Crepuscule de vacance (3) - La nouvelle guitare

Par Pouiny

Sans un regard, je retournai me changer dans ma chambre et parti immédiatement sur mon vélo, guitare dans le dos. Je ne pouvais pas attendre le crépuscule pour voir Aïden. Pour la première fois, j’arrivai sans qu’il s’y attende. Je sonnai à la porte. J’avais peur de tomber sur ses parents, mais au final ce fut bien mon compagnon qui me fit face.

« Bastien ? Mais qu’est-ce que tu fais ici si… tôt… ? »

Alors qu’il finissait sa phrase, il me vit littéralement m’écrouler pour tomber dans ses bras et éclater en sanglots. Surpris, il ferma la porte discrètement de son pied avant de me caresser le dos.

« Bastien, qu’est-ce qu’il y a, tu peux m’expliquer ? »

Sa voix douce me fit penser presque à celle de sa sœur, la veille, et me fit pleurer davantage. Comprenant qu’il ne pourrait rien tirer de moi, il resta silencieux, restant debout à me caresser le dos et les cheveux, attendant que je me calme de moi-même. Quand mes larmes ne furent plus que des reniflements, il me demanda avec un ton conciliant.

« Tu veux rentrer à l’intérieur ? On sera mieux. »

Après m’être séché les yeux, je le regardais. Il avait un petit sourire, mais son visage trahissait de l’inquiétude. j’acceptais en silence, alors qu’il me prenait la main et me guida dans sa maison.

 

Chez lui, tout était sur un étage. Il n’y avait qu’un salon, une cuisine et deux chambres, mais cet espace devait suffire. Il me conduisit à sa chambre en vitesse, alors qu’il me semblait voir une ombre féminine dans le salon.

« Je t’expliquerais plus tard, maman. »

Sans que je puisse rien lui dire, il m’enferma dans sa chambre, prit ma guitare pour la poser près de son bureau et m’assit sur le lit. Il s’installa en face, sur sa chaise de bureau, et me regarda calmement de ses yeux clairs.

« Bien. Tu veux m’en parler ?. »

Gêné, je détournais le regard sans trouver les mots. Il sourit.

« Allez, c’est toi qui dois me tirer les vers du nez, d’habitude ! Qu’est-ce qui se passe, depuis hier ? Tu n’as vraiment pas l’air dans ton assiette… »

Regardant ma guitare, je me rendais compte que je ne savais surtout pas par quoi commencer. Puis faisant violence sur ma gorge douloureuse qui réclamait le silence, je finis par lâcher.

« Parce que j’ai eu cette guitare quand j’avais dix ans, mes parents aujourd’hui se séparent.

– Quoi ? »

Il semblait particulièrement étonné et perdu. Alors, tout se délia. La guitare, Arnaud, la réaction violente de ma mère, le harcèlement qui en suivit, puis la peur, la violence, la solitude, et enfin l’explosion. Il écouta sans mot dire, attentif. Mais je voyais son visage pâlir au fur et à mesure qu’il comprenait tout ce qui avait pu se passer. Puis, je fis silence. Aïden, d’un regard grave, m’observait. Parfois, son regard allait sur la vieille guitare que j’avais pris avec moi. Il ne répondit rien à tout ce que je pus lui raconter. Puis au moment où l’absence de réponse allait devenir pesant, il fouilla dans son porte feuille, me prit la main et me conduit dehors.

« Viens avec moi. »

On sorti de la maison, puis de la rue. Me traînant la main presque avec force, il me dirigeait dans le centre de notre petite ville. Après quelques minutes à marcher en silence, je vis qu’il ralentissait alors qu’on arrivait devant une boutique photo. Je pensais qu’il allait me traîner dedans pour je ne sais quelle raison, mais en vérité, ce fut dans le bâtiment d’à coté dans lequel on s’engouffra. Une petite sonnette résonna quand nos deux corps passèrent la porte. Il me lâcha enfin la main, sûr que je ne partirais pas. Et il vit juste, car tout autour de moi trônaient des guitares, du sol jusqu’au plafond. Mes yeux s’écarquillèrent alors que je tournais lentement sur moi même, comme espérant pouvoir tout admirer d’un regard.

« Bonjour ! Puis-je vous aider ?

– Oui, ce serait une guitare pour ce monsieur…

– Quoi, moi ? »

Aïden me jeta un regard appuyé, comme si je ne devais pas le trahir. Je fixai le vendeur, comme dans un rêve. Comme habitué, il ne releva pas mon égarement :

« Bien sûr ! Par quoi êtes vous intéressé, une guitare sèche, électrique, folk, classique ?

– Attendez, mais je n’ai pas… »

Je pris Aïden par la manche et le tirai près de moi pour lui murmurer à l’oreille :

« Tu as ne serait-ce que la moindre idée du coût de la moindre de ces merveilles ? Je n’ai pas…

– Quel est le problème ? »

Il me fit un geste, et ce qu’il me montra m’acheva presque autant que le magasin. La somme qui était dans ce porte monnaie était colossale, d’autant plus pour des jeunes gens de notre âge.

« Mais où est-ce que tu as trouvé ça ?!

