Devant moi se tiennent un homme et une femme, debout l’un en face de l’autre. La tension se dégageant entre ces deux êtres est à la limite du tangible, laissant supposer sans grande marge d’erreur qu’il s’agit là de deux amants. L’instant semble s’être figé dans le temps, comme pour faire honneur à l’intensité de leurs sentiments. Une force d’attraction invisible est mise en jeu entre leurs deux corps. Lui, la dominant de toute sa hauteur, imposant son ombre. Elle, le bras droit tendu à proximité de sa mâchoire carrée.
Les doigts de la femme sont élancés en une douce caresse, induisant un mouvement délicat à son avant-bras. Son épaule droite est légèrement avancée, modifiant ainsi le centre de gravité de sa propriétaire. La partie gauche est en recul pour conserver un semblant d’équilibre, comme le démontrent ses deux pieds fermement ancrés dans le sol. Ses membres imposants sont parfaits pour supporter de larges hanches, symbole de féminité par excellence dans l’Antiquité. Sa poitrine fièrement étirée protège son cœur, qui, si l’on pouvait l’entendre, restituerait les plus belles symphonies. Son port de tête est maintenu par un fil invisible de marionnettiste, traduisant une posture digne de la haute société. Ses longs cheveux ondulés semblent flotter sous les effets d’une faible brise, une mèche voyageant le long de sa joue. Les lignes de son profil sont délicatement dessinées par ses lèvres pulpeuses, légèrement retroussées. Ses yeux sont grand ouverts, laissant transparaitre un sentiment de désir inassouvi partagé par son partenaire.
Il semble la dévorer des yeux et ses sourcils froncés partagent sa frustration de ne pouvoir l’embrasser en l’instant. Ses lèvres sont fortement pincées en une retenue devenue difficile, comme le témoignent ses deux poings serrés. En-dessous de sa pomme d’Adam palpite sa veine jugulaire au rythme endiablé de son cœur. En glissant son regard le long de son cou, de son sternum, de ses pectoraux et abdominaux, un observateur extérieur ne pourra qu’apprécier le soin avec lequel son corps est sculpté. Ses bras pendent de chaque côté, sans pour autant masquer les muscles saillants. Les deux jambes soutenant cette carrure sont définies par des mollets galbés et des cuisses puissantes, probablement gagnées lors d’une pratique intensive de la course à pied.
Je ferme les yeux et me laisse envelopper par cette image gravée sur ma rétine. J’essaie de m’imprégner au mieux des émotions que m’inspire la vision de ce couple. Est-ce de la sérénité, de la joie ? Ou bien s’agit-il plutôt de jalousie ?
Un passant me bouscule, m’arrachant à cette rêverie diurne et me forçant à me décaler légèrement pour continuer mon observation curieuse des deux amants. Or, selon ce nouvel angle de vue, la situation se dévoile sous un jour nouveau. La scène qui auparavant dévoilait les prémices d’un baiser passionnel couve à présent une dispute sur le point de tourner au drame.
L’homme semble en effet sur le point de laisser éclater sa colère puisque les veines de ses poings liés sont à présent gonflées. Il ne délaisse néanmoins pas son attitude dominante, marquée par sa posture que l’on pourrait qualifier de fière, pour ne pas dire altière. Peut-être est-ce d’ailleurs cela qui suscite la colère de sa compagne ? Sa main tendue, qui auparavant préparait une caresse tendre, semble à présent décider à profondément marquer la chaire de son partenaire. Ses yeux se sont assombris sous l’effet de la tension environnante ; tandis que ses lèvres esquissent un léger pincement. En réponse, l’homme fronce encore un peu plus ses sourcils, les muscles de sa mâchoire se tendent, sa bouche entrouverte étouffe un hurlement. Une tempête invisible se prépare, et rien ni personne n’aurait pu interrompre sa rage destructrice, si ce n’est le son de glas qui retentit soudain.
Je soupirais faiblement en fermant mon carnet de croquis, ce faisant marquant la fin de ma contemplation.