Lundi 6 Octobre, Alexandre
Deux semaines sont passées depuis le mariage de Charlie et Denise. Le temps est passé à la fois très vite, à cause de mon travail, et beaucoup trop lentement, parce que j'attendais chaque jour le retour de mon frère. J'ai résisté à l'envie de lui envoyer des messages et de lui téléphoner pendant tout son séjour, je voulais qu'il profite à fond de son voyage avec Denise. Et puis, c'était leur lune de miel, je ne voulais clairement pas m'immiscer là dedans. Et enfin, il est rentré : cette nuit, j'ai reçu un message disant qu'ils étaient bien rentrés, et qu'ils devaient me parler dans la journée. J'ai hâte de les revoir, j'ai l'impression qu'un siècle entier est passé depuis que j'ai vu leur voiture partir, le lendemain du mariage ! Pendant deux semaines, je me suis retenu de ne pas les harceler ; c'était leur voyage de noces, je ne tenais pas à y être mêlé, et ils devaient en profiter pour me faire un neveu ou une nièce. Alors pendant deux semaines, je me suis retenu de toutes mes forces pour ne pas envoyer de message- sauf pour savoir s'ils étaient bien arrivés à l'hôtel.
Ma journée finie, je rentre rapidement chez moi ; j'habite près de mon bureau, donc je n'ai même pas besoin de ma voiture. Je prend une douche rapide et me change, histoire d'être un peu moins débraillé après ma journée de travail, puis je repars, en voiture cette fois, trop fatigué que pour marcher jusque là. Je m'arrête sur le chemin pour aller acheter un bouquet de fleur pour Denise, et quelques minutes plus tard, je sonne à leur porte.
C'est mon frère qui m'ouvre, avec un sourire énorme collé au visage. Il me prend immédiatement dans ses bras, je lui ai visiblement manqué aussi, ça me fait plaisir ! Charlie me laisse entrer dans la maison, puis me fait passer dans le salon. Une délicieuse odeur flotte dans l'air, et j'en comprend rapidement la raison lorsque Denise, dans son tablier ridiculement rose, sort de la cuisine pour nous rejoindre. Elle me prend aussi dans ses bras, heureuse de me voir, et manque de sauter de joie lorsqu'elle reçoit son bouquet- des lys, sa fleur préférée, de ce que Charlie m'a dit. Je suis particulièrement heureux de les voir comme ça, ils ont l'air encore plus heureux que le jour de leur mariage, c'est adorable ! D'après moi, ils vivent une histoire d'amour digne d'un conte de fée - ou d'une comédie romantique signée Netflix, mais ça se rapproche. Lorsqu'il avait seize ans, Charles ne savait pas trop quoi faire de sa vie, alors il a changé d'école pour aller dans un établissement qui lui proposait de tester différents métiers, afin de voir si quelque chose lui plaisait. C'est la qu'il a rencontré Denise : elle se cherchait aussi, et avait décider de participer aux tests. Le coup de foudre n'a pas été immédiat : en fait, Denise n'a pas été très encline à l'idée d'être proche de mon frère. Mais de fil en aiguille, ils sont devenus amis, puis ils se sont mis en couple, et lorsqu'ils ont dû se séparer - Charles partait à l'Université pour faire ses études d'ingénieur, et Denise allait ouvrir sa boutique dans une ville voisine- ils se sont perdus de vue. C'est par hasard, en faisant un peu de shopping, que mon frère a retrouvé Denise, ils ont renoué des liens, et se sont rapidement remis ensemble. Et après, seulement un an, Charles a fait sa demande, et nous voici, un an plus tard, dans leur salon. Je trouve ça beau, qu'ils aient réussi à se retrouver comme ça, après des années. Comme si ça avait été un coup du destin ou quelque chose du genre !
Le couple face à moi me force à m'asseoir, et je parle avec Denise pendant que mon frère va chercher son ordinateur et les photos de leur voyage. Elle me raconte à quel point c'était magnifique, le rêve ultime pour quelqu'un d'aussi romantique qu'elle. Elle me faisait aussi les éloges de mon frère, qui avait tenu à lui acheter tout ce qu'elle voulait-ce qu'elle a refusé, car elle trouvait ça injuste de voir Charles tout payer alors qu'il s'est déjà chargé du mariage.
