Chapitre premier

Par Fidelis

Jour un, cité de l’Étoile, branche Est, bloc 624, foyer 77.

Valéri regardait les images défiler dans sa télé sans qu’aucun son ne vienne le perturber. Cela lui donnait la sensation de se sentir moins seul, et retirait tout attrait aux messages publicitaires qui tournaient en boucle.

Il s’étira afin de reprendre possession de son corps, délassé après une douche qu’il avait fait durer plus que de raison. À sa décharge l'eau chaude s’était remise à fonctionner après trois jours d’abstinence. Comme tous les habitants des banlieues, il subissait les restrictions d’énergie. Le régime avait beau affirmer que les coupures s’opéraient de manière égale dans toutes les zones dortoirs, il n’en croyait pas un mot.

Il était presque 16 heures, le chauffage tournait à fond, et, comme un bon survivaliste urbain, il avait pris le temps de remplir assez de bouteilles et de container pour tenir jusqu’à la prochaine panne. Son conapt retrouvait pendant ces trop courtes périodes un confort qu’il chérissait, seule ombre au tableau, il devait partir sous peu aller bosser.

C’était toujours ainsi, râla-t-il en regardant à travers la fenêtre de sa tour au septième étage. Dehors, la condensation du sol se mêlait à la brume du plafond atmosphérique et donnait l’impression d’une heure plus avancée, ce qui n’empêchait pas les rues et avenues de grouiller de monde.

On finit par s’habituer à tout.

La surpopulation, la pollution, les coupures d’électricité, ou le bruit des chaussures à talons de la connasse du dessus dès la nuit tombée, pensa-t-il, épargné par ses horaires décalés, une semaine sur deux. Il ne l’avait jamais rencontré, mais estimait que, pour user de pareil artifice, elle devait tapiner. En banlieues aucune femme ne portait de souliers à talons, les siens ne devaient jamais voir la lumière du jour, et pourtant un doute subsistait sur son activité. Elle logeait au huitième, ces clients devaient une fois arriver devant sa porte cracher leurs poumons sur le palier avant d’avoir le temps d’ôter leur pantalon. Lui qui devait en gravir sept au quotidien savait de quoi il parlait. Il n’était pas un sportif accompli ni n’entretenait de culte de son corps, et n’usait jamais de drogue ni d’alcool. Ce qui, pour l’époque actuelle, le classait dans une catégorie très réduite d’individus, et pourtant, les sept étages, il les sentait passer.

Il termina de se préparer, éteignit les lumières et laissa le chauffage à fond. Ça dura le temps que ça dura, pensa-t-il, et, avec un peu de chance, il restera de la chaleur à son retour, puis ferma la porte derrière lui pour enfiler les escaliers dans une descente spiralée. Les ascenseurs étaient devenus trop risqués, même s’il y avait du courant à l’instant présent, il pouvait disparaître à tout moment. Les dépanneurs ne se déplaçaient plus depuis bien belle lurette pour venir en sortir les imprudents. Il fallait attendre que le secteur soit à nouveau alimenté, ce qui pouvait s’étirer sur plusieurs jours dans les cas extrêmes.

Il laissa le point de son corps l’entraîner, pour lui faire survoler les marches à vive allure, traversa les deux sas de sécurité, pour déboucher enfin dehors.

Une fois sur le macadam, direction l’arrêt de bus, pour rallier un RER, puis changer deux fois de correspondance. C’était le deuxième la plus délicate, comme si s’approcher du cœur de l’étoile s’apparentait à glisser dans un entonnoir, le goulot finalisant l’arrivée n’était pas ce que l’on pouvait qualifier de confortable. À l’intérieur, on sentait les effluves corporels de la moitié du wagon. Tout le monde se tenait compressé le temps du voyage, le bruit de la rame voilait les râles des usagers mécontents. De nombreuses personnes s’équipaient de masques, pour leur rendre l’épreuve moins pénible, mais aussi moins risquée. Les pertes de connaissance avaient beaucoup diminué depuis que les fabricants jamais à court d’imagination proposaient de nouvelles gammes de plus en plus perfectionnées. Apport, d’oxygène, ajout de parfum, voire de molécules pour tous les petits bobos ou besoins de chacun. Aide à la mémoire, restauration d’un organe, ou légère euphorisation de l’utilisateur. Enfin, ça, c’était la propagande des industriels, estima-t-il en observant un modèle inédit sur le visage d’un gars en face de lui.

