Mais malgré ce spectacle unique, Alessia restait rongée par l’autre facette de cette soirée, à savoir la prolifération du LM dans la moindre chose qu’elle pouvait consommer. Néanmoins, elle accepta de terminer sagement son repas pour ne pas froisser ta chère tante. Et, après tout, le spectacle était effectivement plus que magnifique, les plats avaient plus de goûts que jamais, les lumières aussi claires que tous ces sons qui arrivaient à ses oreilles, comme si les LM transformaient tout en mieux, le chaos en harmonie ou la fadeur en beauté.
Ainsi, la Florentine finit elle aussi par oublier l’heure, par se distraire des festivités de la Piazzetta après le repas, jusqu’à ce que Massimo et Léonardo ne commencent à être trop saouls pour que leur tante ne puisse les laisser abîmer l’image de la famille en public. D’autant plus que les deux frères avaient tendance à vite se perdre dans la foule, ou à partir de leur côté pour n’importe quelle raison, et le simple fait de retourner à l’hôtel particulier des Lespegli risquait déjà d’être une aventure avec eux. Alors, au vu des masses qui bondaient encore les alentours de la Piazzetta aux environs de 02H00, Alessia et sa tante décidèrent de commencer à rentrer dès maintenant pour ne pas y passer le reste de la nuit. Le problème était qu’il était difficile de garder à l’œil Massimo et Léonardo dans une cohue pareille, dans cette lagune de silhouettes, de son et de lumières. Et tandis qu’elles accompagnaient Massimo, toujours à s’arrêter devant le premier ami ou la première femme à lui accorder un sourire, son inventeur de frère s’éclipsa soudainement. Mais il fallait au moins que Catarina reste auprès de l’aîné, car lorsqu’il était saoul, cette tête de mule n’avait tendance à n’écouter que sa mère. C’est donc à Alessia que fut confiée la quête de retrouver Léonardo dans les rues du quartier de Sant’Aponal, pour le ramener jusqu’à la maison. Malheureusement, elle n’avait aucun indice sur l’endroit où il avait bien pu se fourrer, ni aucune meilleure solution que de partir à l’aventure dans ce désordre.
Qu’est-ce qui a bien pu l’attirer cette fois, se demandait Alessia, avant de légèrement lever la tête vers une fine lueur rouge clair juste au-dessus d’elle. C’était l’un de ses filaments d’échos flottant encore un peu partout en ville, plus ou moins intensément selon les rues. Puis, elle remarqua que ce fil de brume continuait à redescendre encore plus près du sol, en s’engouffrant dans une petite rue adjacente à l’église Sant’Aponal, plus sombre et légèrement moins fréquentée, une ancienne ruelle typique des anciens bourgs médiévaux d’Europe. Cependant, l’ambiance paraissait joyeuse à en juger les rires qui s’y élevaient, et aucune terrasse n’avait désempli dans ce dédale où les échos étaient presque devenus la seule source d’éclairage public, dressant ainsi un voile rougeâtre sur tout Venise. Mais à force de chercher, au bout de plusieurs minutes intensives où Alessia ne manqua pas d’attirer les regards avec sa tenue de religieuse, elle finit par retrouver son cousin, pensif, assis sur un rebord de fenêtre d’une toute petite impasse.
Léonardo était visiblement en pleine observation et scrutait l’ouverture du premier étage de la maison face à lui, d’où s’écoulait l’un des filaments d’échos de LM blanc avant d’aller se mêler au fil rouge principal qui serpentait dans la ruelle.
— Léo ! Qu’est-ce que tu fais ?! Je te cherche partout depuis tout à l’heure ! » lui lança Alessia pour ramener sur terre la conscience de son cousin.
— Ah ? Euh - Les filaments sont en fait des petits circuits avec des points d’amarres, les échos générés par les gens viennent ensuite s’agglomérer au filament principal pour lui donner autant de force, sans s’en échapper, une sorte de circuit fermé mais ouvert sur sa source. C’est bien fait … » résuma-t-il platement, sans détacher son regard ivre et pétillant de cette fenêtre, comme un chat qui y sentirait son repas. Cependant, si Alessia avait déjà compris tout ça, elle ne venait pas pour discuter sciences nouvelles, au grand dam de Léo qui se permit quand même d’insister. « Nous pourrions rester quelques minutes pour lever le voile sur ce mystère. J’ai voulu rentrer dans la maison mais ils ont deux armoires à glace de chez Semper Peace juste derrière la porte. Solar Gleam paye des foyers pauvres pour servir de points de diffusion pour les échos. Et quel pauvre irait dégager une bonne sœur aussi adorable que toi ? Alors tu m’aides à rentrer ? Tu fais la bonne sœur et je fais le servant d’autel comme d’habitude ? » lui proposa-t-il, d’un air complice qui marchait habituellement comme un charme sur la religieuse – sauf cette fois-ci.
