CHAPITRE IV – Une tempête d’étoiles entre les arbres - Alessia et Maria - Partie 5

Notes de l’auteur : ATTENTION : À la suite des différents conseils-commentaires concernant la longueur des scènes, je les mets à nouveau en ligne en plusieurs parties. Il ne s'agit pas de relecture, et de nouveaux chapitres sont à venir chaque semaine comme d'habitude.

Mais l’Italienne eut à peine le temps de s’étonner d’un tel monstre de métal et de lumière, qu’une voix familière l’interpela depuis le chemin qui se trouvait juste à leur hauteur.

— Alessia !! Mets-toi à l’abri ! Vite ! » lui cria Andrés, en accourant avec Ippazio dans cette petite ruelle encombrée que seuls quelques riverains empruntaient, sans qu’Alessia ne comprenne pourquoi. Mais Théodose ne s’embêtait pas de telles considérations, il lui avait été dit de se mettre à l’abri, alors il embarqua la religieuse dans ses bras pour y aller sans se poser de questions.

— Qu’est-ce qu’il y a ?! » s’étonna-t-elle dès qu’il la reposa au sol, mais les deux hommes s’interposèrent entre eux et la rue, en annonçant laconiquement qu’il s’agissait des équipes d’intervention de Semper Peace.

 

Je vais tout t’expliquer, reste calme, lui confia-t-il, tandis qu’elle remarquait les traces de sang sur les vêtements d’Ippazio, avant de décaler sa tête pour jeter un regard à ce cortège funèbre.

Dans chacun de ces petits fourgons, dix hommes vêtus tout de noir patientaient avec leurs armes déjà en main, coiffés de casques complets aboutissant en masque à gaz avec des verres fumés, protégés par une tenue complète et rembourrée de pied en cape, au point que rien d’humain ne semblait ressortir de ces silhouettes sinistres. Même une amatrice comme Alessia voyait en un clin d’œil qu’il s’agissait de troupes très expérimentées et impitoyables, venues pour éradiquer toute trace de mutation et protéger son business, tel qu’Andrés le résuma. Cependant, Alessia ne comprenait toujours pas pourquoi son nouveau et futur collègue portugais tenait tant à les cacher de leurs regards.

— Ils viennent lutter contre les mutants, non ? Nous devrions leur demander de l’aide au nom de Maria. 

— Non. Semper Peace a déjà profité des mutations pour se débarrasser de ses propres opposants. Je l’ai vu de mes yeux, donc je préfère prendre les devants, on ne sait jamais. Tant que Maria n’est pas avec nous, il ne faut pas nous montrer. Thiago était au site Solar Gleam, je ne sais pas ce qu’il y faisait mais je sais qu’ils sont au courant de ta présence et de notre rencontre. » lui expliqua-t-il calmement, avant de reprendre sur un ton plus rapide dès que les fourgons furent tous passés. « Qu’est-ce qu’il s’est passé exactement ? Où sont les autres ? Nous avons affronté des mutants en arrivant près de l’église avec Maria et les siens. Elle vous cherche, toi et sa sœur. » lui demanda-t-il, comme si Alessia ne s’en doutait pas, ou comme si elle avait du temps à perdre, et elle lui fit aussitôt comprendre que ce n’était pas le cas.

 

Il n’y avait pas à discuter, Anastasia et les bergers étaient en danger, il fallait se rendre au hameau, tant pis pour Ezio, Jasper et les autres, ils sauront se débrouiller avec les renforts de Semper Peace.

Alors Andrés acquiesça sans perdre de temps, si ce n’est celui d’une question qu’il posa très sérieusement et sans aucune condescendance à la religieuse : que tu nous accompagnes n’est pas une bonne idée, es-tu vraiment sûre de vouloir prendre ce risque ? Puisqu’Alessia n’avait aucune arme et une forme physique presque égale à celle de sa tante, elle n’avait que sa jugeote toute relative ou son courage bien réel pour se défendre du danger. En clair, elle aurait vite fait d’être un poids et elle le sentait bien. Mais l’idée de ne rien faire la hantait plus encore, alors le Portugais prit la peine d’ordonner à Ippazio de veiller sur elle – ce qui ne manqua pas de laisser le chasseur de démon dans l’expectative.

