Il portait un pantalon kaki, tu sais, la couleur du crime, de la guerre. Elle était omniprésente ici-bas. À l’ombre des tranchées, elle les avait avalés. Les hommes, les uniformes. Tous se mélangeaient. La terre, la boue, la peur, absorbaient chaque pigment. Masquaient chaque éclat de vie.
De ses yeux clairs, que tu avais si souvent vu rire, l’horreur mangeait tout. Le brun désespoir avait gagné la partie. La victoire avait depuis toujours été illusoire. Dans cet affrontement monochromatique, toutes les armées n’étaient que des figurants dramatiques.
Il avait pourtant tenté. Vêtu de bleu, drapé d’innocence, il avait voulu se prononcer « héros français ». Bien vite, la poussière terreuse l’avait rattrapé. Impossible ici, de reconnaître l’ami d’un ennemi. Même ta peau rosée, il n’aurait pu la différencier. La chair carbonisée à le même goût âpre pour tous ceux qui y ont goûté.
Alors, quand son sang chaud perça son uniforme maculé. Quand le liquide morbide pris le dessus sur son corps fangé. Il souria. Tu te souviens, de ce dernier sourire qu’il t’avait adressé, en ce mois de mai ? Un instant, il flotta à nouveau sur ses lèvres craquelées. Telle une bataille, enfin gagnée.
Après des jours à chercher. Des mois, à espérer le moindre éclat coloré. Fuir. Fuir à tout prix ce monde bruni. La réponse s’imposait à lui. Le Rouge. Vermeil, audacieux, débordant de son corps meurtri, comme un ultime signe de vie. Couleur revenue, mais à quel prix ? Celle de son humanité, à jamais sacrifiée ?
Il avait pourtant résisté. Chaque nuit, terré au fond du fossé, ses mains s’étaient animées. De sa plume hagarde, il avait essayé de te narrer des scènes chatoyantes. S’échapper un instant, un instant seulement, de ce quotidien uni d’épouvante. Mais était-il seulement possible, de dépeindre le carmin de ses sentiments, perdu dans une poussière bistre suffocante ?
Sa lettre resterait à jamais inachevée. Serrée contre son cœur, elle s’imprégnait désormais de la vie qui s’échappait de lui. De ce qui ne t’avait jamais dit. De tous ses compliments qu’il te destinait. Et de ses fleurs, aussi, qu’il s'était promis de te porter.
Et ses belles couleurs, acquises à l’orée de la mort, il te les offrit. Pour que jamais, tu ne vois de lui, que le kaki de son treillis.
J'ai adoré lire ce texte (je l'ai relu plusieurs fois d'ailleurs) et il m'a vraiment impactée. En quelques lignes tu as réussi à ce qu'on s'attache au personnage.
C'est à la fois trash et doux, tes mots sont vraiment bien choisis.
Tu nous parles de l'horreur de la Guerre sans un mot pour les obus, les gens tués, etc et c'est absolument magnifique.
Je n'ai pas vraiment l'expérience nécessaire pour réussir à parler de la forme, mais j'ai beaucoup aimé ton style d'écriture.
Que souhaites-tu faire de ce texte ? As-tu pensé à le retravailler pour un faire un véritable poème ?
Sinon le choix de privilégier des phrases très courtes avec l'utilisation du point plutôt que de la virgule est-il intentionnel ?
Ce texte m’a vraiment frappé. Tu arrives à capturer cette atmosphère lourde et désespérée de la guerre de manière très poignante. La couleur kaki, qui est omniprésente, fait écho à l’idée que tout se confond dans la guerre, que tout est englouti dans la boue et la poussière. C’est comme si la guerre effaçait tout, jusqu’à l’individualité des soldats.
Le passage où le soldat meurt et sourit m’a beaucoup touché. Ce dernier sourire, malgré tout ce qu’il vit, ça m’a donné l’impression que c’était un dernier acte de résistance, une façon de dire "je suis encore là", même dans la mort. Et puis, cette couleur rouge, ce rouge de la vie qui s’échappe, mais qui finalement coûte si cher... C’est à la fois un acte de beauté et une tragédie.
La lettre inachevée m’a aussi beaucoup marqué. Elle montre tout ce qui n’a pas pu être dit, tout ce qui reste derrière, dans l’ombre de la guerre. C’est un peu comme une promesse non tenue, des mots qui ne pourront jamais être dits. Mais cette image de la lettre, restée là, m’a aussi fait penser à la beauté cachée dans la souffrance. C’est un contraste fort et ça donne une profondeur émotive au texte.
Finalement, la fin, avec le kaki, c’est comme si la guerre avait tout effacé, même les couleurs et les rêves. Mais en même temps, ça montre comment, même dans cette boue et cette misère, il y a encore des traces de ce qui a été humain, de ce qui a été vécu. C’est un texte dur, mais qui nous fait réfléchir sur ce qu’on perd et ce qu’on oublie en temps de guerre.
Bon courage pour la suite !
J'avais vraiment envie de mettre le lecteur au centre du texte en lui offrant une place unique avec le "tu", le faire acteur de cette barbarie. Victime, lui aussi. Alors, ça me fait plaisir de voir que tu as réussi à t'immerger dedans !
Pour la suite, on verra ce que ça donne ! J'écris surtout des nouvelles/textes poétiques courts et détachés les uns des autres. Donc je ne sais pas encore vraiment comment je peux les publier sans trop passer du coq à l'âne !