Pourtant, Alessia hésita quelques instants avant de refuser, ne serait-ce que par curiosité elle aussi.
Au-delà de ça, elle aurait voulu agir au nom de sa morale, voir si Solar Gleam avait correctement informé les habitants sur le risque qu’ils prenaient à abriter un point d’amarre, puisqu’ils étaient encore plus exposés que les autres à tous les effets du LM. En fait, la Religieuse ne serait même pas étonnée de lire plusieurs vices de formes ou clauses abusives sur le contrat signé par ce foyer modeste. Et si elle parvenait à y rentrer, peut-être pourrait-elle ensuite porter l’affaire en justice et obtenir gain de cause pour ces innocents, ainsi que tous ceux qui seraient exposés à des pratiques aussi douteuses. C’était sûrement la plus noble chose à faire seulement, pour l’heure, Alessia préférait insister auprès de son cousin afin qu’il lâche l’affaire, ce n’était ni le moment pour enquêter, ni même la période à vrai dire. Sans compter que l’intuition du Cœur Astral était en alerte, sans raison apparente certes, mais elle l’était tout de même, quelque chose ne tourne pas rond ce soir, les gens sont différents.
Heureusement, et malgré sa curiosité maladive qui le poussa encore à lancer une dernière interpellation à la fenêtre pour voir si quelqu’un lui répondrait, Léonardo accepta de la suivre, non sans ajouter qu’il aurait bien été volontaire pour accueillir chez lui des appareils de Solar Gleam - afin de les étudier bien évidemment. D’ailleurs, il ne manqua pas d’ajouter que William et Maria auraient sûrement pris le temps d’enquêter avec lui, de partager sa réflexion profonde, avant qu’Alessia ne rappelle qu’elle n’était pas comme eux et, surtout, qu’il donnait plutôt l’impression de cuver son vin en se perdant dans ses rêveries. Et si Léonardo se contenta de rire sans la contester, c’était bien parce que ses rêveries l’avaient conduit à toutes sortes d’idées qu’il comptait aller proposer au nouveau Pape, à Paolo, ou à n’importe qui serait impliqué dans la création de ce fameux Synode de l’Église sur le LM – sans parler du Royaume d’Italie auquel il ne pensait pas.
Pourtant, la plus prometteuse de ses idées aurait bien intéressé le Roi, car il s’agissait de concevoir un canon à échos, ou un aspirateur à échos, les explications du jeune inventeur n’étaient pas très claires aux oreilles de sa cousine, occupée à le guider dans ces ruelles qu’elle connaissait mal.
— Laisse tomber ce genre de projets, Léo, tu pourrais mettre ton intelligence au service de plus nobles desseins. En plus, le RFA ou Semper Peace doivent déjà travailler sur des recherches comme celles-ci, tu ne feras qu’y perdre ton temps. » lui confia-t-elle, en espérant que son cousin s’en contente, avant que ce dernier ne lui demande son aide pour avancer sur son autre invention en cours de conception : un appareil qui permettait de voler avec plus de classe que les avions ou les planeurs. Mais pour qu’Alessia accepte de consacrer le peu qu’il lui restait de son temps libre, il fallait déjà que ce dernier s’adapte à ses horaires de religieuse …
— Bon bah c’est foutu alors, merci quand même d’avoir essayé ! » lui répondit-il, en ricanant jusqu’à être interrompu par des éclats de voix provenant d’un tout petit parc sur leur gauche, faisant face à des terrasses de bars encore fréquentées et animées. « Bah ! Qu’est-ce qu’il se passe ici ? » lâcha donc Léonardo en découvrant avec Alessia, la source de ce bruit qui les avait interrompus : un rassemblement d’une dizaine de personnes très agitées.
Dans ce petit espace fleuri coincé entre le trottoir et les façades des immeubles, à la vue de tous ceux qui restaient attablés aux terrasses des bars de la ruelle, un groupe de vingtenaires, parfois moins, étaient en train de rouer de coup un autre jeune homme.