Le freinage brutal de la rame les fit tous se crisper. Tension collective qui rendait l’instant plus grave, juste avant l’ouverture libératrice des portes, qui laissait le troupeau s’extraire de cette machinerie métallique insupportable.

Il rejoignait, ensuite, d’un pas pressé l’ensemble de la foule qui se dirigeait vers les sorties pour retrouver la lumière terne du début de soirée. Son périple à lui n’était pas encore terminé, il lui fallait atteindre la dernière navette pour l’amener à destination, c’est-à-dire au seul point de vente de la cité, le Megaraptor. Plus d’un million de mètres carrés de rayon, une armée d'employés tous secteurs réunis et des dizaines de milliers de clients au quotidien. Une usine à gaz qui tournait sept jours sur sept de huit heures à deux heures du mat’, voire plus pour les périodes de fêtes ou de promo survitaminées inventées par les industriels pour gonfler leurs chiffres.

Un temple nouvelle génération pour des fidèles accros à la consommation, c’est ici que travaillait Valéri Mirabo agent de sécurité.

C’est ce qu’on pouvait lire sur son badge quand il le scannait à l’entrée du personnel pour rejoindre le vestiaire. Là, il lui restait juste le temps de se changer, de traverser un long couloir avant de se retrouver dans le magasin avec ses odeurs fictives, ses chants publicitaires assommants et sa faune compacte qui ne désemplissait jamais.

Son poste de travail se situait à l’entrée ouest 222 b, devant les portails automatiques, à côté des tomodensitomètres mis à la disposition du public, à la frontière entre la galerie marchande et le centre commercial. Un box équipé d’une multitude d’écrans qui retransmettait en temps réel les images diffusées par les caméras-espionnes, en mode chien truffier.

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Rouky
Posté le 01/07/2025
Salut ! ^^

Cette histoire porte un début immersif, porté par un univers dense et une plume acérée. Le quotidien morose de Valéri est criant de réalisme, chaque détail renforce l’atmosphère dystopique !

Hâte de lire la suite ^^
Fidelis
Posté le 07/07/2025
Merci, ça fait plaisir, mais attention, la suite est politiquement très incorrecte, enfin c'est de l'humour bien sûr. Bonne aventure !
David.J
Posté le 09/04/2025
Salut Fidelis,
Je voulais te partager mes impressions. Franchement, il y a une vraie ambiance qui se dégage de ton texte, un ton désabusé mais lucide, presque fataliste, qui colle bien avec l’univers que tu poses. On est rapidement immergé dans ce quotidien dystopique très réaliste, à mi-chemin entre anticipation sociale et chronique urbaine. Ça fonctionne bien !
Fidelis
Posté le 10/04/2025
Merci à toi, mais attention, la suite faut s'accrocher, c'est très subversif à l'époque actuelle comme histoire.
J'espère que ça te plaira
Vermeille
Posté le 20/03/2025
En lisant, j’ai été complètement immergée dans cet univers dystopique. L’ambiance oppressante m’a tenue en haleine du début à la fin… Je me suis sentie à l’étroit et franchement mal à l’aise tout au long de la lecture ! Je n’aimerais vraiment pas être à la place de ce pauvre homme…

C’est la deuxième histoire que je lis de toi, et tu maîtrises vraiment bien les genres et les tonalités. Bravo !
Fidelis
Posté le 20/03/2025
J'aime bien travailler les ambiances pour faire ressortir ce que j'imagine, et varier les contextes et les thèmes à travers mes différents univers.
Alors attention, celle ci est politiquement très incorrecte, je me lache à fond, c'est très débridé, mais sur le ton de la comédie, sans intention de blesser qui que ce soit.

