Chapitre premier

Par Fidelis

Épiphyte, une fois de retour chez lui, profitait du temps qui s’écoulait avec sérénité.

La nuit venait de tomber. Il se trouvait dans son logis. Il s’interrompit un instant pour jeter une bûche dans l’âtre afin de ranimer son feu protecteur. Puis il rejoignit sa place autour de la table, où il avait laissé ses feuillets, sa plume et un peu de bouillie de baies de Belladone. Hallucinogène notoire qui remplaçait l’encre trop coûteuse pour lui et la teneur de ses textes, dont il ne se faisait guère d’illusion, ne serait jamais lu que par lui-même.

Il aimait cependant mettre par écrit ses souvenirs, les plus joyeux, bien sûr, mais ne retient-on pas plus facilement les bons moments ?

En cet instant précis, ce jeudi soir à vingt heures du mois d’octobre, Épiphyte griffonnait fiévreusement un feuillet. Il rédigeait une histoire qui le ramenait des années en arrière, à l’époque où il se nommait encore Acelin, vagabond de son état et paresseux à plein temps.

On entendait le bois crépiter de manière apaisante dans la cheminée, comme pour aider notre auteur à rester concentré sur son passé.

Lucikiel, son chat, somnolait enfonçait dans un cousin sur un fauteuil près de l’âtre.

Il plissait les paupières par intermittence, faisant mine de dormir tout en demeurant éveillé comme seuls les chats savent le faire.

Les heures s’écoulaient sans que rien ne vienne perturber ce moment de plénitude absolue. Les chandelles s’éteignaient au fur et à mesure, avant qu’Épiphyte ne se mette à bâiller tout en se frottant les paupières. Autant de messages on ne peut plus clairs lui indiquant l’heure d’aller se coucher. Un des instants privilégiés chez notre ami qui se faisait un devoir de les respecter sans sourciller. C’est après avoir éteint les dernières bougies avec ses doigts, l’esprit encore dans ses souvenirs ravivés par l’écriture, qu’il alla s’allonger, s’endormant aussitôt comme promis, par les signes annonciateurs.

Épiphyte n’était pas sujet aux terreurs nocturnes, son sommeil l’assurait en général de nuits calmes et réparatrices qui entretenaient sa bonne humeur au quotidien.

Mais pas cette nuit-là, est-ce le fait de s’être remémoré le passé qui se mélangeait avec le présent de manière insidieuse ou absurde, comme le sont les rêves ? Ou le vent qui s’était mis à souffler violemment à l’extérieur ?

Autant de circonstances qui le plongèrent dans un songe bien singulier.

Après une suite de scènes et d’images cauchemardesque, le faisant effectuer des gestes anarchiques tout en dormant, il se retrouva chez lui devant sa cheminée avec son chat.

Il écrivait sur un feuillet la tête inclinée. L’endroit familier et accueillant aurait dû inclure un sentiment de bien-être et de sécurité, mais il n’en était rien, au contraire. Une tension extrême le maintenait à sa tâche, la tête penchée en avant. Il pouvait entendre le bruit sec de sa plume qui lacérait le papier. Comme si une force invisible lui tétanisait la nuque, et pourtant, il savait qu’il devait la redresser impérativement. Il le pressentait que ce simple geste détenait une importance vitale le concernant. Il lui fallait juste l'effectuer, dresser son regard et observer devant lui, mais quoi, exactement il l’ignorait, seule la sensation de danger imminent l’étreignait.

Au bout d’un effort intense, il se contraint à l’effectuer.

L’intérieur de la maison n’avait pas changé, tout était parfaitement identique à la version éveillée, sans que cela parvienne à le rassurer, percevant les battements de son cœur s’accélérer.

Sa vision se porta sur l’arrière-plan de la scène. C’est là qu’il discerna une main posée sur un des carreaux de la fenêtre, à côté d’une paire d'yeux qui le surveillait de l’extérieur. Avant de s’entendre crier d’une manière brutale.

— TU DOIS PARTIR… MAINTENANT !

Le regard s’évanouit dans la nuit. Il se leva alors sans traîner, abandonnant tout, il passa la porte et se mit à poursuivre cet individu qui l’avait pourtant effrayé. Il lui fallait le suivre, il le sentait ; c’était vital, et cela, quoiqu’il en coûte.

Une course folle s’engagea pour rattraper cette ombre qui filait devant lui à une vitesse et une manière qui ne ressemblait à rien de commun.

Il perdit sa trace, le paysage nocturne s’était modifié, il se retrouva sur le bord de mer, une tempête faisait rage, dressant des vagues démesurées qui venaient s’abattre contre le rivage.

Il s’interrogea sur sa présence ici. Son regard détailla la côte. Les lames, à chaque assaut, commencèrent à arracher des bouts de terre. C’est là qu’il vit la porte apparaître composée de blocs de pierre gigantesques, couverts d’algues et de limon.

Au même moment il se réveilla dans son lit, le souffle court, le front tapissé de sueur.

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