Le tabassage devait bien durer depuis un moment, puisque la victime gisait déjà sur un autre corps qu’il essayait visiblement de protéger, celui d’une vieille femme, déjà inerte. Pourtant, la troupe d’agresseurs ne comptait visiblement pas s’arrêter avant d’être sûre d’avoir tué, sans que personne n’intervienne, ni parmi les passants, ni parmi ceux qui détournaient le regard, ni parmi ceux qui observaient - et dont certains semblaient bien connaître les assaillants, sans pour autant les dissuader d’agir. Mais pour le doux Cœur Astral, cette vision de martyr était déjà un traumatisme en soi, elle ne pouvait y rester insensible, c’était autant sa morale que son salut de croyante qui était en jeu. D’autant plus que le jeune homme semblait encore vaguement conscient, malgré le sang qui recouvrait déjà son visage, il y avait peut-être encore un espoir. Seulement si personne n’intervenait maintenant, c’était fini pour ces deux innocents.
Alors, tandis que Léonardo restait encore abasourdi de découvrir cet immonde spectacle, hésitant lui-aussi à l’idée d’agir, Alessia s’y dirigea pour l’interrompre, sur un pas déterminé comme rarement, sûre de de sa Justice et de sa Foi.
— Arrêtez !! » s’écria Alessia pour donner un bref instant de répit à la victime, avant de se tourner aussitôt vers l’un de ceux qui observait la scène depuis un banc situé juste à côté, sans rien faire. « Comment pouvez-vous restez-là et regarder ça ?! Vous n’allez rien faire pour l’empêcher ?! Qu’est-ce qu’il se passe ici ?! » s’exclama-t-elle, en cherchant un regard amical tout autour d’elle, avant de comprendre que personne ne viendrait, par peur de subir ce qui allait immédiatement se produire.
Puisque dans la seconde qui suivit, la Florentine fut balayée et tenue au sol par les cheveux, tandis que son cousin essayait de s’interposer, de se battre même, pour finir à terre lui-aussi.
Celui qui saisissait Alessia lui demanda pourquoi elle se permettait d’intervenir, et qu’est-ce qu’elle espérait en le faisant, avant de voir qu’elle persistait à lui répondre dans les dents. Elle lui répondit qu’elle était tout autant concernée que ces innocents, que tous ceux qui étaient présents se reverraient ici le jour de leur Jugement, car tous comparaîtront devant le Seigneur pour cet instant de violence, des agresseurs aux spectateurs, quelle qu’en soit la raison. Malheureusement, ces pieuses paroles n’eurent aucun effet sur l’homme qui la traînait par les cheveux, vers les deux innocents que Dieu n’avait visiblement pas sauvés, avant qu’un de ses camarades ne demande en ricanant si le Seigneur allait les empêcher d’enlever cette jeune femme, le temps d’une nuit. Alors Alessia commença à prier dans l’espoir que quelqu’un intervienne, tandis que Léonardo essayait d’appeler à l’aide. Mais entre le vacarme général du Carnaval et l’ivresse de cette fête rendue si particulière, personne n’allait l’entendre, ni sauver Alessia de l’enlèvement par une dizaine d’hommes possiblement armés. Et si aucun citoyen n’était parti chercher les autorités non plus, il n’y avait pas grand-espoir à avoir puisqu’elles étaient trop débordées pour patrouiller ici. À moins, que la disciple de Marco Aurelio n’eut effectivement raison.
Car c’est lorsqu’elle évoqua l’Ange Michaël, le chef de la milice divine, au détour d’une prière, qu’une silhouette s’abattit lourdement sur le sol, sautant des toits pour frapper brutalement de ses bottes les pavés, juste derrière les agresseurs et leurs victimes, aux yeux de tous.
— Ezio rentre dans le cercle ! » clama cet inconnu, en se frappant le torse du poing droit avec un grand sourire que lui renvoya aussitôt l’un des agresseurs.
— Putain ! L’voilà son héros ! » s’amusa-t-il, tout comme ses compagnons, hormis ceux qui l’avait vu arriver.
— Mais - il vient de tomber du ciel ce con ? » s’étonna le premier homme sur le chemin du dénommé Ezio, en se retournant vers ses compagnons tandis que ledit héros commençait à se diriger vers eux, avec son indécrochable sourire, comme s’il était la vedette de la soirée.
Et il ne perdit pas une seconde pour commencer le spectacle, car dès que le premier agresseur tourna son regard vers lui, il fendit les trois mètres qui les séparaient encore d’un seul bond, pour lui défoncer la tête d’un coup de genou si puissant qu’il partit s’éclater au sol dans un craquement d’os, foudroyé par ce coup magistral sorti de nulle part.
