tenta d'y voir plus clair.
"- Dans ce cas là... Si je me suis trompé..." il hésita quelques secondes, mais continua finalement. "Donnez moi la vraie version."
Il n'avait pu s'empêcher de le vouvoyer, et il sentait la frustration monter en lui. Il détestait vraiment se sentir faible. Le géant l'observa un moment, puis détourna son regard ambré vers les flammes. Celles-ci dansaient dans ses yeux, charmant les iris émeraudes qui ne lâchèrent plus ce spectacle.
"- Tu le sauras en même temps que tout le monde, quand tous tes petits amis se seront réveillés, et levés. N'est ce pas, jeune homme qui fait semblant d'être inconscient depuis maintenant vingt bonnes minutes ?"
Le concerné eut un frisson, mais se redressa lentement sur ses genoux. Ses mains tremblantes agrippèrent le pan de son jean déchiré, tandis qu'il argumenta.
"- Je... Je ne faisais pas semblant... Je... Je récupérais seulement des forces..."
Son intervention laissa le titan de marbre, qui ne daigna même pas lui adresser un regard. Il retira de nouveau une brochette de viande du feu, pour venir la remplacer.
"- J'espère que ça ne va pas trop tarder, la viande va finir par être froide !"
Un simple sourire vint se déposer sur ses lèvres abîmées, tandis qu'il fixait les deux garçons, l'un fasciné, le deuxième terrifié. Sous le hululement d'une chouette au loin, le feu crépitant plus fort sous les coups du vent, la nuit commençait à peine.
❧❧❧❧❧❧❧
Après ce qui avait paru comme une éternité pour les deux seuls réveillés, les autres passagers, enfin pour le peu qu'il en restait, avaient à leur tour reprit conscience. Les réactions avaient été diverses, mais une émotion trônait en maître, la peur. Le géant n'avait plus rien dit depuis sa dernière intervention, et personne n'avait osé prononcer un seul mot, ni même laisser échapper un soupire. Il n'y avait qu'une jeune enfant qui sanglotait, tenant contre elle une veste bien trop grande. Elle appelait sans cesse une personne qui ne semblait pas faire parti de ce petit groupe réduit. Encore une fois, personne n'avait osé aller la rejoindre pour sécher ses larmes. À la surprise générale, ce fut le titan qui s'approcha, et s'assit face à elle. Il ne prononça pas un mot pendant quelques minutes, et amena simplement sa main gigantesque sur le haut du crâne de la petite fille. D'un geste lent, il glissa ses doigts dans sa chevelure caramel. Les pleurs cessèrent très vite, pour qu'il ne reste plus que des reniflements. La jeune enfant amena son regard marron vers cet être gigantesque, et d'une voix tremblante, elle lui demanda.
"- Mon frère... Mon frère, il était avec moi... Il m'a dit qu'il m'emmenait voir un joli endroit... Ou est ce qu'il est...?"
La jeune rousse comprit immédiatement la situation. Cette petite fille, elle l'avait vu dans le bus. Et à côté d'elle se trouvait un jeune garçon, peut être un peu plus jeune qu'elle ne l'était, mais déjà assez grand pour comprendre que la situation n'était pas à son avantage. Elle se rappelait parfaitement l'avoir entendu dire à sa jeune sœur qu'il n'y avait pas à s'inquiéter, qu'il l'emmenait simplement visiter un pays magnifique. Et puis leurs regards s'étaient croisés. Et elle y avait vu toute la peur qu'il ressentait. Le grand frère avait menti à sa petite sœur pour la protéger d'une angoisse certaine. Il avait joué son rôle à merveille. Mais maintenant, il avait sûrement disparu comme les trois quarts des passagers de ce bus maudit, laissant sa jeune sœur seule, en proie à un monde hostile. Le géant sembla réfléchir un moment, pendant que sa main continuait ses caresses rassurantes.
"- Je pense que ton frère t'as protégé... Il est maintenant ailleurs, dans un monde où il peut veiller sur toi."
"- Comment il pourrait veiller sur moi si il n'est pas avec moi ?!"
Les pleurs reprirent de plus belles, plus fort, plus déchirants.
