Coralie

Coralie poussa la porte de son nouvel appartement avec un mélange d'excitation et de fatigue. Les murs nus résonnaient du vide de ce lieu qui allait bientôt devenir son refuge, sa nouvelle vie à Paris. Elle inspira profondément, l'odeur de peinture fraîche et de bois imprégnant ses narines. Ce n'était pas la première fois qu'elle déménageait, mais chaque nouvel endroit portait en lui la promesse de renouveau, de changement.

La journée avait été longue et éprouvante. Le camion de déménagement était arrivé en retard, et les déménageurs, bien qu'efficaces, avaient eu du mal à monter les meubles encombrants dans l'étroit escalier parisien. Chaque marche semblait être un obstacle infranchissable, chaque virage un défi. Les cartons s'étaient entassés dans l'entrée, créant un labyrinthe de cartons qui laissait peu d'espace pour se mouvoir. Coralie avait dû superviser chaque étape, indiquant aux déménageurs où poser les cartons, s'assurant que rien ne soit endommagé.

Le déménagement avait été éreintant, et la rencontre avec Lucien, son voisin du dessus, n'avait fait qu'ajouter à la bizarrerie de cette journée. Lucien, un homme d'une soixantaine d'années, aux cheveux gris en bataille et à l'œil vif, l'avait aidée à porter quelques cartons. Il s'était révélé être un véritable puits de potins, n'hésitant pas à partager les histoires sordides du quartier et, en particulier, celles de cet immeuble.

C'est ainsi qu'elle apprit que son appartement avait appartenu à une femme qui s'était suicidée après la disparition de son fils. Le garçon avait disparu sans laisser de trace alors qu'il jouait dans un square, sous la surveillance attentive de sa mère. L'histoire, racontée dans le moindre détail par Lucien, avait laissé Coralie troublée.

Le soleil se couchait lentement derrière les immeubles parisiens, jetant une lueur orange à travers les fenêtres. Coralie se débarrassa de son manteau et se dirigea vers le carton marqué "ORACLE". Ses cartes, son précieux outil de médium, étaient un réconfort dans ce monde souvent chaotique et insondable. En fouillant dans le carton, elle trouva enfin le jeu, ses doigts effleurant le cuir usé de l'étui avec une familiarité rassurante.

Assise au milieu des cartons éparpillés, elle disposa les cartes devant elle, cherchant une connexion, une sensation, une voix muette mais puissante. Elle ferma les yeux, laissa son esprit vagabonder, et mélangea les cartes avec une lenteur calculée. Elle se sentait étrangement attirée par l'histoire du précédent occupant de l'appartement, comme si un écho de cette tragédie persistait dans l'air.

Coralie tira quatre cartes, une à une. À chaque fois, une vague de frisson parcourait son dos. Les cartes parlaient d'un enfant, d'une perte, d'un chagrin indescriptible. Les images étaient claires : un bac à sable, une mère attentive, et puis le vide. Elle fronça les sourcils. Pourquoi l'appartement lui parlait-il de cet enfant disparu ? La mère s'était suicidée, leur histoire devait être close, et pourtant, les cartes insistaient.

Avec une hésitation inhabituelle, elle tira une cinquième carte. Dans ses tirages, cette action était rare, presque taboue. La carte qui apparut était la Dame de Cœur. Une femme meurtrie, un cœur saignant, une féminité détruite. Coralie sentit son cœur se serrer. La femme semblait la fixer, ses yeux peints renvoyant une douleur profonde et inextinguible.

Coralie savait qu'elle était épuisée. La journée de déménagement, la rencontre avec Lucien, et maintenant ce tirage déstabilisant l'avaient vidée de son énergie. Elle remit les cartes dans leur étui avec soin, les plaçant dans un coin de la pièce, puis fouilla dans un autre carton pour trouver sa couette. Elle s'enroula dedans, cherchant un semblant de confort dans le désordre ambiant.

Le crépuscule se transformait rapidement en nuit, plongeant l'appartement dans l'obscurité. Coralie chercha à tâtons dans un carton marqué "Lampe de chevet" et en sortit une petite lampe qu'elle aimait beaucoup. Elle la brancha à la prise la plus proche de son lit et la posa délicatement sur le sol. Lorsqu'elle alluma la lampe, une lumière douce inonda brièvement la pièce avant que l'ampoule n'éclate dans un craquement sec, laissant Coralie dans une obscurité encore plus pesante.

Elle sursauta, le cœur battant, et resta immobile quelques instants, respirant profondément pour calmer ses nerfs. La journée avait été trop longue, trop étrange. Elle se promettait de remplacer l'ampoule demain, mais ce soir-là, elle se contenta de l'obscurité oppressante.

