Bip...bip....biiiiiiiiiiiiippp....
« Docteur, docteur, il s'éteint... »
« Monsieur Patricio, vous nous entendez ? Vous êtes avec nous ?
Monsieur Patricio...monsieur...allez, tout est fini, tout va bien, ce n'était qu'un mauvais cauchemar ! »
Bip......bip.......bip........bip.......bip
« Seigneur, Djah …. »
« Daniel, ça va mon chéri ? Ouffff....tu nous as tous fichu la frousse !! Bon, l'essentiel c'est que tu te réveilles, et tu vas t'en remettre, on sera tous là auprès de toi ! »
Daniel naquit dans une bourgade de l'agglomération mulhousienne, au cœur de l'Europe, ou à l'extrême orient de la Gaulle, selon le point de vue.
Selon que l'on perçoive l'enclave alsacienne comme l'anchois au milieu de la pizza européenne, ou bien comme les villages d'irréductibles résistant encore et toujours à l'envahisseur françois.
En tout état de fait, le petit Daniel grandit dans l'amour de ses parents, courageux immigrés espagnols issus du régime franquiste. Suivant la vague massive de migrants d'alors, les parents Patricio vinrent trouver refuge dans ce grand est dont la réputation de donner de nombreux postes de travail n'était plus à refaire.
Le père, ébéniste de formation, prit tout de même d'abord quelques postes de fortune car il fallait bien faire vivre Dolores, sa femme et leur petite Maria qui était née en route, sur le trajet de Compostelle, mais dans l'autre sens. De Saint-Jacques, Santiago, à Mulhouse. Leur refuge. Bien sûr ils n'étaient pas venus seuls, et avec eux d'autres ressortissants de la péninsule ibérique arrivèrent par centaines. Certains s'engagèrent alors chez Peugeot, d'autres au sein des firmes alsaciennes encore en vogue : dans le textile, le chemin de fer, la sidérurgie.
En parallèle de son poste d'ouvrier à Peugeot, le père Patricio avait commencé à remonter son atelier d'ébéniste dans un cabanon attenant à leur petite maisonnette de la cité ouvrière. Ces fameuses maisons qui dit-on furent parmi les pionnières de ce type en France, instaurées par les soi-disant grands esprits entrepreneurs et philanthropes mulhousiens du 19ème siècle. Les Engel-Dollfus et autre Koechlin, étaient les figures de proue de cette grande épopée mulhousienne qui valut à la cité aux cents cheminées, une renommée d'ordre internationale au sortir de ce siècle révolutionnaire.
Mais Enzo Patricio, avait une âme d'artiste. Il ne pouvait se résoudre à suivre une chaîne de production tel un robot, comme Chaplin les avaient tellement bien dépeintes dans son chef d’œuvre, « Les temps modernes ».
Non, Enzo était un façonneur. Armé de ses couteaux à bois, de son rabot, de sa scie à onglets et des ses autres outils, il avait le don de transformer n'importe quel bois brut en pièce raffinée. En même temps qu'il sculptait l'objet, il façonnait son âme. Il arrivait à tirer quelques deniers de ci de là, par quelques ventes opportunes qu'il arrivait à conclure dans la rue qui donnait sur le Grand Boulevard. Il participait quelquefois à des foires ou au marché hebdomadaire qui se tenait et se tient d'ailleurs toujours aujourd'hui sur la Grande Place au sein de la Cité du Bollwerk[1]. Ah, il avait le goût du travail bien fait. Et Dolores alors. En bonne mère méridionale, elle ne quittait que très peu sa cuisine. Et aux tortillas, et aux churros de réjouir les papilles de son tendre époux, de la petite Maria qui grandissait et bien entendu de tous les voisins environnants qui n'avaient eu besoin que de peu de temps pour apprécier la présence de la nouvelle famille venue du royaume d'Espagne. Des vrais princes, dans toute leur humilité et leur modestie.
Un matin ensoleillé, ce furent les cris d'un nouveau né qui heurta le silence du midi dans ce petit quartier ouvrier. En effet, ce n'est plus à un bon plat mitonné que Dolores venait de donner vie, mais bien au petit Daniel qui laissait apparaître sa petite bouille déjà bien faite.
« - Qu'est-ce qui s'est passé chérie ?
- Tu as pris trop de médicaments mon cœur, je crois, je crois.....que tu as essayé de t'enlever la vie...
- Waouah, c'est fou....je suis où ? Qu'est-ce qui se passe ? Seigneur, Djah »
Daniel grandit dans une atmosphère aimante, accompagnée de sa grande sœur, de quatre ans son ainée, et par tous les camarades qu'il s'était fait au fil des années.
