Doucement, Firo se dressa sur sa couche. Tout était parfaitement sombre dans la chambre qu’il partageait avec son frère, et une brume ténébreuse embaumait l’air. Tout en essayant de faire craquer le moins possible le lit superposé, il descendit le long de l’échelle et se tourna en direction de Gao, toujours profondément endormi. À travers la sombreur, Firo put à peine distinguer le spectacle réjouissant du garçon s’abandonnant totalement à son repos et ses rêves.
Sans l’aide de ses yeux aveuglés dans la pénombre, il se dirigea ensuite vers le bureau et en sortit un papier et un crayon. Il griffonna un mot qu’il espérait être assez lisible, le déposa sur la table de chevet et sortit de la pièce.
Ses parents avaient pris l’habitude de dormir en laissant toutes les portes ouvertes à l’intérieur de la maison. Même si cela permettait de recueillir le maximum de fraicheur en période de Fournaise, cela obligeait Firo à faire preuve d’une extrême discrétion pour ne réveiller personne. Ce fut donc en silence qu’il s’habilla avec les premiers vêtements qu’il trouva dans la penderie.
Il n’embarqua ensuite qu’un morceau de pain négligemment posé sur le rebord de la cuisine en guise de petit-déjeuner. Hésitant au début, il prit la décision de consommer le quignon uniquement lorsqu’il serait à l’extérieur, craignant trop que le bruit de mastication ne sorte son frère ou ses parents de leurs sommeils.
Finalement, le seul son qu’il produisit lors de ses préparatifs pour quitter le domicile fut celui du grincement, inévitable, de la lourde porte de l’entrée lorsqu’il l’entrouvrit et se faufila par le petit passage.
Firo partit directement en direction de la chaumière habitée par Naylinn et sa famille. En principe, il n’avait qu’une route, puis un jardin et un petit sentier à traverser pour parvenir jusque chez ses voisins, mais l’obscurité régnant encore à cette heure précoce de la matinée rendait le cheminement hasardeux. Malgré les lueurs flamboyantes qui déchiraient le ciel, la nuit gouvernerait son royaume pour quelques heures encore, avant de laisser son trône au dernier jour du Calme. D’ailleurs, même en l’absence quasi-totale de lumière, l’atmosphère était déjà chaude et pesante, ce qui laissait présager une journée torride dès que les premiers rayons d’Orlaïli viendraient à poindre.
Après avoir traversé une allée de buissons, Firo arriva finalement devant la maison de Naylinn. À l’inverse de son propre foyer creusé dans un rocher, celle-ci était d’un style architectural bien plus classique et proche de celui des bâtiments du village. Modeste, et cependant pittoresque, l’habitation de briques et de pierres était couverte d’un crépi jaunâtre assombri par de nombreuses tâches de brûlures et surmontée d’un épais toit en ardoise. À l’exception de la porte d’entrée, à côté de laquelle Firo vint s’asseoir en tailleur, il n’y avait aucune ouverture visible sur la bâtisse, protégeant ainsi l’intérieur des vents infernaux de la Fournaise.
Firo patienta un long moment sans qu’aucune présence ne se manifeste dans ou en-dehors de la maisonnette. Il ne se risquerait pas à toquer à la porte car, tout comme sa propre famille, il ne souhaitait pas éveiller celle de son amie, et s’exposer ainsi au risque qu’on lui pose des questions. Il comptait uniquement sur la confiance qu’il avait en son jugement concernant l’attitude de Naylinn. Il était sûr qu’elle viendrait.
Mais l’attente était longue. Peut-être trop longue. Les premières lueurs du jour commençaient à apparaître derrière l’horizon boisé, tandis que de timides chants de la faune s’éveillant perçaient le silence nocturne de la nature. Le jeune garçon profita de ce décor magique, chaleureux malgré la pénombre qui l’enveloppait encore, pour déguster son morceau de pain. Il en savoura chaque bouchée, alors qu’il espérait, à chaque morceau qu’il avalait, entendre les pas de son amie se rapprochant derrière la porte.
