Chapitre IX

Par Melau

Après les fêtes de Noël, la fin d’année fila à toute vitesse. Il y eut des repas à foison, des cadeaux par milliers, et le froid qui pointait le bout de son nez. Le soir du nouvel an, on vit même tomber de la neige. Au matin, elle s’était évaporée : rêve, mirage, ou hologramme ?

 

Le CMT rouvrit ses portes à la fin de la première semaine de l’année. Royden déposa sa cadette à l’aube chez elle avant de filer pour une réunion importante. A partit de cet instant, la vie normale reprenait son cours. Finies les vacances, finies les fêtes, finis les moments passés en famille, à profiter des autres, à profiter de soi. Il était temps de revenir à la réalité et, surtout, au travail.

Thaïa eut à peine le temps de se préparer pour la reprise qu’elle devait déjà partir : Cillian l’attendait à quelques rues de son appartement pour prendre le petit déjeuner dans un café 24/24 – pratique quand on sortait du boulot à minuit, ou quand on était de service tôt le matin. Ce fut donc le ventre grognant, réclamant pancakes et café, que Thaïa se mit en chemin. Elle avait hâte de retrouver son ami après ces quelques jours de parenthèse magique loin du travail. En deux mois à peine, Thaïa avait déjà pris l’habitude de retrouver Cillian dans la file d’attente à l’entrée du CMT, un café latte à la main – vanillé, s’il vous plaît – et de discuter avec lui de la veille.

Lorsqu’elle entra dans le café, Thaïa repéra tout de suite son ami. Ce n’était pas bien compliqué : il dépassait tout le monde d’au moins une tête. Ses grandes jambes s’étalaient dans le passage. Elle le rejoignit, enjamba l’une des pattes du girafon, et s’installa face à lui. Le visage de Cillian s’illumina dès qu’elle fut assise.

— Mon accolyte du café latte à la vanille ! Enfin ! J’ai cru dépérir sans toi, tu sais ?

— Ne me mens pas Cillian, tu ne me feras pas croire que tu n’as pas bu de latte sans moi !

— Oh… Bon, j’aurais essayé, déclara-t-il le sourire aux lèvres. J’ai déjà commandé, ça ne devrait pas tarder, reprit-il. Je t’ai pris des pancakes aux myrtilles avec du sirop d’érable et un double supplément chantilly.

Au regard plein d’étoiles de Thaïa, Cillian comprit qu’il avait fait la commande parfaite. La jeune femme n’eut pas le temps de le lui faire remarquer qu’un serveur, un faux blond maigrelet que Cillian dévora du regard, parvenait à leur niveau, un plateau entre les mains. Il leur déposa sur la table les deux verres – gigantesques, mais il fallait bien au moins ça un jour de reprise – ainsi que les assiettes. Cillian s’était commandé des toasts avec des œufs brouillés, tomates cerises et tranches d’avocats.

Le petit-déjeuner de Thaïa était tout simplement gargantuesque, et à l’image d’un Pantagruel moderne, elle n’hésita pas une seconde à tout dévorer.

Ils mangèrent en silence. A leur table, seul le tintement des fourchettes résonnait.

Le serveur vint débarrasser les assiettes une fois celles-ci terminées, léchées – on aurait presque pu réutiliser celle de Thaïa sans la nettoyer ! La main de Cillian effleura celle du faux blond ; ils ne se jetèrent pas le moindre regard. Thaïa attendit qu’ils ne soient plus qu’à deux pour soulever les faits :

— Fallait le dire si tu avais plutôt envie de déjeuner avec lui, fit-il du ton le plus sarcastique dont elle était capable.

— Chut…, souffla Cillian alors que la commissure de ses lèvres s’étirait. Regarde un peu.

Il ouvrit la main et révéla, bien au chaud entre ses doigts et sa paume, un petit morceau de papier.

— Y a bien qu’à toi que ça arrive, ça !

Sur le morceau de papier blanc se trouvait inscrit, dans une belle écriture arrondie et soignée, au stylo bleu, un numéro de téléphone suivi de la mention « Ugo. Appelle-moi. ;) ».

— Dit-elle alors qu’elle a rendez-vous cette semaine avec le mec le plus sexy du Centre ! Non mais je rêve.

Cillian se tapa le front en faisant une mine d’exaspéré.

— N’importe quoi…

— Il ne t’a pas rappelée ?

— Si, si, souffla Thaïa, les yeux rivés sur sa boisson et les joues rosissantes. On s’est échangé quelques messages pendant les fêtes.

— Quelques messages ?

Désormais narquois et curieux, l’ami de Thaïa – son meilleur ami, fallait-il le préciser, et surtout, déjà le dire alors qu’ils ne se connaissaient que depuis quelques semaines ? – étendit le bras en travers de la table. Il attrapa le téléphone de la jeune femme à la vitesse de l’éclair. Thaïa n’eut pas le temps de comprendre ce qui venait de se passer que Cillian lui demandait déjà le code de déverrouillage. Elle soupira. Elle ne chercha pas à se battre. Elle capitula. Et lui donna le code tant espéré.

— Maksim, Maksim, …, répétait sournoisement l’homme-girafon en cherchant parmi les conversations SMS de Thaïa. Ah ! Te voilà.

Il fit défiler sur l’écran tous les messages échangés sans vraiment y prêter attention.

— Attends, tu vas me dire que ça…

Utilisant la fonction hologramme du téléphone, il afficha la conversation de manière à ce qu’ils puissent tous deux – et toute personne se situant à moins de deux mètres – la voir.