De l'école, il ne se rappelle que très peu de choses ; déjà Daniel était souvent aspiré par les choses du ciel. Il regardait souvent par la fenêtre, il rêvassait, là une plume qui s'envole et virevolte délicatement jusqu'à se poser délicatement sur le bureau du professeur, là des pigeons qui quémandent leurs miettes en bas du bloc voisin..
A l'adolescence, son envie d'envol prit d'autres tournures : il aimait faire le casse-cou, en vélo surtout, il prenait souvent des envolées lyriques telles Lance Armstrong arpentant le Ventoux au sommet de sa forme...sauf qu'il n'avait pas encore pris de dope Daniel....enfin, pas encore....
Assez rapidement dans son parcours estudiantin à moitié désinteressé, Daniel aspirait à autre chose ; il ne se reconnaissait pas dans cette société du baby-boom où tout poussait déjà frénétiquement à la consommation et à l'achat exacerbé d'une foule de choses. Il en était plutôt lui des foules sentimentales chantées par Souchon.
Et puis ses projections étaient floues : reprendre l'affaire du père, ébéniste ? Mmouais, cela lui demanderait trop d'efforts.
Et puis ce monde matérialisant qui s'offrait à lui ne l'attirait pas tant que ça, si ce n'est par ses jolies conquêtes féminines et les états d'ivresse qu'il commençait à découvrir avec l'alcool et quelques substances légères comme le cannabis. L'usine, le monde ouvrier ? Non merci.
Lors d'un voyage, il fit la rencontre d'un moine bouddhiste qui allait être déterminante pour la suite de son parcours. C'était en fait un français qui s'était orienté vers cette voie traditionnelle, celle de l'éveil, du Bouddha, il y a de cela plusieurs années, et qui avait parcouru le monde avant de revenir au sein de l'hexagone. Daniel a été touché par cette rencontre, par la paix qui se dégageait de cet être, par cette aura qui reluisait de son visage.
De retour dans la petite maison familiale du quartier, il s'assit alors sous le figuier que le père, Enzo, avait planté en arrivant. Comme un symbole d'une nouvelle vie qui s'offrait à la petite famille, il avait acheté une petite bouture à vil prix sur le marché mulhousien. En y mettant tout l'amour et la précision que le lecteur lui connaît à présent, le père déposa une poignée de terreau dans le trou de plantation, avant de praliner les racines et de les déposer au fond. Puis il referma celui-ci avant de tasser la terre autour du collet du figuier afin que ses racines prennent bien. Puis, après avoir versé une bonne rasade d'eau de pluie, prise dans le récupérateur artisanal qu'il avait bien sûr confectionné de ses propres mains, il plaça un tuteur, petit certes, mais robuste tout de même, pour accompagner au mieux la pousse de ce nouveau protégé. Il ne savait peut-être pas qu'alors, il préparait la venue de son fruit à lui, dont sa dame allait accoucher un an après. Et qu'il allait sûrement en être le tuteur de pousse. Joyeux symbole.
Daniel sous le figuier, sentit alors son âme se dilater ; c'est une des premières fois qu'il avait cette sensation. La poitrine qui donne à s'élargir et la vision qui devient une, qui n'est plus duelle ni multiple.... « Waouah ! » se dit alors Daniel. Il avait certes approché des états similaires à l'aide de la drogue ou de l'alcool, mais jamais de la sorte, et encore moins à jeun, posé sous un arbre, assis sur la pelouse à moitié écaillée sous la sécheresse estivale. Car oui, il fait chaud, voir même très chaud, l'été en Alsace. Il avait soif d'en apprendre plus sur cette nouvelle Voie qui s'ouvrait devant lui : la voie de l'unicité, de l'ouverture, de la paix, de l'éveil...
Il commença a dévorer tous les livres sur les sujets, puis partit à la rencontre de plusieurs moines ou connaissant lors de séminaires ou retraites. Il utilisait ses quelques deniers récoltés par ci par là pour payer ses trajets et les prix d'entrée lorsque les interventions étaient payantes. Il se nourrissait, il se découvrit alors un appétit qu'il n'imaginait pas, surtout pour autre chose que la bouffe, l'alcool, la fumette ou les coucheries. D'ailleurs, sans s'en rendre compte, il se mit à moins manger, à la place il lisait.
Bon les week-ends, ça lui arrivait toujours de voir ses copains, de fumer avec eux, de partager des bons moments, et même de continuer à flirter. Mais il commença à sentir subrepticement, au plus profond de son âme, un début, un semblant de dissonance. Et le cadeau que Dolores, sa maman, lui avait légué à la naissance, était sans doute, en plus du don de la vie, une sensibilité sans nom, qui allait certes guider et nourrir l'intuition du grand Daniel, mais semble t-il peut-être, lui jouer des tours également à quelques carrefours de son existence.