Les minutes s’écoulèrent. Malgré toute sa patience, Firo ne pouvait désormais plus rester. Il devait partir, ou il n’aurait plus le temps de parvenir jusqu’au temple comme il le désirait, et tous ses efforts auraient été inutiles. Il se releva donc et emprunta à pas lourds le sentier qui menait vers les champs. Sa déception était grande, et il sentait une rancœur incontrôlable grimper dans sa poitrine. Il n’allait pas pouvoir s’empêcher d’en vouloir à Naylinn pendant plusieurs jours, qu’elles que pourraient être ses excuses.
Soudain, alors qu’il se trouvait déjà à plusieurs mètres de la maison, Firo perçut un léger crissement dans son dos. L’instant d’après, et avant même qu’il n’ait pris le temps de se retourner pour vérifier la provenance de ce son, un gigantesque sourire naquit sur son visage. Naylinn était là. Elle referma lentement la porte de sa maison, passa sa main dans sa crinière afin de démêler grossièrement ses cheveux et trottina pour rattraper Firo.
Les deux amis firent quelques pas ensemble, sans un mot, uniquement bercés sur leur chemin par l’ambiance matinale. Tout le ressentiment qui avait débordé dans le cœur du garçon s’était métamorphosé en une joie indescriptible. Sa bonne humeur se lisait parfaitement sur ses traits et, lorsque Naylinn porta enfin un regard vers lui, elle fut immédiatement contaminée par le sourire qui étirait ses lèvres.
Firo avait bien envie de fanfaronner, de se vanter d’un « Tu vois ? Je te l’avais dit que tu m’accompagnerais », mais ce serait gâcher le bonheur et l’excitation de partir à l’aventure à deux. À la place, il préféra choisir un autre sujet pour lancer une discussion, et le premier qui lui vint en tête concernait l’accoutrement de la jeune fille :
« Pourquoi tu as mis un col roulé ? Il va faire très chaud aujourd’hui, tu risques de finir complètement en sueur…
— Oh, ça va, j’ai rien trouvé d’autre pour m’habiller ! lança-t-elle sur le ton de la plaisanterie. »
Les deux enfants se mirent à rire puis, en entamant une procession qui s’annonçait déjà longue et sportive, ils continuèrent à parler de sujets aussi divers que futiles. Le trajet qui les attendait les conduirait à travers les champs et les bois buissonneux, jusqu’à la majestueuse montagne qui dominait toute la région. Et, lorsqu’ils arrivèrent aux abords de ses pentes, Firo et Naylinn savaient que les deux kilomètres qu’il leur restait à gravir seraient les plus difficiles. Ils quittèrent donc l’abri des arbres Floshiens pour commencer leur ascension à travers le paysage escarpé et inhospitalier.
Les plantes se faisaient de plus en plus rares alors qu’ils prenaient de l’altitude, laissant place à des reliefs saillants et rocailleux. Sous leurs pieds, la terre moelleuse qui constituait jusque-là le sinueux chemin laissa progressivement la place à des cendres et des graviers. Dans cet environnement peu accueillant, la Fournaise se rapprochant inlassablement rendait l’effort encore plus pénible. À mesure qu’ils gagnaient le sommet, Firo remarquait même les broussailles qui avaient déjà brûlé sous les assauts de la chaleur, ainsi que les petites flammèches qui persistaient sur les braises éparses. Le ciel était encore bleu sombre, pourtant l’atmosphère était aussi étouffante que lorsqu’Orlaïli était à son zénith.
Finalement, en arrivant sur un large promontoire, Firo et Naylinn aperçurent enfin leur destination. Le lieu n’arborait que peu de végétation encore vivante, la plupart des arbustes ayant déjà subi le sort enflammé qui les attendait avec la Fournaise. Cependant, ce belvédère naturel offrait une vue bien dégagée sur la plaine que surplombait la montagne, au creux de laquelle Alapos avait été construit.
Les enfants s’approchèrent du bord du précipice pour contempler le spectacle grandiose de cette vision d’ensemble. C’était la première fois pour eux qu’ils pouvaient parfaitement se représenter l’agencement de leur village natal. Il était minuscule. Entouré de champs, de fourrés et de petites collines. Il n’y avait que trois allées principales qui quadrillaient la ville et se rejoignaient au niveau de la place centrale. En face de cette dernière, dans le prolongement d’un parvis, le Palais Rouge se détachait nettement des masses des autres habitations. Le bâtiment administratif d’Alapos était doté de quatre tours à chacun de ses coins, et il était bordé d’un coquet jardin de fleurs et de buissons.