— Euh – Très bien. Mais fais attention, tu n’es pas encore capable d’affronter un mutant tout seul. » concéda-t-il avec difficulté, car même si Andrés avait pris autant de temps à s’entraîner qu’il en avait passé à étudier le LM avec Ippazio, le clerc avait encore du mal à enchaîner ses mouvements sous les effets de la thérapie qu’il avait réalisé sur lui-même. Être un véritable chasseur comme s’en vantait Hans, c’était un peu plus compliqué que suivre un traitement médical et subir un petit entraînement journalier ...

— Si Dieu le veut, je n’ai pas à m’en faire. » répliqua-t-il simplement, en jetant un regard plein d’assurance à Alessia pour lui redonner un peu d’espoir.

 

Ensuite, ils se hâtèrent de rejoindre les hameaux aux alentours du village, en courant aussi vite que la religieuse et le chaos du bourg le permettaient.

Par chance, les marges de Fatima étaient toutes plus silencieuses les unes que les autres, le groupe entendait tout juste des portes s’ouvrir et se refermer brusquement tout au long du chemin. Une ambiance pesante qui les suivit jusque dans les plaines obscures, puis jusqu’au hameau de l’Aljustrel qu’ils atteignirent une dizaine de minutes plus tard. Mais dès qu’ils s’en approchèrent, chacun comprit que quelque chose n’allait pas. Toutes les fenêtres étaient encore ouvertes et une curieuse brume écarlate flottait à la lueur de la lune, laissant Andrés affirmer qu’une mutation a éclaté ici. Puis, quand ils virent les premiers cadavres aux abords des maisons, Alessia eut beau se ruer en appelant les enfants, Ippazio comme Andrés savaient déjà à quoi s’en tenir, il n’y avait aucun survivant ici. Selon les premières conclusions du Portugais, ceux qui avaient fui du bourg jusqu’ici furent accueillis par l’un des leurs, probablement un aîné, un handicapé ou un déficient resté à l’écart. D’ailleurs, il ne lui suffit que de quelques secondes pour trouver la maison où le drame avait débuté, celle où il trouva une vieille prothèse mal faite au pied d’une table renversée avec son repas moitié consommé. Visiblement, le LM était passé chercher tous ceux qui n’en pouvaient plus, pour une raison ou une autre, au grand désappointement du clerc, je n’aurais jamais cru que la résonnance d’une crise de mutation puisse avoir un rayon aussi large.

Néanmoins, tout le monde n’avait pas le flegme impassible d’Andrés, et bien qu’Alessia se retint de vomir à la vue de certains cadavres horriblement démembrés, c’est en tremblotant qu’elle ressortait de chaque maison, alors même que Théo faisait de son mieux pour la consoler. Heureusement, elle pouvait se soulager de n’avoir trouvé ni Anastasia ni les trois bergers parmi les victimes, seulement le fait qu’ils n’aient pas réussi à s’y cacher n’augurait rien de bon pour la suite, puisqu’il ne restait donc plus qu’un endroit où ils avaient pu fuir. Nous devons nous rendre à la grotte des apparitions, lança-t-elle à son confrère portugais, visiblement gêné à l’idée d’aller arpenter des collines saturées d’échos en pleine nuit de mutation. Cependant, après qu’il eut insisté pour que leurs chasseurs partent brièvement en éclaireur le long de la route, afin d’hurler pour vérifier si les enfants étaient quelque part sur le chemin, il finit par se résigner à l’idée de s’y rendre sur-le-champ, dans ces bois où tous les mutants allaient se donner rendez-vous. Pire, Ippazio rappela à son partenaire que les animaux en général étaient particulièrement attirés par l’appel du LM rouge, qu’il y avait probablement plus d’un ou deux mutants isolés dans les environs, que le danger pouvait même venir d’une meute de loup ou d’un ours excité par l’ambiance électrique de cette soirée.

Pourtant, le petit groupe avait un autre problème comme le fit remarquer Théo, tandis qu’ils s’apprêtaient à partir vers les collines boisées de Fatima.

— Vous sauriez retourner là-bas de nuit ? » demanda-t-il avant que son homologue génois se contente d’imiter son ami, si Dieu le veut, ça sera le cas. « C’est une façon subtile de dire que vous n’en savez rien ?

— Plutôt que nous ferons de notre mieux, et si nous n’arrivons pas à choisir un bon chemin, fions-nous à notre instinct collectif. » lui répondit Alessia avec une voix pleine d’espoir, marchant en tête du groupe alors qu’elle voyait à peine plus loin que la petite lanterne qu’Ippazio lui avait prêtée.