— … c’est « quelques messages » ? Tu te moquerais pas un peu de moi ?

— Cill’ ! Eteins ça, allez…

— Non mais c’est qu’elle aurait honte en plus, j’y crois pas !

Les messages défilaient dans les airs. Ceux de Thaïa en violet, ceux de Maksim en gris.

Plus que quelques messages innocents, les deux collègues n’avaient pas arrêter de s’écrire au cours des dix derniers jours. Ils avaient parlé de tout et de rien. L’historique affichait même des appels, parfois de quelques minutes, et d’autres fois plus long, dépassant même à deux reprises l’heure complète.

— Tu vas pas me dire que c’est rien ? Même à moi tu n’as pas autant parlé ! J’en serais presque jaloux.

— Ah oui ? Juste « presque » jaloux ?

— Si ça n’avait pas été Maksim, j’aurais été complètement jaloux, affirma Cillian en appuyant sur l’adverbe. Mais bon, comme c’est lui, je ne dirai rien.

Il continuait de faire défiler les messages sur l’écran. Combien y en avait-il ? Thaïa ne s’était pas rendu compte que Maksim et elle avaient tant discuté. Cillian remonta jusqu’au soir du Réveillon et tomba sur une photo envoyée par Maksim. Thaïa ayant expliqué à Maksim ses appréhensions quant à la soirée à venir, ce dernier lui avait envoyé une photo de lui à table, à dix-huit heures, avec ses grands-parents, ses parents, et ses frères. Personne ne souriait, sauf le photographe. L’une de ses mèches noir de jais retombait sur son front, caressant presque les cils bordants les yeux verts. De véritables émeraudes brillantes accompagnant un air plus qu’espiègle ; Thaïa n’avait pu s’empêcher de sourire en voyant cela. Elle s’était également dit qu’elle avait hâte d’aller boire ce fameux verre avec lui. Il ne lui restait que quelques jours avant que ce soit le cas : vendredi approchait à grands pas.

— Pas de photo en retour ?

— Si, redescends un peu.

Cillian obtempéra. Tel un élève discipliné et assidu, il déroula lentement le fil de messages, plutôt court, avant d’arriver à la photo de Thaïa.

Elle l’avait prise tard, ou plutôt très tôt : vers quatre ou cinq heures du matin. La photo la montrait de face, dans sa jolie robe verte, tenant la tasse offerte par Dee et Oscar. La jeune femme souriait de toutes ses dents ; elle rayonnait de bonheur.

Thaïa avait accompagné ce message des seuls mots qu’elle parvenait à répéter depuis la grande annonce plus tôt dans la nuit : « Je vais être tata ! ». Ce à quoi Maksim avait répondu « Mieux que ça, tu vas être marraine ! ».

— Encore un truc que tu m’as pas dit, tiens. Mais bon, ça ne m’étonne même pas, tu m’as complètement mis de côté… Aussi vite entré dans ta vie, aussi vite éjecté, à ce que je vois.

— Rho, non, n’importe quoi, souffla Thaïa. Mieux vaut entendre ça que d’être sourd, hein ? Je voulais te le dire aujourd’hui pour que tu sois le premier à me l’entendre dire à voix haute en dehors de mes parents et de ma sœur qui n’en peuvent plus. Bon, après faut dire que j’ai dû le crier au moins cinquante fois le soir-même et que je n’ai fait que de parler de ça les jours suivants. M’enfin… Si tu penses que je t’ai trompé, je comprendrais. Quitte-moi, va !

Les deux amis éclatèrent de rire.

Thaïa appela le serveur et commanda deux nouvelles boissons, ils avaient encore près d’une demi-heure devant eux avant de prendre la route pour le travail. Lorsque le faux-blond les leur apporta, il leur dit :

— J’ai terminé mon service pour la nuit, mais n’hésitez pas à revenir.

Son regard glissa sur Cillian. Il ajouta :

— Je serai ravi de m’occuper de vous… La prochaine fois.

Et il s’éclipsa, en prenant soin de faire un dernier clin d’œil en direction de la table des deux amis.

— On dirait que tu vas bientôt échanger autant de messages que moi et Maksim avec quelqu’un…

— Hum… Possible, oui.

 

Les deux amis terminèrent leurs boissons en discutant de tout et de rien – Thaïa revenant régulièrement sur le faux-blond, encourageant Cillian à préparer le message qu’il lui enverrait au soir ou le lendemain. Insistant encore et toujours plus, elle finit par avoir gain de cause au bout d’une quinzaine de minutes. Ils passèrent le quart d’heure suivant à écrire le message parfait : ni trop pressant, ni trop coquin, ni trop désintéressé pour autant.

— On devrait revenir ici au moins une fois par semaine, tu ne crois pas ? demanda Thaïa alors qu’ils quittaient le café et marchaient en direction du métro. Le lundi, comme là, ça nous permettrait d’échanger sur ce qui s’est passé depuis le vendredi soir. Tu en penses quoi ?

— Eh bien, si on a toujours le même serveur, et le même latte vanillé, je ne dis pas non.

Prenant cela pour un « oui », sûrement parce que c’en était un, Thaïa acquiesça d’un mouvement de tête. Ils s’engouffrèrent dans les transports en commun, allant de métro en bus jusqu’au CMT. Il était temps d’en finir avec les fêtes de fin d’année et de retrouver le rythme quotidien.

 

« Bienvenue au Centre des Modifications Téléchargeables. Ici nous faisons en sorte que vos rêves deviennent réalité. »

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