Chapitre XIV : Embrasement

Notes de l’auteur : C'est un gros chapitre, mais qui comporte de nombreux événements importants et fait s'accélérer l'histoire.

Elinora était inquiète, elle ne cessait de tripoter entre ses doigts un petit rectangle de papier. Quelqu’un l’avait déposé sous la porte de son bureau durant la matinée alors qu’elle priait avec les autres sœurs. C’était un message de l’Ordre des Brûlés. Ils voulaient la revoir ce soir au même endroit que lors de leur dernière rencontre.

Cela tombait bien, elle aussi avait beaucoup de choses à leur dire. Elle s’en voulait terriblement du sort tragique qu’avait connu Piers et les cris de désespoir d’Anna venaient la hanter quasiment toutes les nuits. Bien qu’elle ait fait tout son possible pour l’accompagner dans son deuil, Elinora sentait bien qu’elle lui en voulait depuis la mort de son mari. Elle, qui était toujours joyeuse et joviale, avait désormais l’air terne, les yeux vides et ne souriait plus. Elinora avait même du mal à la regarder dans les yeux et elles s’évitaient autant que faire se peut. Les gardes de Dérios qui inspectèrent la maison en conclurent qu’il s’agissait d’un accident. Mais Elinora n’était pas dupe, elle était persuadée que quelqu’un avait découvert leur conspiration et s’en était pris à Piers pour le faire taire. Elle avait pris conscience qu'elle pouvait être la prochaine sur la liste et devait donc se montrer plus prudente si elle ne souhaitait pas connaître le même sort. Depuis plusieurs jours, elle se faisait la plus discrète possible afin de ne pas attirer l'attention sur elle tout en continuant à glaner des informations sur les Adorateurs. 

La journée s’écoula rapidement et Elinora ne pensa qu’à la rencontre du soir. Elle se remémora le visage à moitié calciné de la femme qui l’avait reçu et son air à la fois grave et prophétique en parlant d’Ignis et de la menace qu’il représentait pour la cité. Lorsque la nuit commença à tomber, elle ferma les portes du temple et se dirigea vers la même maison délabrée où s’était tenue leur première rencontre. Sur le trajet, elle jeta régulièrement des coups d’œil attentifs autour d’elle en s’assurant de ne pas être suivie.

Après quelques minutes de marche, elle arriva en vue de la bâtisse. Personne ne l’attendait devant l’entrée cette fois-ci, alors elle décida de pénétrer à l’intérieur. Au centre de la pièce vétuste et à peine éclairée, elle aperçut Lux assise autour de la même table que la dernière fois, qui patientait avec une dizaine de personnes. Elle portait de nouveau une large capuche cachant en partie son visage ainsi qu’une longue cape brune recouvrant son armure. Elinora fut moins surprise que la première fois quand elle croisa son regard, bien qu’un léger frisson la parcourra lorsqu’elle vit son œil gauche totalement vitreux.

— Il nous manque encore une personne et nous allons pouvoir commencer, dit-elle en lui faisant signe de s’asseoir.

Elinora prit place autour de la table et jeta un regard sur les autres individus présents. Au vu des regards perplexes, qu’ils échangeaient, la plupart d’entre eux n’avaient pas l’air d’avoir la moindre idée de ce qu’ils faisaient là. Elle fut toutefois surprise de reconnaître Balwin dans le groupe. Avec ses dernières déclarations, elle aurait pensé que le général ne voudrait plus s’en mêler.

Au bout de quelques minutes, Minos arriva dans la pièce.

— Tu es en retard, Minos, où étais-tu ? Demanda Lux.

— Excusez-moi, j’étais toujours en ville à la recherche des traces de Kléo, mais entre les gardes du roi et les Kléptars, j’ai eu quelques problèmes sur le trajet.

— Tu n’as pas été suivi, au moins ?

— Non, j’ai pris soin de changer mon itinéraire à plusieurs reprises.

