Chapitre unique

Par Lyrou

- Elle a été volée! Elle a été volée ! hurlait une voix dans les tréfonds de la vallée.

Gruska remuait beaucoup de poussière en courant dans les allées pavées. Niché au creux de la montagne, Wies était un petit village pittoresque entouré par des prairies verdoyantes, fait de maisons en pierre et de toits en tuile rouge pétant. Différents lieux de cultes ornaient les rues et s'y rendait qui le voulait en l'affichant plus ou moins. Certains endroits organisaient des prières matinales où la traversée du village à l'aurore se révélait plutôt discrète, d'autres le midi pour que tous voient qui va au rite, qui est bon croyant, et d'autres encourageaient la publicité religieuse. Mais de tous ces endroits là, un seul mettait tout le monde d'accord. Un temple monté sur pilotis au milieu du petit lac situé aux abords du village attirait autant qu'il repoussait. Certains ne s'y rendaient que pour l'ambiance particulière qui y régnait, d'autres en faisant un crochet sur leur promenade en barque sur les rives du lac, d'autres encore pour se moquer des croyants, mais nul ne pouvait ignorer ce culte. La patate sacrée concernait tout le monde.

Alors lorsque Gruska remua les chaumières encore en tenue de rite, sa longue tunique blanc cassé balayant les pavés derrière elle, en hurlant à qui pouvait l'entendre que la patate sacrée avait été volée, de nombreuses têtes jaillirent des portes et des fenêtres. Enfin nombreuses, tout était relatif. Disons que proportionnellement au nombre d'habitants, c'était beaucoup.

Et Gruska continuait de courir, évitant du mieux qu'elle le pouvait les chèvres gambadant au milieu de la route, les poules et les fils de linges tendus trop bas. Elle se dirigeait à grandes enjambées vers la grande place de Druzy tout en informant tout le monde de sa découverte. Elle devait le matin même secouer les tapis du temple au dessus du lac et pêcher pour échanger des poissons avec les villageois contre un aide de l'entretien des pilotis qui s'effritaient peu à peu dans l'eau. Mais quand elle avait été chercher les tapis qui entouraient la colonne en verre où rayonnait de mille feux l'objet du culte, il n'était plus là.

L'origine de l'amical religieux de la pomme-de-terre sacrée pourrait sembler obscure à tout néophyte venant du dehors de la montagne, mais en réalité elle était parfaitement logique. À une époque où leurs terres étaient peu fertiles, la pomme de terre venue d'outre océan était un petit miracle pour se nourrir. Puis les orages augmentant en force, les plaines devinrent plus verdoyantes et les pommes de terre délaissées. Un lac se forma dans l'un des champs creusés, et avec l’inondation, toutes périrent, sauf une qui émergea de l'eau et vint à la surface comme un tout petit îlot autour duquel fut bâti le temple. Vestige des temps anciens de la monoculture et miraculé tubercule, la patate sacrée avait tout pour elle, et en récoltait aujourd'hui le prix. Elle avait disparu.

Gruska déboula sur Druzy où elle manqua de percuter la fontaine, à l’effigie du premier constructeur d'une identité villageoise à travers l'élaboration d'un petit drapeau pour ces citoyens abandonnés par le dehors de la montagne. Il était toujours fièrement étendu au dessus de la mairie où Gruska voulait se rendre. Elle retira la large capuche qui l’empêchait de voir devant elle, dévoilant ses petites couettes basses et brunes et les tâches de rousseur recouvrant les trois quarts de son visage, encore beaucoup trop enfantin à son goût. Elle toqua trois coups secs à la lourde porte en bois et ayant entendu ses cris, l'un des membres du petit triumvirat de maires vint lui ouvrir.

- Bon sang Gruska qu'est ce qu'il te prend encore ?

L’intéressée fixa Frez droit dans les yeux tandis qu'un petit groupe de villageois curieux s'amassaient derrière elle.

- La patate sacrée a été volée ! Je demande l'ouverture d'une enquête immédiatement !

Ceux qui l'avaient suivit levèrent leurs fourches et leurs balais en signe de mécontentement. Leur petit trésor et leur fierté avait été volé. Frez n'eut même pas le temps de réagir qu'une voix brailla dans le petit groupe :

- Sûrement un coup des gens du dehors de la montagne ! Saleté de pozannes, je suis sûr qu'ils nous en veulent parce qu'on refuse leur argent !

