Chapitre un : Mémoires à l'agonie

Par Shiloh

Je sais pas trop à quel moment j'ai merdé, à quel moment les choses sont parties en couilles comme pas permis ! C'est l'histoire de ma vie... Bordel de merde ! J'étais coincé dans ce sous-sol lugubre qui schmoutait grave le rat crevé, en train de me vider de mon sang, et j'me disais que c'était la fin, que j'allais y passer. Cette fois, c'était vraiment la tuile... Et le pire dans tout ça, c'était même pas que je sentais que je partais, mais surtout que je partais tout seul. Mes potes étaient plus là, ils s'étaient sûrement fait descendre à l'heure qu'il était, et il restait plus que moi. Je soupirai lourdement, des larmes qui commençaient à m'encombrer les mirettes, réalisant que tout ça c'était de ma faute. Putain. Si j'avais su ne serait-ce que la semaine dernière que j'allais finir comme ça... Je sais pas si j'aurais fait quelque chose de plus fun de ma misérable vie mais j'en aurais profité davantage, ça c'était certain. Et j'aurais peut-être dit à Olivia qu'elle me faisait bander jusque dans mon p'tit cœur. Bon, pas comme ça, hein ! J'y aurais mis un peu les formes, avec des mots pas trop à moi et tout. J'aurais même demandé à Angus de m'écrire un truc pas trop dégueu que j'aurais appris par cœur pour tout bien lui répéter. Parce que c'était son truc à Angus, parler avec des jolis mots. On comprenait pas ce qu'il disait la moitié du temps, mais c'était grave beau à chaque fois ! D'ailleurs, à lui aussi je lui aurais dit des trucs. Notamment que c'était pas pour rien que c'était mon meilleur pote depuis toujours. Pourtant j'étais un peu une plaie dans mon genre, j'le savais, mais il avait toujours été là, pour les bons comme les mauvais moments. Et même quand il m'arrivait des bricoles ! Surtout quand il m'arrivait des bricoles. J'aurais voulu lui dire merci. J'aurais voulu qu'on se fasse une dernière partie de poker avec les truands du quartier, même si on se faisait dépouiller à chaque fois. Et Mohan. Avec ses raisonnements hyper profonds de citoyen révolté. Il était toujours partant pour chouraver des trucs avec moi. C'était sa façon à lui de lutter contre le capitalisme, qu'il disait. Il picolait trop et des fois ça dégénérait, mais c'était quelqu'un de bien. J'veux dire, pour un voleur. Et enfin Taz... Le plus déglingué d'entre nous. Ça se voyait pas sur sa tronche pourtant, avec ses faux airs d'ado attardé qui avait zappé d'évoluer. Il m'énervait souvent, mais il me faisait rire aussi, même s'il le faisait pas exprès. Putain, ils me manquaient déjà ces fils de pute.

Dire qu'hier encore tout allait bien... Non, tout n'allait pas bien, parce que ma vie était déjà un peu merdique avant ça mais je m'en accommodais. Jusque là, je m'en sortais toujours, qu'elle que soit la tuile qui me tombait sur le coin de la gueule régulièrement. Mais jamais je m'étais retrouvé dans une si mauvaise posture, désespérément seul, la peau trouée par une bastos, et aucune alternative pour me sortir de ce merdier sans nom. Si j'pouvais revenir en arrière, avant que tout se mette à capoter sec ! Juste une petite journée en arrière, et j'aurais pu éviter tout ce bordel. Si seulement...

Avant que ça devienne vachement tendu dans le coin, elle était plutôt tranquille notre petite bourgade, nichée en plein cœur de l'Angleterre. Vieillissante, maussade, mais tranquille. J'aurais pu partir depuis longtemps, mais j'aimais trop ma ville natale pour me déraciner. En fait non, j'aurais pas pu partir, parce que pour bouger il fallait des ronds, et moi j'avais jamais un kopeck en poche ! Je m'en sortais comme je pouvais, à la débrouille. Entre des petits boulots mal payés, des services rendus au black et l'income support, je gardais la tête hors de l'eau la plupart du temps. Je préférais raconter à tout le monde que j'avais pas envie de me barrer plutôt que d'assumer mon manque d'ambition et mon incapacité totale à faire quelque chose de ma vie.