— Bien, dans ce cas, nous allons pouvoir commencer, dit-elle pendant que Minos s’adossa contre un mur derrière elle. L’on vous a réuni ce soir, car vous faites partie de ceux qui ont répondu à l’appel et en qui l’on a totalement confiance. Même si certains restent sceptiques quant à notre cause, sachez que vous faites le bon choix.

En même temps, elle avait pointé Balwin du regard et le général se sentit obligé de répondre :

— Disons que je ne croyais pas à vos histoires jusqu'à ce que l'un de mes informateurs n'aperçoive Ignace dans une taverne de mauvaise renommée. Étonnant comportement pour un prêtre, d'autant que l'endroit est connu pour être un repaire des Kléptars. Cet homme était censé être des nôtres ce soir jusqu’à ce qu’on ne le retrouve il y a deux jours dans un puits, le visage entièrement brûlé. Je ne sais pas ce que ce fichu prêtre manigance, mais en complotant avec Lucio, il complote contre la couronne. Si votre ordre souhaite vraiment s’en débarrasser, alors je veux bien vous y aider. 

— Toute aide est bonne à prendre, vous vous rendrez vite compte de qui il est vraiment.

— Il n’y a personne hormis nous ? S’étonna une femme portant une tunique élégante. De par sa posture et ses manières, Elinora se dit qu’elle devait être une riche marchande ou appartenir à la noblesse de la cité.

— Malheureusement, cette broche n’a plus autant d’importance qu’elle en avait auparavant, expliqua Lux en posant la sienne sur la table. Peu de gens sont prêts à s’engager pour une cause qu’ils trouvent vaine et beaucoup de ces emblèmes ont été rachetés par des personnes qui n’en connaissaient pas le véritable sens. Certains Adorateurs du Brasier s’en sont également procuré pour essayer de nous duper, c’est pourquoi il faut nous montrer extrêmement vigilants lorsque nous organisons ces rassemblements.

— Nous ne sommes pas tous seuls, ajouta Minos en se redressant. Nous avons un camp pas très loin de Dérios avec une centaine d’hommes et de femmes prêts à se battre. D’autres sont en train d’arpenter les terres de l’Est en ce moment même en essayant de regrouper le restant de nos forces. Ils ont commencé la traversée les dents de Vel pour nous rejoindre. Dès leur arrivée, il nous faudra passer à l’action.

— En effet, reprit Lux, chaque jour qui passe permet à Ignis de renforcer son emprise sur les Adorateurs. Il disposera bientôt d’une armée de fanatiques prêts à se sacrifier pour sa cause. Une fois qu’il aura fini d’étendre son pouvoir sur les Adorateurs puis sur la couronne, alors il incendiera la cité, massacrant tous ses habitants.

Elinora pensa au discours de Piers sur les comportements des nouveaux Adorateurs du Brasier. Et il est vrai qu’elle avait souvent vu Ignace traîner avec Daélia dans les jardins du palais. Une seule chose la dérangeait, Piers lui avait dit que les nouveaux prêtres arrivaient de Spyr donc s’il devait leur arriver quelque chose, c’est là-bas que cela devait se produire.

— Traverser des dents de Vel est une entreprise périlleuse, vous êtes sûr qu’ils y parviendront ? S’inquiéta Balwin.

— Ce sont des membres de l’Ordre, bien sûr qu’ils y arriveront ! Répondit sereinement Minos.

— Il y a quelque chose que je ne comprends pas ? Demanda une autre personne autour de la table. Si Ignis veut détruire la cité, pourquoi ne déclenche-t-il pas un incendie dès maintenant ?

— Il obéit aux ordres de Pyra, répondit Lux. Sa déesse ne semble pas vouloir se débarrasser des habitants de Dérios tout de suite. Cela doit avoir un lien avec ce qui se passe à Spyr. Deux des nôtres ont été capturés et nous sommes toujours sans nouvelle de leur sort. Il semblerait que le culte de Pyra y gagne également en influence.