Des souvenirs du lieu apparurent spontanément dans l’esprit de Firo lorsque son regard se posa sur celui-ci. Il s’y était rendu à de nombreuses reprises avec ses parents et, même s’il ne comprenait pas toujours la nécessité et l’importance des échanges et des affaires qui avaient lieu dans cet endroit, il avait été marqué par le faste de son architecture. Le hall qui permettait d’accueillir tous les visiteurs, citoyens comme étrangers, avait marqué sa mémoire par ses colonnes spiralées et ses tableaux de la Fournaise qui recouvraient chaque portion de mur.
Perdu dans ses pensées, Firo s’amusa ensuite à reconstituer du regard le trajet qu’il avait parcouru avec Naylinn jusqu’au promontoire. Partant de la grand-place baignée sous les premiers rayons du jour, il voyagea ainsi le long de l’une des avenues qui s’étendait sur quelques centaines de mètres. De chaque côté, des ruelles plus étroites formaient un système labyrinthique entre les habitations et les potagers qui y étaient accolés. Au bout de l’allée, il parvint finalement à entrevoir la route de terre qui menait à sa maison et celle de Naylinn, en retrait du village, puis au chemin raide et tortueux qui gravissait les pentes rocheuses.
Cette balade visuelle le ramena finalement vers l’objet de sa quête. Alors que Naylinn observait encore la splendeur du paysage, Firo se retourna vers la montagne. Même après leur difficile ascension, elle lui paraissait toujours aussi haute. Mais ce fut surtout le trou creusé dans une petite falaise qui captiva son regard. Le voilà : c’était le Temple de Pyros.
Son entrée, simple et à peine décorée, en était peu engageante, presque menaçante. Les bords irréguliers de la cavité, témoignant soit d’un travail brouillon de la part de ses bâtisseurs, soit des ravages persistants de l’érosion, semblaient néanmoins entourés de symboles incompréhensibles taillés à même le roc. En tant qu’uniques ornements architecturaux, l’orifice était cerné de deux colonnes de pierres enchevêtrées les unes sur les autres, menaçant de s’écrouler à tout moment.
Alors que Naylinn se rapprochait déjà de la grotte, Firo fut soudain en proie à un sentiment d’angoisse irraisonnée. Il ignorait pourquoi, mais il hésitait. Comme si son inconscient avait détecté une menace se terrant dans le temple. Ce qui serait d’ailleurs cohérent avec tous les avertissements qui lui avaient été donnés…
Ce ne fut que l’enthousiasme de son amie qui permit à Firo de se décider à avancer vers la falaise à son tour. Dans l’objectif d’en faire une torche pour pouvoir s’éclairer à l’intérieur du temple, il ramassa le premier long morceau de bois qu’il trouva. Et il le lâcha dans la seconde qui suivit. Le bâton venait de s’enflammer tout seul !
« Mince ! Tu as vu ça, Naylinn ?! lança-t-il à son amie qui était déjà plusieurs pas devant lui. La branche a pris feu toute seule !
— Arrête de vouloir me faire marcher, je suis sûre que c’est toi qui l’as allumée, répondit-elle sur la défensive.
— Je te jure que non ! insista Firo. J’allais justement le faire, mais le feu est apparu tout seul !
— Eh bien, je ne sais pas, c’est sans doute à cause de la chaleur et des vents de la Fournaise. Ils ont dû faire voltiger des braises chaudes qui se sont spontanément embrasées, tenta-t-elle de rationnaliser, avant de compléter avec un ton moqueur. Qu’est-ce qu’il y a ? Tu essaies de trouver des excuses pour qu’on revienne à la maison, finalement ? Tu as peur d’entrer là-dedans ?
— Pas du tout ! Je… C’est juste que ça m’a fait bizarre !