Puis, lorsque celui qui se trouvait près de sa victime se jeta vers lui, il bondit à nouveau, d’un salto au bout duquel il lui explosa la nuque du talon, avant de retomber sur ses pieds pour repartir dans la foulée sur le prochain avec ses poings. Bien sûr, les autres agresseurs s’élancèrent vers lui jusqu’à l’encercler, pour jouer sur leur nombre face à ce fou furieux, mais à peine l’eurent-ils fait qu’il abattait déjà un autre des leurs. Il bougeait si vite qu’il en devenait impossible à cerner, frappait si vite qu’il en était impossible à parer, leur échappait si facilement qu’il ne remportait que des duels pour se porter contre le suivant. Tous ceux qui avaient des armes blanches les sortirent, mais ils percèrent dans le vide qu’il laissait derrière lui, et celui qui voulut sortir une arme à feu ne vit qu’un regard luisant entre les lueurs rouges du Carnaval, avant que tout ne s’assombrisse dans un craquement sinistre. Les yeux embués de larmes d’Alessia avaient du mal à le suivre, tellement son sauveur filait entre les silhouettes de ses agresseurs. Mais un détail capta soudainement l’attention de l’Italienne du Conseil, lorsque son regard croisa fugacement celui d’Ezio : ses yeux brun clair luisant d’un éclat ocre plus intense que n’importe qui d’autre. Ce n’est pas un simple mercenaire, comprit-elle, c’est l’un de ses chasseurs augmentés par le LM dont parlait William. Et elle put tout juste se souvenir du peu qu’elle savait au sujet de ces rumeurs, qu’Ezio finissait déjà d’éliminer ses dernières proies, y compris celle qui avait commencé à fuir - qu’il sécha avec sa gourde de métal, déjà vidée depuis le début de la soirée.
Finalement, sans la moindre arme, ce chasseur avait triomphé de la dizaine de d’assaillants en moins d’une minute, sous les regards surpris de tout le monde. Et pour couronner le tout, il pouvait encore se retourner avec un sourire triomphal vers celle qu’il venait de sauver, encore époustouflée par son arrivée soudaine.
— Qu-Qui êtes-vous ? » lâcha-t-elle, d’une voix partagée entre l’étonnement, le soulagement et l’inquiétude à la vue du regard de dragon qui s’approchait maintenant d’elle.
— Je suis un ami, Ezio da Napoli ! Enfin, le fidèle ami d’un de vos amis plus précisément, je sers Maître Paolo. » répondit-il en s’abaissant pour aider Alessia à se relever. « Je vous prie de m’excuser, Madonna, j’ai pitoyablement failli d’empêcher ces singes de froisser votre beauté. » lui confia-t-il, avant de se diriger vers Léonardo à quelques pas derrière, tandis que la religieuse florentine rabaissait son regard vers les cadavres supplémentaires qui l’entouraient.
— Merci. Vous semblez très aimable, et je dois vous remercier pour être arrivé à temps, mais étiez-vous obligé de faire preuve … d’une si grande violence ? » ne put elle s’empêcher de lui faire remarquer, en contemplant d’un air désabusé ceux qui avaient encore la chance d’être seulement inconscient sur les pavés.
— J’ai grandi dans des bas-fonds qui feraient passer ceux de Vénétie pour un théâtre, je sais comment parler le langage de ces gens. C’est ainsi que l’on obtient le dernier mot avec eux, ça ne sert à rien de répéter, ils ne comprennent jamais » commença doctement Ezio avant de voir que ses explications ne convainquaient pas spécialement Alessia, et qu’il ne perde brutalement son assurance. « … Et euh … Il est plus sage pour finir de mettre fin à leur souffrance pour qu’ils n’en engendrent pas d’autres, pour le bien de tous, parce que … ils seront mieux auprès de Dieu qu’ici-bas … Non ? » conclut-il tout en réfléchissant, visiblement plus en difficulté par le fait d’avoir à se justifier que de tuer.
Évidemment, cette phrase n’était pas de lui, Alessia y reconnaissait bien la mentalité du Cardinal Paolo, mais elle n’allait pas perdre plus de temps à blâmer son sauveur.