— Dans ce cas, pourquoi a-t-elle choisi Dérios ? Pourquoi ne brûle-t-elle pas Spyr à la place ? Il y a plus d’habitants dans cette cité que dans Dérios.

— À cause des Enfants de Pyrel ! Dit soudainement Elinora. Elle ne souhaite pas brûler Spyr, car les habitants sont globalement ralliés à sa cause et la vénèrent. Ici, le culte de Pyra n’a que peu de poids et les quelques croyants de la cité se tournent bien plus souvent vers celui de Pyrel

— C’est ce que nous pensons aussi. Voilà pourquoi il nous fallait à tout prix prendre contact avec vous, Sainte-Mère. L’aide de votre déesse ne sera pas de trop pour nous débarrasser d’Ignis.

Elinora n’en était pas aussi sûre. Elle n’avait plus eu aucun signe depuis qu’elle avait rejoint son culte et elle ne pensait pas que Pyrel s’intéressait encore à elle. Peut-être d’ailleurs ne l’avait-elle jamais vraiment contacté… Non ! Elle ne devait pas perdre espoir, pas maintenant. Elle avait le sentiment que quelque chose d’important allait se produire dans la cité et si elle se laissait gagner par le doute, alors tout était déjà perdu.

— Et donc ? Quel est le plan ? Demanda Balwin.

— Comme vous vous en doutez, l’on ne peut pas le tuer aussi facilement, soupira Lux. Il nous faut un objet très spécial afin d’y parvenir.

— Une amulette, renchérit Minos. Malheureusement, nous n’avons plus aucun contact avec celui qui était parti la récupérer. Elle devait se trouver au sein du palais royal, d’après nos dernières informations.

— Et vous n’avez toujours aucune nouvelle sur votre ami ou sur les vauriens qui ont profané le temple ? Demanda Elinora.

— Aucune. Ils peuvent être n’importe où dans la cité en ce moment même.

Dès qu’il eut terminé sa phrase, un craquement retentit dans le plafond de l’édifice. Celui-ci s’affaissa brusquement et un jeune homme de petite taille aux cheveux bouclés atterrit sur la grande table au beau milieu de la pièce. Elinora et plusieurs autres convives se levèrent surpris, pendant que l’individu grommelait des jurons en se relevant péniblement. Balwin réagit rapidement et l'attrapa pour l'empêcher de s'enfuir avant de sortir une dague de sa ceinture.

— Un espion ! Cria-t-il. Pour qui travailles-tu ?!

— Lâche-le !

Une jeune femme rousse sauta dans le trou béant que la chute de son camarade avait provoqué et atterrit sur la table en donnant un formidable coup de pied au général qui fut propulsé en arrière. Elle allait aider son ami à se relever lorsque Lux la plaqua violemment au sol. Elle profita de l’étonnement que provoqua la vue de son visage pour lui poser un genou sur le torse et la maintenir au sol lorsque la voix du Minos retentit derrière elle.

— Assez !

Cette fois, ce fut la jeune femme qui profita de l’hésitation de Lux pour se libérer. Elle courut rejoindre son compagnon et tous deux se mirent dans un coin de la pièce en posture défensive.

— Assez ! Répéta Minos. Baissez vos armes, ce ne sont pas nos ennemis.

— Tu les connais ? Demanda Lux perplexe.

— Oui, cela fait bien une semaine que je les cherche. Ils étaient partis avec Kléo récupérer l’amulette au palais. J’imagine que leur plan a dû échouer.

— C’était un super plan ! S’emporta le jeune homme. Personne n’aurait pu s’introduire aussi facilement dans la salle des coffres sans moi. Et il aurait peut-être encore mieux marché si vous nous aviez accompagnés au lieu d’abandonner votre ami.

Sa compagne lui donna un coup dans les côtes pour le faire taire.

— Alors c'est vous qui vous êtes infiltrés dans le temple ! S’indigna Elinora. Aviez-vous conscience que c’était un lieu sacré avant de tout saccager sur votre passage ?