D'autres suivirent le mouvement et beuglèrent leur opinion. Tout ceci dériva vite du sujet d'origine et partit en insulte envers les pozannes et au jeu de celui qui crie le plus fort sa haine envers les pas-comme-nous et autres viennent-pas-d'ici. Frez était encore un peu sous le choc de la nouvelle et ne parvint pas à réagir. L'arrivée de Malina , anti-prozanne affirmée, qui sortit de la mairie en trottinant n'arrangea pas les choses. Quand la troisième roue du tricycle arriva, tous en étaient déjà au frappé de fourche sur les dalles, menés par Malina, et Frez parlementait avec Gruska dans son coin sans se soucier des grognements de gens pas contents qui s'élevaient devant la mairie. Troje, toujours muni de son mégaphone, brailla un grand coup dedans ce qui eut le mérite de faire taire tout le monde sans pour autant épargner ses propres oreilles.

- Non mais ça va bien oui ? Qu'est ce qu'il se passe ici ?

Et le brouhaha reprit sans que Troje ne comprenne grand chose à la situation. Il tenta de questionner Frez du regard mais ce dernier ne le vit même pas. Il haussa les épaules et fit demi tour, disparaissant de nouveau derrière la porte de la mairie.

D'autres villageois arrivèrent sur la place alors que Malina continuait de remuer le groupe contre les prozannes. Bientôt tout le village fut réuni sur Druzy, c'est à dire pas grand monde en fin de compte. Gruska obtint l'autorisation expresse de Frez pour monter sur l'escabeau des orateurs afin de dominer l'assemblée qui lui faisait face pour énoncer les faits et déclarer officiellement l'ouverture de l'enquête en tant que représentante des plaignants.

- Camarades, la situation est grave ! Le tubercule éternel a été volé ce matin même dans le temple de l'amical religieux de la patate sacrée. L'enquête est ouverte dès aujourd'hui et vous êtes tous invités à rassembler des preuves contre celui que vous accusez. Libre à vous d'aller chercher des noises aux prozannes du dehors de la montagne, mais sachez qu'en interrogeant les douaniers vous risquerez d'être déçus. Aucun viennent-pas-d'ici n'a mis les pied à Wies depuis la semaine dernière, le coupable est parmi nous !

Un grand silence suivit ses paroles, même Malina était sur le cul. Puis un brouhaha infernal secoua la foule où chacun accusait déjà le moindre clampin qui lui semblait louche. Troje revint à la rescousse de Frez qui avait bien du mal à contenir tout ce monde, et hurla un « LA FERME ! » bien senti dans son mégaphone. Frez le remercia de la tête tandis que les villageois grincèrent de douleur pour leurs oreilles, et monta à son tour sur le très digne escabeau rouillé et déglingué.

- Que ceux qui veulent être responsables de la récolte des preuves de chacun s'avance.

Peu de gens osèrent par peur d'être accusé à cause du volontariat, mais ils eurent assez de personnes pour accomplir cette tâche qui allait vite s'annoncer fatigante. C'étaient Ladek le fermier trapu et sa grosse barbe dans laquelle un oiseau pourrait faire son nid ; Siano le petit commerçant de bière, ses petites lunettes rondes et sa chemise brune et orange favorite ; Lyz la boulangère, ses longs cheveux bouclés et sa silhouette élancée qui faisait bien deux têtes de plus que la moitié du village ; et Zazka l'agricultrice qui fournissait le village en sucre, sa salopette usagée et son crâne chauve brillant dont elle était si fière. Chacun prenait mentalement des notes dans sa tête pour déterminer au mieux qui aurait pu se porter volontaire pour masquer les preuves le concernant. Pour beaucoup Siano remportait la palme avec le petit air vicieux que lui donnaient ses lunettes.

Frez les remercia et reprit la parole :

- Bien, vous avez la journée pour apporter vos preuves contre le coupable à Ladek, Siano, Lyz et Zazka. De vraies preuves bien sûr, nous n'avons pas le temps pour les enfantillages. Pot-de-vin et autre corruption de bas étage sont interdits pour l'obtention de témoignages en votre faveur. Nous ferrons le point ce soir et justice sera rendue.