"- Il veille sur toi d'un monde magnifique, d'où l'on peut voir tout ce monde, le monde où nous sommes... Certes il n'est pas la, mais tu le reverras. Je te le promets."
Il prit la jeune fille dans ses énormes bras, et lentement, il la berça. Il ressemblait à un père, prenant soin de son petit trésor. La peur qui régnait précédemment laissa place à la pitié pour cette enfant, qui venait sûrement de perdre un des êtres les plus cher à ses yeux. Le silence régna de nouveau en maître, personne ne voulant briser cette petite scène de bonheur. Lentement, elle trouva le sommeil dans ses bras confortables. De légers reniflements venaient parfois déranger le calme. Ce ne fut qu'après de longues minutes que le géant déposa délicatement le corps endormi sur l'herbe. Il retira son manteau de fourrure, qu'il apposa lentement sur le petit être frêle. Une fois fait, il se releva et se dirigea vers le feu. Il attrapa l'assiette de viande, et se dirigea vers les personnes qui ne quittaient pas la jeune fille du regard. Il proposa un morceau à chacun, s'assurant qu'ils étaient encore chauds. Tout se déroula sans bruit, seulement bercé par la nature alentour. La plus part avaient été méfiants, et n'osaient pas toucher à leur nourriture. Pourtant, leur ventre grondaient. Ils n'avaient pas mangé depuis un certain temps maintenant, mais ils étaient terrifiés à l'idée de ne pas savoir ce qui pouvait se trouver sur cette viande. Après avoir constaté cela, le vieux géant prit la parole.
"- Je sais bien que tout ça vous dépasse, et qu'aucun ici ne me fait confiance. Je vous expliquerai tout en temps voulu, je vous le promet... Pour le moment je vous demanderai de me suivre aveuglement. Je suis ici pour vous protéger, et non pour vous faire un quelconque mal."
Aussi surprenant soit-il, ses paroles eurent l'effet esconté. Tous, sans exception, se mirent à manger. Pour le moment, aucun n'osait encore prendre la parole face à cet être impressionnant. Mais la peur s'était légèrement estompé, tandis qu'un climat de confiance s'installait lentement. Le géant ne les brusqua pas, ne les assomma pas d'informations qu'ils ne retiendraient sûrement pas, et s'assura seulement qu'aucun ne manquait de rien.
Après la petite collation, il se rendit auprès de chacun et étudia leur blessures. Si besoin, il en prenait soin, si cela n'était pas nécessaire, il se chargeait de les rassurer sur la gravité de leurs entailles. Quelques uns avaient des blessures plus importantes, comme le jeune homme aux cheveux clairs qui s'était prit un coup sur la tête. Un bout de roche s'était décroché de la falaise, pour venir se loger dans son crâne. Le vieux géant avait prit soin de l'enlever, pour éviter toute infection, mais le sang coulait toujours à flot. Le jeune homme n'avait plus beaucoup de force, et avait plusieurs fois manqué de faire un malaise. Il lui prêtait donc une attention bien particulière, au cas où cela prendrait de plus grosses proportions. Il était arrivé jusque là, ce ne serait pas acceptable qu'il meurt ainsi, sous sa surveillance. Après plusieurs heures à s'occuper d'eux, plusieurs avaient trouvé le sommeil près du petit feu. Il n'en restait plus que trois de réveillé, le jeune homme aux cheveux grisés, et deux jeunes femmes qui n'avaient pas lâché leur mains depuis qu'elles s'étaient réveillées. Elles se murmuraient dans le creux de l'oreille, à l'abri des personnes indiscrètes. Il n'avait pas osé les déranger, comprenant bien qu'elles se connaissaient avant leur arrivé dans ce bus, et qu'elles partageaient une relation plus qu'amicale. Cependant, les heures défilaient, et elles avaient besoin de repos. Il prit donc la décision de s'approcher, et leur adresser la parole.
"- Vous ne vous reposez pas mesdames ? Il se fait tard."
La première, celle qui semblait être légèrement plus âgé que la seconde, détacha son regard de son amante. Elle possédait de beaux cheveux rubis, attachés en une longue queue de cheval. Sous son œil se dessinait un papillon noir, entouré d'un halo foncé. Elle se contenta d'hocher lentement la tête, avant de rencontrer de nouveau le regard grisé de sa bien aimée.