— Écoutez, nous ne sommes pas venus nous battre, déclara la jeune femme. Je m’appelle Tanwen et voici Finn. Tout ce que nous voulons, c’est simplement revoir Minos. C’est pourquoi on l’a suivi jusqu’ici.

— Votre nom me dit quelque chose, murmura Balwin. Ce ne sont que de vulgaires voyous, continua-t-il en s'adressant à Lux. Ils enchaînent les larcins et ne font qu’échouer leur coup la plupart du temps, néanmoins cela fait longtemps que l’on cherche à les attraper.

— Comment ça, échouer ? Protesta Finn sans que personne ne lui prête attention.

— Et donc vous le suivez, puis vous écoutez aux portes, lui répondit Lux suspicieuse. C’est Lucio qui vous envoie ?

— Pas du tout ! Protesta Tanwen. On voulait juste s’assurer que Minos était bien dans le même camp que Kléo et qu’il ne travaillait pas pour les Kléptars. Après tout, il était au courant de notre plan et il n’est jamais venu au rendez-vous la nuit du vol.

— J’étais occupé ici même, se défendit Minos. Et j'avais demandé à Kléo de ne pas s'y rendre, bien qu’il semblait vous avoir pris en affection. Où est-il d’ailleurs ?

Une ombre passa sur le regard de Tanwen.

— La mission au palais se déroulait sans encombre et votre ami avait trouvé ce qu'il était venu chercher. Sur le chemin retour, alors que l’on venait de quitter le temple, un groupe de Kléptars nous attendait. Ils nous ont capturé sans que l’on puisse réagir et Kléo ne s’en est pas sorti.

— Comment ?

— Lucio en personne a ordonné qu’on lui tranche la gorge. Il a essayé de lui expliquer sa mission, mais il n’a rien voulu savoir. Il est mort avec bravoure, si cela peut vous consoler.

Minos ne dit rien, attrapa la chaise la plus proche et s’y laissa tomber.

— Jusqu’au bout, il aura fait l’imbécile, dit-il à demi-mot.

— Kléo était quelqu'un de bon et un brave guerrier, nous honorerons sa mémoire au camp, promit Lux sans faire d'état d'âme. Où se trouve l’amulette ?

— Elle est entre les mains de Lucio à présent.

— Alors il nous faut toujours la récupérer.

— Je peux faire une descente à la Coupe pleine avec quelques soldats, proposa Balwin. Cela vous fera une diversion si vous voulez essayer de vous infiltrer à l’intérieur.

— De mon côté, je peux peut-être essayer de convaincre la reine Théa de s’en occuper, avança Elinora.

Lux croisa les bras et réfléchit un instant.

— Il serait mieux de négocier, dit-elle. Même si j’ignore quelle sorte d’accord il a conclu avec Ignace, ce Lucio n’est pas notre ennemi.

— Vous comptez le laisser s’en tirer à si bon compte alors qu’il vient de tuer l’un des vôtres ! S’offusqua Tanwen.

— Cela me tue de le dire, mais la gamine a raison, ajouta Minos le ton grave. Et depuis quand l’Ordre négocie-t-il avec des malfrats ?

— Minos... Je comprends ce que tu ressens, lui dit Lux. Mais le temps presse et nous ne pouvons nous permettre de nous battre sur tous les fronts. On a déjà les Adorateurs du Brasier et les soldats de la couronne à nos trousses. Et ce n’est qu’une question de temps avant que Spyr ne s’en mêle.

Minos accepta la décision de Lux sans broncher, bien que tout le monde pouvait voir qu’il n’était pas convaincu.

— Lucio est une ordure, il vous trahira une fois les négociations terminées, dit Finn.

— Il a raison, rajouta Tanwen. À vrai dire, nous voulions vous demander votre aide pour nous en débarrasser. Aidez-nous à tuer Lucio et je vous aiderai à récupérer l’amulette. Je rejoindrai même votre Ordre jusqu'à ce que son compte soit réglé, s’il le faut.

