Chère École,
tu ne m’as pas manqué. Et je n’ai pas spécialement envie de te retrouver aujourd’hui.
Je sais que beaucoup de mes amis me disent que tu es importante dans ma vie, que tu penses à mon bien, à mon futur, que tu es une chance pour moi, un tremplin. Je sais que c’est peut-être vrai.
Mais tu vois, il y a beaucoup de choses dans notre relation qui me pèsent terriblement et même parfois, qui me détruisent.
Déjà, tu veux toujours qu’on se retrouve trop tôt. Je dois mettre un réveil pour sortir mon corps et mon esprit du repos dont ils ont besoin, pour venir à nos rendez-vous. Et ce que je trouve difficile, c’est que tu ne veux pas m’entendre quand je te dis que je suis fatigué. Tu n’as que des exigences, tu ne veux jamais négocier.
Mes amis me disent que c’est chouette de te retrouver, qu’avec toi, que grâce à toi, je rencontre beaucoup d’entre eux…Enfin c’est surtout mes grands amis qui disent ça… ceux qui ne sont plus avec toi…
En même temps, tu me dis que je ne suis pas avec toi pour m’amuser mais pour travailler. Alors avec toi je me fais des amis, mais quand on est avec toi, on ne doit pas s’amuser d’être ensemble!
Et ce travail que tu veux que nous fassions ensemble, c’est encore toi qui le décide, sans me demander s’il m'intéresse, si j’ai envie de le faire ou même si j'en ressens le besoin. Pourtant tu vois, on ne s’est pas vu pendant deux mois et j’ai travaillé, j’ai beaucoup appris loin de toi et je me suis aussi fait des amis. On me dit que tu es indispensable à ma vie et pourtant, l’autre jour j’ai entendu que personne n’est indispensable. Et je me rends compte que je n’ai peut-être pas autant besoin de toi.
Bien sûr nous avons de bons moments ensemble, ce serait terrible s’il n’y en avait pas. Mais ta façon de tous nous mettre en intérieur tout le temps, de tout le temps nous chronométrer, de nous empêcher de parler entre nous parfois, de ne pas nous laisser aller à notre rythme… je te trouve bien tyrannique sous tes airs de bienveillance… Tu sais, parfois même, j’ai à l’intérieur de moi des angoisses à te retrouver, je traine des pieds, j’ai mal au ventre…
Je te trouve jalouse, tu ne veux pas que je fasse sans toi, ça t’insupporte et même je sais que tu serais bien capable de m’interdire de te quitter avant que tu ne le décides.
Il y a aussi cette façon que tu as de tout le temps juger ce que je fais, si c’est assez bien, pas assez bien, tu me dis que je pourrais faire mieux sur des trucs que tu m’imposes et que je n’ai pas envie de faire. Pire même, parfois tu me demande de faire des choses auxquelles je ne comprends rien et tu me grondes et me punis sous prétexte que tu m’as déjà expliqué.
J’essaie de trouver de la joie avec toi, essentiellement avec les amis que tu m’as présenté, et ça encore ça a tendance à t’énerver.
Tu ne me laisses pas m’habiller comme je veux, tu regardes tout le temps ce que je fais, tu m’interdit de sortir… Franchement, je ne me sens pas libre avec toi, et c’est difficile de t’aimer alors que j’ai ce sentiment en moi. J’ai l’impression que tu voudrais que je sois exactement comme toi tu le veux, et ça ne me laisse pas beaucoup de place pour être moi-même ; j’en viens même à penser qu’être ce que je suis, ce n’est pas bien, que je suis insignifiant pour toi, qu’en fait, tu t’en fous au fond de ce que je suis et de ce que je veux être. Tu as décidé que je devais être comme toi tu penses que c’est bien, et le reste tu me le reproche tout le temps.
Je sais que tu dépenses beaucoup d’énergie, de temps, d’argent, de moyens pour moi… Je sais que tu as l’impression de me donner le meilleur. En fait, je crois qu’on ne se comprend pas parce qu’on a pas vraiment les mêmes attentes dans la vie.
Moi tu sais, je vis beaucoup dans le présent, je ne sais pas trop faire autrement, c’est sûrement dû à mon immaturité comme tu dis.
