Le lendemain commence donc mon entrainent à proprement parler.
Après un copieux petit déjeuner, nous nous rendons à nouveau dans la clairière. Seylla m’explique que c’est ici qu’auront lieu toutes nos séances, au motif qu’il est, je cite : “tout bonnement hors de question que tu fasses s’écrouler ma maison”. Tout outrage mis à part, l’initiative me conviens très bien. J’ai beau me poser là dans le genre casanier j’ai moi aussi mes limites, et après toutes ces nuits d’introspections tumultueuses je suis en passe d’en devenir phobique.
"Depuis que nous sommes ici, remarque-t-elle une fois nos séants posés sur l’herbe soyeuse, je t’ai vu régulièrement lire l’ouvrage que je t’ai donné, c’est très bien. Tu as dû y apprendre qu’il existait bon nombre de créatures capables d’utiliser la magie.
—Oui, il y a les Vampires, les Métamorphes, mais aussi nous les Magisters. (Je sens mon sourire s’étirer de plus en plus au souvenir de toutes les merveilles que j’ai appris grâce à ce bouquin.) Ah ! Et aussi des Chamans et même des Nécromanciens[em1] [YZ2] ! Et dire que de tels êtres existent c’est…
—Fantastique, n’est-ce pas ?, se rengorge-t-elle.
—Je dirais même plus, démentiel !”, je m’exclame en tapant dans mes mains. Quoique ces derniers doivent s’ennuyer à la longue non ? Déjà que ça ne m’étonnerait pas que les Vampire deviennent suicidaires au bout de quelques siècles, si en plus on ne peut pas mourir...
—Eh bien eh bien, voilà que le lyriste de minuit s’est emparé de ta retenue en acier trempé maintenant. A ce rythme, tu vas te mettre à genoux devant les vestiges de nos anciennes divinités avant la fin du mois !
—Je suis vexé, m’indigne-je. Dans les plus anciennes cultures, les dogmes polythéistes étaient le plus souvent des moyens détournés pour les puissants d’assoir leur autorité envers des peuples qui courbaient l’échine soit par ignorance, soit par intérêt.
—Tu es bien au courant qu’il fut un temps où on t’aurait coupé la tête pour les mots que tu viens de prononcer ?, me signale-t-elle les sourcils plus hauts que jamais sur son visage surpris. Tu ne sais rien des coutumes Faë, comment peux-tu tenir un tel discours sans ciller ?
—Parce que je ne dis pas qu’y croire est une erreur, mais que dès le départ il est insensé de penser que des divinités qui nous auraient accorder des dons de métamorphose, la maîtrise des éléments ou rien que l’immortalité aient besoin de statuts pour exercer leur influence. Même s’il est vrai que je ne connais pas les règles de la magie, pour qu’une telle situation soit crédible la seule explication serait que…"
Un glas sonore résonne tout-à-coup dans la clairière. Un son à la fois tellement proche et réverbéré que le parfait silence auquel il laisse immédiatement place en est dérangeant. Mes yeux éberlués trouvent immédiatement mon guide dont les mains sont soudées l’une à l’autre.
"C’est vous qui avez…
—J’ai déjà lu ce livre des centaines de fois jeune homme, je le connais par cœur et nous avons une journée trop chargée pour tes discours faussement subversifs d’ignorant, alors calme tes ardeurs et concentre-toi ! me sermonne-t-elle avec un sourire un peu trop grand.
Je prends soudain conscience de mon monumental manque de tact et mes mains se mettent à faire des vas-et-viens frénétiques comme pour effacer ma terrible gaucherie. Idiot ! Qui sait si Seylla ne prie pas elle-même lesdites divinités anciennes ? Elle avait bien dit "nos divinités" après tout !
—Oh, mon Dieu, pardon, je suis vraiment navré, je ne voulais pas, balbutie-je terriblement gêné.
—Et donc, fait-elle, droite comme la justice et en m’ignorant royalement toutes les créatures que tu viens de citer, les Métamorphes exceptés, ont un point commun qui les rassemble dans une seule catégorie de Faës : la faculté d’user surtout de la magie qui les habite. Cela en fait des Magisters. À contrario, une autre classe dont font cette fois partie les Métamorphes ainsi que des êtres comme les Druides, par exemple ; regroupe des êtres capables d’user en majeure partie de la magie qui les entoure. On les appelle les Alves.