J'espère que cela te plaira, bonne lecture et merci pour ton commentaire.
Vermeille
Posté le 20/03/2025
Merci pour la précision. Pas de souci de mon côté, ce genre de contenu ne me choque aucunement.

Par contre, si tu crains que certaines personnes soient offensées, tu peux ajouter des avertissements dans ta note de lecture. Ça pourrait aider certaines personnes sensibles.

Hâte de lire la suite :)
sakumo91
Posté le 12/03/2025
Ton texte crée une atmosphère dystopique très immersive. Le personnage de Valérie est immédiatement attachant dans sa routine solitaire, et le monde que vous décrivez est riche en détails saisissants. La description des restrictions énergétiques et de la surpopulation est particulièrement efficace, et les réflexions de Valérie sur la société ajoutent une profondeur psychologique captivante. Votre style d'écriture est fluide et évocateur, et vous avez un talent certain pour créer un univers crédible et inquiétant. Ça donne envie de continuer à explorer ce monde, il a un potentiel immense !
Fidelis
Posté le 12/03/2025
Oui on plonge directement le lecteur dans la routine morne de Valeri, attention la suite s'avère politiquement très incorrecte, mais sur le ton de la comédie.

Merci en tout cas, ça me touche, bonne lecture pour la suite.
Fidelis
Posté le 12/03/2025
Oui on plonge directement le lecteur dans la routine morne de Valeri, attention la suite s'avère politiquement très incorrecte, mais sur le ton de la comédie.

Merci en tout cas, ça me touche, bonne lecture pour la suite.
Portequigrince
Posté le 11/03/2025
Un premier chapitre qui plante un sacré décor ici! Il s'en dégage (enfin, selon moi) une atmosphère plutôt poisseuse, avec ces coupures (égales pour tout le monde bien sûr...) et les transports en commun bondés. Tu décris ce qui semble être un quotidien assez morne et en lisant j'avais l'impression de sentir le ras le bol de Valéri.
Voilà...Je continue ma lecture!
Fidelis
Posté le 12/03/2025
Oui c'est tout à fait ça, je plante le décor, avec le personnage principal, et son quotidien, plutot merdique il faut avouer.

Continue tu vas te marrer.
Plume de Poney
Posté le 09/03/2025
Je suis venu par ici voir ce que donnerait un texte de ta part en science fiction.
Ça commence bien!

Le ton est différent mais bien aussi, j'ai même appris un mot : conapt. Merci pour ça.
Fidelis
Posté le 09/03/2025
Alors, attention Abduction, c'est surtout une critique de l'utopie qui arrive, sur un ton très caricatural, je te conseil, Un parfum familier, ou le Ruban Mobius, qui sont des nouvelles avec des fins inattendues et des intrigues efficaces.
Plume de Poney
Posté le 09/03/2025
Merci pour les recommandations.

Je vais continuer ton histoire à toi pour voir aussi!
Fidelis
Posté le 09/03/2025
En revanche toi qui aime les dialogues singuliers, ici tu as du gratiné, ça fait pas dans la finesse.
Phideliane
Posté le 09/03/2025
j'aime beaucoup l'ambiance et c'est tré prometteur. J'adore l'idée des masques dans les transports, moi qui prend beaucoup le bus et le train, je vote pour!
Fidelis
Posté le 09/03/2025
Merci à toi Phideliane pour tes encouragements, je tiens tout de même à t'avertir, c'est une fiction très politiquement incorrecte sur le fond et la forme, mais tu vas vite le découvrir dans le chapitre II. Après ça reste sur le ton de la comédie, donc à ne pas prendre au premier degré.

Je suis sûre que tu sauras faire la nuance, et je te souhaite une bonne lecture.
Phideliane
Posté le 09/03/2025
j'adore le politiquement incorrect :) merci
Fidelis
Posté le 09/03/2025
Alors c'est parfait, tu vas t'éclater
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