Crépuscule rouge

J’ouvre les yeux sur le crépuscule de mon monde. Il explose dans une marre de rouge et d’éphémère. Ses filaments d’apocalypse dégoulinent sur moi. Un poids se pose sur ma poitrine, tente de m’étouffer. Je me redresse pour le faire taire.

Mais heureusement, au milieu du ciel morcelé, elle est là.

La fille qui étincelle.

Elle court vers moi.

Sa silhouette dans le ciel ondule comme une sirène, gracieuse et fière. Sa peau est lumière, ses cheveux sont tissés dans l’éternité.

Ses doigts d’or s’enroulent autour des miens.

Elle me sourit, mais les diamants dans ses yeux brillent trop fort. Ils m’inquiètent.

— C’est l’heure.

Le tremblement de sa voix déchire l’espace du temps, et un petit peu mon espace à moi aussi.

Elle lève la tête.

La mer de sang s’est retirée pour laisser place aux abysses. Mais ces abysses ne sont pas faits de ténèbres, ils sont constellés d’étoiles.

Il me semble que je comprends, alors je serre ses mains dans les miennes.

— Non… Pas encore.

Je ne sais si mon murmure a percé au moins assez loin pour qu’elle l’entende. Elle sourit encore.

Ses doigts sont incandescents.

Mes mains sont glacées.

— Mais si, il le faut. Il est temps.

Les étoiles naissantes commencent seulement à scintiller, juste avant de s’éteindre une à une. Jamais en chœur, toujours à tour de rôle.

Pour ne pas faire de l’ombre à leurs amies.

Pour ne pas faire de la lumière à leurs ennemies.

Je refuse les étoiles, je refuse son sourire. Je secoue la tête.

— Reste encore un petit peu, s’il te plaît.

Elle ouvre la bouche, je suis prête à recueillir l’alcalin de sa voix, mais à la place, c’est un rire qui s’en échappe. Chaud et pétillant, il monte, monte, monte haut dans le ciel et se perche dans un petit coin de mon esprit.

— Enfin, tu sais bien que je ne peux pas.

Je baisse la tête. Je ne veux pas voir son sourire se dissoudre dans le noir.

— On ne peut pas coexister dans le ciel, toi et moi.

Je détourne les yeux. Je ne veux pas voir ses diamants s’éteindre dans la nuit.

— C’est pas vrai. On peut. On l’a déjà fait. Et puis…

Ma voix n’est pas comme la sienne, forte et claire. Mes mots tanguent et mes phrases se cachent jusqu’à disparaître.

— Le ciel est assez grand pour deux.

Son rictus est immense, mais il fait de l’ombre à mon espoir. Elle porte mes mains contre sa bouche.

— Bien sûr que non, tu le sais. C’est chacune son tour.

Elle murmure son sourire contre ma peau.

— Et ce soir, c’est ton tour.

Sa voix s’échoue comme une caresse de glace, une caresse qui s’écoule dans mes pores et dévore mes veines.

Elle bascule la tête en arrière, les filaments d’or de ses cheveux s’envolent vers la voûte céleste.

— Regarde. Les étoiles sont là pour t’accueillir.

Je secoue la tête encore.

— Je veux pas rester. Sans toi… Je veux pas.

Son petit rire, doux et sucré, vient me chatouiller une deuxième fois. Les picotements se font aiguilles, et très vite, ils me transpercent presque autant que sa poigne brûlante.

— Mais si. Allons, les étoiles brilleront plus fort sans moi.

Ses mots s’envolent et errent dans le vide avant de s’évanouir. Lentement, la fille dorée perd sa lumière et se laisse conquérir par l’ombre.

— C’est ton moment. Enfin, tu seras reine… Reine de la nuit.

Je m’agrippe à elle de toutes mes forces, ses doigts chauds glissent de mon étreinte sans résistance.

— Je dois m’endormir pour que tu puisses enfin te réveiller.

Son sourire est une lame tranchante au milieu de l’obscurité, je ne vois que lui. Il danse, danse, danse dans la nuit, il tourbillonne et fanfaronne avec les étoiles.

Elle s’éloigne.

Je me fige.

Une lueur éblouissante remplit mes yeux, grille mes rétines. Je jette mes mains devant mon visage pour me cacher.

Mais cette lumière aveuglante vient de moi.

Mon corps tout entier est lumière.

Une orbe blanche et pure qui salue les étoiles. Celles qui naissent et celles qui meurent.

Je brille de mille feux, je brûle de mille flammes.

Elle glisse sur le firmament au loin. Je crois qu’elle me fait signe.

Je tends la main.

Jusqu’à ce que je ne vois plus rien.

Je hurle.

Et le vide me répond.

Rien.

La fille Lumière a été dévorée par les étoiles.

Et désormais, je suis seule.

Seule compagne du vide et du noir.

Je ne veux pas regarder le néant dans les yeux.

Alors je ferme les miens.

Quand je les rouvre, tout est blanc.

Le plafond qui me surplombe, les murs qui m’enferment. Ma peau, mes habits, le tissu qui m’étouffe.

Je ne vois plus le ciel.

Je tourne la tête, elle roule sur le côté, docile.

Et mon souffle se solidifie dans ma gorge.

Sur le lit non loin de moi, je la vois. Je la reconnais.

La fille Lumière.

La fille Lumière qui ressemble beaucoup aux ténèbres. Cheveux noirs, chemise noire.

Ténèbres magnifiques.

Elle est immobile, figée dans l’espace, prisonnière du temps. Une de ses mains s’échappe de la couverture blanche et pend tel le bras désarticulé d’une poupée.

Je me redresse et me penche. Je prends appui sur un coude, je tends la main.

La chemise qui me couvre s’entrouvre et laisse apparaître un sillon rougeâtre et sinueux sur mon torse.

Ma main retombe.

Je ne veux pas voir sa poitrine à elle.

Mais l’organe chaud et bruyant qui tape contre mon thorax le veut, lui.

À l’orée de son col noir, je vois les bandes blanches qui recouvrent son cœur.

Cachent le trou béant au milieu de sa poitrine.

Le trou béant de mon ciel sans étoiles.

Je ne pourrai plus jamais me blottir dans l’ombre de sa lumière.

Le soleil s’est couché pour laisser vivre la lune.

Et il ne se lèvera plus jamais.

Dorénavant, je devrai apprendre à vivre pour deux.