Chapitre VII

Par Fidelis

Le regard mauvais, mais satisfait de son effet, elle distribua les rôles.

— Corkos avec moi on va faire une reconnaissance du périmètre, y a quelque chose de pas normal ici, Scalp tu sors un écho et tu me fais une topographie de l’endroit, Exécution !

Le vautour les observa s’éloigner en même temps qu’il fouillait dans son sac.

Tous les corps solides possédaient un point de résonance. Si on trouvait la bonne fréquence en projetant une onde sur sa surface, on pouvait dans un lieu clos entretenir un rebond à l’infini. Jusqu’à dessiner l’intérieur de sa structure en trois dimensions.

Il paramétra d’abord les caractéristiques de la matière pour interagir avec le relief environnant avant de démarrer la simulation. Jeu de billard invisible, les bandes s’effectuaient à très grande vitesse et lui firent apparaître un schéma plutôt inattendu. Pas satisfait, il annula la partie pour mieux ajuster les données initiales et relança un écho.

Le même dessin se profila et le laissa perplexe, quelque chose lui échappait.

Peu de temps après, le binôme revint. Il en était à la cinquième simulation et vu la tronche qu’ils tiraient, pensa-t-il, ils devaient aussi se poser des questions.

Il demanda curieux.

— Alors vous avez trouvé une issue ?

Le troll haussa les épaules et l’elfe afficha une moue incertaine.

— C’est difficile à dire, il semblerait qu’on se situe au sommet d’un dôme immense, qui n’est pas relié aux parois qui l’entourent. Ensuite la pente s’accentue et au bout d’un moment il devient impossible d’aller plus loin.

Scalp oscilla de la tête et confirma leur impression.

— C’est normal, nous ne sommes pas sur un dôme.

Il tourna l’écran de son deck dans leur direction.

— Mais sur une sphère.

Nuissandre et Corkos froncèrent les sourcils ensemble quand ils découvrirent la figure qui se traduisait après l’infinité des rebonds de l’écho.

Une sphère parfaite flottait au milieu d’une pièce carrée sans que rien ne relie l’une à l’autre.

La lieutenante, loin d’être inquiète par cette manifestation contre nature, afficha un léger sourire en coin avant de lâcher, satisfaite.

— Le centre avait raison, il y a bien une IA en activité. On est sur la bonne voie, il ne nous reste plus qu’à y pénétrer.

Réflexion qui laissa le troll indifférent. À l’inverse, elle déclencha chez le vautour une alarme au fond de son crâne. Quelle IA, même la plus puissante qui soit, pouvait réaliser pareil prodige ?

Pour s’y introduire, ils adoptèrent la manière douce. Puisqu’il existait une trappe qui menait sur la partie supérieure, Nuissandre en avait déduit qu’il devait aussi avoir une issue pour y entrer. Ils se mirent donc tous à ratisser sa surface, centimètre par centimètre pour la dénicher. Ce fut Scalp qui la trouva, elle était plus imposante que la première et possédait le même symbole affiché dessus. Symbole dont il n’arrivait toujours pas à se souvenir l’origine.

Ils se réunir à trois pour la faire basculer sur le côté. Quand elle retomba sur le béton, le bruit sourd envahit l’espace pour résonner à l’infini comme l’écho créé par le vautour pour sonder.

La largeur du couvercle s’expliquait par le fait qu’un escalier s’y cachait, signe qu’ils allaient pénétrer dans une partie potentiellement habitée. Ils s’équipèrent en silence, Nuissandre jeta un coup d’œil au chrono déclenché à la sortie de l’enceinte du secteur. Il affichait douze cycles, ce qui leur laissait encore une bonne marge de manœuvre pour progresser.

L’escouade se mit en mouvement, sans un bruit. Sur les murs des néons hors d’âge diffusaient une lumière lavasse, ou clignotaient pour signifier une fin proche. Premier palier, une vaste salle s’ouvrait à eux. Sans se concerter, ils actionnèrent le mode furtivité, leur silhouette se dilua dans une modulation visuelle rapide. Leurs armes braquaient en direction d’un ennemi invisible, ils scrutaient les lieux avec minutie.

Le site était désert.

Vestige du passé l’endroit était totalement à l’abandon. Mal éclairé, il hébergeait une série de consoles qui semblaient en relation avec des caissons aux parois transparentes. Chrysalides brisées dont la vie qu’elles abritaient s’été depuis longtemps envolé.

Le détecteur de mouvement muet, l’elfe donna les ordres.

— On se sépare on ratisse la zone, la priorité, trouver une entrer pour infiltrer leur IA.

Le vautour s’accroupit pour planquer un espion, et l’escouade se dispersa.

Ils inspectèrent avec minutie le décor plongé dans le passé. La partie près des escaliers semblait plus ancienne. En s’approchant des portes, ils découvrirent des caissons contenant encore une saumure verdâtre, cette même saumure aperçue par Corkos dans le labyrinthe sous le secteur un. Le troll venait d’y songer et se figea face à l’un d’eux. Non seulement il y avait du liquide, mais aussi un magma de chair qui paraissait avoir subi des mutations.

Il les informa au micro.

— Arrivez, y a un truc bizarre ici, peut-être l’un de vous pourra nous dire de quoi il s'agit.

Quand son regard réussit à s’en détacher, il leva les yeux pour en découvrir d’autres, qui laissaient apparaître des bouts d’anatomie humaine comme mal assemblé. Ils flottaient immobiles dans les caissons intacts, mais privés de toute fonctionnalité.