Et, d’un côté, elle devait bien avouer qu’il avait eu le mérite d’agir, que c’était peut-être grâce à lui que ces innocents s’en sortiraient, même si la vieille mère du jeune homme était aux portes de la mort. Que ce soit eux ou leurs agresseurs, personne ne devrait mourir de cette façon un jour de Carnaval, se lamentait-elle, tandis qu’elle pressait les deux hommes avec les blessés qu’ils transportaient à la suivre, jusque chez un médecin du centre de Venise. Mais même si elle réussissait à sauver ces deux innocents, elle ne pourrait jamais oublier ce qu’était devenu son cher carnaval. Alors elle demanda à Ezio de la conduire auprès du Cardinal, dès que ce serait possible. Selon le Napolitain, il résidait actuellement dans une demeure située à l’autre bout du Cannaregio, sur les rives nord de la ville, afin d’y célébrer le mercredi des Cendres à l’église Santa Maria di Nazareth prévue le lendemain. Cependant, quelle que soit l’amitié qui liait Alessia et Paolo, elle devait lui donner une bonne raison pour qu’il la conduise devant son vieux maître à une heure aussi avancée de la nuit. Alors elle lui confia tous les soupçons qu’elle pouvait avoir contre le LM, y compris certains de ceux que lui avait confiés Marco-Aurelio, jusqu’à certains de ceux qui pouvaient paraître les plus fous. De toute façon, elle comptait bien insister sur ses craintes auprès de Paolo, autant être honnête dès maintenant, même si son sauveur devait la traiter de folle. Pourtant, c’est plus qu’une oreille attentive qu’elle trouva en ce chasseur, puisqu’il comprenait facilement que la molécule nouvelle n’était pas étrangère aux drames de ce soir. À vrai dire, il ne s’agissait pas d’un fait isolé, Ezio n’avait certes pas assisté à des lynchages aussi gratuits, il avait été témoin de toutes sortes d’actes immondes qui auraient fini d’horrifier la Religieuse, qu’il s’agisse de violence physique, morale ou sexuelle.
Et encore, il ne pouvait parler que des crimes commis à la vue de tous, soit à peine un dixième de tous ceux qui adviendrait durant cette nuit-là.
— Vous avez pu intervenir, rassurez-moi ? » lui demanda-t-elle d’un ton presque suppliant, pour que le chasseur lui réponde d’une moue déçue, hésitant à l’idée d’avouer la vérité, jusqu’à finir par la donner crûment : ce n’est pas mon travail. « Ça ne vous concernait pas, vous non plus ? » insinua-t-elle sur une voix accusatrice qu’Ezio accepta sans problème.
— Malheureusement, oui, ça ne me concernait pas, comme les gens qui ne sont pas intervenus pour vous aider. La différence, c’est qu’eux ont au moins l’excuse de la survie ou de la lâcheté. Moi je dois simplement détourner le regard et veiller à ce qu’il ne vous arrive rien, à vous et vous seule, alors je ne prends même pas le risque de vous perdre dans la foule. J’ai déjà tardé à venir vous sauver tout à l’heure … » lui répondit-il, avec assez de sincérité pour qu’elle comprenne son malaise et lui concède de nouveaux remerciements, avant de nuancer aussitôt car l’inaction des passants n’était pas à excuser. « Pourtant, ils ne sont coupables de rien, ils n’ont pas à risquer leurs vies pour d’autres. » voulut-il lui expliquer, lorsqu’Alessia décida de tenter un exemple, une image comme pourrait le faire les textes sacrés.
— Vous ne plongeriez pas dans l’eau pour sauver quelqu’un ?
— Si mais je sais nager ou je suis équipé pour survivre dans l’eau, sinon, je ne le ferai pas, je ne suis pas inconscient. Chacun a son rôle dans la société, et avant que vous me disiez que ces gens auraient dû appeler la police, je vous rappelle qu’ils ont déjà trop de travail ce soir pour que vous les croisiez au hasard en bas de la rue.
— … Avant d’avoir une place dans la société, chacun choisit sa place dans l’Humanité. Personne ne devrait rester inactif devant le Mal, quelle que soit la raison. Et si tout le monde avait agi comme je l’ai fait, ni vous ni la police n’auriez eu à intervenir. Pour filer notre exemple, je dirai que s’ils s’y mettent à plusieurs, avec un peu d’ardeur et de bon sens, même des gens qui ne savent pas nager peuvent sauver leur prochain de la noyade. » persista le Cœur Astral, avec un ton résolu qui força le sourire de son sauveur.
— C’est probablement vrai … Votre courage et votre bonté d’âme vous honore, Madonna ! » ironisa le Chasseur, en priant intérieurement qu’il y ait toujours un ange gardien ou d’authentiques croyants pour veiller sur elle …