"- Si, nous devrions..."
La deuxième acquiesça elle aussi, mais ne quitta pas la jeune femme aux cheveux rouges du regard une seule seconde. Elle semblait plus simple, des cheveux presque noirs et ondulés, des yeux métalliques, et le même papillon gravé sur sa peau, mais cette fois ci dans le creux de son cou.
"- On avait beaucoup de choses à se raconter... On en a pas eu le temps avant d'atterrir dans ce bus étrange..."
Le vieux géant les écoutait, curieux d'en connaître un peu plus sur ces deux belles femmes.
"- Je comprend bien. Ne vous inquiétez pas, vous aurez tout le temps demain. Vous n'aurez pas d'épreuves comme celle d'aujourd'hui avant un bon moment... Reposez vous, ce que vous avez vécu aujourd'hui était éprouvant."
"- Vous voulez dire qu'on va vivre des choses similaires à ce qui s'est passé...? "
Celle aux cheveux noirs avait enfin détourné son attention de son amante, pour regarder le géant avec appréhension.
"- Je ne peux malheureusement pas vous en dire beaucoup plus, mais tout ça ne fait que commencer... "
Les deux jeunes filles ne rajoutèrent rien, peu rassurées de leur situation. Elles s'allongèrent, se serrant l'une contre l'autre pour se tenir un peu plus chaud, et fermèrent les yeux. Le vieux géant patienta quelques instant avant de se relever, et d'allé rejoindre le dernier éveillé.
"- Tous tes camarades dorment, pourquoi ne pas faire de même ?"
Il s'installa sur le sol, assit en tailleur. Même si il resterait éveillé pour le reste de la nuit, il avait prévu de rester près de ce jeune homme, pour surveiller sa blessure. Jeune homme qui ne lui lança pas un regard, ses iris concentrées sur les flammes dansantes face à lui.
"- Ce ne sont pas mes camarades, et je n'ai pas sommeil."
"- Tes yeux disent le contraire... Et avec une blessure pareille, ton corps doit certainement hurler au repos."
Il ne reçut qu'un haussement d'épaule en réponse. Malgré le semblant de confiance qu'il lui avait accordé, il redoutait toujours un retournement de situation.
"- Quel est ton nom jeune homme ? "
"- Pourquoi voulez-vous le savoir ? Vous ne l'avez pas demandé aux autres."
Un léger sourire s'empara du visage ridé du vieil homme.
"- Tu es bien méfiant... Si tu veux tout savoir, tu ne compte pas dormir, et moi non plus... Alors autant que nous fassions connaissance, pas vrai ?"
"- Je n'en sais rien."
Un silence s'imposa entre les deux, qui fut briser par un froissement de feuille. Peu après, un petit écureuil vint se loger dans la grande main que le géant avait posé dans l'herbe. Le mouvement attira l'attention du jeune homme qui déposa son regard émeraude sur le petit animal. Ses iris s'illuminèrent légèrement à sa vue.
"- Tu aimes les animaux ?"
Il se contenta d'hocher la tête, ne souhaitant pas engager la conversation avec celui qui était sûrement à l'origine de sa situation.
"- Moi aussi, je les aimes beaucoup. Et je suis très chanceux, ils m'apprécient énormément, eux aussi."
"- Vous avez de la chance... Ils passent leur temps à me fuir."
Il ne fit que grommeler, espérant que le vieux géant ne l'entendrait pas. Ce ne fut malheureusement pas le cas, et il releva lentement sa main, prenant gare à ne pas faire tomber le petit animal.
"- Si il te fuyait, il ne serait pas là."
"- C'est pour vous qu'il est venu, pas moi."
"- Les animaux fuient les pensées négatives, tu sais ? Ce sont de vrais éponges, ils n'aiment pas ressentir ce genre de chose."
Le jeune garçon détacha enfin son attention du petit être, pour observer son interlocuteur.
"- Pourquoi vous me dites ça ?"