 

Seulement l’Italienne ne s’inquiétait pas pour sa propre vie, comme souvent, elle avait bien plus lourd sur le cœur.

Plus que tout, elle angoissait à l’idée de ce qui pourrait arriver à Anastasia, et plus encore de ce qu’elle devrait alors dire à Maria. Comment pourrait-elle annoncer à son amie une nouvelle qui la ferait aussitôt basculer dans la folie ? Pire, que se passerait-il si le corps de la jeune fille était retrouvé atrocement mutilé comme celui des pauvres gens de l’Aljustrel ? Encore plus qu’Henri, elle savait à quel point la Lune Pâle tenait à sa petite sœur, à la limite du pathologique, c’était un pilier de sa foi en la vie, l’un des espoirs qui la gardait dans le Conseil. En ce moment même, Maria devait se rassurer en se disant qu’Alessia veillait sur sa sœur. Tout cela ressemblait à un cauchemar, et le plus mauvais de tous, pensait-elle sans que sa foi n’arrive à prendre le dessus sur son désespoir, et si je dois lui ramener son corps ? En vérité, elle n’était même pas sûre d’avoir la force de le faire, et encore moins de s’en remettre un jour, cette seule pensée faillit arrêter sa marche tant cela la hantait. À côté de ces perspectives-là, il pouvait bien y avoir le Diable avec une pleine légion de démons dans les bois qu’elle s’en ficherait tout autant.

Seulement la religieuse ne croyait pas si bien penser, car ces paisibles collines étaient en effet bien loin de ceux que l’Humanité avait toujours connues, elles étaient même si fantasques que la Florentine aurait pu regretter de ne pouvoir s’y arrêter une seule seconde. Entre les arbres, une pléiade de filaments opaques de brumes rouges, roses ou magenta serpentaient calmement à travers la forêt, jusqu’à l’horizon que leur laissait le relief des collines, si scintillants qu’elle pouvait presque y voir comme si c’était l’aube. Parfois, un souffle imperceptible, sans chaleur ni son, venait les bousculer doucement sans jamais les rompre, tel un léger soupir dans la fumée d’un cigare. Ici ou là, les quelques fleurs colorées de la forêt luisaient d’un éclat incomparable, intensifié par le reflet des échos, au point qu’elles semblaient presque être leur propre source de lumière. Entre elles, la vie rampante des insectes et des vers paraissait grouiller et prospérer comme jamais, festoyant eux aussi des temps glorieux qui s’offraient à eux, de cette force vitale qui leur était gratuitement accordée. Car là où Alessia ne voyait qu’excitation folle des passions du vivant, la nature sauvage y voyait l’accomplissement de son existence, l’épanouissement des plus dignes de ses enfants comme ce put être le cas autrefois - du temps où Samaël chuta dans ces collines.

Mais ce tableau d’une nature plus bourgeonnante que jamais n’était qu’une des deux faces de cette dernière. Tout autour du groupe, des hurlements bestiaux méconnaissables retentissaient au point que même un chasseur déjà expérimenté comme Ippazio ne pouvait cacher son anxiété. À tous les entendre, il ne pouvait s’agir d’aucun animal connu, peut-être même qu’il n’y avait plus que des mutants ici, les seuls à pouvoir survivre dans une telle compétition. Malheureusement, plus le groupe se pressait dans cette pénombre, plus il s’enfonçait dans un terrain de chasse dont l’épicentre paraissait être la grotte des apparitions. Pourtant, il en fallait toujours plus pour décourager la religieuse.

Il fallut même que Théo insiste à plusieurs reprises pour réussir à la sortir de ses pensées et la faire ralentir un peu, après qu’elle eut manqué de trébucher à force de courir dès qu’elle le pouvait.

— Doucement, Madame. Vous ne retrouverez pas Anastasia, ni Maria si nous mourrons ici, il vaut mieux agir prudemment.

— Je préfère les attendre en haut que l’inverse. » lui asséna-t-elle sèchement, assez agressive pour que cela surprenne Théo, lorsqu’Ippazio les interrompit.

— Silence tous les deux ! » leur chuchota-t-il du plus fort qu’il puisse, à quelques mètres des autres, près d’un arbre abattu derrière lequel il se cacha pour scruter une clairière en contrebas. « Des mutants sont en train de s’affronter. Un grand bipède contre des loups. Ils sont près du chemin que nous empruntons » résuma-t-il sans lâcher du regard la scène que Théo et Andrés découvraient à leur tour.