Bref. J'disais quoi déjà ? Ah oui, je suis en train de crever tout seul comme un chien ! Tu veux savoir pourquoi, peut-être ? Ok, j'te raconte. Mais j'te préviens, c'est pas hyper jojo... C'est même une sale histoire...

 

*

 

- Hé oh, Harlem !

Un claquement de doigts sous mon nez me sortit brutalement de mes pensées. Je relevai le museau de ma pinte de bière et posai mon regard hagard sur Walter, le barman de mon pub favori.

- Ton ardoise, elle va pas se régler toute seule, putain de merde !

Je plissai le nez dans une grimace désolée, redoutant le montant de la note qui s'était accrue méchamment ces derniers jours. Comme toutes les semaines d'ailleurs.

- Ouais ouais, je sais, excuse-moi, j'avais zappé.

- Ben moi j'ai pas zappé ! Soixante-douze livres c'est pas rien, putain ! insista l'éternel grincheux à moustache.

Je soupirai en farfouillant dans mes poches, espérant y trouver un peu de cash. J'avais quinze balles à tout casser et quelques pence. Je déposai le billet et la caillasse sur le comptoir dans un tintement tristement maigre. Le vieux tavernier fixa mon misérable tribut jusqu'à ce que le dernier penny ne cesse de tourbillonner sur lui-même pour finalement s'écraser lui aussi sur le bar dans un silence brusquement gênant. Je déglutis bruyamment, embarrassé, quand Walter posa son regard dépité et fatigué sur moi.

- Finis ton godet et casse-toi ! J'te servirai plus avant que t'aies réglé la totalité ! grogna l'ancêtre en encaissant ma première échéance. Pas être fichu de régler ses dettes à quarante piges, c'est vraiment minable, Harlem !

- Quarante piges ? m'offusquai-je en haussant un sourcil. Trente-sept ! J'ai trente-sept ans, espèce de fossile décrépit !

- C'est l'insulte la plus débile que tu m'aies jamais sorti, abruti ! Un fossile c'est forcément décrépit, vu que c'est un foutu fossile de merde ! Tu sais même pas ce que c'est ou quoi ?! Un fossile bordel, c'est de la caillasse ! Et c'est devenu de la caillasse parce que c'est super vieux, alors forcément décrépit, triple buse !

- Oh, mais ferme-la ! J'sais ce que c'est un putain de fossile de merde, j'suis pas débile, enfoiré !

- Tire-toi espèce de pseudo anarchiste de mes deux ! T'es qu'un parasite qui vit au crochet de la société !

Je répondis même pas tellement il m'avait saoulé avec ses jugements à deux balles. Je me contentai de grogner en agitant la main vers lui pour qu'il la ferme et je m'envoyai une dernière lampée de bière pour finir mon verre. Je le reposai en le faisant claquer sur le comptoir et tournai les talons pendant que l'aubergiste aux cheveux gris continuait de pester dans mon dos.

- Hé Harlem ! T'as pas vingt balles à me dépanner ? J'te les rends demain, promis !

Je fermai les yeux et soufflai profondément, las de ce loustic dégénéré du bocal qui me harponnait à chaque fois que je sortais de la Cabane. J'avais à peine passé la porte, putain ! C'était le nom du pub, la Cabane. C'était un peu notre QG, à mes potes et moi. C'est d'ailleurs ce qui nous avait valu un surnom dans le coin, les Crapules de la Cabane. Même les flics nous appelaient comme ça. Ça faisait un peu nom de garage band, comme si on était un groupe de péquenauds bourrins qui gueulaient des chansons punk et faisaient grincer de la gratte dans un hangar abandonné le dimanche. C'était presque ça, sauf qu'on n'était pas des musicos, juste des péquenauds.

- Allez, sois pas vache, t'as bien un billet qui traine ? persista le jeune.

- Non mais t'as vu ma gueule, Ed ? J'ai l'air d'avoir du flouze sur moi, franchement ?

Je le fixais de mon air blazé, fatigué de devoir le rembarrer jour après jour, et sortis les poches vides de mon vieux futal crade et troué pour bien lui faire comprendre le message.

- Tu vois ? Que tchi, coco !

Dieu merci ce zonard de bas étage encore plus minable que moi finit par s'en aller. Je roulai des yeux et portai une clope à mes lèvres faisant cliqueter mon briquet. L'extrémité du bâton de nicotine s'embrasa et je pris une première inspiration bien profonde pour encrasser mes poumons comme s'il y avait une chance que ça m'apporte une forme d'apaisement. Ça m'filerait surtout le cancer, tôt ou tard, mais pour le soulagement on repasserait...