Faut que je te dise… Mon grand-père est mort cet été et moi ça m’a fait un truc dans la poitrine : j’ai vu ma maman pleurer et elle a dit qu’elle n’avait pas assez profité des derniers moments de son papa, qu’avec son travail et nous, sa famille, elle avait pas le temps de prendre le temps… Ça m'a bouleversé. T’imagine? Si moi aussi je meurs l’été prochain? J’aurai passé l’année à faire de mon mieux pour te satisfaire, en m’oubliant parfois complètement, je me serais empêché de rire, pour ne pas te vexer, j’aurai fait tout un tas de trucs qui m’ennuient ou que je ne comprends pas juste parce que toi, tu décides que je dois faire ça, je serai passé à côté de combien de joie? Tout ça pour un futur qui n’existerait pas! Je sais que tu penses à mon bien et que tu paries que je ne vais pas mourir l’été prochain. Et moi non plus je ne veux pas mourir si tôt… Mais je trouve que tu penses trop au futur et que tu rends le présent ennuyeux et fastidieux. Je pense peut-être trop au présent, pour ma part, mais c’est ici que je vis et je veux vivre toute cette joie à portée de main et que toi tu m’empêches de savourer.
Je ne sais pas comment faire… je me suis résigné à notre relation, j’ai bien l’impression que personne ne me soutient quand je dis que parfois j’aimerai arrêter de te fréquenter. Je me sens très seul et en même temps quand j’en parle avec mes amis, on ressent souvent la même chose…
Je ne sais pas quoi faire…
J'aimerais que tu m’entendes et qu’on trouve des solutions ensemble pour que notre relation s’améliore. Mais je crois que les seules personnes que tu es prête à écouter ce sont ceux qui se sont pliés à toutes tes exigences.
Chère Ecole, j’ai mal à te le dire, mais je ne me sens pas bien avec toi. Je ne sais même pas si ça te fait quelque chose de le savoir. Je crois que tu t’en fiches. Je vais continuer à te voir, mais j’ai bien l’impression que tu vas éteindre en moi la joie qui m’est naturelle en m’interdisant de rire avec mes amis, en m’obligeant à tous tes trucs, en me faisant peur avec tes notes, tes jugements, tes menaces d’échec et de chômage…
Je rêve parfois qu’on est heureux ensemble. Que tu m’écoutes te proposer des choses à faire ensemble et que tu m’aides à les accomplir, que tu me laisses rire avec les autres et même avec toi chaque fois qu’on en a envie et pas juste quand toi tu me l’autorises… Je rêve de me sentir libre avec toi, d’être moi-même sans peur de te décevoir, de te voir aussi à mon rythme et pas toujours au tien, d’avoir avec toi une relation d’égal à égal, même si tu sais beaucoup de choses que je ne sais pas, de sentir que ce que je suis est très important pour toi.
Je rêve d’être heureux de te retrouver sans me sentir obligé… je rêve d’avoir envie de toi.
Je ne sais pas comment finir cette lettre. Si je te dis “gros bisous” tu vas dire que je suis familier et tu n’aimes pas ça.
Si je te dis “Adieu”, tu vas te mettre en colère… tu serais bien capable de m’envoyer des menaces et même de venir me chercher de force.
Je te dis “à bientôt”. J’en pleure de n’en avoir aucune envie.
On sent la sincérité du propos et je pense qu'il y a dans ce témoignage un constat largement partagé sur les limites de l'école aujourd'hui. Le monde a changé très vite en vingt ans et l'école est en retard sur ses propositions. Et ce n'est pas une ultime réforme du bac qui changera la donne. Je ne sais pas si tu as lu La société sans école d'Ivan Illich (ok, c'est un peu vieux comme texte) ou les différents théoriciens de l'éducation (Montessori, Freinet, et les autres, je crois qu'une BD est sortie sur le couple Freinet cette année, d'ailleurs) mais on sent bien que l'ordre scolaire français pourrait être tout autre et plus joyeux... Quoi qu'il en soit,cette lettre est très bien écrite! Bon courage pour la reprise...