-" Je te l'ai dis jeune homme, tu n'as pas l'air décidé à dormir, alors je te fais la conversation. "
De nouveau, le plus jeune abaissa sa tête vers le petit feu. Il rajouta une branche qu'il avait trouvé à proximité, et un soupire bas s'échappa de ses lèvres.
"- Je n'ai pas spécialement de pensées négatives."
"- C'est bien possible que ça soit à cause de ton caractère qui m'a l'air ma foi assez explosif."
"- Comment vous pourriez dire ça ? Vous ne me connaissez pas, et je suis calme, là."
"- Un vieil ami présent dans le bus me l'a assuré... Tu n'es pas très gentil. "
Cette phrase lui valut un froncement de sourcil.
"- C' est cette fille rousse qui vous l'a dit ? Elle m'énervait, alors oui je n'ai pas été très gentil. "
"- Non, elle ne m'a rien dit. Mais malgré tout, je reste persuadé que tu es quelqu'un d'assez explosif... Ta blessure t'as étourdis, tu n'es calme que pour cette raison. Je pense qu'en temps normal, tu te serais déjà énervé... Je me trompe ?"
Le jeune homme ne répondit rien, mais son air contrarié valait toutes les réponses du monde. Il s'allongea prudemment, sa plaie douloureuse l'empêchant d'effectuer des mouvements trop brusques.
"- Je veux dormir maintenant, laissez moi tranquille. "
"- Très bien..."
Le vieux géant se redressa, ses vieux os craquant sous l'effort.
"- C'était malgré tout une discussion intéressante, jeune homme."
Il s'apprêtait à partir, quand une voix résonna.
"- Kaith... Je m'appelle Kaith, pas jeune homme... "
Un nouveau sourire vint se déposer sur les lèvres du géant, qui s'éloigna pour retourner s'asseoir à sa place initiale. Un peu plus tard, lorsque la nuit fut bien avancé, il déposa de nouveau son vieux corps au côté du jeune homme qui avait dit se nommait Kaith. Il respirait calmement, ne montrant aucun signe de douleur due à sa blessure à la tête. Les heures passèrent, sans encombre, bercées par les respirations calmes des huit personnes.
❧❧❧❧❧❧❧
La nuit avait été courte pour tous, et les douleurs dues à leur précédentes blessures n'avaient en rien aidé. La plus part avaient sauté le petit déjeuner, se sentant tous nauséeux. Ils avaient tous froids, et la fatigue n'arrangeait rien. Le vieux géant leur avait seulement indiqué que d'ici ce soir, ils auraient tous un lit pour se reposer, et un toit. Il n'avait pas précisé qu'avant d'atteindre ce but, une longue marche les attendaient. Certains se seraient sûrement dégonflés, se pensant incapable d'y arriver.
Ils avaient quitté leur petit camps au premières lueurs du jour, une fois leur provisions faites. Aucun d'eux ne l'avaient entendu la nuit d'avant, mais ils se trouvaient près d'une petite rivière. Ils avaient tous pu se rincer un peu le corps, parfois encore taché de sang sec, puis ils avaient rempli des gourdes improvisés, et étaient parti pour de bon. Voilà maintenant deux bonnes heures qu'ils marchaient dans un silence de mort. Ils ne se laissaient guider que par leur instinct de survie, qui leur intimait de continuer à poser un pied devant l'autre. Leurs esprits trop fatigués pour réfléchir ne leur permettaient pas de produire un quelconque son, ni même une simple pensée.
Ils étaient restés dans la forêt un long moment, enfermés par la cime des arbres qui ne laissait rien voir de ce qui les entourait. Ce n'est qu'aux alentours de midi que devant eux se forma un paysage magnifique. Ils étaient arrivés au bord d'une falaise, qui surplombait une immense forêt. À l'horizon, une chaîne de montagnes enneigées surplombait tout. Et au creux d'une de ces montagnes, si l'on y prêtait un peu attention, on y distinguait les murs blancs et gigantesques, remparts protecteur d'une ville qui s'étalait sur la hauteur du mont. Au centre de cette énorme métropole, se trouvait une tour qui fendait les nuages. La couleur blanche de la neige résonnait contre ses murs en pierre polit. Le vieil homme ne se lassait jamais d'admirer cette vue, lui qui n'avait aucun droit de s'y rendre. Il aurait aimé partager ses sentiments envers ce tableau avec les autres, ou bien le jeune Kaith qui semblait partager les mêmes idées que lui, mais aucun n'avait prêté attention au décor. Ils s'étaient tous laissé tomber au sol, épuisés d'avoir usé leur dernières forces. Le chemin était étroit, sinueux, et malgré la neige déposée sur la montagne, le climat dans cette partie de la forêt était étouffant.