C'était vraiment la dèche en ce moment, et c'était la crise en plus. Enfin j'crois, j'avais entendu ça à la télé sur une chaîne d'infos en zappant hier soir. Mais moi j'avais un peu l'impression que c'était toujours la crise. C'est juste que des fois les journalistes ils le disaient à la télé et que des fois ils le disaient pas pour nous faire croire que tout allait bien. Au final, il y avait les gens pour qui ça allait toujours bien, même quand c'était la crise, et ceux pour qui ça allait toujours mal, même quand c'était pas la crise. Et sans boulot, c'était pire encore... Parce que même les aides sociales, l'Etat les crachait pas comme ça. Ça arrangeait pas beaucoup les branleurs dans mon genre.

J'avais déjà deux mois de loyer en retard et plus les semaines passaient, plus je m'enfonçais tout au fond du trou que les capitalistes avaient creusé spécialement pour les clampins comme moi. Ok, j'avoue, elle était pas de moi cette phrase, je l'avais piquée à Mohan. C'était lui le vrai anarchiste de la bande ! Parce que Mohan il était vachement au courant de comment marchait le système et tout, et il avait plein d'idées pour lutter contre « l'absurdité d'une société esclavagiste qui tentait par tous les moyens d'asservir la population en entretenant un paradigme sociétal destiné à nous diviser au profit des nantis ». Un truc comme ça... Quoi qu'il en soit, j'étais au fond du trou. Fallait que j'me trouve une putain de grande échelle ! Non, pas une échelle en vrai, c'est une image, hein ! Une métaphore, quoi.

J'en avais des idées pour faire du blé ! Mais la plupart du temps, c'était un peu foireux comme plans. Pourtant, à chaque nouvelle ampoule qui s'allumait dans mon crâne, je me persuadais que cette fois c'était la bonne ! Et je merdais à chaque fois. Et je recommençais, reproduisant éternellement le même schéma, convaincu que ma chance allait tourner. Si je m'en sortais avec quelques billets, c'était déjà pas mal. Heureusement j'étais pas tout seul, à avoir des idées. J'avais mes potes. Même si on n'était pas des flèches, à nous quatre on trouvait toujours une solution pour voir venir, pendant un temps au moins. Et quand on était à court d'inspiration, on avait toujours les magouilles habituelles, qui rapportaient pas beaucoup, mais ça mettait quand même du beurre dans les haricots. Non... Les épinards ?

La plus facile, c'était quand on se faisait passer pour des bénévoles d'ONG qui récoltaient des dons. Oui, je sais, c'est vraiment moche. Mais c'était easy peasy. J'avais chouravé des t-shirts Greepeace dans leurs bureaux locaux, il y a de ça trois ans. Et avec toute la bande, on allait jusqu'à Manchester dans la bagnole pourrie de Taz, parce que dans notre bled tout le monde se connaissait. C'était plus facile de pigeonner les gens dans une grande ville. On passait la journée à ramasser de l'oseille en assurant aux badauds qu'ils investissaient dans un avenir meilleur et la préservation de la planète. Ça voulait rien dire du tout, mais ça marchait. J'suis même pas sûr de savoir ce qu'ils foutaient d'ailleurs, les militants de Greenpeace...

Olivia était là, au coin de la rue. Elle passait par là tous les jours pour aller taffer à l'épicerie du coin. C'était aussi pour ça que tous les jours à cette heure-ci j'allais me taper une mousse à la Cabane, parce que j'étais sûr de la croiser. Elle était belle. Élancée, brune, avec quelques tâches de rousseur sur le nez. A chaque fois que je croisais son regard c'était comme si les Violent Femmes se mettaient tout à coup à jouer « Good Feeling » dans ma tête. Cette fille, c'était mon crush du collège, et j'avais jamais été attiré par une autre comme je l'avais été par elle. Les années passaient mais pas mon amour pour elle. J'sais même pas si elle s'en était déjà rendue compte, que je la kiffais comme ça. En tous cas j'lui avais jamais dit. Et j'avais jamais rien tenté, parce que cette meuf elle était trop bien pour moi. Toutes les meufs étaient trop bien pour moi, mais Olivia c'était encore autre chose. Et si on n'avait pas fait toute notre scolarité dans le même bahut, j'suis sûr qu'elle aurait jamais adressé la parole à un type comme moi.