Malina acquiesça et encouragea les villageois à faire signe qu'ils avaient bien compris en tapant le sol avec leur fourche. Ce qu'ils firent. Puis ils se dispersèrent dès qu'ils en eurent marre, plantant la Malina et sa fascination pour les agitations populaires. Cela avait tendance à beaucoup fatiguer Frez mais Troje un peu moins puisque ça avait le mérite de lui permettre de gueuler dans son mégaphone. Il ne resta bientôt que ces trois là et Gruska sur Drusy qui s'était vidée en un rien de temps. Frez s'empressa de rentrer au calme dans la mairie, suivi de Malina, déçue que l'agitation se soit reportée si vite dans les ruelles. Troje quant à lui emboîta les pas de Gruska qui retournait au temple afin de chercher quelques indices sur place. Ils parcoururent les pavés en évitant les villageois déjà en train d'interroger ceux qui vivaient aux abords du lac ou de pêcher pour acheter des témoignages favorables à leur innocence et sautèrent dans l'une des barques amarrées au rivage. Troje attrapa une rame, Gruska la deuxième et ils s'éloignèrent des maisons dans le clapotis des vagues. La jeune fille poussa la porte en bois du bâtiments et de la poussière leur tomba dessus lorsqu'ils y entrèrent. Des toiles d'araignées pendaient de la charpente qui sortait des murs de pierre, de paille et de terre séchée. Les torches allumées dans les coins éclairaient faiblement l'unique pièce du lieu et donnait aux tapis qui recouvraient le sol des couleurs plus sombres qu'elles ne le seraient en plein jour. Ils parcoururent l'allée centrale où quelques couvertures débordaient de l'emplacement dédié aux prières et rejoignirent la colonne de verre tristement vide qui jaillissait de l'eau. Tout ce qu'ils y virent était le bleu du lac à travers le trou qui avait été fait pour laisser sortir la pomme de terre sans lui couper les racines. Mais pas la moindre trace d'une quelconque aide à l'enquête. Ils ressortirent bredouille et revinrent sur la terre ferme où les villageois continuaient d'interroger tout le monde à la recherche de la moindre petite parole de travers que pourrait lâcher le coupable. Chacun y allait de sa petite théorie pour convaincre les membres de sa famille dans un premier temps, puis ses voisins et enfin dans un périmètre plus large, tout son quartier. Les rues grouillaient encore de vie alors que le soleil montait haut dans le ciel et se vidèrent progressivement quand les premiers ventres gargouillèrent. Quelques silhouettes s'amassaient déjà autour des volontaires pour déposer leurs preuves.

Zazka s'était installée sur la pelouse de leur petite plage de verdure où les serviettes fleurissaient l'été. Assise en tailleur un cahier et un crayon à la main, une besace à ses pieds, un sandwich sur les cuisses et armée de beaucoup de patience elle prit les villageois chacun leur tour. La plupart étaient partis manger, mais certains préféraient éviter les attroupements qui auraient lieu plus tard. Pokri le vendeur de bonbons accusa la petite Volna qui lui volait ses friandises en les cachant dans la grande poche kangourou du pyjama informe qu'elle ne quittait pas, en disant qu'elle avait déjà de l'expérience et que c'était une preuve suffisante à ses yeux. Volna dénonça Haja, fille du fermier Ladek, d'après la règle selon laquelle quelqu'un qui mangeait ses crottes de nez en public avait forcement un lien avec le diable, et c'était bien connu que le diable n'aimait pas les pommes de terre. Haja qui passait juste après tira les cheveux de Volna en lui hurlant dessus qu'elle n'avait jamais mangé ses crottes de nez, puis elle accusa cette dernière par ce que si elle la dénonçait sans raison, c'était qu'elle était coupable. Kaez, l'unique médecin du village vint accuser Gruska en déclarant que c'était la dernière à avoir été au temple avant la disparition. Quelques autres suivirent ses accusations avec pour preuve que Kaez était médecin, et que donc il avait raison. Mowa rompit la chaîne en clamant que c'était facile d'accuser les gens quand on peut s'assurer du soutien, et que Kaez devait sans doute être le voleur pour procéder ainsi.

Zazka observa tout ce monde se débattre devant elle en se maudissant intérieurement de s'être portée volontaire. Sa seule consolation était que le soleil était bien placé pour faire des jolies lumières blanches sur le haut de son crâne.

