Clair-obscur

Par Krapiva

                               Sa vie fut aussi brève que le claquement sec et brutal d’un coup de fouet. Il traversa l’existence comme un ouragan, lequel prend racine, enfle, forcit et s’enfuit au grand galop, laissant derrière lui ruines et dévastations.

                               Pressé, plutôt fiévreux d’impatience et fougueux comme un pur-sang, comme s’il connaissait d’avance son destin, une urgence à vivre cruciale s’imposait à lui, ses jours, à ses yeux entraînés dans un compte à rebours funeste. Son caractère était ombrageux, son âme velléitaire et belliqueuse, deux facettes d’un tempérament tourmenté.  Acharné et conscient de son talent, il voulait se faire une place, la sienne, unique dans le domaine de la peinture. Cette impétuosité intrinsèque l’obligeât à commettre quelques délits et qui sait, un crime.

                               Sous ses semelles, il n’y avait pas du vent, juste une poussière tâchée de sang et cela l’obligeait à fuir sans cesse pour éviter l’arrestation et la prison. Condamné à une errance sans fin, entrecoupée de respirations paisibles grâce à l’appui de généreux mécènes, lesquels se voyaient gratifiés en échange de toiles sublimes.

                               Il aimait le peuple, se mêler à la vie des rues et des bas-fonds. Il fréquentait les tavernes sordides, là où la vie grouille. C’est là qu’il découvrait les filles de petite vertu qui dans ses toiles remplaçaient les madones virginales dans des clairs-obscurs fantastiques. Sous ses pinceaux, le noir de la mort omniprésente côtoie le rouge fulgurant de la passion et du sang versé en rémission des péchés de l’humanité égarée.

                               Solide, sans cesse il affrontait les périls, à peine le temps d’une respiration, et de nouveau s’imposait la fuite éperdue sur des chemins dangereux, pour sauver sa peau mise à prix. Il fuyait au grand galop, à bride abattue tel un étalon indomptable, semant dans l’urgence ses toiles éblouissantes de vérité. 

                               Seules quelques-unes de ses œuvres sont parvenues jusqu’à nous. Il s’appelait Michelangelo de son prénom, lui qui n’était pas un ange, mais un homme de sac et de corde, un bagarreur, un insoumis, un forcené de la vie toujours sur le qui-vive.

                               Sa rage créatrice se trouve dans ses œuvres, une œuvre de bruit et de fureur, celle d’un animal traqué, aux abois mais qui ne se rendra jamais.

                               Dans les tavernes sombres et empuanties par les remugles d’odeurs animales et humaines, il se livrait à la débauche avec des courtisanes vénales ; le sexe et la mort n’ont-ils pas certaines accointances évidentes ? Au petit matin dans un caniveau pestilentiel il se retrouvait amoché, car querelleur de nature et par instinct animal. Une fois de plus il avait pris un mauvais coup, faute de s’acquitter de ses dettes d’alcool, de sexe ou de jeu. Ce serait d’ailleurs une rixe qui aurait mal tourné qui était à l’origine de son errance congénitale.

                               La noirceur de ses œuvres montre qu’il côtoyait assidument les ténèbres, sa peinture s’est vu accoler le vocable de ténébrisme, ce n’est pas un hasard.

                               Une vie aussi agitée, toujours tempétueuse et   dans la démesure ne pouvait que se finir d’une manière tragique. A son époque les épidémies étaient nombreuses et leurs conséquences catastrophiques, les mauvaises rencontres sur les chemins l’étaient tout autant. Laissons donc un certain mystère entourer sa mort. Lorsque la grande faucheuse s’est présentée à lui, elle a du ne pas lui apparaître inconnue. Il l’a surement accueillie avec bravade, une petite fanfaronnade au passage n’était pas pour lui déplaire, et telle une bourrasque il s’en est allé comme il était venu avec l’arrogance et la fierté de son génie pictural.

                               Michelangelo Merisi dit Le Caravage a sublimé la peinture avec des clairs-obscurs à couper le souffle. Il a su transcrire par sa palette aux couleurs sombres, la douleur mais aussi la vitalité de sa jeunesse éternelle.

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