- Salut, me lança-t-elle en m'offrant un sourire qui me fit presque tressaillir.

- Hey.

J'aimais sa façon de me regarder, toujours sympathique, bienveillante, comme si elle était contente de me voir. Ça changeait du regard que la plupart des gens posaient sur moi. Avec ma barbe de trois jours, mes cheveux jamais coiffés et les poches qui avaient élu domicile sous mes yeux depuis vingt ans, c'était pas facile de me regarder autrement qu'avec un peu de mépris. Visuellement, j'avais rien du type bien sous tous rapports. Même mes fringues craignaient un peu. En matière de mode mes goûts étaient ... éclectiques. C'était un mot que j'entendais souvent quand les gens décrivaient mon allure. Une façon pas trop méchante de me dire que j'étais mal sapé. Un peu comme quand un couple révélait à leurs amis le prénom de leur rejeton fraîchement pondu, et que les gens répondaient « Ah... C'est original ». Juste pour pas dire qu'en vrai c'était moche et ridicule. Genre Abner. Je connaissais un mioche qui s'appelait comme ça. J'pouvais pas l'affirmer, mais j'étais quasiment certain qu'il se faisait jeter des cailloux à la récré !

- Joli t-shirt.

Je baissai les yeux sur mes fringues, comme si j'avais oublié ce que j'avais enfilé ce matin et haussai les épaules en souriant.

- Te moque pas ! Il est collector ce truc-là ! Je l'ai trouvé dans une friperie, affirmai-je en tirant sur ma clope.

C'était des conneries. Je savais même pas d'où sortait ce t-shirt rose pâle délavé par le temps et les machines, avec une grosse tête de chat imprimée en plein sur le devant. Je l'avais jute trouvé sur le sol de ma piaule, qui trainait là parmi d'autres fringues. Vestige d'une soirée arrosée chez moi qu'un pote un peu zinzin avait probablement oublié. Ou volontairement abandonné. Ça détonnait vachement avec ma gueule et ma peau recouverte de tatouages. Mais je m'en cognais. Olivia leva les yeux aux ciel en éclatant de rire. J'aimais son rire. Ses yeux, ses cheveux aussi. Et son p'tit cul parfait. J'aimais tout chez elle.

- Je veux bien te croire. Je suis sûre qu'il est... unique ce t-shirt. Je l'espère en tous cas.

Est-ce que c'était moi qui était juste pas du tout objectif quand il s'agissait d'Olivia où est-ce que son regard avait vraiment quelque chose de pétillant quand il se posait sur moi ? Et son sourire aussi, et ses cheveux qui dansaient dans une douce brise matinale ? Enfin pas vraiment matinale, c'était déjà onze heures quand même. Putain, j'étais raide dingue de cette nana ! Mon palpitant s'emballait, comme à chaque fois que j'échangeais quelques mots avec elle.

- Bon j'y vais, je suis déjà en retard. A plus, Harlem.

Un clin d'œil juste pour moi et elle poursuivit son chemin. Je me tournai pour la regarder partir avec des yeux de merlan frit, laissant échapper de mes lèvres un profond soupir.

- Quand est-ce que tu lui dis ?

Je sursautai, sorti de mes douces pensées par un intrus.

- Putain Taz, d'où tu sors comme ça ?! m'exclamai-je en posant une main sur mon cœur.

Cet abruti était comme un foutu ninja ! Il débarquait tout le temps sans que je le vois arriver ! Ses éternelles sneakers jaunes aux pieds, les cheveux en bataille tombant devant les yeux, on pouvait pourtant le distinguer de très loin, Taz.

- Quand est-ce que tu lui dis ? insista-t-il.

- Mais bordel, de quoi tu parles ? grognai-je en tirant une dernière taffe de ma clope avant de l'écraser sur la tronche de Boris Johnson qui souriait bêtement sur une affiche collée au mur, à côté d'une poubelle.

- A ton avis, crétin ?

- Ferme-la...

Tout le monde le savait, que j'en pinçais pour Olivia. Mais j'aimais pas en parler. C'était d'ailleurs le sujet à ne pas aborder avec moi, et que mes potes n'hésitaient pas à aborder justement quand il s'agissait de me casser les couilles !

