Il n’y avait pas l’ombre d’un doute.
Dame oui, elles s’étaient encore barrées et c’est la clôture qui les avait laissé passer.
De toute façon, il y avait toujours une raison et la raison la plus rassurante était toujours la plus probable.
Tenez, quand Kennedy avait trompé Jacky avec Marilyn, il lui avait dit qu’ils prenaient une douche ensemble pour économiser l’eau.
J’étais pas là pour le voir mais si il n’y avait pas eu de douche, ils ne se seraient jamais retrouvé ensemble.
Tout ça pour dire que la clôture et la douche, ce sont deux emmerdeuses.
J’y suis allé pour voir de quoi y retournait, d’autant que pour une évasion, elles n’étaient pas discrètes.
Je les entendais brailler du haut de la butte comme si elles étaient fières d’avoir commis un crime.
Il restait fort à parier qu’il y en ait deux ou trois qui soient restées sur le dos en s’excitant.
Bingo ! deux grosses tortues laineuses en contemplation vers les cieux.
C’était pas trop tard mais elles avaient pris un coup sur le citron, un peu plus et elles avaient pas le temps de s’expliquer.
Elles ont rejoint le peloton et j’ai abdiqué.
Avant, je les aurais remises dans leur champ pour les punir mais j’avais changé de tactique pour avoir la paix.
Je faisais en sorte que, lorsqu’elles s’esquivent, elles retombent dans un champ déjà brouté.
Vous auriez vu leur tête, pleine de laine, les yeux chacun à l’opposé du crâne et la pointe des oreilles tendues vers l’extérieur !
Ça m’avait ralenti et le temps commençait à tourner au vinaigre.
C’était dimanche et j’avais découvert, non sans une pointe de fierté, que les dimanches avaient la fâcheuse tendance à se gâter plus que les autres.
Celui-ci n’allait pas pourrir comme ça, je comptais bien aller à la mer.
J’enjambais la butte avant de rattraper la haie de cyprès qui déploya son feuillage pour me protéger du vinaigre.
Ses branches me grattaient le crâne mais finalement, j’avais bien fait de ne pas la tailler et puis de toute façon, elle ne se serait pas laisser faire.
C’était déjà arrivé qu’elle me balance la tronçonneuse dans la bobine.
Je passais devant la boite aux lettres.
Un bail que je m’étais désabonnée quand j’y pense.
La dernière fois, ils m’avaient envoyé Xi Jinping, un berger Druze, le projet de loi de finances avec les indexes et la statue en cire d’un type du nom de Stéphane Bern.
J’aurais préféré recevoir un ami ou une femme.
Et puis d’habitude, je regardais si j’avais du courrier mais plusieurs fois j’avais égaré mon bras au fond alors je me méfiais.
Faut dire qu’elles étaient de plus en plus profondes ces boites aux lettres, si on voulait rendre l’information accessible, c’était raté.
Ah la mer, je salivais à y penser… La belle Iroise…
Elle devait être agitée, j’espérais ne pas être emporté au large mais j’avais entendu dire qu’en principe elle ne prenait pas ceux qui restaient sur le ponton.
J’aurais tout le loisir d’y réfléchir sans m’angoisser à l’avance et puis au pire, je pourrais angoisser en revenant.
Avant ou après, cela n’a pas d’importance, du moment que j’angoisse.
J’allais rentrer chez moi quand j’aperçus une voiturette se garer à côté du soleil.
Il me semblait reconnaître Hervé à ses cheveux roux mais avec le soleil à sa gauche, ça n’était pas si évident.
- Gare toi plutôt en face de la ferme, ta voiture risque de cramer, il chauffe dur aujourd’hui.
- T’inquiète pas pour ça, va, elle en a vu d’autres
Hervé venait boire un jus, j’avais peur qu’il reste trop longtemps et que je ne puisse pas aller à la mer.
Je lui dis et il resta, il était fidèle en toute circonstance.
- Je n’ai plus de jus mais il y a un reste de vinaigre, t’en veux ?
- Oui, de toute façon on ne trouve plus rien maintenant, même pas une meule de bois ou un albumen d’enfant.
Entre temps la voiturette avait pris feu et Hervé ne pouvait pas rentrer chez lui.
Il regarda vaguement les restes de ferraille coagulés et regroupa des miettes d’insectes sur la table.
- Je te sors à la mer si tu veux ? Peut-être que tu trouveras une nouvelle voiturette là-bas
- Je sais pas… Janice fait la moue.
Je l’ai vu faire la moue devant la maison dans sa belle robe bleue, ça ne lui arrive pas souvent et puis elle ne veut pas que je regarde. Qu’est ce qui lui prend Jo ?
- Je sais pas, j’ai jamais rencontré de femme, je ne savais même pas qu’elles pouvaient faire la moue. C’est peut-être depuis que vous avez déménagé dans le poulailler ?
- C’est vrai que c’est moins confortable et puis elle a les œufs qui lui sortent de la tête quand j’achète une nouvelle voiturette.
- Viens, on y va…
Je voulais pas qu’il commence à ruminer comme une vieille vache qui a perdu son veau.
On a évacué les cendres qui restaient de la voiturette, l’histoire que ça fasse plus propre.
A pied, quand j’y pense, ça faisait loin la mer.
J’avais pas eu le droit à la voiturette parce qu’on m’avait dit, que j’avais assez de choses comme ça et que je devais m’estimer heureux.
J’avais bien essayé de trafiquer le moteur d’une brebis mais le joint de culasse avait lâché et elle refroidissait pas bien.
Le chemin était bien frais.
Exposé au nord.
Hervé marchait en récoltant des noix de coco dans les ajoncs, il en avait déjà un bon paquet.
Il en cassait quelques unes sur sa tête pour écraser Janis, qui faisait la moue dans sa robe bleue.
On a débouché sur une langue de route qui léchait la lande à perte de vue.
Là, au beau milieu, un type semblait englué avec sa voiturette, les pneus collés à l’asphalte.
Sa tête dodelinait toute seule alors que le véhicule ne bougeait déjà plus.
On n’était pas si à l’aise avec Hervé et pourtant je connaissais cette langue de route comme ma poche.
Dans un cas comme ça, ce qui m’étonnait, c’est qu’il n’y ait pas déjà eu une bonne portion de flics huileux autour.
Une tête qui flotte, ici-bas où tout était logique, c’était suspicieux.
Le type n’était pas très causant.
Peut-être que lui aussi voulait aller à la mer et décidément, il avait oublié que c’était dimanche et que les dimanches étaient aussi sournois que les mirages.
Hervé explorait déjà la plage arrière et creusait dans le sable à la recherche d’indices.