En à peine quelques minutes, je me retrouve assis dans le canapé de mon frère, entrain de regarder leurs photos de lune de miel. A chaque fois, j'ai droit à une petite anecdote; par exemple, sur l'une des photos, on pouvait voir Denise entrain de tenir un objet dans une boutique souvenir, et apparemment, Charles avait tenu à absolument lui acheter avec son propre argent, Denise avait refusé en disant que ça coûtait beaucoup trop cher pour une telle babiole, et qu'elle n'y tenait pas plus que ça, mais mon frère est quand même retourné dans la boutique plus tard dans la journée pour aller lui chercher. Lorsque Denise l'a appris, elle est entrée dans une colère noire, mais ça n'a duré que quelques secondes: tout de suite après, elle était à nouveau dans les bras de mon frère. Je suis intrigué lorsque je vois la photo d'un plat de pâtes des plus banales, et que je vois Charlie pâlir devant moi. Denise m'explique la raison: c'est le fameux plat de pa^tes aux fruits de mers qui a rendu mon frère malade, et où il n'a pas osé demander un autre plat lorsque le serveur lui a demandé si tout allait bien. Je me moque de mon frère pendant quelques secondes, puis lui rappelle qu'il ne réagit jamais bien aux fruits de mers, que c'est comme ça depuis qu'on est enfants.
En plus des photos, Denise avait préparé des biscuits juste avant que je n'arrive, alors je m'empiffre à volonté. Vous voyez la grand-mère qui vous force à manger plus que ce que vous n 'avez faim? Et bien Denise tient ce rôle à la perfection, alors qu'elle n'a que 31 ans. Qu'est-ce que ça donnera si elle a des petits enfants un jour...
Au total, il nous aura fallu plus d'une heure pour regarder les photos. Alors que je pensais que c'était fini, Denise dit:
— Oh mon Dieu, Alex! On a reçu les photos du mariage ce matin, on n'a pas encore eu l'occasion de les regarder, tu veux le faire avec nous? Après tout, c'était un peu ton mariage aussi! En plus, il y aura peut-être des photos que tu pourrais utiliser dans tes publicités!
Regarder encore plus de photos? J'ai envie de refuser, pour le reporter à une autre fois, mais... Je croise le regard de Charles, qui semble me supplier d'accepter. Je n'ai pas vraiment envie de dire non, non plus... Au pire, ça ne prendra qu'une petite heure de plus, alors pourquoi pas? Je souris à ma belle sœur, et elle rayonne. Elle se lève et part en sautillant pour aller chercher le fameux DVD. Mes yeux brûlent, mais je n'ai pas envie de la décevoir.
Dès qu'elle a passé la porte, mon frère se tourne vers moi et dit précipitamment:
—Je te suis infiniment reconnaissant. Elle ne l'aurait pas montré devant toi, mais ça l'aurait un peu blessée que tu refuses de voir les photos de notre mariage.
— T'inquiète pas pour ça, je ne voyais pas de raison de refuser. Et puis, si en plus ça peut la rendre heureuse, pourquoi je ne resterais pas une heure de plus? Après tout, si elle est heureuse, tu l'es aussi!
Il me sourit niaisement, puis reprend:
—Oui... Je veux qu'elle soit la plus heureuse possible. Je ne l'ai vue pleurer que deux fois pendant toutes ses années, et je ne veux jamais revoir ça.
—Tu sais, Charlie, je ne t'ai jamais vu aussi heureux que depuis que tu es avec Denise. Le contraire est aussi vrai! Je suis vraiment heureux que tu aies trouvé ton âme-sœur, tu ne mérites que ça.
En un quart de seconde, je me retrouve debout, dans les bras de mon frère aîné. Ses bras me serrent fort, si bien que j'ai du mal à bouger mes bras pour prendre dans mes bras à mon tour. Puis il s'écarte et, me tenant toujours pas les épaules, il me dit:
—Je te souhaite plus que tout de trouver ton âme-soeur à toi aussi, Alex. Tu le mérites totalement. Je me fous du genre de la personne que tu aimeras, tant que tu es heureux.
C'est à mon tour de le serrer dans mes bras. J'ai les yeux emplis de larmes que je contiens tant bien que mal. Mon frère a toujours eu l'habitude de dire des choses un peu gnan-gnan, mais jamais je n'ai été atteint à ce point, et je ne sais même pas expliquer pourquoi. Je n'ai jamais eu autant de mal à gérer mes émotions, c'est incroyable.
Tout à coup, j'entend une voix dire "aaaaaaaw on fait un câlin groupé et vous m'attendez même pas? Vous êtes méchants les gars!", puis je sens les bras de Denise passer autour de ma taille puis rejoindre celle de mon frère. Et je me sens bien; mieux que je ne me suis senti depuis... Au moins deux semaines.
Lorsqu'on finit par se séparer, Denise dit avec une voix surexcitée:
—Allez, on y va! Il est temps de les voir, ces photos de mariage!