—A-Attendez, finis-je par me résigner, je croyais que les Magisters c’était nous, en-enfin, les Sorciers-.
—Et bien, là aussi tu croyais mal, pour changer. Les Magisters sont une classe entière de Surnaturels, mais par abus de langage, les Sorciers se qualifient eux-mêmes ainsi, principalement parce que "Magister" vient du latin "Mage", et que ce terme est beaucoup moins mal connoté que "Sorcier".
—Oh, je vois… Mais donc, cela veut dire que les Vampires et... nous, sommes pareils ?
—Fondamentalement oui, répond-t-elle avec sérieux.
En évoquant les Vampires, je ne peux m’empêcher de penser à... Mes yeux se perdent dans le vague alors que je revois des flashs de Lui[em3] [YZ4] , de ses crocs contre ma jugulaire, de ses yeux sanglants, de la lune de sang. Je sens une main sur mon épaule, et tourne vivement la tête vers mon mentor. Toute trace de raideur en a disparu.
—Tu veux en parler Adam ?[em5] [YZ6] ”
Non, je ne veux pas[em7] . Je sais que je peux dire beaucoup à Seylla, elle a toujours su m’écouter avec attention et répondre à nombre de mes questions, ce qui est bien rare. Mais j’ignore pourquoi, j’ai aussi la certitude qu’elle ne pourra – ou ne voudra - pas répondre à celle que je me pose maintenant : qu’est-ce qui a pris à cet idiot ce jour-là ?
Je sais pertinemment que les vampires se nourrissent de sang, mais d’après le codex, ils peuvent apprendre à gérer leur soif avec le temps. Or, de ce qu’a laissé filtrer Seylla, cette créature était à Renacimiento bien avant qu’elle n’y mette les pieds elle, autant dire depuis des lustres. De plus, depuis le premier jour j’ai la certitude que Seylla est bieeennn plus âgée que ne le laisse deviner son apparence de cinquantenaire remarquablement conservée.
Ce qui me fait dire que mon fantasme vivant dégénéré a eu largement le temps de passer maître dans l’art de la retenue. D’autant plus que, s’il avait choisi le côté obscur de la Force, il n’aurait en toute logique pas pu s’empêcher de me tomber dessus à la première occasion. Il n’aurait pas pris le temps de soigner son entrée à ce point.
Et donc, si je vois juste, il n’aurait pas dû avoir la moindre difficulté à se maîtriser. Pourtant, on ne peut pas dire qu’il se soit montré des plus brillants il y a un mois de ça.
Un mois... Comme l’avait supposé Seylla, il n’était pas revenu, pas même dans mes rêves. Je devrais m’en réjouir mais...je ne sais pas... Je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’il fait en ce moment.
Les claquements de doigts de Seylla sous mon nez me ramènent d’un coup à la réalité, j’ai instinctivement louché pour les voir, et maintenant je papillonne des yeux en éloignant ma tête.
“Qu-quoi ?
—Hallelujah ! fait-elle agacée. Vas-tu te décider à me dire ce qui te triture l’esprit à ce point ?
—Hein ? Quel point ? Mais rien ne me triture l’esprit rassurez-vous ! je bredouille lamentablement. Elle m’a pris au dépourvu. Je déteste qu’on me prenne au dépourvu !
—Bon, si tu veux. Nous pouvons donc enfin nous mettre au travail alors. Allez, dos droit et en tailleur.
—Cheffe, oui Cheffe ! dis-je en m’exécutant après une parodie de salut militaire.
—Repos, soldat. Vous avez une mission à accomplir et vous devez, pour cela, être parfaitement calme et détendu.” Me répond-t-elle sur le même ton, à mon grand soulagement
“Bien Adam. Respire à fond, détend ton corps et ton esprit, déleste-le de toutes tes questions et tous tes tracas. Tous ne sont que des poids morts à cet instant précis. Laisse-le vagabonder sans le brider.”