— As-tu bien conscience de ce que cela représente, jeune fille ? Demanda Lux.

— Je ne suis peut-être pas convaincue par votre histoire, mais j'ai pu suffisamment côtoyer Kléo pour me rendre compte que c'était un homme bien. Je souhaite mettre fin à la tyrannie des Kléptars sur ma ville et vous pouvez m'y aider. Et je sais me battre, ajouta-t-elle en la fixant des yeux sans être impressionnée par son visage calciné.

Lux la sonda du regard de manière à juger sa motivation avant de déclarer :

— C’est d’accord. Il va cependant falloir gagner notre confiance et prouver ta valeur. Minos sera ton garant et ton mentor, vu que vous semblez déjà vous connaître. Tu débuteras ta formation au campement et l’on jugera si tu vaux vraiment la peine de devenir l’une des nôtres.

— Attends ! Protesta Minos. Je ne vais quand même pas…

Elle le fit taire d’un geste de la main avant de continuer :

— Et toi, jeune homme, souhaites-tu nous rejoindre ?

— Moi ? Jamais ! Je n’ai jamais réussi à m’entendre avec des soldats, répondit Finn en souriant et en jetant un regard moqueur en direction de Balwin.

— Bien, dans ce cas, nous en avons terminé. Je compte sur vous pour vous renseigner un maximum sur les Kléptars en attendant que le restant de nos forces nous rejoigne. Je vous recontacterai avec un plan d’action contre Lucio la prochaine fois. D’ici là, restez discrets, je ne pense pas qu’Ignis restera passif durant tout ce temps.

— Il reste une dernière chose, s’empressa de dire Elinora.

Avec tout ce remue-ménage, elle avait failli oublier la vraie raison de sa venue. Elle posa au centre de la table un bout de papier sur lequel elle avait dessiné le symbole étrange que Piers lui avait montré.

— Où as-tu trouvé cela ? Demanda Lux avec effroi.

— C’était sur l’un des murs de la cité, je peux vous y conduire, proposa-t-elle.

— Ce sont les mêmes signes qu’à Silos, expliqua Minos. Ils ont commencé à apparaître peu avant l’incendie.

— Emmène-moi jusqu’à cet endroit, les autres dispersez-vous et prenez garde à ne pas être suivis cette fois. N’est-ce pas Minos ?

Minos ne répondit pas, et se contenta de hocher la tête en soupirant.

— Tanwen t’accompagnera, ajouta-t-elle. Vous prendrez dès ce soir un bateau pour quitter Dérios. Je te laisse le soin de l’emmener au camp et de la former comme il se doit.

Le groupe se sépara rapidement et Elinora guida Lux à travers Dérios jusqu’au mur où se trouvait le symbole. Sur le trajet, ils parlèrent un peu, même si Lux n’était pas du genre très bavarde et regardait sans cesse derrière elle à l'affût du moindre mouvement. Elle dégageait une aura assez particulière, à la fois froide et rassurante, si bien qu'Elinora se sentait confiante et en sécurité en marchant à ses côtés. Chose qui n'était plus arrivée depuis la mort de Piers.

—… Et comment êtes-vous devenue la cheffe de l’Ordre des Brûlés ? Demanda-t-elle au détour d’une ruelle.

— J’ai pris la place à la mort de l'ancien maître. Il m’y avait préparé, voilà tout. Dit-elle sobrement.

— Et je suppose que c’est Ignis qui a fait ça à votre visage ?

Lux ne répondit pas.

— Vous devez lui en vouloir terriblement, continua Elinora.

— Non, il y a longtemps que je ne ressens plus de haine envers cet homme ou ce qu’il peut bien être. Il faut simplement nous en débarrasser, sinon les massacres continueront, voilà tout.

Ils arrivèrent en vue du symbole. Toujours le même signe étrange représentant un arc de cercle horizontal surmonté d’un cercle et de trois traits ondulés. Lux s’approcha et posa délicatement sa main dessus. Dès que sa paume entra en contact avec le signe, elle la retira brusquement.

