Circonstances atténuantes

Notes de l’auteur : Que justice soit faite !

Mesdames et messieurs les jurés, je vous demande d’examiner ma cliente. Avons-nous affaire à un tigre du Bengale ou une douce minette ?
Observez sans préjugés ce minois rassurant, ces yeux verts perçants barrés d’une prunelle implacable, ce museau félin, cette allure déliée, pleine d’assurance, d’agilité et de vitalité... Observez « Pomponnette », qui tient fidèlement compagnie à sa patronne depuis plus de 7 mois, l’accueille toujours aimablement, et passe le plus clair de son temps calmement enroulée sur un coussin.

Comme vous l’avez entendu de la bouche même de Madame Delanorme, jamais elle n’en a reçu un coup de griffe. Pourtant, Pomponnette est une chasseuse redoutable, qui a, sans rechigner, éradiqué les souris qui grignotaient les cloisons, et les pigeons et moineaux qui salissaient le balcon, et dérangeaient par leur raffut incessant, rendant ainsi des services inestimables à Madame Delanorme, et ses voisins !

Je vous demande instamment de garder à l’esprit l’âge de la prévenue : 7 mois, 1 semaine et 2 jours. Je vous rappelle que l’âge de la maturité pour un chat de ce gabarit est estimé à 9 mois. Pomponnette est donc encore menée par les belles impulsions incontrôlables, l’impétuosité de sa jeunesse !

Je vous demande également de prendre en compte le fait que Pomponnette a dû parfaire son éducation sans supervision, puisque Madame Delanorme part le matin à 7h et ne rentre qu’à 19h, emberlificotée dans ses obligations de travail, travail se situant à 2h de transport de son domicile. Comment pourrait-on exiger d’un jeune s’éduquant tout seul, ayant pour tout guide sa propre ignorance, le savoir-vivre exigé par la bonne société ? Oui, Pomponnette, hier matin, a mangé Barnabé le poisson rouge.

Qui avait laissé la porte de la cuisine ouverte ?
Qui avait placé le bocal de Barnabé sur la table facilement accessible à notre acrobate ? Madame Delanorme ignorait-elle la possibilité de cette rencontre malchanceuse, elle qui a reconnu laisser Pomponnette venir lécher son assiette sur cette même table ?
Regardez Pomponnette, dont les moustaches frémissent de regret, dont les griffes acérées sortent et rentrent sous l’effet de sa honte... Son repentir n’est-il pas évident ? Pourquoi Pomponnette a-t-elle, d’un coup de patte habile, fait jaillir Barnabé de son bocal, pour ensuite le dévorer tranquillement et n’en laisser que les arêtes ?
Est-ce par méchanceté ? Par vice ?
Non ! Pomponnette a, sans aucun doute, juste voulu le dévorer des yeux, puis a été emporté par une envie irrépressible. Pomponnette a été la proie de son instinct, renforcé par le développement de son goût pour le poisson grâce aux croquettes au thon, oui, aux croquettes au thon que lui fournit sa maîtresse ! Ces mêmes croquettes que cette même maîtresse oublia de verser dans son bol hier matin, abandonnant son animal de compagnie dans les affres de la faim pour la journée entière !
Et Barnabé, est-il une victime innocente, lui qui n’adressait jamais la parole à quiconque ? Lui qui narguait quotidiennement Pomponnette de ses tortillements bocalesques et de sa couleur orange vif ? N’est-il pour rien dans ce drame, avec sa poissonitude ?

Que valait la vie de Barnabé ? Barnabé manquera-t-il seulement à quelqu’un ? Madame Delanorme nous dit qu’elle s’y était habituée... Est-ce une raison suffisante pour se lamenter de sa perte ? Certes, Barnabé ne rongeait pas les cloisons, ne salissait pas le balcon, et ne causait pas de raffut. Mais, devons-nous considérer que l’innocuité d’un être est une raison suffisante pour en valoriser la vie ?

Quant à Pomponnette, pouvons-nous lui attribuer la conscience de la perte que représenterait l’absence de Barnabé pour sa maîtresse ? Pomponnette a-t-elle des notions du bien et du mal ? Pomponnette croit-elle en l’égalité des espèces et leur droit inaliénable à la vie ?

Mesdames et messieurs les jurés, hier matin, au saut du lit, Pomponnette était l’innocente créature que nous avons devant nous. Pomponnette s’est étirée comme elle le fait tous les matins, elle s’est frottée à sa maîtresse comme elle le fait tous les jours. Hier matin, Pomponnette n’avait en tête aucun dessein mortifère. Pomponnette, laissée seule dans l’appartement, sans croquettes, la porte de la cuisine ouverte, Barnabé tournant insensément dans son bocal posé sur la table... Pomponnette s’est soudain trouvée submergée par son instinct, et, sans réfléchir aux conséquences de son acte, a pris son petit-déjeuner, et ce petit déjeuner, qui lui paraissait offert, qui lui paraissait opportun, naturel, évident, l’amène aujourd’hui devant nous.

Mesdames et messieurs les jurés, à présent je m’en remets à vous afin que vous puissiez faire œuvre de justice, afin que vous puissiez affirmer haut et fort que, dans cette histoire, la véritable victime se trouve ici présente, avec ses belles rayures et son doux pelage. Mesdames et messieurs les jurés, acquittez Pomponnette pour ce qui n’est pas un crime, mais juste une petite incartade gourmande.

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eysselia
Posté le 11/01/2022
Salut ^^,
J'ai adoré ton texte qui est parfait pour faire rire. Rien qu'en repossant au noms je me remet à ricanner. La plaidoyeries est bien mené, sérieusement, passionément (je ne sais pas qui est l'avocat, mais je l'engage direct en cas de pépin) ce qui ontraste avec le sujet du procet, un vrai régal, légal cette fois ^^.
Merci pour ce moment de lecture déliceusment drôle et bonne continuation.
Contesse
Posté le 16/12/2021
Bonjour !
Je tombe sur ton histoire par pur hasard et vraiment, je dois dire que j’ai adoré ! C’est plein d’humour, de sarcasme !
Venant du milieu du droit, je trouve que tu as capté avec une précision et une justesse infinies les codes des plaidoiries ! J’ai vraiment cru lire un ténor du barreau en train d’essayer de défendre un veritable meurtrier x)

Comme le souligne Edouard, rien que les noms des protagonistes inspirent le sourire x) Pomponnette et Barnabé, ça sonne si vrai !

En tout cas, ce fut un plaisir de lire cette courte histoire très rafraîchissante !

À bientôt peut-être ;)
Edouard PArle
Posté le 09/12/2021
Coucou !
Ah ! ah ! excellent ! Tu as fait ma matinée^^
J'ai eu un gros fou rire sur le prénom Barnabé, ca sonne tellement étrangement pour un poisson rouge.
L'idée est très drôle en tout cas, pourquoi pas faire d'autres procès d'animaux^^
Merci pour ce moment !
A bientôt (=
Cunegonde
Posté le 09/12/2021
Merci pour tes commentaires. C'est vrai que c'est encourageant d'avoir des retours ! Celui-ci m'a permis de réaliser que j'avais oublié la fin du texte. Je suis en train de lire "Les neufs bannis" et t'en parlerai quand je serai plus avancée dans les chapitres. A bientôt ( :
Edouard PArle
Posté le 10/12/2021
Génial, pressé d'avoir ton retour alors (=
A bientôt !
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