« La ilaha illa Allah, Yeshoua rassouloulah »
Daniel entame donc sa vie d'adulte le cœur frissonnant à ces nouvelles réalités qui s'ouvrent à lui. Il laisse là sur le pas de la porte, ses sombres fantômes, ces relents mortifères. Il lit, apprends la voie de Siddharta, s'en imprègne, récite les mantras, provoque le silence, trouve la paix peu à peu.
Il rencontre Radia, c'est le grand amour. Elle tombe éperdue de son âme, de son visage jeune de beauté, et de son côté baba cool qui lui colle encore quelque peu au corps. Ils s'installent à quelques encablures du quartier de son enfance ; le lien à la famille chez les familles méditerranéennes, c'est un fond sacré. Pour Radia aussi d'ailleurs, ses parents ne sont pas très loin. Dans un village de l'agglomération voisine, à plusieurs kilomètres. Ensemble, ils voyagent, ils partagent, ils pérégrinent.
Ensemble, ils mettront au monde une nouvelle petite lumière. Elle s'appellera Chayma.
La suite ? Il est possible d 'écrire qu'ils menèrent à trois une vie douce, sans trop de remous. Le travail de chacun, les retrouvailles au soir devant le souper, et la petite, faisant ses dents, puis ses premières classes.
Et pourtant, puisque la vie est rarement un fleuve tranquille, quelques vagues viennent parfois secouer le calme apparent de la surface.
Quelques premiers conflits au sein du couple, firent suite aux premiers temps de l'amour. Quoi de plus normal. Les esclandres montaient puis redescendaient aussitôt. Chayma était quelquefois surprise de voir ou d'entendre ses parents dans de telles postures et emportements. Mais les choses n'allaient que rarement bien loin.
Jusqu'au jour où Radia prit Daniel entre quatre yeux :
« - Daniel, tu m'apportes beaucoup, tu as toujours été prévenant avec moi, et la petite mais...j'sais pas, y'a un truc...enfin j'sais pas, c'est moi t'inquiète...ça n'a rien à voir avec toi...mais..
- Oui chérie, dis moi, parce que là j'te suis plus trop, qu'est-ce qui se passe ?
- Ben, j'crois que j'ai besoin de prendre du recul.
- Ok, pas de soucis, prends ton temps. Mais c'est quoi ? T'as besoin de quoi précisément ?
- En fait, j'ai besoin d'une pause, de respirer, d'y voir plus clair. Je sens que j'ai des trucs à régler en moi, ça vient pas de toi t'inquiètes.
- Ok, et tu vois ça comment ? T'as besoin de prendre plus de temps seule ? Avec tes copines ?
- J'sais pas Daniel...mais j'ai p'tetre besoin qu'on se sépare un temps, une pause quoi.
- .... mais t'es sûr ? Enfin on peut peut-être discuté, ou alors j'te laisse un peu plus ton espace au quotidien..mais tu sais qu'avec moi t'es libre, que tu peux faire ce qu'il te chante..
- Je sais Daniel, et merci de ton grand cœur. Mais là c'est un besoin, j'le ressens depuis un moment mais j'osais pas encore te le dire, et puis...je n'savais pas comment t'le dire..
- Ok, pas de soucis, j'accueille. Prends ton temps, je me tiens pas loin et quand tu te sentiras prête, tu me fera signe. Et puis si t'as besoin que je sois plus présent, n'hésites pas à m'le faire savoir.
- ….. en fait, Daniel, je crois que l'on est plus fait pour être ensemble..
- Quoi ? Mais tu me parlais de pause tout à l'heure ? C'est quoi l'délire ? Qu'est-ce qui se passe ?
Radia mit délicatement un terme à cet échange nocturne pendant que la petite Chayma, qui avait à présent 6 ans dormait à poings fermés. Radia avait prié Daniel, avec le plus de tact possible, de prendre un temps chez ses parents pour qu'elle puisse y voir plus clair. Daniel, en bon prince qu'il était, tout imprégné qu'il commençait à être des enseignements qu'il suivait, ne pouvait que faire preuve d'acceptation. Il prit humblement deux sacs qu'il remplit de quelques vêtements. C'est dans un état d'esprit tout particulier qu'il regagna la demeure familial d'Enzo et Dolores où il avait grandit. Il avait à présent 30 ans. Bon, il n'y avait pas de quoi dramatiser; Radia lui avait simplement signifié son besoin de repos et d'espace, leur fille était en très bonne santé et se portait à merveille. En bref, il n'y avait pas matière à se ronger le frein.