– Trouvé ? C’est mes économies. Ne t’inquiète pas, je n’ai rien volé.

– Messieurs ? Puis-je vous présenter ce modèle ? »

Le vendeur, espérant peut être pouvoir abréger les discussions, arriva avec un peu de fierté avec une guitare électrique blanche, flamboyante. Il me la mit dans les mains, alors que j’étais encore complètement sous le choc.

« Que pensez vous de la prise en main, monsieur ? Vous savez jouer ?

– Oui…

– Il joue depuis au moins sept ans. Mais sa guitare commence à se faire vieille, et il lui faut un nouveau matériel qui correspond à son niveau…

– Oui, bien sûr, je comprend ! Électrique ou sèche ?

– Je… Je ne sais pas encore… balbutiai-je. J’étais sur une classique jusque là…

– Bien ! Si vous voulez, continua le vendeur, enthousiaste, me reprenant la guitare des mains, je peux vous conseiller... »

Alors qu’il s’éloignait chercher le modèle qu’il avait en tête, je fis un regard noir à Aïden, presque en colère.

« A quoi tu joues, Aïden ? Je ne peux pas te permettre de dépenser une somme pareille pour moi !

– C’est mon argent, Bastien, j’en fais ce que j’en souhaite. Il était au départ pour du nouveau matériel photo, mais je n’en ai pas besoin dans l’immédiat. Et j’aurais un travail dans quelque jours. Je ne mettrais pas bien longtemps à récupérer cet argent.

– C’est de la folie ! »

Je commençais vraiment à perdre patience à élever la voix. Le vendeur, peut être un peu gêné, resta en retrait, sa guitare dans la main, attendant qu’on lui fasse signe.

« Bastien…

– Pourquoi tu fais ça ?! Je ne sais même pas ce qu’on fait là !

– Tu ne vas pas me dire que tu n’en as pas besoin ? »

Son ton triste me calma instantanément. Il semblait réellement perdu. Le regard viré sur le coté, il n’osait plus me regarder.

« Je ne sais pas parler ou consoler comme tu sais si bien le faire. Mais quand tu m’as parlé de ta guitare, avec autant de tristesse… Et de tout ce que tu as du faire pour l’avoir et la garder… Je n’imagine même pas la douleur que j’aurais ressenti si j’avais du rester bloqué avec le vieux polaroid de mon père. Je veux juste… »

Il ne finit pas sa phrase. Il ne savait peut-être même pas lui-même ce qui lui avait pris. Je regardai le vendeur, qui du le prendre comme un assentiment. Il s’approcha immédiatement, me mettant dans les mains une guitare électrique noire a la peinture vernie et brillante.

« C’est notre dernière arrivée ! Elle est de très bonne facture et convient parfaitement pour les niveaux moyens. Elle est parfaite pour une transition guitare sèche à guitare électrique ! Et même pour après, si je peux me permettre.

– Tu ne voulais pas plutôt une guitare classique ? Me demanda Aïden d’une voix un peu timide.

– Ma guitare actuelle me va, pour tout ce qui est classique… Après tout, même si elle est vieille, j’en ai toujours pris le plus de soin possible. J’ai tout appris avec elle, même comment la réparer. Je l’aime vraiment…. »

Le vendeur comme Aïden semblèrent avoir un soupir de déception.

« Cependant… Avoir une guitare électrique serait vraiment bien, en complément. Je pourrais varier mon style. »

Aïden, surpris, redressa vivement la tête pour me regarder. Le vendeur, quant à lui, se remit au travail :

« Si vous voulez l’essayer, nous avons une pièce exprès pour.

– D’accord, alors branchons là…

– Parfait ! Suivez moi. »

Alors qu’on se dirigeait vers la salle, nous ignorions que ne nous préparions à une bonne heure d’essayage de guitare de toutes sortes. Toutes les couleurs, toutes les formes… Puis je finis par m’attacher particulièrement à une guitare noire et blanche de peinture mate. C’est sans trop hésiter que je montrai le modèle au vendeur qui sembla soulager.

« Puisque vous êtes jeunes, je peux vous faire un prix sur les accessoires, comme l’ampli et le casque !

– Le casque ? Demanda Aïden.

– Oui, pour ne pas assourdir vos parents. »

Ce fut à ce moment là que je compris que le vendeur nous avait pris pour des frères. Nous nous regardâmes furtivement, puis décidâmes silencieusement d’ignorer.

« Ce serait parfait. Merci, monsieur. »

Je pris l’étui de guitare comme un cadeau du ciel alors qu’Aïden prenait l’ampli et réglait la facture. Nous quittâmes le magasin ensemble du même pas. Une fois dehors, mon compagnon souffla.

« Normalement, je vais tout le temps dans ce magasin de photo. Du coup, je passe toujours devant ces guitares. Mais comme je ne suis pas musicien, je n’y avais jamais vraiment prêté attention jusqu’à présent.

– Oui, je m’en doutais. »

On marcha en silence un petit instant, avant qu’Aïden demande d’un ton froid :

« Tu te souviens de leurs têtes ?

– De qui ?

– De ceux qui t’ont tabassés au collège.

