On ne pouvait douter du fait qu'une vieille personne habitait les lieux. Les bocaux et conserves en pagaille, les napperons au crochet, les pantoufles et les papiers peint fleuri ne mentaient pas. Et cette odeur fétide qui imprégnait les lieux… Mathias fit la grimace et se mit en quête d'un carnet d'adresses. Il trouva un répertoire posé à côté du téléphone. Il ne comportait pas beaucoup de noms mais le gendarme releva celui du médecin. Il composa le numéro sur son propre téléphone.
— Cabinet du docteur Vesplin bonjour, annonça une voix de femme.
— Oui bonjour madame, maréchal des logis-chef Mathias Brochart à l'appareil. Est-il possible de parler directement au médecin ? Je vous prie.
— Un instant.
La ligne fut mise en attente. Mathias balaya la pièce du regard. Pas de portrait de famille, pas de panier de chien ou de boîte de pâté pour chat. Cet homme vivait en ermite.
— Docteur Vesplin, je vous écoute.
— Bonjour, monsieur, je suis au domicile de Jacques Reignac. Il semblerait que ce soit l'un de vos patients.
— Oui, enfin je voyais plus sa femme que lui. Il est très rare qu'il prenne un rendez-vous.
Mathias ne fut pas étonné par la réflexion du médecin, à la campagne, certains anciens ne prenaient pas grand soin de leur santé.
— Nous avons trouvé des somnifères à son domicile, c'est bien vous qui les lui aviez prescrits ?
— Il fait renouveler ses ordonnances et vient les chercher directement au secrétariat. Y'a-t-il un souci avec monsieur Reignac ?
— Je suis navré de vous annoncer qu'il est décédé, répondit le gendarme en tentant d'y mettre le plus de tact possible.
Il y eut un silence au bout du fil.
— Je suis peiné de l'apprendre. Je connais sa famille de longue date.
— Il y a donc des personnes à contacter ?
— Du côté de sa femme, mais je ne sais pas s'ils se parlaient toujours.
— Très bien, il faudrait que vous veniez pour confirmer le décès.
— Bien sûr.
Le gendarme prit congé du docteur Vesplin, les techniciens d’intervention criminel arrivaient. La camionnette blanche stationna devant la maison. La gendarmerie scientifique se mit à déballer son matériel et à s’équiper. Combinaison, masque, charlottes sur les cheveux et surchaussures. Ainsi harnachés, ils se divisèrent le travail : prise de photographies, relevé ADN et d’empreintes.
Mathias supervisait les opérations et restait attentif à la moindre découverte. Il mena la personne chargée des photos voir le cercle tracé dans la terre. C’était l’élément qui le troublait le plus dans cette affaire. Cela lui rappela quelques films d’horreur vus dans son adolescence. Il secoua la tête pour chasser de son esprit les images créées par son imagination.
Le maréchal des logis-chef avait laissé à Vincent le soin de trouver les proches à contacter. Cependant, Jacques Reignac ne semblait entretenir aucune relation régulière et le jeune faisait pour le moment chou blanc.
— L’enquête de voisinage nous en dira plus, pensa Mathias.
Le médecin fut escorté jusqu’à la maison. L’homme dégarni aux tempes grises paraissait préoccupé. Mathias vint lui serrer la main.
— Docteur Vesplin, merci de vous être déplacé aussi vite.
— Je vous en prie, il est à l’intérieur ?
— Oui, suivez-moi.
Avant d'entrer dans la chambre, Mathias se renseigna.
— Vous connaissiez monsieur Reignac depuis longtemps ?
— Oh oui, depuis aussi longtemps que le cabinet est ouvert.
— Je sais que vous êtes lié au secret professionnel, mais auriez-vous des informations à nous transmettre ?
Le médecin fronça ses sourcils en signe de réflexion, faisant apparaître une série de rides sur son front.
— Il prenait des antidépresseurs pour ses insomnies. Il dormait mal depuis le décès de sa femme. Quelques douleurs dues à l'âge et des petits oublis, comme toutes les personnes de son âge. Pour le reste, c'est quelqu'un qui se plaignait très peu.
— Aucun antécédents du point de vue psychiatrique ?
— Non, rien.
Après son examen, le médecin fixa l’heure du décès au petit matin. Quelques heures plus tôt, Mathias aurait trouvé l’homme vivant. C’était une part du métier que d’accepter les choses telles quelles, sans se flageller. Surtout, ne pas se projeter, Mathias effaça l’image de sa grand-mère de son esprit.
— Et maintenant ? demanda Vincent en voyant le médecin ranger son matériel.