Aucun n'avait eu la force de relever leur yeux, et admirer ce que la nature avait à leur offrir. Leur bras n'avait même pas su apporter la gourde à leur lèvres desséchées, et les souffles erratiques résonnaient contre la parois rocheuse de la falaise et l'écorce vieillie des arbres centenaires. Les voir ainsi peinait le vieux géant, qui, malgré la fatigue, s'occupa de chacun. Il leur offrit l'eau dont ils avaient tant besoin, leur apporta un peu de nourriture qui leur redonna un peu de force, et vérifia une énième fois leur blessure. La plus part entraient dans la phase de cicatrisation, mais la plaie qui ornait le crâne clair de Kaith ne semblait pas se refermer. Trop profonde certainement, ou bien déjà infectée, le vieil homme s'inquiétait énormément. Il n'avait malheureusement rien pour le soigner, et le strict minimum qu'il avait pu faire semblait être simplement inefficace.
Ce n'est que lorsque le soleil se coucha à nouveau qu'ils atteignirent leur destination. Éreintés, il se stoppèrent malgré tout devant le bâtiment de bois qui se tenait face à eux, et prirent le temps de l'observer. Une simple cabane de bois très rustiques au premier coup d'œil, mais d'une précision exceptionnel si on regardait de plus près. Lorsqu'on levait la tête pour regarder par dessus les branches feuillues qui cachait la vue, on apercevait une grande terrasse qui longeait tout l'étage supérieur, le tout décoré de végétation toutes très bien entretenues. Une maison de campagne en somme, à l'allure de petit manoir.
"- Je vous présente ma maison, entièrement construite par moi même !"
En temps normal, quelques uns auraient réagit. Ne serait ce que par respect pour cet homme, qui avait fabriqué une telle habitation, ou bien par peur de ce que pouvait faire ce géant, si il avait pu construire un tel chef d'œuvre. Mais à ce moment, aucun ne possédait la force nécessaire pour admirer son talent. Ils ne rêvaient qu'un peu de repos, d'eau fraîche et d'un repas bien mérité. Alors il n'en dit pas plus, et les invita seulement à rentrer. La visite serait pour plus tard, il installa des matelas de fortunes dans le salon au plus vite pour leur permettre de détendre leur muscles fatigués. Il avait de nombreuses pièces vides à disposition pour y aménager des chambres, mais il devait d'abord se rendre en ville, celles où il était autorisé, pour espérer trouver des lits. Cela signifiait laisser ses hôtes seuls, livrés à eux même. Mais la blessure de Kaith l'inquiétait, et il hésitait. Il devait normalement quitter la maison dès ce soir, pour revenir dans trois jours, voir quatre, si il n'y avait aucun imprévu. Il y pensa en préparant le repas, un vrai cette fois ci, et se décida à changer légèrement son programme. Il attendrait d'abord de voir comment se passait l'intégration dans leur nouvelle maison, pour les laisser seuls en toute confiance. Cela lui permettrait dans le même temps de surveiller la blessure qui occupait bon nombres de ses pensées, et espérer y trouver une solution.
Quand il revint dans le salon, il n'en trouva qu'un réveillé. Les autres s'étaient tous déjà endormis, trop fatigués de leur journée. Celui qui restait, il ne lui avait que peu parlé. Il s'était endormi assez vite, n'avait que des blessures bénignes et n'avait pas une seule fois prit la parole. Il s'approcha, et s'assit face à lui.
"- Tu veux manger un peu ? Je vous ai préparé un repas, ça sera sûrement meilleur que la viande d'hier soir."