Je m’efforce de ne plus porter attention qu’à sa voix devenue calme et profonde. Dans un premier temps, je m’imagine ces poids sur mon dos et, un à un, les laisses tomber de mes épaules. Mon empressement à vouloir tout voir, tous savoir sur la magie tombe à mes pieds. Mon dépit, ma rage et ma peine de toutes ces années passées sans cette partie de moi qu’on m’a interdite volent en éclats. Les éternels questions : pourquoi ? Pourquoi ça, pourquoi moi ? Et maintenant, d’où me vient ce don sombrent dans le néant.
Je me sens alors plus léger, libre... Mais j’ai mal au dos. Et puis mon nez gratte, et mon petit orteil aussi, et j’ai envie de tousser et-.
“J’y arrive pas., grommelle-je.
—Recommence et sois patient, tu étais très bien parti.
—Je suis obligé d’être en tailleur, dites ?
Elle me répond en haussant ls épaules :
—Pas spécialement. C’est couramment ainsi que se pratique la méditation, mais en fin de compte mais il faut te mettre dans la position qui te convient le mieux.
—Pourquoi ne l’avez-vous pas dit plutôt, lui reproche-je en m’allongeant sur le tapis de verdure.
—Parce que contrairement à certains, il n’est pas dans mes habitudes de présumer de ce que j’ignore."
Aïe. Je ne saurai dire que je ne m’y attendais pas, à celle-là.
J’entends Seylla glousser à ma gauche.
—N’oublies pas que le but de la manœuvre est avant tout de méditer, pas de ronfler.
—Vous dites que je dois être détendu, je ne suis détendu que quand je mange ou que je glande, et c’est le privilège des dames de savoir faire deux choses en même temps.”
Ma réponse n’a été qu’un murmure entre mes lèvres et celle de mon guide se perd dans le vent. Car alors que mon corps est au sol, mon esprit, lui, est déjà haut dans les nuages...
Je sens dans mes cheveux les murmures d’une douce et fraiche brise. Sur la peau nue de mes bras, la caresse de l’herbe fraiche. Les senteurs boisées et florales de la nature autour de moi chatouillent mes narines. Les gazouillis de quelques oiseaux perchés sur les arbres voisins parviennent à mes oreilles en une myriade de mélodies cristalines.
Toutes ces odeurs, sons et sensations raisonnent en moi, comme si la forêt elle-même me murmurait le chemin vers les tréfonds de mon être. Je sens maintenant le sang qui court dans mes veines, les mouvements de l’air dans mes poumons, les battements sereins de mon cœur...
Instinctivement, je me concentre dessus et ils prennent de l’ampleur à mes oreilles. Je sens ma peau s’humecter et des gouttes de sueur se former sur mon épiderme. La température de mon corps augmente progressivement, alors que les pulsations me parviennent maintenant comme mon cœur battait dans mes oreilles.
J'ouvre lentement les yeux. Je suis sur un chemin de pierre qui flotte...dans le vide ?!
Bon et ben... plus qu’à espérer que ça tienne hein.
Ce serait bête en effet, de mourir d’une chute libre de... je ne sais où. Seul le vide s’offre à mon regard, en contrebas. Un vide parcouru de reflets vermeils. Je ne ressens ni peur ni angoisse cependant, aucune émotion. Rien. Comme si je percevais tout ce qui se trouvait devant à travers un voile. En suivant les reflets mouvants, je remarque qu’ils forment une sorte de sphère autour de moi.
J'avance le long du chemin de blocs anthracites. Au loin, se dessine une sorte de... porte ? Oui c’est bien une porte. Une haute et lourde porte à double battants. Les reflets métalliques de sa surface couleur de ténèbres me font penser à quelque chose, sans pour autant que je parvienne à mettre le doigt dessus.
Mon regard remonte vers le haut de la porte, elle est couverte d’arabesques et de lignes courbes comme tracées de lumière liquide. La douce lueur blanche qui s’en échappe paraît pulser sur le métal obscur. On dirait presque les veines s’un organisme vivant... La lumière est plus intense au niveau de l’arc brisé que forme le sommet de la structure.