Lyz elle, était restée chez elle dans son canapé. Les gens toquaient à sa porte et entraient faire la file, bien qu'elle finit par se poursuivre dans la rue. Elle offrait ses surplus du matin qu'elle n'avait pas pu vendre à cause du remue-ménage de Gruska, et recueillait les preuves fumeuses dans son joli carnet qu'un prozanne très raffiné lui avait offert un jour. Liscie le bûcheron se risqua à accuser Malina en disant que sa fascination pour les manifestations aurait pu la pousser à en provoquer elle même, Rawco le couturier renchérit en ajoutant que Troje n'avait pas souvent l'occasion de sortir son mégaphone du placard et qu'un vol de relique le lui permettait à coup sûr, et Fatzy la garde-bœufs compléta le tout en disant qu'il avait trouvé Frez trop calme et que c'était sans doute par ce qu'il était déjà au courant. Rydel l'institutrice répondit à ces dénonciation en clamant que ces trois là ne voulaient que renverser le triumvirat et qu'une masse mécontente les aidaient bien. Aussitôt empêtrée dans des discutions politiques, Lyz commençait déjà à avoir des douleurs au crâne.

Ladek sentit dès le début qu'il allait avoir du mal. Installé à l'entrée de son étable sur un tas de foin, la file devant lui lui paraissait déjà beaucoup trop longue. Il se massa les tempes et écouta ce qu'on avait à lui dire tout en se grattouillant la barbe. Le fils de Rydel accusa sa sœur en caftant qu'elle s'était levée en pleine nuit, tandis que la sœur elle accusa son frère en disant que quelqu'un d'aussi médisant ne pouvait être qu'un voleur. Vedeti le maçon arriva derrière pour dénoncer la promenade nocturne du vieux Ogrod, que défendit aussitôt la jardinière Lina qui connaissait bien le pêcheur qui vivait dans la cabane du bout du village en accusant Vedeti de s'en prendre aux plus démunis pour masquer son crime. Kreslac montra Lina du doigt en pointant sa profession qui selon lui la rendait coupable du vol du tubercule, et Zart souligna que c'était assez ironique venait d'un fleuriste et qu'il était donc à ses yeux autant coupable que Lina. Kreslac lui demanda gentiment d'aller se faire mettre et tout ceci partit rapidement en eau de boudin.

Siano s'était installé à la terrasse de son bar sous son parasol à rayures préféré. Les lunettes sur le bout de son nez, il se prépara à la nuée des mécontents venus des trois autres. Il savait bien qu'il en aurait moins, ses petits verres ronds lui avaient toujours porté préjudice. Tout ce qu'il espérait était de ne pas être trop cité parmi les coupables potentiels. Comme il l'avait prévu les témoins vinrent chez lui un peu plus tard et avaient déjà mangé pour la plupart. Goto le charpentier accusa Towa la cuisinière en affirmant qu'elle s'était certainement déjà servie de la patate pour une purée dans son petit restaurant le midi même, et Towa lui mit un poing bien senti dans la tronche. Le nez abîmé, Goto retira son témoignage et s'aligna sur elle à la place en dénonçant Lyz la boulangère qui, selon elle, ne s'était jamais vraiment remise de la perte des pommes de terre dont elle se servait beaucoup pour ses petits pains aux tubercules que tout le monde adorait. Les quelques autres qui suivaient derrière eux hochèrent la tête et validèrent la théorie de Towa. Ensuite Buzia accusa Tsoang, ancien prozanne installé à Wies depuis des années, en clamant à qui voulait bien l'entendre que c'était forcement un prozanne qui avait fait le coup. Drewo le maçon la taxa aussitôt de faux patriotisme en rappelant qu'elle était bien contente de trouver des prozannes pas encore lassés par sa publicité envahissante pour vendre ses figurines et ses jouets en bois. Buzia lui demanda gentiment d'aller se faire mettre et Drewo lui répondit que si quelqu'un devait aller se faire mettre ici, c'était elle. Le suivant ignora la bataille et accusa Ladek en disant qu'il avait pu la cacher sous sa grosse barbe. Sa fille Haja qui faisait le tour des attroupements de dépôt de témoignage lui donna un grand coup de pied dans les parties avant de lui cracher dessus, ce qui fut l'occasion pour d'autres de régler de vielles querelles. Siano cacha ses chaises à l'intérieur de son bar à bière et rangea son beau tournesol, puis se cala dans un coin pipe à la bouche en attendant que l'orage passe.