— Et où est donc passé le Firo si téméraire qui voulait coûte que coûte explorer le Temple de Pyros ? »
Après cette ultime provocation, et même si Naylinn plaisantait évidemment avec lui, le garçon sentit que son honneur était en jeu. Il s’avança d’un pas fier et déterminé vers le trou sombre, tandis que son amie le suivait de très près. Ni la lumière d’Orlaïli qui réchauffait leur dos, ni même la torche que Firo brandissait devant lui n’arrivaient à totalement percer la noirceur inédite de cette caverne. Les deux adolescents avancèrent donc avec prudence et lenteur afin d’adapter leur vision à la pénombre.
Au bout d’une vingtaine de mètres, un petit escalier de quelques marches les fit descendre dans une large salle en contrebas. Le plafond y était soutenu par des piliers dont au moins la moitié s’était effondrée. D’anciennes runes, assez similaires à ce qui pouvait être distingué à l’extérieur, étaient gravées sur toutes les parois. Mais le temps et le chaos de la Fournaise que cet endroit devait certainement endurer avaient endommagé, voire effacé, une grande partie de ces inscriptions. Dans le fond de la pièce, Firo devina la présence des vestiges d’un autel, derrière lequel semblait se trouver l’entrée d’un tunnel étroit.
Tout à coup, alors qu’il venait de descendre la dernière marche, Firo s’arrêta net. Naylinn, coupée dans son élan, vint le bousculer involontairement, avant de lui échanger un regard d’incompréhension. Il venait d’entendre une voix dans l’obscurité.
« Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu t’arrêtes comme ça ? questionna son amie, inquiète. Tu as vu quelque chose ?
— J’ai cru entendre… Non, laisse tomber, c’est sûrement le vent. Continuons. »
Les deux enfants poursuivirent leur exploration en longeant l’un des murs de la salle, observant au passage les glyphes qui y étaient dessinés. Même s’il n’y comprenait rien, Firo cherchait à se rasséréner en concentrant son attention uniquement sur le bas-relief. Mais une angoisse montait irrésistiblement en lui. Peu importe la façon dont il essayait d’expliquer l’événement dans sa tête, il ne pouvait pas nier que ce qu’il avait entendu n’était pas le bruissement de l’air.
Sa peur se transforma quasiment en terreur lorsqu’il posa ses yeux sur les ténèbres de l’ouverture derrière l’autel. Il sentit son âme se faire happer par l’abysse organique et malsain qui surgissait des profondeurs. À ce stade, il ignorait si son esprit divaguait complètement ou si ce qu’il ressentait était la réalité, mais il avait désormais le pressentiment qu’une présence habitait cette noirceur. Une présence qui l’incitait à se rapprocher. Ce qu’il avait terriblement envie de faire.
Firo fit un pas en direction du tunnel. Un pas et un seul. Il avait de nouveau discerné la voix, plus distinctement cette fois. Ce n’était ni celle d’un homme, ni celle d’une femme. À la fois effrayante et apaisante, elle n’était d’ailleurs certainement pas humaine. C’était un murmure doux, grave, insistant, inspirant le respect et la bonté tout comme la crainte.
« Il y a quelqu’un ? s’écria Firo alors que son corps, pétrifié par la peur, refusait de bouger davantage.
— Qu’est-ce qui te prend ? Arrête, tu commences vraiment à m’inquiéter ! réclama Naylinn.
Sa pauvre amie commençait à trembler, tandis que Firo, trop curieux et effrayé pour s’enfuir, tendit l’oreille dans le noir. Il entendait encore ce mystérieux râle, plus proche, plus intense maintenant. Il pouvait presque deviner ce qui semblait être des mots marmonnés.
« Tu n’entends vraiment rien ?
— Comment ça, je n’entends rien ?! protesta-t-elle dans un sanglot de désespoir. Il fait noir, et tout est silencieux, ici ! Il n’y a rien à voir ni à entendre ! Arrête de te moquer de moi, ce n’est plus drôle maintenant ! »
Naylinn s’agrippa à la manche du garçon et le tira vers l’arrière, mais celui-ci ne broncha pas. Malgré toute la terreur qui le saisissait, il ressentait désormais une dangereuse fascination pour cette voix caverneuse qu’il était le seul à pouvoir écouter.