— Il est brûlant, dit-elle. Ce sont bien les mêmes signes que l’on a aperçus à Silos. Il doit en disposer partout dans la cité pour lancer son sortilège.

— Peut-il réellement créer des flammes à partir de ces symboles ? Demanda Elinora.

— Oui, c’est difficile à croire, mais c’est bien comme ça qu’il s’y est pris la dernière fois.

— Et je compte bien recommencer, dit une voix calmement quelques mètres plus loin.

Un homme claqua des doigts et une flamme apparut sur le bout de son index, éclairant ainsi son visage. Elinora reconnut tout de suite Ignace qui les dévisageait avec un sourire en coin. Elle eut un mouvement de recul en regardant ses yeux rouges comme la braise qui la fixait avec ardeur.

— Partez d’ici ! Lui cria Lux.

Elle sortit une longue chaîne qui était accrochée à sa ceinture et dont l’une des extrémités se terminait par une boule recouverte de pique et l’autre par un manche avec une lame recourbée. Elle alla ensuite se positionner devant Elinora et commença à faire tournoyer son arme dans les airs.

Ignace éclata de rire.

— Je dois dire que vous ne manquez jamais d’imagination dans votre Ordre.

— Toi, en revanche, tu manques de prudence.

Elle envoya une extrémité de son arme dans sa direction. Ignace esquiva la masse dentée qui passa à quelques centimètres de son visage en faisant un simple pas de côté.

— Je vois que tu n'as pas changé depuis notre dernière rencontre, toujours aussi féroce.

— Ça suffit, Ignis ! Tu n'aurais jamais dû venir à Dérios.

— Puisque vous savez qui je suis, je n’ai aucune raison de me retenir.

Il ouvrit la paume de sa main et une boule de feu s’y forma. Il l’envoya tout droit vers Lux qui se tenait toujours devant Elinora. Elle déplia de nouveau son arme et la lame fonça en direction des flammes. Contre toute attente, elle trancha net la boule de feu en deux parties qui allèrent s’écraser de part et d’autre de l’endroit où elles se trouvaient.

— Intéressant ! S’exclama Ignis en créant d’autres flammes devant lui.

Elinora ne savait pas quoi faire. Elle sentait la chaleur des flammes tout autour d’elle lui lécher la peau et voyait Lux au loin qui se battait d’arrache-pied. Elle lui avait demandé de s’enfuir, mais elle n’arrivait pas à bouger. De plus, elle ne voulait pas l’abandonner à son sort. Elle se remémora le visage bouleversé d’Anna et elle ne souhaitait pas revivre la même chose qu’avec Piers. Elle sortit alors la petite statuette en bois de Pyrel et fit la seule chose qui lui semblait logique, elle s’agenouilla et commença à prier.

Elle pensa à un moment joyeux, la première fois, qu’elle avait rejoint les Enfants de Pyrel, les cours qu’elle dispensait à ses novices, ou encore simplement une fin d’après-midi assise à contempler le lac. Surtout, elle pensa au seul signe qui l’avait poussé à rejoindre le culte de Pyrel, la fois où sa déesse lui avait sauvé la vie. Alors que les siens furent massacrés jusqu’au dernier, Elinora en réchappa sans qu’elle ne puisse se l’expliquer. Elle s’était réveillée seule et indemne au milieu d’un cercle de flammes blanches alors que tout autour d’elle ne régnait que mort et désolation.

Ignis et Lux étaient en plein duel, lorsqu’il remarqua Elinora agenouillée entre les flammes. Il s’arrêta et envoya une nouvelle boule de feu dans sa direction. Lux essaya de la parer, mais elle était trop loin et son arme frappa dans le vide.

— Attention ! Cria-t-elle.