Plus la journée avançait, plus les accusations étaient basées sur de la fumée et ne ressemblaient plus qu'à des joutes plus ou moins verbales suivant ceux qui les engageaient. Les grands gagnants incontestés du concours des alignements d'opinion étant Towa et Kaez, l'une pour son score assez impressionnant de coups distribués et l'autre pour le simple fait d'être médecin, beaucoup se demandaient ce qui allait sortir de correct de tout ceci.

Ils surent quand les enquêtes de chacun étaient terminées lorsque Troje brailla dans son mégaphone, appelant à un rassemblement sur Druzy. Les trois maires faisaient face à la foule d'où se détachaient les quatre volontaires exténués qui s'étaient fait harcelés toute la journée. Ladek monta le premier sur l'escabeau et énonça un par un les coupables qui lui avaient été donné et les explications qui allaient avec. Gruska était chargée de noter tous les prénoms cités sauf quand ils étaient très nettement issu des batailles qui avaient eu lieu la journée, et d'y ajouter des petits traits s'ils étaient de nouveau dits. De nettes tendances se dégageaient du discours de Ladek, et elles se confirmèrent avec le bilan de Siano, de Lyz et de Zazka. La méthode de Towa avait mieux fonctionné que l'aura de sagesse de Kaez. Lyz était en tête de liste par le biais de sa vieille recette de pain au tubercule que Towa avait mis en avant avec des pains bien à elle, suivi de Tsoang dont l'origine prozanne avait tendance à rendre coupable d'office, et d'Ogrod qui intriguait et inquiétait toujours autant à vivre en ermite dans sa petite cabane. Ceux qui avaient accusé d'autres personnes que ces trois là et qui les estimaient bien moins coupables que celui qu'ils avaient dénoncé commencèrent à gueuler après les volontaires en disant que rien ne prouvait qu'ils n'avaient pas modifié les témoignages à leur guise. À la surprise de tout le monde, Malina hurla plus fort pour couvrir leur brouhaha et leur assura qu'elle avait été écouter chez les quatre concernés toute l'après-midi et qu'aucune des preuves qu'elle avait entendu là-bas n'avaient été déformée. Tout le monde se tut aussitôt tellement la chose était exceptionnelle, Malina œuvrant pour le silence étant une opposition pure et simple entre deux concepts incompatibles.

Gruska qui dirigeait le tribunal improvisé au milieu de Druzy en tant que représentante de l'amical religieux de la pomme-de-terre sacrée invita les accusés à faire face au troupeau de villageois. Lyz attacha vite fait ses longs cheveux bouclés pour être présentable mais ne put réprimer ses foncements de sourcils réguliers qui exprimaient son mécontentement. Tsoang trottina presque vers Gruska tant il était habitué à être désigné coupable dans n'importe quelle affaire juridique, et s'était amené un thermos de café et un plaid à rayures dans lequel il s'était déjà emmitouflé sachant très bien que les procédures avaient tendance à s'éterniser. Ogrod en revanche, n'était pas là. Il faisait partie des rares villageois qui ne s'étaient pas mêlés de l'affaire, et le seul et l'unique qui n'était jamais venu à ces rassemblements populaires. Après un petit silence gêné, Lina se proposa pour aller le chercher. Malina approuva et elle s'éloigna de Druzy en courant, manquant à chaque foulée de perdre ses bottes en caoutchouc et son chapeau de paille, secoués par le vent. Elle contourna le lac à grandes enjambées et rejoignit la rive face au village, située à la lisière de la forêt, où vivait Ogrod replié sur lui même. Il péchait paisiblement devant sa cabane quand il la vit arriver et se referma comme une huître. La jardinière était la seule qu'il tolérait dans son périmètre mais il avait encore du mal avec ses allées venues.

- Ogrod je suis désolée, commença-elle en soufflant bruyamment, mais il va falloir que tu viennes sur Druzy.

- Cette histoire de patate ?

Lina hocha la tête tout en reprenant son souffle la main serrée sur son point de côté. Elle laissa son regard se perdre vers les poissons qu'il avait pêché et écarquilla les yeux d'admiration. Il y avait dans son seau ce qui semblaient les plus grosses bestioles du lac. Certains d'entre eux étaient des nuanciers de couleur vives qu'elle n'avait jamais trouvé sur la rive et mesurait jusqu'à trente centimètres de long.