Il accompagna sa phrase d'un léger rire. Le jeune homme aux cheveux sombres hocha lentement la tête et attrapa délicatement l'assiette que le vieil homme lui tendait. Pendant qu'il attaquait son repas, le vieillard s'autorisa à l'observer plus en détail. Il semblait bien pure, aucune imperfection n'ornait son visage. Ses cheveux étaient un peu plus longs et ondulés que les deux autres garçons de cette pièce, bientôt il pourrait certainement les attacher. Une petite boucle ronde pendait à son oreille droite, et rien de plus. Ses yeux étaient d'une couleur peu ordinaire. Un bleu foncé, qui penchait sur le violet. Des petits filaments dorés se baladaient dans son iris, rendant le tout irréel. Mais le vieil homme en avait l'habitude, alors ce détail n'attira pas son attention.
"- Vous savez que vous êtes un peu étrange à me regarder manger...?"
"- Oh excuses moi, je ne voulais pas te gêner !"
Il se releva, époussetant son pantalon noir. Il reprit les six autres assiettes, et les déposa sur la table basse. De nouveau, il se tourna vers le jeune homme aux cheveux noirs.
"- Dis moi, comment t'appelles- tu? "
"- Ven, monsieur... Et vous ?"
Le vieil homme fut surpris par sa demande. Il n'était pas habitué à ce qu'on lui demande, sûrement trop effrayé par cette énorme masse vivante. Il s'arma d'un léger sourire, profondément touché qu'il s'intéresse à sa personne.
"- Je m'appelle Taïran, merci de t'en soucier."
Le jeune homme sembla étonné, et pencha légèrement sa tête vers son épaule gauche. Plusieurs mèches de cheveux tombèrent sur ses yeux, mais cela ne sembla pas le gêner.
"- C'est normal... Vous vous intéressez à moi, le minimum de respect c'est que je fasse de même..."
Un petit rire s'échappa des lèvres abîmées du vieux géant, qui se dirigea vers le fond de la pièce.
"- Je vais allumer un feu, quand tu auras finis ton repas tu ferais mieux de te reposer. Ça a été un voyage éprouvant pour vous... Et merci d'avoir porté la petite, elle n'aurait pas réussi toute seule."
Ven tourna son regard vers la jeune fille dont son interlocuteur lui parlait. Elle était installé un peu plus loin, lovée contre la fille rousse dont il ne connaissait pas le nom. L'enfant avait jeté son dévolu sur lui, et l'avait apostrophé au début du voyage. Elle l'avait presque supplier de le porter tant ses jambes lui faisaient mal. Il avait eu peur de la blesser, où bien la lâcher mais il avait finalement accepté. Il était heureux d'avoir pu la porter jusqu'ici sans encombre. Après avoir observé la jeune enfant châtain, il promena son regard bleuté sur le reste du groupe. Certain avaient l'air agréables, il était pressé de faire connaissance et peut être lier des amitiés. Même si il souhaitait avant tout rentrer chez lui, il avait l'intime conviction que ça ne serait pas de si tôt. Ils leur restaient encore beaucoup à apprendre de l'endroit où ils se trouvaient, peut être même découvrir un tout autre monde. C'est sur des hypothèses plus chevaleresques les unes que les autres qu'il sombra dans le sommeil profond, emporté par le flot de ses rêves.
Ce soir là, un cauchemar se déposa sur le petit groupe endormi. À nouveau, ils vécurent un souvenir, dont aucun ne parviendrait à se remémorer le lendemain.
Quelle imagination !
J'ai adoré me plonger dans la vie de ce groupe qui se constitue malgré lui. Toujours un beau mystère, bien entretenu.
Des personnages qui dévoilent peu à peu leurs caractères et prennent forme.
C'est une belle histoire qui donne envie de lire la suite !
Au début du chapitre, dans le dialogue entre garçon et fille, ce n'est pas toujours clair pour moi d'identifier qui parle.
Puis j'ai rigolé au géant avec des bottes en cuivre, je suppose que tu voulais dire en cuir.
Effectivement, ce sont des bottes en cuirs et non en cuivre ! Je corrige ça tout de suite
(Toujours hâte d'avoir la suite ;) )
Bonne journée