 

Dans la clairière se trouvait en effet un ours mutant, très imposant et tendant légèrement vers le gorille dans sa démarche, face à une vingtaine de grands canins à l’épaisse fourrure blanche : la fameuse Meute Cendrée.

L’ours difforme avait visiblement réussi à abattre l’un des mutants de Fatima ayant fui vers les collines, sans y perdre plus que des poils, mais la horde était venue lui voler son repas, quitte à devoir en découdre avec le vainqueur. Pourtant, malgré l’encerclement, il ne comptait pas se laisser faire sans combattre le brouillard de crocs et de griffes qui se refermait lentement sur lui. Ces loups transformés étaient à mi-chemin entre le félin et la hyène, avec une longue fourrure tombante et scintillante qui leur donnait presque une allure de spectre. D’ailleurs leur apparence était d’autant plus surnaturelle que leurs robes dispersaient de fines particules blanchies sur leur passage, comme si leurs corps se délitaient dans la nuit, donnant à leurs rangs cette aura fantomatique. La Meute Cendrée tirait ainsi son nom de ce pelage particulier, un mélange de taches grises, blanches et noires finement luisantes recouvrant leurs peaux dont les veines brillaient parfois d’un petit éclat rouge à cause du LM alpin. À l’arrivée, cela ressemblait à des braises tout juste mortes, noyées sous un tapis de cendres encore chaudes et volatiles. Coincé au milieu de leur horde, le grand ours-gorille était donc bien moins fantaisiste, mais ni moins vif ni moins brave, et c’est bien lui qui tenait toute la meute à distance, protégé par une fourrure surabondante qui ne l’empêchait pas d’être plus rapide que tous ses congénères.

L’affrontement promettait donc d’être époustouflant, plus surprenant que tout ce qu’Ippazio avait vu dans sa très jeune carrière de chasseur de mutants, bien qu’il en faille beaucoup plus pour détourner Alessia de sa mission.

— Nous n’avons pas le temps pour ça, même s’ils sont proches du chemin de la grotte. Passons prudemment à côté, ils ne nous remarqueront pas. 

— La meute nous sentira et pourrait se rabattre sur nous. » contesta Andrés en se retournant pour la voir reprendre la route sans se soucier de sa réponse, ou du cri monstrueux que libéra l’ours mutant. « Ippazio, tu saurais comment les repousser efficacement ? » soupira-t-il en se lançant à la poursuite de sa consœur, prêt à écouter toutes les idées que son ami pourrait lui suggérer – car la chasse au mutant était un art encore très improvisé.

 

D’ordinaire, la stratégie des chasseurs se résumait à prendre le mutant par surprise et le désintégrer avec toutes les armes possibles, c’était l’homme qui avait l’initiative et le rôle du prédateur. Mais lorsqu’il se retrouvait dans la position de proie, la situation n’avait plus rien à voir.

Heureusement, Ippazio n’était pas démuni pour autant, le son et le feu restent nos meilleurs amis, résuma-t-il en s’agaçant du fait qu’il n’ait pas la moitié de son matériel de chasse habituel, ni le quart des informations qu’il collectait sur ses cibles. En cas de combat, il n’avait pas la moindre idée du comportement que tiendrait la meute ou le grand ours, et cela avait une importance particulière chez ces créatures. Chez les mutants comme chez les humains, il suffisait que la meute soit un rassemblement d’obstinés, de vraies têtes de cons comme il l’exprima, et elle serait prête à se battre jusqu’au bout, surtout si elle avait déjà dû reculer contre un précédent concurrent. Par chance, en plus d’entendre les cris se calmer, Théo put se rassurer d’apprendre que ces mutants sauvages n’avaient, à priori, pas assez de LM pour se révéler aussi increvables que les spécimens qu’il avait déjà pu affronter. Cependant, la grotte était encore à de longues minutes, et les chances de survie des enfants devenaient de plus en plus incertaines dans un tel contexte, au point qu’Ippazio évita d’en parler trop fort. Bien sûr, Andrés lui répondit qu’il ne fallait pas prédire de mauvais augures, seulement le Génois préférait être honnête, même si les enfants arrivaient à atteindre la grotte, cela ne les sauverait pas, bien au contraire. Il ne faisait aucun doute que des mutants cherchent eux-aussi à s’y rendre, ne serait-ce que pour satisfaire leur curiosité et repartir ensuite rôder en silence. D’ailleurs, à ces mots, Théo finit par remarquer qu’il entendait le craquement des brindilles sous ses bottes, si bien qu’une question lui traversa l’esprit : la meute ne crie plus ?