Alors qu'elle commençait à se détendre, elle entendit des cris provenant de l'appartement voisin. Un couple semblait en pleine scène de ménage. Les hurlements étaient stridents, les voix emplies de colère et de ressentiment. Des bruits d'objets fracassant contre les murs retentirent, suivis d'insultes lourdes et blessantes. Le tumulte était si intense que Coralie pouvait presque sentir la tension vibrer à travers les murs.

Elle se redressa, tendant l'oreille, son cœur battant plus fort. Les éclats de voix semblaient se rapprocher, chaque mot craché avec une violence qui la faisait frissonner. Les cris étaient parfois étouffés par le bruit des objets se brisant, accentuant l'angoisse de la scène. Coralie se sentait impuissante, incapable de faire quoi que ce soit pour apaiser cette fureur qui semblait vouloir tout dévaster.

Le calme revint finalement, laissant un silence encore plus lourd que le vacarme précédent. Coralie resta immobile, essayant de reprendre son souffle, le cœur toujours battant à toute allure. Elle espérait que cette nuit troublée ne soit qu'une exception, mais une part d'elle-même craignait que ce ne soit qu'un aperçu des nuits à venir.

Elle s'allongea sur son lit, encore emballé dans du plastique, se promettant de reprendre l'Oracle demain. L'appartement semblait vouloir lui parler, et Coralie savait, en tant que médium, qu'il ne fallait jamais ignorer les messages des cartes. Ils étaient souvent insistants, ne tolérant pas le silence ou l'oubli.

Alors qu'elle fermait les yeux, une pensée persistante la suivait dans le sommeil : pourquoi cet enfant disparu occupait-il encore cet espace ? La mère et son fils cherchaient-ils à communiquer avec elle ? Et quel rôle jouerait-elle dans cette histoire ?

La nuit était tombée, enveloppant l'appartement d'une obscurité silencieuse. Les bruits de la ville s'étaient estompés, laissant place à un calme inquiétant. Coralie, pourtant épuisée, ne trouvait pas le sommeil. Chaque ombre, chaque craquement, chaque souffle du vent contre les fenêtres la mettait en alerte.

Elle se redressa, incapable de chasser les images des cartes de son esprit. La Dame de Cœur, surtout, semblait hanter ses pensées. Coralie savait que les cartes étaient plus qu'un simple jeu. Elles étaient une passerelle vers l'invisible, un moyen de déchiffrer ce qui se cachait derrière le voile du quotidien.

Le silence de l'appartement était lourd, presque oppressant. Coralie se leva, enveloppée dans sa couette, et se dirigea vers la fenêtre. En bas, le square était désert, baigné par la lumière froide des réverbères. Elle imagina le petit garçon jouant dans le bac à sable, sa mère assise non loin, un livre à la main. Comment avait-il pu disparaître sans laisser de trace, malgré l'attention vigilante de sa mère ?

Un frisson la parcourut. Elle se retourna, le regard attiré par le coin de la pièce où elle avait laissé son Oracle. La fatigue se faisait sentir, mais elle savait que repousser ces questions ne ferait que les rendre plus persistantes. Demain, elle reprendrait les cartes. Demain, elle chercherait des réponses.

Coralie retourna dans son lit, tentant de se convaincre que tout cela n'était que le fruit de son imagination, exacerbée par la fatigue et le déménagement. Pourtant, une petite voix en elle savait que ce n'était pas si simple. L'appartement lui parlait, et elle devait écouter.

Avant de fermer les yeux, elle murmura une prière silencieuse, une demande de protection et de clarté. Elle savait que le chemin qu'elle s'apprêtait à emprunter serait semé d'embûches, mais elle était prête. Parce que lorsqu'on est médium, on ne fuit pas les ténèbres. On les éclaire.

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Gaïane Fritsch
Posté le 18/07/2024
Hello,
Premier chapitre très intense. J'ai eu des frissons. Vraiment hâte de lire la suite.
Je suis pas très fan des morals ou autres formules à message donc je trouve la phrase de fin de la partie assez lourde et inutile. Il est possible de passer un message dans une histoire mais elle doit venir plus vers la fin ou au moins vers le milieu. Là, cela donne juste l'impression qu'on est dans un générique de superhéros. Excepté ce détail, le reste du chapitre est vraiment bien écrit et captivant.
J'émet juste une réserve sur le rythme de l'histoire. La tension est déjà très haute donc il faudra faire attention dans la construction du suspense et de la peur. Des temps de répits doivent être accordés.
Hâte de lire la suite !
Hugo Levarions
Posté le 18/07/2024
Merci beaucoup d'avoir pris le temps de me laisser un commentaire. Cela fait toujours plaisir, d'autant plus que votre critique est, pour moi, très constructive. J'en prends bonne note. Les prochains chapitres n'étant pas encore postés, j'ai le temps de voir ce que je peux rectifier. Sincèrement, merci.
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