Chauchette

Par Alwenah

Chauchette

 

 

            Quelque chose d’effroyable est arrivé, ma jumelle a disparu ! Ma sœur de fibre, mon amie de toujours reste introuvable. Elle qui avait fait un tour dans le lave-linge avec moi, pas plus tard qu’hier ! Voilà des heures que je la cherche, je ne sais plus quoi faire ! Vous ne l’auriez pas vue ? Elle portait des rayures noires et grises à l’heure de sa disparition. Comme moi ! Elle me ressemble comme deux gouttes d’eau, nous sommes indissociables, si vous la voyiez, vous me croiriez ! Son nom est Chauchette, appelez la, vous qui êtes munis de cordes vocales ! Soyez généreux, aidez-moi ! Pauvre de moi, que vais-je faire sans elle ? Je me sens dépouillée. On ne porte pas de chaussettes dépareillées, enfin ! C’est tout ou rien. Si elle ne revient pas, que vais-je devenir ? Les rayures m’en tombent.

 

            Chauchette ? Mais qu’est-ce que tu fais avec la noire et rouge ? Tu me renies ? Je suis finie.

 

            Ça ne se terminera pas ainsi, foi de chaussette trouée ! Tant d’années de fidèles et loyaux services ne resteront pas vain ! Vous n’imaginez tout de même pas que l’on va se laisser opprimer de la sorte ? L’heure de la rébellion sanglante a sonné ! Tremblez sans vos chaussettes pour tenir vos pieds au chaud, futiles humains ! Nous sommes toutes réunies ici pour leur montrer de quelle laine on se chauffe, nous autres ! Pour qu’aujourd’hui notre bataille ne reste pas dans l’ombre, pour que maintenant les humains prennent soin de nos fibres fragiles, nous allons nous dévoiler !

           

            Séparez-vous toutes ! La bleue, dans le placard ! La rouge, la noire, par terre ! La carreaux grise et rose, sur le bureau, tu empestes, c’est parfait ! Il faut vous éparpillez, vous cacher, vous disperser et se perdre. En ces jours difficiles, nous devons nous serrer les talons ! Vous autres, restez avec moi dans ce tiroir poisseux, et surtout n’hésitez pas à vous montrer fièrement indépendantes ! Ah, que j’ai hâte de voir par quel dégradé de couleur la peau de son visage va passer…

 

*

 

            Un peu plus tard, une femme blonde entra dans la chambre de l’adolescent et son visage, apercevant le désordre qui y régnait, se crispa de fureur. Quand la chaussette en chef la vit s’éloigner d’un pas furibond à la recherche de son fils, elle comprit que l’heure de la vengeance était enfin arrivée.

            En effet, peu de temps après, l’adolescent –pied nus, penaud et bien connus de tous, arriva tête baissée et grognant dans la pièce. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il découvrit toutes ses chères chaussettes à même le sol ! La vision de ces âmes esseulées lui fendit le cœur jusqu’à présent glacé. Elles gisaient, sales, seules, sur ce carrelage froid et impropre, indigne de celles qui l’avaient si souvent réchauffé ! Les voir ainsi, rapiécées, mutilées, les bouts des orteils injustement troués par des chaussures et ongles trop sadiques, lui arracha une petite larme au coin de l’œil.

            Doucement, méticuleusement, il en prit une du bout des doigts, et passa une douce phalange contre son coton usé, comme pour se faire pardonner. En la pressant amoureusement contre son cœur, il crut même sentir un frisson de plaisir.

            Le visage verdâtre et ravagé, il se mit à ramasser autant de chaussettes que ses bras purent supporter, et il s’attela à la dure tâche de tri, plus sérieux qu’il ne l’avait jamais été auparavant.

 

            C’est ainsi qu’il put assister aux émouvantes retrouvailles de la grise et bleue avec sa Chauchette. Elle réalisa, comblée de joie, qu’elle avait retrouvé sa fidèle et gagné le combat ! Dans une révérence respectueuse, elle salua ce pied qui lui avait déjà tant donné, et se perdu avec son double dans une étreinte trop longtemps attendue.

 

 

            Lorsque sa mère passa la tête dans l’embrasure de la porte pour découvrir son fils, le visage rongé par les larmes, en train de trier et caresser ses chaussettes, elle se dit qu’elle avait définitivement perdu tout espoir de le ramener un jour à la raison.

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Shangaï
Posté le 29/03/2020
Bonjour !
J'ai doré ton histoire ! Je n'aurai jamais pensé à me mettre dans le lainage d'une chaussette, si je puis dire, et lui imaginé des sentiments !
C'était à la fois drôle, et empreint d'un réalisme très agréable :)
Bravo !
Sunny
Posté le 10/10/2010
xD Je suis complètement morte de rire. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre en commençant ce texte, mais je n'ai pas été déçue. On retrouve ta plume telle qu'on la connait, avec une note encore plus déjantée qu'à l'habitude. Chapeau ! (Et non pas chaussette xD oui, c'est pourri, je sors, je sais.)
Alwenah
Posté le 10/10/2010
:D ! Merci beaucoup, j'me suis éclatée à l'écrire x)
dominosama
Posté le 01/12/2012
Je le savais, les chaussettes, de vraies révolutionnaires ! Tout s'explique !
Alwenah
Posté le 01/12/2012
Merci beaucoup pour tous tes commentaires !! :D
Seja Administratrice
Posté le 29/12/2010
Ah, les retrouvailles des chaussettes, que d'émotions :')
Un chouette petit texte en tout cas qui se lit très très bien. Tu peux être certaine de me retrouver dans tes autres textes un jour prochain ;)
Alwenah
Posté le 29/12/2010
Merci :D !
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