Et l’instant qui suivit, les trois hommes virent Alessia se figer de peur, tandis que des silhouettes canines s’assemblaient progressivement devant eux. Aussitôt repérées, elles commencèrent à approcher en se dispersant à grands renforts de petits cris, tels des ricanements d’excitation, qu’elles échangeaient en se faufilant dans la végétation au gré des ombres que leurs offraient les filaments. Sans attendre, ils balayèrent du regard l’horizon tout autour d’eux, mais la meute les avait suivis, elle était déjà tout autour d’eux. Ils eurent alors tout juste le temps de dégainer, lorsque la horde vint faire briller ses crocs sous la lanterne d’Alessia, si près qu’Andrés ne put s’empêcher de remarquer fugacement qu’elles étaient chacune aussi différentes que similaires. D’un seul coup d’œil, le Portugais vit que cette meute était un ramassis de chiens errants, s’étant regroupée pour muter ensemble avec une cohérence évolutive impressionnante, jusqu’à presque former une nouvelle espèce. Malheureusement, les mutants ne lui laissaient pas le temps pour ce genre de pensées si fascinantes. Ils étaient près d’une vingtaine à s’amasser tout autour d’eux, pour ricaner et s’encourager avant une attaque qui ne devrait pas tarder.

Cependant, Andrés comme Ippazio n’étaient pas du genre à laisser l’initiative, et le premier s’étonnait déjà que la Meute Cendrée soit encore si confiante.

— Ippazio ! » lança-t-il à son protecteur comme s’il s’attendait à voir une grenade partir dans la seconde, sans que ça ne soit le cas. Néanmoins, Ippazio n’était pas en train de paniquer, bien au contraire, il cherchait le chef. « LA cheffe. Si elles ont adopté l’organisation des hyènes, c’est une matriarche qui les dirige. » rectifia-t-il aussitôt pendant que le Génois balayait les rangs du regard en hésitant, jusqu’à ce qu’Alessia ne s’exclame.

— Celle-ci, derrière les autres ! » lui désigna-t-elle soudainement en pointant du doigt une grande hyène plus puissante et plus hargneuse que toutes les autres, rôdant derrière la ligne d’encerclement en échauffant ses sœurs.

 

Seulement, la matriarche se sentit immédiatement agressée par le geste d’Alessia, et lâcha sans plus attendre l’aboiement rauque qui déclencha l’assaut.

Malheureusement pour elles, Théo comme Andrés réagirent presque aussi vite pour ouvrir la fusillade. Les premières balles fusèrent ainsi pour transpercer le sol, sous le nez des attaquantes qui reculaient instinctivement face aux canons, pour ensuite se remettre dans le rang et préparer la prochaine ouverture avec leurs sœurs. La Meute Cendrée a visiblement connaissance de certains outils humains, nos pistolets ne les impressionnent pas, conclut Ippazio, toujours à se demander comment maximiser les effets de sa réplique.

— Elles vont bientôt revenir, Ippazio. » lâcha Théo d’une voix nerveuse, après ce premier assaut repoussé de justesse, sachant pertinemment qu’à trois humains dos-à-dos, il suffisait que l’un tombe pour que la meute ne se rue sur eux.

— Balance quelques grenades derrière elles, je veux du bruit et de la lumière qui s’enchaînent à toute vitesse. N’essaie pas de les envoyer dans leurs rangs, elles les esquiveraient et nous attaqueraient. » se décida le Génois en lui confiant deux petites bombes, en glissant sa main dans son vêtement pour y saisir quelque chose d’attaché juste au-dessus de sa ceinture.

 

De son côté, le Français réagit au quart de tour et du mieux qu’il put, envoyant le plus vite possible six grenades par-dessus les rangs des hyènes, visiblement étonnées ou intriguées par cette tactique complètement stupide.