— Le docteur va établir le certificat de décès. Seulement, au vu des circonstances, il va déclarer un obstacle médico-légal qui permettra à la justice de prendre le relais.
— Pour l’autopsie ?
— Exact, le corps va être transféré à l’institut médico-légal.
— Y’en a un dans le coin ?
Vincent faisait en sorte de ne jamais avoir le cadavre dans son champs de vision.
— À Limoges. Du nouveau pour les proches ?
— Oui, le médecin m'a informé que le reste de la famille de sa dame réside du côté d’Ambazac.
Les hommes du TIC en avaient encore pour un moment. Mathias raccompagna le médecin à son véhicule. Les rouages de son cerveau s’activaient sans relâche.
— Bonne fin de journée, docteur.
Ils se serrèrent de nouveau la main.
— Vous allez assister à l’autopsie ? demanda le médecin, des plis barrant toujours son front soucieux.
— Non, c’est la brigade des recherches qui s’en chargera.
L’homme hocha la tête, ouvrit sa portière et démarra bientôt son moteur. Le gendarme regarda la voiture s’éloigner. La matinée filait à une vitesse folle. Son ventre grogna, indiquant l’heure de la pause déjeuner.
Pas sûr que Vincent trouve son appétit ce midi, se fit-il la réflexion.
Quand les techniciens remballèrent leur matériel dans la camionnette aménagée, il fut temps pour les gendarmes d’appeler les pompes funèbres pour la levée du corps.
Je parle assez direct et j'espère que cela ne te choquera pas. Autant Jacques était habité, autant je trouve Mathias trop neutre, je n'arrive pas à me projeter en lui. Quand je lis un polar, je chausse mes binocles et je sors ma loupe, je guette les indices, je note les détails, j'étudie les caractères : qu'est-ce qui va faire qu'untel m'intéresse ou m'insupporte ? Quelle est sa personnalité, en quoi se démarque-t-elle de celle des autres ? Comment fonctionne son cerveau, qu'est-ce qui le fait réagir...
Dans ce chapitre, il est bien trop tôt pour émettre des hypothèses, Mathias peut-il tout au plus faire des suppositions, c'est pourquoi j'aimerais voir à travers ses yeux. Comme pour Jacques, tu le réussis très bien.
Quelques réflexions en cours de lecture :
- les papiers peint fleuri : il me semble qu'il faut accorder.
- Mathias fit la grimace et se mit en quête d'un carnet d'adresses : pourquoi spécialement rechercher un carnet d'adresses ? Pense-t-il que tout le monde en possède obligatoirement un ? Ne devrait-il pas tomber par hasard dessus en s'approchant du téléphone. Là, tu vas dire que je pinaille , mais il me semble que chaque détail à son importance car il donne des indications sur la personnalité de l'enquêteur. Soit cette déduction est le fruit de l'expérience, soit elle n'est que pure spéculation, l'un ou l'autre doit être précisé.
- Je sais que vous êtes lié au secret professionnel : par le secret
Un petit détail me chiffonnent mais je ne suis pas experte dans le domaine. Il me semble que le recours aux pompes-funèbres pour prendre en charge le corps paraît improbable d'autant qu'il me semble bien que les pompiers sont déjà sur place et que le corps doit être transporté à la morgue.
Il me semble également que tu pourrais approfondir les observations de Mathias dans la maison, quitte à glisser de faux indices pour brouiller les pistes. Le docteur lui annonce que Jacques était marié mais rien dans la maison ne semble suggérer la présence passée d'une femme. Les petits napperons des fauteuils ne sont pas suffisants pour être caractéristiques. Quand Mathias apprend le mariage de Jacques, il ne pose aucune question : quand sa femme est-elle décédée, de quoi est-elle morte, le couple s'entendait-il bien, ont-ils eu des enfants, comment définirait-il le caractère de Jacques etc.
J'ai beaucoup lu de romans policiers, j'ai même tenté à moment donné d'en écrire un (flop!). La difficulté, surtout lorsque le cadre est officiel, c'est la crédibilité. Je pense que c'est une des raisons pour laquelle les romanciers cherchent ailleurs leurs enquêteurs, ça leur donne plus de liberté d'action et leurs erreurs de procédures attribués à un manque de connaissance ne sont pas rédhibitoires.
Les rouages de sont cerveaux s'activaient sans relâche : à quoi Mathias pense-t-il ? a-t-il noté l'attitude préoccupée du médecin ? Quelles questions se pose-il etc.
Voilà, je crois que je me suis un peu répétée, mais, bon tu aura compris , c'est bien mais il ne manque pas grand chose pour que ce soit mieux. Maintenant que je suis accrochée, je ne vais pas te lâcher !
A très bientôt