- Belles prises ! C'est quoi comme poisson celui qui a le ventre qui brille ? demanda-t-elle en le montrant du doigt.

- C'est un Ryba, mais normalement ça ne brille pas.

Lina haussa un sourcil et se saisit du poisson encore frétillant. Elle eut de la peine pour lui que l'on avait sorti de son milieu de vie et qui agonisait, puis remarqua que la lumière ne venait que de l'estomac.

- Qu'est ce que ça mange les Rybas ?

- Un peu n'importe quoi.

- Vraiment n'importe quoi ?

Ogrod intrigué tourna la tête et observa le poisson à son tour. Il fit le même constat que Lina et celle ci s'exclama :

- J'espère que ce n'est pas ce que je crois...

- Ça ne m'étonnerait même pas.

Lina éclata de rire et manqua de lâcher le poisson mais le retint de justesse et proposa à Ogrod de l'éventrer sur Druzy, ce qui aurait le mérite de donner un petit air de spectacle à sa défense, même si elle tournait au ridicule si jamais le poisson n'avait fait qu'avaler une lampe de poche. Ogrod se souvint à contre cœur qu'il avait été mêlé malgré lui aux affaires du village et rentra sa tête entre ses épaules. Lina insista, lui disant qu'ils n'en avaient que pour quelques minutes et qu'il fallait bien qu'il se défende un peu et il finit par céder les poings serrés. Elle glissa le poisson désormais mort dans la grande poche qu'elle s'était cousu sur son t-shirt et ne put s'empêcher de rire en courant dans l'autre sens. Ogrod peina à la suivre mais ils arrivèrent finalement sur Druzy où les villageois commençaient à s'impatienter. Troje hurla « Le voilà ! » dans son mégaphone et l'ermite prit place aux côté des deux autres accusés. Lina garda le poisson pour l'effet de surprise et Lyz commença son plaidoyer qui était surtout basé sur l'embrigadement agressif de Towa des votant indécis. Elle se défendit également de ses accusations en lançant des pains aux carottes et aux poireaux sur le public tout en déclarant qu'elle avait certes perdu ses possibilités de recettes aux tubercules, mais que les nouvelles cultures lui en permettaient bien plus. Towa se retint de casser d'autres nez et Frez invita Tsoang à se défendre à son tour. L'ex prozanne ayant bien roulé sa bosse, il cita toutes ses activités de la veille de la nuit, donnant la paroles à ses voisins les plus proches qui ne purent qu’acquiescer ses dires tant ils étaient précis et infaillibles, et finit en disant qu'avec tout ceci, il lui aurait fallut une machine à arrêter le temps pour voler la patate sacrée.

Puis vint le tour d'Ogrod. Lina ne put s'empêcher de s'écrouler de rire en lui lançant le Ryba fraîchement pêché devant le regard médusé de ses compatriotes. Un couteau fut accordé à l'accusé qui coupa le poisson au niveau de l'estomac. Lui qui n'avait pas peur se mettre un peu les mains dans le cambouis il le retira du cadavre de la bête en ignorant les grognements de dégoût des habitants de Wies et exposa à tous ce qu'il restait de la nourriture digérée par le Ryba. Si certains s'étaient mit à rire avec Lina, les autres avaient encore du mal à intégrer ce qui leur était montré.

- Voilà où elle est votre patate sacrée, déclara Ogrod sur un ton solennelle, bouffée par un poisson.

Les membres de l'amical religieux de la pomme-de-terre sacrée s’effondrèrent en pleurs devant le cadavre du poisson où avait été déchiqueté le plus grand de leur trésor, la relique ultime, le tubercule éternel. Les autres villageois étaient partagés entre le rire, nerveux ou non, la non réaction ou la grande tristesse pour la perte de leur plus grande fierté. Troje annonça la fin du procès et chacun rentra chez lui, épuisé par la journée et la tête vidée par la conclusion de tout ceci.

Ogrod offrit la carcasse du poisson à l'ARPS puis s'en retourna dans sa cabane. Ainsi Wies vit ce jour là la mort d'un culte et la naissance d'un autre, où la pomme-de-terre-éternelle-gobée-par-un-poisson resterait dans les mémoires de tous et où la carcasse pourrissante d'un Ryba fut priée à la place d'un tubercule.