Puis en quelques gestes vifs et soudains, Ippazio arracha une goupille de l’un de ses explosifs, pour le projeter de toutes ses forces sur la matriarche. Bien sûr, celle-ci l’esquiva d’un air négligent, visiblement plus surprise qu’inquiète à la vue de cet artifice à peine plus large que sa gueule. Mais en s’écrasant au sol, celui-ci libéra un brasier qui enflamma brusquement la fourrure de la matriarche et celles de toutes les hyènes qu’il put attraper dans son souffle. Aussitôt, d’horribles cris aigus résonnèrent au point que les autres hyènes desserraient leur emprise, terrorisées par les incendies qu’Ippazio, puis Andrés allumaient tout autour. Tout s’enchaînait si vite pour la meute, si brutalement qu’elle vacillait déjà lorsque les grenades détonnèrent l’une après l’autre pour achever leur courage.

Parfait, c’est le moment, pensa Théo en voyant la matriarche en feu se rouler au sol, à moins d’une dizaine de mètres du canon qu’il brandit vers elle pour l’achever d’une balle dans la poitrine, puis de quelques autres dans son corps convulsant.

— Allez ! On continue ! » lança aussitôt Ippazio, dès qu’une ouverture se dessina dans les rangs de la meute terrifiée, alors qu’Alessia s’y engouffrait déjà. « Ne baissez pas votre garde, Madame, la meute peut encore revenir ! » l’avertit-il en se lançant à sa poursuite, pour qu’Andrés n’ajoute qu’ils n’avaient plus que leurs pistolets et leurs sabres pour se défendre. « Non, il nous reste notre amarre ! Nous l’utiliserons si jamais nous n’avons pas le choix !

— Une quoi ? » s’étonna-t-il, en ne voyant pas ce qu’une amarre viendrait faire ici, avant qu’Andrés ne lui crie soudainement de se protéger. « Derrière toi.

 

Néanmoins, si cela suffit à sauver Théo de la hyène qui bondissait dans son dos, ça ne l’empêcha pas de tomber sous le choc de la créature qui vint le percuter de flanc.

Dans la foulée, Ippazio fit volte-face pour s’interposer entre eux tout en abattant la bête d’une balle dans la tête, pendant que le Français se relevait d’un seul bond pour dégainer ses armes. Seulement, c’était déjà trop tard. Enhardies par l’audace ou le sacrifice de leur sœur, près d’une dizaine de mutantes revenait à la charge pour harceler la fuite en avant de leurs proies, aboyant de leurs timbres aigus à tue-tête. On ne pourra pas fuir comme ça longtemps, cria donc Ippazio en essayant désespérément de suivre la course des deux savants tout en tenant leurs poursuivantes à distance, Andrés, balance-la, on s’en fout, il la faut maintenant. Alors, malgré une brève hésitation, le Portugais consentit à sortir de sa tenue une sorte de piolet d’alpinisme, non sans marmonner quelques prières tandis qu’il actionnait cette fameuse amarre. Puis, après qu’il eut réglé quelques curseurs pour ajuster son compteur et sa puissance, il se retourna d’un seul coup pour la projeter avec force sur la première hyène qu’il pouvait toucher. Certes, il ne parvint pas à planter son piolet dans la créature en pleine course, tout juste à la faire chuter, mais dès que l’amarre retoucha le sol, elle irradia une lueur écarlate qui fascina aussitôt les hyènes. Mieux, lorsque Théo jeta un ultime regard en arrière dans sa fuite, il les vit se disputer le repas qu’Andrés leur laissait, comme s’il s’agissait de leur meilleure prise de ce soir - et le chasseur comprit vite pourquoi. L’amarre ne contenait pas seulement un fond de LM, elle tordait également les filaments d’échos de cette forêt afin de les absorber, en excitant son réservoir pour entrer en résonnance. Et, dans le même temps, elle relâchait cette fine brume par le manche du piolet, ne sachant que faire de toute cette énergie qui venait saturer sa batterie – car ça n’était pas son utilisation normale en vérité. Néanmoins, cela avait réussi à les libérer de la Meute Cendrée, c’était le principal, à tel point que Théo se demanda pourquoi le Portugais n’avait pas fait ça plus tôt.

Malheureusement, le cours des choses vint répondre de lui-même à la question du Français, lorsque ce fut Andrés qui se figea pour arrêter de nouveau leur fuite.

— Devant ! Arrêtez-vous ! Arrêtez-vous !! » s’écria-t-il quand il aperçut la grande silhouette qui se dessinait sous les lueurs malsaines de l’horizon, exactement dans la direction où ils se rendaient, bousculant les arbustes sur son chemin, droit vers l’amarre qu’il avait jeté.

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