Le vautour leur lança sur le chemin.

— Aucune source d’énergie, tout est mort, si les néons éclairent encore c’est parce qu’ils sont autonomes, j’peux rien faire.

Quand ils arrivèrent près du troll, Scalp afficha une grimace et l’elfe fronça les sourcils avant de prendre la parole.

— Je connais ces trucs se sont des caissons de remodélisations moléculaires utilisés pour réformer les corps à des taches nouvelles en modifiant leur anatomie, très efficace pour alimenter le front de taille. Le problème c’est qu’une fois réajusté le sujet à un avenir très limité avant de se détériorer, pour sombrer dans une anarchie reconstructive, le projet avait été interdit.

Corkos émit un râle.

— Non j’ai découvert un lieu identique en fonctionnement dans les sous-sols du secteur. Je chassais un ramasse merde pour le compte d’un consortium, et j’ai fini par le retrouver dans l’un d’entre eux, le caisson était actif.

L’elfe haussa les épaules.

— Ils ont peut-être amélioré le procédé, dans tous les cas on s’en balance, il n’y a rien pour nous ici.

Corkos avait du mal à accepter la coïncidence, puis les impératifs de la mission reprirent le dessus et il suivit les autres vers le fond de la pièce.

Un monte-charge à la cloison coulissante entrebâillée occupait une grande partie du mur, avec à côté une porte simple et une cage d’escalier. Dans le souci de bien faire, Scalp arracha son tableau de commande, tira des fils pour les contrôler avant de tout laisser en plan.

Tous comprirent qu’il leur faudrait s’approcher du cœur de la sphère, et descendirent les marches sans un mot en ordre de progression.

Les étages défilaient, avec toujours le même spectacle à l’intérieur. Des séries de caissons hors d’usage, aucune activité récente ni source d’alimentation potentielle à utiliser. Une certaine lassitude les envahit. Un doute s’immisçait, et s’ils s’étaient trompés sur la nature de l’endroit, et pourtant, il devait bien y avoir un système qui fonctionnait encore pour maintenir la structure en lévitation.

Comme pour le test du vautour, ils comprirent bientôt que les premières questions n’étaient faites que pour distraire l’attention du sujet.

Huitième palier en descente verticale. L’absence de toute vie avait diminué leur méfiance. Prêts à traverser un nouveau lieu de stockage inanimé, ils déboulèrent sans prévenir dans un endroit beaucoup plus grand et surtout beaucoup plus éclairé.

Une lumière vive les stoppa, leur faisant dresser par réflexe leur avant-bras pour protéger leurs yeux, et leur laisser le temps de régler leur lunette de perception. S’en suivit un silence évocateur du trouble qui les envahissait.

Scalp fut le premier à s’exprimer, en déclarant plus à son intention.

— C’est quoi ce bordel, on est où là ?

Il tourna sa tête pour savoir si les autres discernaient la même chose que lui, sans lâcher son fusil.

Ici, plus de caissons hors d’âge, l’endroit faisait la taille d’un hangar, l’éclairage fonctionnait très bien et surtout, ils avaient tous reconnu le lieu, puisqu’il s’agissait du centre expéditionnaire.

Ils restèrent figés un court instant, avant de reprendre leur réflexe.

— Le détecteur de mouvement est muet, déclara Corkos pour briser ce silence trop pesant.

Le hall immense qui d’habitude grouillait de vie était désert, sans personnel ni véhicule, seuls des papiers traînaient sur le sol, abandonnés à la va-vite comme après un départ précipité.

Nuissandre accusait mal le coup, elle réalisa son imprudence en sous-estimant l’IA de la sphère.

— On reste calme, que tout le monde garde son sang-froid, il doit s’agir d’une simulation un hologramme.

Remarque qui ne satisfaisait pas le vautour.

— Et comment l’aurait-elle imaginé cet hologramme, sur quelle base de données ?

La voix manquait d’assurance, mais tous se posaient pourtant cette même question. Pour éviter de les laisser réfléchir à cette incohérence, l’elfe leur distribua des ordres clairs sur lesquels ils pouvaient s’appuyer.

— On reste concentré, on ratisse la zone, on repère toutes les issues, Scalp trouve nous une entrée au réseau, et on fait le point dans 15 mc, Exécution !

Ils se dispersèrent en silence. Nuissandre voulait s’assurer d’une chose, et préféra anticiper la prochaine déconvenue seule. Elle se dirigea d’un pas rapide vers les box, son fusil toujours à l’épaule, découvrit l’alignement de portes, toutes vierges de référence sauf une, dont l’inscription lui fit augmenter son rythme cardiaque, Mission 4. 779 — S, la leur.

Elle arracha la bande adhésive pour la glisser dans sa veste et balança un coup de pied rageur qui l’envoya claquer contre le mur. L’intérieur était identique comme tout le reste. Elle s’approcha à pas lent vers les tables, son cœur battait de plus en plus vite, une angoisse sourde commença à l’étreindre, alimentait par la crainte de ce qu’elle allait trouver.

Son regard se posa sur la surface des seuls meubles qui l’occupait, et aperçut le plan, son plan qu’elle avait utilisé lors du briefing avant de partir. Sidérée, elle glissa son fusil en bandoulière derrière son dos et s’en saisit.

Tout y était notifié dans les moindres détails, comme dans l’original.

Le message était clair, l’IA les saluait à sa manière.

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