– Je ne suis pas sûr. Pourquoi ?

– Tu pourrais porter plainte. Pour coups et blessures.

– Quoi ? »

Je crus d’abord qu’il plaisantait, mais son visage et la lueur colérique de ses yeux me confirmèrent que non. Par réflexe, ma main alla à mon œil gauche.

« Personne n’est au courant de ce qui s’est passé… Et ça fait longtemps, maintenant. C’est pas si c’était important…

– Bien sûr que si, c’est important. Tu aurais pu mourir, ce soir là.

– C’était des gamins…

– Toi aussi. Tu ne méritais pas ce qui s’est passé.

– Tu penses ? Pourtant, toi aussi tu frappais les gens, au collège, non ? »

Pris par surprise, il sursauta comme si je venais de lui planter un coup de couteau en pleine poitrine.

« Qui t’as dit ça ?

– C’était des bruits qui couraient, dans les vestiaires. Je n’ai jamais su si c’était vrai.

– Je me défendais. »

Ses poings se serrèrent.

« Je n’ai pas ton aisance orale. Je n’arrivais pas à expliquer aux gens qui se moquaient, que ma sœur n’était pas folle, ni débile, et que ce n’était pas congénital. Je voulais juste… qu’on arrête de nous insulter. Mais … Ce n’est pas pareil. Je n’ai jamais pris plaisir à frapper qui que ce soit. Et quand j’ai compris que ça ne faisait qu’empirer les choses, j’ai arrêté.

– Je vois. »

Pourtant, ses joues s’empourprèrent, comme si il avait honte.

« Je le savais, que tu n’étais pas méchant.

– J’espère bien ! »

J’eus un petit rire, alors que mon doigt frôla sa joue, entre tendresse et plaisanterie. Il le récupéra au vol, et continuâmes à marcher vers sa maison, main dans la main.

« Je suis content, dit-il enfin.

– De quoi ?

– Tu me fais confiance. Et maintenant, on se connaît vraiment. Vu tout ce qu’on a vécu, ce n’est pas rien, non ?

– C’est vrai. Mais comparé à toi, je n’ai rien vécu.

– Tu rigoles ? C’est pas moi qui ait été frappé à mort !

– Bien sûr, tu parles à un fantôme qui prépare sa vengeance, d’ailleurs. »

Il rit un peu. Et avec son rire, s’échappa la pression et l’ombre qui enveloppait mon cœur. Alors qu’on allait passer la porte de sa maison, Aïden eut un petit mouvement d’arrêt. Puis, il fini par dire avec inquiétude :

« Tu sais, Bastien… Ce n’est pas de ta faute. Tout ce qui est arrivé… Tout ce qu’on t’a fait subir… Ce n’est pas de ta faute. C’est juste que les gens ont tous peur de ce qui est différent. Mais ça ne vous empêche pas, à toi et à ma sœur, d’être des gens biens. Vous ne méritez pas de souffrir.

– Et toi ? Tu ne comptes pas dedans ?

– Moi ? Disons que j’ai échappé aux filets de la normalité. Je m’en suis plutôt bien sorti, non ? »

C’était en souriant qu’il dit cette petite phrase, mais il semblait vraiment triste. On rentra à nouveau dans la maison, plus tranquillement, et allongé contre lui, je pus enfin me reposer un peu de cette effrayante nuit. Après des heures silencieuses et somnolentes, je rouvris légèrement les yeux ; Aïden s’était lui aussi endormi. Mais quand je fis un geste, ses yeux bleus se posèrent sur moi.

« Ça va aller ? Avec tes parents.

– Il faudra bien, soupirai-je en me redressant. Ma mère ne va sans doute pas rentrer avant un moment. C’est déjà ça.

– Tu veux rester à la maison ?

– Quoi, ici ? »

Je le regardai avec étonnement. Il était sérieux. Mais je répondis en un rire nerveux :

« Non, tu plaisantes, je ne veux pas déranger.

– Tu es sûr ? Je ne pense pas que mes parents en serait gênés. Tu serais plus tranquille. Non ? »

J’eus un moment de réflexion. L’idée de vivre avec Aïden était plaisante, mais celle de laisser mon père seul dans une aussi grande maison me fit culpabiliser.

« Non, ça va aller. Je vais rentrer. Merci, Aïden.

– Pas de problème. »

S’il était déçu, il n’en montra rien. Il m’accompagna jusqu’à mon vélo. Alors que je me préparai a partir avec mes deux guitares, je finis par dire :

« Je suis désolé Aïden, je crois pas être en état pour m’entraîner, aujourd’hui. On se revoit demain ?

– Ne t’inquiète pas. Repose-toi, j’ai besoin de toi en forme !

– Merci, pour la guitare. C’est vraiment un immense cadeau, que tu m’as fait. Je ne l’oublierai pas. »

Gêné, Aïden ne répondis rien. Déjà sur mon vélo, je me penchai légèrement pour l’embrasser sur les lèvres. 

« Je te revaudrai ça, promis ! »

Et je partis a toute allure jusqu’à chez moi, retrouver mes belles de nuits et mon père en état de décomposition.

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