 

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Eresia
Posté le 08/09/2018
Mais quelle histoire merveilleuse que voilà !
Déjà, je suis hyper fan du concept de la patate-sacrée. ♥
Ensuite, les réactions des villageois sont hyper juste. J'aime beaucoup cette idée de "pas-comme-nous" et "viennent-pas-d'ici", c'est criant de vérité (malheureusement).
Bref, voilà un joli texte que j'ai pris plaisir à lire et je t'en remercie.
À bientôt ! 
Lyrou
Posté le 08/09/2018
Ooh merci beaucoup Eresia!
Oui c'est vrai que bien que ce soit très caricaturé ici, beaucoup fonctionne sur le principe du "pascommenous" et c'est bien triste
Je suis content que tu aies passé un bon moment de lecture dans tous les cas < 3
à bientôt! 
Jamreo
Posté le 08/09/2018
Hello Lyrou,
C'est bien vu cette histoire :p tout le monde accuse tout le monde, on s'échauffe, et on ne manque pas d'accuser les étrangers. Finalement c'était juste un poisson ! J'ai commencé à le soupçonner quand tu as décrit ce poisson plus lumineux que d'habitude, je me suis dit ah, y a de la sainteté dans l'air ;) bien joué ! 
Lyrou
Posté le 08/09/2018
Hello Jam!
Bien vu pour le poisson en effet ehe : P Merci pour ton commentaire jamou!
Isapass
Posté le 07/09/2018
J'ai passé un bon moment en lisant les inepties inventées par les villageois pour s'accuser mutuellement.
Certaines phrases gagneraient peut-être à être un peu simplifiées, mais d'un autre côté, leur longueur et leur complexité ajoutent à l'embrouillamini de la situation, donc à voir.
Ton histoire m'a un peu rappelé le Bal aveugle de Jowie, qui parle aussi d'un village et des solutions abracadabrantes imaginées par ses habitants pour remédier à une situation qui n'a aucun rapport.
A+ 
Lyrou
Posté le 07/09/2018
Coucou isa!
Je suis ravi que tu aies passé un bon moment de lecture (malgré les longues phrase ah, c'est vrai que j'ai tendance à ne pas mettre de virgules là où parfois il en faudrait, je ferai une nouvelle relecture pour essayer d'améliorer ça)
C'est vrai qu'en lisant le Bal Aveugle je m'étais demandé si mon histoire n'était pas trop similaire pour valoir le coup mais au final eh pas tant donc ça va, puis c'est une comparaison flatteuse alors je prends : P
A plouf!
GueuleDeLoup
Posté le 05/09/2018
Mon DieuLyrou! C'est une histoire de toute beauté!!!
Merci pour ce bon fou-rire sur le lieux même où j'exerce ma profession <3. C'était une nouvelle très cool et très drôle! Félicitation!!!
 