Tout droit sortie de la période gothique du Moyen-Âge, la Dame.
Mes mains se posent machinalement sur chacun des battants tandis que mes yeux redescendent en suivant les lignes lumineuses. Cette lumière... elle m’appelle...
Faisant fi du froid glacial du métal contre mes paumes, je me mets alors à pousser du plus fort que je peux. Un vent se lève soudain des abysses sous mes pieds en bourrasques violentes, et des vapeurs de ténèbres commencent à s’échapper du métal autour de mes paumes. Métal qui, d’ailleurs, commence à se ramollir ?!
Mes priorités s’inversent en un éclair et, ni une ni deux, je t’ente de m’extirper de cette espèce de… truc dégoutant avec une vigueur encore plus vive. Mais entre la force du vent contre moi et la roche diablement lisse, j’ai tôt fait de trébuche et finis un genou à terre.
Je suis en plus, pris de violents vertiges et de nausées. Je me sens de plus en plus faible et ai la nette sensation que malgré mon changement radical de plans, ces foutus battants sont bien décidés à me boulotter comme un spaghetti extra-long !
Alors que j’ai déjà perdu mes membres presque jusqu’aux épaules, que j’ai à peine la force de formuler des pensées cohérentes, mes yeux sur le point de se fermer sont happés par une des veines de lumière qui cours au milieu de toute cette obscurité devant moi. La lumière m’éblouit et dans un flash, je me souviens...
La volonté est la seule condition à remplir pour pratiquer notre magie.
Tels étaient les mots de...de...
C’est pas vraiment la question du moment ! A ce rythme, tu vas finir gobé par une espèce de porte ténébreuse anthropophage. ALORS BOUGES !
Après la claque que m’inflige ma conscience, tout va très vite : les lignes de lumières pulsent sur le métal noir, au cœur des ténèbres leur énergie frappe mes paumes et traverse mes bras engourdis, me faisant comme un électrochoc. Immédiatement, je sens le voile partir en fumée et une force nouvelle m’envahir. Je me relève et le pont de pierres tremble à l’instant où mon pied s’y pose. Du coin de l’œil, je vois la sphère se fêler.
Cette satanée porte peut tout me prendre. Tout : ma force vitale, mes bras, mon corps entier même. Mais je jure sur ma vie, qu’elle n’aura jamais ma volonté.
JAMAIS !
Les bourrasques de vents sous mes pieds s’intensifient mais je ne lâche rien. Je rassemblé cette nouvelle force qui m’habite et la propulse dans mes mains. Les ténèbres autour de mes mains éclatent et les arabesques de lumière vive se fissurent, gagnant du terrain dans un fracas métallique.
Dans le même temps, me esprit se fait plus clair, plus affuté et l’énergie en moi ne cesse d’augmenter. La lumière irradie et une réconfortante chaleur me parvient d’elle. J'ouvre alors totalement les vannes, laissent les flots de ce qui est en fait ma volonté brute se déverser contre les ténèbres opaques, achevant de les consumer.
Alors que le paysage autour de moi s’écroulent, que les blocs de pierres s’érodent les uns après les autres, je vois une forme se dessiner au cœur de la clarté pure. De longs cheveux flottants autour de courbes gracieuses.
Une femme.
Je ne peux rien voir d’autre d’elle, mais quand elle me tend la main, alors que la perdition est sur le point de m’emporter, je me mets à courir désespérément, horrifié par la simple idée qu’elle m’abandonne là. Mais à peine ne fais-je que quelques pas que mon enveloppe me lâche définitivement et que la lumière m’avale.
En un instant, je me retrouve au milieu d’un cratère carbonisé, dans une clairière verdoyante. Une femme aux yeux jades me fixe, l’inquiétude ébranlant ses traits fins. J’aimerais la rassurer, lui dire que tout va bien, mais je suis trop faible. Beaucoup trop faible.
Et la dernière chose que mes yeux parviennent à fixer avant que je ne sombre dans l’inconscience est un petit flacon de liquide bronze à moitié vide, renversé sur l’herbe.