Elinora ne bougea pas, elle serrait la statuette entre ses mains jusqu’à s’en briser les os tout en récitant des vers à sa déesse. Elle resta immobile, les yeux fermés, en attendant l’impact. Mais celui-ci n’arriva jamais. Au contraire, elle sentit une douce chaleur l’envelopper, semblable à celle d’une multitude de rayons de soleil caressant sa peau. Elle se releva et voulut ouvrir les yeux, mais fut aveuglée par la clarté des flammes l’entourant. Elle vit simplement une silhouette lumineuse qui se dressait devant elle.

— Ne t’inquiète pas, tu en as assez fait, dit-elle d’une voix douce et réconfortante.

— C’est impossible, cria Ignis. Tu ne devrais même pas pouvoir exister !

Elinora remarqua que sa voix avait changé. C’était désormais celle d’une femme en colère avec un ton très grave qui émanait de sa bouche.

— Et pourtant me voilà, répondit la silhouette en se tournant vers lui. Regarde-toi, ma sœur, tu es remplie de haine.

— Je ne suis pas ta sœur, cria-t-il. Il mit la paume de sa main face à elle et trois traits de flammes en surgirent. Ils serpentèrent dans les airs et fondirent sur elle, mais elle les balaya d’un geste ample de la main.

— Tu ne peux pas me tuer, l’aurais-tu oublié après toutes ces années ?

Ignis poussa un cri de rage.

— Toi et moi formons la même personne et le jour viendra plus tôt que tu ne le crois où tu disparaîtras pour de bon.

Après avoir prononcé ces mots, il s’éclipsa rapidement dans les ruelles de Dérios alors que des éclats de voix et des bruits de pas se rapprochaient dans leur direction. Leur affrontement avait dû alerter les villageois et rameuter des gardes. Elinora se sentait épuisée, comme vidée de toute énergie. La silhouette se retourna vers elle et commença à devenir de moins en moins brillante. Elle crut alors reconnaître le visage d’une femme qui lui souriait. Sa vue était trouble et Elinora n’arrivait pas à bien discerner les traits de son visage.

— Nous nous reverrons, Nora, dit-elle doucement avant de disparaître dans la nuit.

Elle essaya de répondre sans succès, car elle se sentait à bout de force. Ses genoux la lâchèrent et elle s’effondra sur les pavés en apercevant vaguement Lux courir vers elle.

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Talharr
Posté le 24/07/2025
Hello,
Chapitre certes long mais avec beaucoup d'informations.
Déjà Tanwen qui rejoint l'ordre, hâte de voir ça ahaa
En espérant de continuer à voir Finn, il apporte vraiment cette petite dose d'humour que les chapitres ont besoin.
Et la fin, m'a vraiment happé. Même si je suis perdu. Pour moi Ignace n'était pas Ignis mais alors le "soeur" il sort d'où ahaa
A voir la suite :)

les petits retours :

"Ils ont commencé la traversée les dents de Vel pour nous rejoindre" -- "des dents".

"Et vous n’avez toujours aucune nouvelle sur votre ami ou sur les vauriens qui ont profané le temple, demanda Elinora ?" -- le point d'interrogation à la place de la virgule.

"Mais le temps presse et nous ne pouvons-nous permettre de nous battre sur tous les fronts" -- sans le tiret entre "pouvons-nous".

"Je rejoindrai même votre Ordre le temps nécessaire, s’il le faut" -- j'ai trouvé la phrase un peu bancale à lire. Peut-être : "Je rejoindrai même votre Ordre, le temps qu’il faudra."

Voilà :)
Scribilix
Posté le 24/07/2025
Salut,
Content d'avoir ton retour, je pense que c'est l'un des chapitres les plus importants de l histoire. Le groupe de L'ordre se dessine tandis que Ignis/Ignace passe à l'action.
Ne t'inquiète pas pour Finn, tu le reverras par la suite ;)
Pour le doute Ignis/ Ignace il ne devrait plus tarder à être levé. Au passage Pyra est également de la partie si tu te souviens du conte et du sort qu'à connu Ignis :)
A la prochaine,
Scribe.
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