Loupette
Lyrou
Posté le 05/09/2018
Heyhey!
Ravi davoir pu te faire rire uhu merci beaucoup pour ton commentaire loulou ça fait plaisir à lire <3
Elia
Posté le 03/09/2018
Hey !
Eh bien j'ai adoré ton texte xD malgré quelques coquilles (et des répétitions, comme "bien senti"). J'ai bien aimé le côté absurde et humoristique, même si dans le fond, la justice populaire avec des preuves fumeuses et des accusations tout aussi bizarres ont tendance à me glacer le sang (Brrrr les chasses aux sorcières) 
 Ton texte se lit tout seule et j'ai beaucoup aimé le fin mot de l'histoire :p
Lyrou
Posté le 03/09/2018
Hey!
Je suis content que ça t'ai plu! Oui c'est vrai que dans un contexte moins absurde et avec des enjeux plus important ce genre de tribunal serait moins propice à la blague...
Merci pour ton commentaire! 
Cliene
Posté le 03/09/2018
Coucou Lyrou !
La photo choisie pour représenter ta fiction sur la plateforme du Plumest Show était suffisament intriguante pour qu'elle me pousse à venir faire un tour par ici.
Je ne suis pas déçue du voyage ! Ta nouvelle est très drôle et j'ai particulièrement aimé les moments où ils s'accusent tous les uns les autres avec de magnifiques explications XD !
Une belle retranscription de notre société actuelle sous certains aspects !
Quelques petites choses notées au fil de ma lecture :
- Niché au creux de la montagnes > montagne<br />
- L'origine de l'amical religieux de la pomme-de-terre sacrée pourrait sembler obscure à tous néophyte > tout<br />
-Elle toqua trois coups sec > secs<br />
- je suis sûr qu'ils nous en veulent par ce qu'on refuse leur argent ! > parce qu'on (parce que est écrit à plusieurs reprises de cette façon, est-ce volontaire ?)
- Troje, toujours munit de son mégaphone, > muni<br />
- le coupable et parmi nous ! > est<br />
- un « LA FERME ! » bien sentit dans son mégaphone > senti<br />
-  Ladek le fermier trapu et sa grosse barbe dans la quelle un oiseau pourrait faire son nid > laquelle<br />
- sa silhouette élancée qui faisait bien deux têtes de plus que la moité du village > moitié<br />
- quelqu'un qui mangeait ses crottes de nez en publique avait forcement un lien avec le diable > public<br />
- c'était facile d'accuser les gens quand on peut s'assurer du soutient, > soutien<br />
- et elles se confirmèrent avec la bilan de Siano > le
- dans n'importe qu'elle affaire juridique > quelle<br />
- qu'il fallait bien qu'ils se défende un peu > défendent<br />
- Elle se défendit également de ses accusations en lançant des pains aux carottes et aux poireau sur le publique > poireaux / public
Au plaisir de te croiser par ici ou sur le forum !
Cliène
Lyrou
Posté le 03/09/2018
Hey Cliène!
C'est vrai que cette photo a été particulièrement bien choisie par nos admins adorées, et je suis content que la nouvelle soit à la hauteur de ce que l'image promet aha
Merci beaucoup pour le relevé de coquillettes que voilà corrigées, et pour ton commentaires! 
Rimeko
Posté le 29/08/2018
Coucou Lyrou ! (ça rime tiens XD)
J’avais zappé la publication de cette histoire, alors j’ai été un peu surprise d’en entendre parler avec le Plumest Show… ça a été une chouette découverte !
 
Quelques coquillettes :<br />
"où rayonnait de miles (mille) feux l'objet du culte"<br />
"L'origine de l'amical religieux de la pomme-de-terre sacrée pourrait sembler obscure à tous (tout) néophyte"<br />
"Gruska déboula sur Druzy où elle manqua de percuter la fontaine à l’effigie du premier constructeur d'une identité villageoise à travers l'élaboration d'un petit drapeau pour ces citoyens abandonnés par le dehors de la montagne" Ça manque de virgule cette phrase ^^<br />
"Les tâches de rousseur recouvrant les trois quart(s) de son visage"<br />
"Elle toqua trois coups sec(s)"<br />
"Bientôt tout le village fut réunit (réuni) sur Druzy, c'est à dire pas grand monde en fin de compte"<br />
"le coupable e(s)t parmi nous !" <br />
"Ladek le fermier trapu et sa grosse barbe dans la quelle (laquelle) un oiseau pourrait faire son nid"<br />
"quelqu'un qui mangeait ses crottes de nez en publique (public)"<br />
"d'y ajouter des petits traits si ils (s'ils) étaient de nouveau dits"<br />
"qui les estimaient bien moins coupable(s) que celui qu'ils avaient dénoncé"<br />
"qu'aucunes (aucune) des preuves qu'elle avait entendu(es) là(-)bas n'avaient (avait) été déformées (déformée)"<br />
"Il y a avait (un verbe de trop) dans son seau ce qui semblaient (être) les plus grosses bestioles du lac."
 
C’était vraiment super ! J’adore la manière d’où tu nous croques aussi rapidement un village entier, ses habitudes, ses particularités et ses rancunes… Cette galerie de personnage était vraiment géniale, et très bien menée, puisqu’on ne s’ennuie pas, on ne s’embrouille pas (trop), et on rit pas mal XD
La fin m’a spécialement plu, avec cette patate sacrée avalée par un poisson dont le cadavre (puant, j’imagine, hein ?) est ensuite vénéré… Débile et absurde à souhait XD
Lyrou
Posté le 29/08/2018
Hey Rim!
Merci beaucoup pour le relevé de coquillettes, les voilà corrigées
Quant à l'histoire je suis ravi que ça t'ai plu! le poisson en décomposition doit être assez puant en effet aha