Il fit doucement lâcher prise à son amie et la prit par la main pour éviter qu’elle ne sombre dans une crise de panique. Elle se tut, ne respira presque plus, gelée par l’effroi et l’incompréhension. Firo l’imita, mais ce ne fut que dans le but de distinguer plus nettement les paroles qui lui étaient chuchotées à lui seul.
Le son semblait lui parvenir de tous les côtés et se brouillait en résonnant dans son cerveau. Il lui fallut fournir un puissant effort de concentration pour enfin comprendre ce qui lui était dit.
« Ffff… Fiii… Ffffi… Fiii… Rooo… Fiiirooo… »
La voix était en train de l’appeler !
Les pulsations de son cœur s’intensifièrent, et son sang afflua à haut débit dans ses tempes. Il serra plus fort ses paupières, alors que Naylinn fit de même avec sa main.
« Firooo… Firo… Firo… Viens… Firo… Viens… Retrouve… Retrouve-moi… Rejoins-moi… »
Une force ensorceleuse le poussa soudain à avancer, tandis que son amie, aidée de leur peur commune, tentait de lui faire rebrousser chemin. Ce ne fut que lorsque les murs se mirent à trembler que la voix se tut, laissant place à un vrombissement à peine audible.
« Qu’est-ce que tu as fait ?! pleura Naylinn, complètement plongée dans la panique.
— Ce… Ce n’est pas moi ! tenta-t-il de se justifier alors qu’il recouvrait lentement sa lucidité. J’ai juste entendu…
— On ne reste pas là ! ordonna-t-elle. On sort d’ici, tout de suite ! Je ne veux plus jamais remettre les pieds dans cet endroit ! »
Firo laissa tomber sa torche au sol et se précipita avec Naylinn vers l’extérieur, tandis qu’un grondement toujours plus retentissant se propageait et résonnait à travers tout le temple. La voix s’était éteinte dès le surgissement de ce bruit infernal, semblable à un coup de tonnerre incroyablement long et persistant.
Alors que la montagne entière paraissait être ébranlée, les deux enfants se ruèrent vers la sortie. Lorsqu’ils l’atteignirent, la lumière du jour les aveugla, et le bourdonnement était devenu assourdissant. Et, alors qu’ils faisaient quelques pas hors de la caverne, une bourrasque les fit trébucher. Poussés par un formidable souffle, ils roulèrent sur le sol poussiéreux jusqu’aux abords du précipice.
Rapidement, Firo se redressa, épousseta son visage couvert de tâches de charbon et leva les yeux vers le ciel, alors que celui-ci s’était soudain assombri. Il constata avec frayeur ce qui était en train de se dérouler : une immense machine volante venait de franchir la crête de la montagne et les avait frôlés à une vingtaine de mètres au-dessus de leurs têtes.
Mais ce qui affola réellement Firo, c’était le fait qu’il reconnaissait l’engin. Le bloc de métal aérien était le vaisseau dont ses parents lui avaient maintes fois parlé, celui qui avait terrorisé Alapos douze ans auparavant. Son fuselage effilé, lisse et chromé, scintillant d’un gris nacré sous les rayons astraux, ses deux ailes déployées à l’arrière, les cylindres crachant une lumière bleu argenté que Daro et Merlane nommaient des « réacteurs » : tout correspondait.
Le véhicule lévitait avec vélocité et se dirigeait à présent vers Alapos. Ce fut lorsqu’ils s’en rendirent compte que la terreur saisit totalement Firo et Naylinn. C’était réel. Toutes les histoires racontées par leurs parents pour les avertir de ce type de danger étaient réelles. Les enfants ignoraient encore qui étaient les intrus qui arrivaient à bord de ce monstre mécanique, ni même leurs intentions, mais leur venue ne pouvait présager quoi que ce fût de bénéfique.
Alors que le vaisseau s’approchait du Palais Rouge et entamait un atterrissage aux abords de la grand-place, Firo et Naylinn se mirent à courir. Ils dévalèrent la pente qu’ils avaient si péniblement gravie, n’ayant à l’esprit que le désir de rejoindre le plus vite possible leurs familles. Ils voulaient revenir avant qu’un nouveau malheur ne survienne au village. Ils le devaient.