- Y a quoi dans ton sac ? demandai-je en désignant le contenant en plastique que Taz trimballait.

- Quoi, ça ? Je crois que c'est de la cocaïne.

Je le fixai de mes yeux grands ouverts. Puis je regardai le sac, et à nouveau Taz. Bordel de merde, qu'est-ce qu'il me racontait cet abruti ? Il plaisantait ? C'était pas son genre pourtant de faire dans le sarcasme. Il avait dit ça tellement calmement, comme s'il n'y avait rien de chelou à se balader avec de la dope dans la rue.

- Attends, quoi ? demandai-je une nouvelle fois, abasourdi.

- Je te dis...

- J'ai entendu, Taz ! C'que je veux savoir c'est si tu te fous de ma gueule ou si t'es sérieux !

Il m'observa quelques secondes, ne comprenant visiblement pas pourquoi je m'emballais. Il avait son air apathique habituel, genre l'attitude typique du gros fumeur de bédo. On était tous des fumeurs de oinj dans la bande, mais Taz c'était comme s'il était tombé dedans quand il était petit, parce qu'il était toujours à deux de tension. Il me tendit le sac et, jetant d'abord un coup d'œil autour de moi pour m'assurer que personne ne nous matait, je glissai un doigt dedans pour voir un peu ce qu'il y avait à l'intérieur. L'air de rien, je relevai le nez vers Taz, glissant mes mains dans mes poches.

- Ouais, on dirait bien que c'est de la coke.

Je hochai la tête en fixant mon ami dans les yeux, éberlué. Dans le sac, trois briques blanches fermées par du scotch, du style de celles qu'on voyait au cinoche dans les films de trafiquants de drogue. Je voyais pas bien ce que ça pouvait être d'autre. Je fis un pas sur la gauche pour me rapprocher de Taz.

- Mais merde, où t'as eu ça, espèce de taré ? chuchotai-je.

- Dans une chambre d'hôtel.

Taz il faisait le ménage dans un hôtel. C'était son job. Et il vendait un peu de weed en extra, pour arrondir ses fins de mois. Son calme olympien habituel avait le don de me foutre en boule ! Il avait pas l'air de réaliser une seule seconde qu'il se baladait tranquillement dans la rue avec de quoi le faire plonger en zonzon pour des décennies !

- Quoi ? Et tu l'as ramassée, comme ça, tranquille ? C'est à qui ? murmurai-je à nouveau, désireux de comprendre enfin quelque chose à cette histoire délirante.

- Pourquoi tu chuchotes ?

- Parce que t'as au moins six livres de cocaïne dans ton sac, là ! grognai-je entre mes dents en modérant toujours mes décibels.

- Mais il y a personne, t'inquiètes.

Je plongeai ma tête entre mes mains tatouées en soufflant d'exaspération, épuisé par l'inconscience de mon pote. J'approchai mon visage du sien pour marmonner à nouveau.

- Bordel, t'es dehors en plein jour, à te trimballer de la dope dans un putain de sac de chez Tesco*, enfoiré d'abruti dégénéré !

- Ben ouais, et alors ? Qui irait se douter qu'il y a de la drogue dans un sac de chez Tesco ?

Sur ce coup-là, il avait pas tort, mais c'était quand même sacrément risqué ! Et j'étais pas tranquille à l'idée de trainer dehors avec un truc pareil sur nous. J'avais hâte que Taz m'explique comment il avait réussi à mettre la main sur un pareil butin, mais pas ici. Mon appart' était pas loin. Je lui fis un signe de tête et il m'emboîta le pas. Inquiet, je descendis mes lunettes de soleil sur mon nez. C'était débile parce que ça me rendait pas invisible, mais j'avais l'impression d'être incognito comme ça. On rasa les murs jusqu'à chez moi, regardant sans cesse de tous les côtés. Réflexe idiot, parce que du coup on avait l'air sacrément louche. Je décidai d'adopter une démarche plus naturelle quand je remarquai que des gens se retournaient sur notre passage, intrigués par notre attitude suspecte. Je m'apprêtais à pousser la porte d'entrée délabrée de mon immeuble, toujours flanqué de Taz, quand je me raidis de trouille !

- Haut les mains !

 

*Tesco : enseigne de grande distribution au Royaume-Uni

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