Daniel profita savamment de cet interstice pour entrer davantage en introspection. Il avait bien senti que malgré tout le tact que sa femme avait pris pour exprimer son besoin, une sorte de faille, une ouverture, une blessure peut-être, s'était légèrement ouverte ou réouverte, juste là, à la fine pointe de son âme. Mais il se reprenait, tentait de transmuter ces émotions fortes et les quelques pensées négatives qu'elles pouvaient attirer avec elles, ces satanées projections du mental.
Bon humainement, et parce qu'il se rendait bien compte qu'il était encore loin du Nirvana, Daniel souhaita tout de même s'enquérir de sa moitié, et il en profiterait pour embrasser le front de sa fille et jouer un peu avec elle.
Il passa les voir une fois, puis deux. Puis trois. La plupart du temps elles étaient là car il connaissait parfaitement leurs emplois du temps réglé comme du papier à musique. Radia avait des horaires de bureau relativement « classiques » ; Chayma avait école, la semaine des quatre jours, avec le mercredi libre au milieu qui lui permettait de se reposer le matin, et d'aller s'entraîner à la danse l'après-midi. Souvent Daniel l'y amenait ; il faisait tout pour se libérer de son travail au plus prompt.
Et même là, à distance, il essayait de se rendre un maximum disponible pour pouvoir chercher sa fille et la déposer à la danse. Il adorait la voir danser, gracieuse, parmi les autres étoiles. Il en était fier.
Un jour, Daniel vint voir ses deux femmes au domicile familial. C'était en fin de semaine, un jour d'automne. Il faisait relativement gris, et une fine bruine ruisselait du ciel. Daniel, équipé de son K-Way à moitié délavé vint frapper à plusieurs reprises. Rien, personne. Bizarre. Pourtant c'était une heure à laquelle les filles étaient rentrées habituellement. Il attend, patiemment, quinze minutes, une demie-heure, puis 1 heure. Le temps se fait long, Daniel essaye d'appeler Radia mais elle ne répond pas.
Au bout de deux heures d'attentes, alors qu'il s'apprêtait à partir, une Mercedes grise métallique aux vitres teintées s'arrêta le long du trottoir. De loin, et la brume n'aidant pas, Daniel ne put apercevoir qui se tenait au volant de ladite voiture. En tout cas, il vit Radia, toute apprêtée en sortir et se dépêcher de courir vers la maison pour éviter d'être trempée. Il l'interrompit dans sa cours sur le perron... :
« - Salut Radia !
Suprise elle rétorqua d'un air hébetée :
- Daniel...mais...que fais-tu là ?
- Ben, je venais vous voir, toi et la petite. Prendre des nouvelles. Elle va bien ? Et toi ?
- Je..euh...oui je vais bien merci. Et toi ?
- Ben ça va, je fais aller au mieux. Mais vous me manquer.
- Ecoute, là je vais aller me changer pour chercher la petite chez mes parents. On se rappelle ok ?"
Il ne la vit plus durant les deux semaines qui suivirent.
Puis, il revint un samedi matin pour leur faire la surprise et prendre des nouvelles. Il se disait que Radia avait sûrement eu assez de temps pour réfléchir et qu'il était sûrement temps pour eux de se revoir.
Quelle ne fut pas sa surprise de voir, au matin, la Mercedes aux vitres teintées garée devant leur maison. Intrigué, il ne se fit pas prié pour aller frapper à la porte. Après de longues minutes d'attente, Radia descendit les escaliers de la maison, et se présenta à la porte en robe de chambre.
« - Oui, c'est qui ? Daniel ! Mais...euh...qu'est-ce que tu fais là à cette heure-ci.
- Ben je reviens chez moi pour prendre de vos nouvelles et je voulais amener Chayma se promener.
- Ecoute Daniel...c'est compliqué là...en fait, je ne suis pas seul et...
Daniel se mit à vomir parterre, à côté de la rampe d'escalier en pierre qui jonchait la maison.
Il partit à reculons en regardant sa femme, leur maison, son monde s'écrouler.
« Mr Patricio, vous avez enfiler à vous tous seul l'équivalent de 2 boîtes de calmants ! En une soirée, vous l'avez échapper belle ! »
Quelques mois auparavant, Daniel avait lui aussi fait une belle rencontre. Lors d'une soirée entre copains, il avait croisé le regard d'une jeune marocaine, Jamila. Ils avaient échangés quelques mots, elle était avec des copines. La scène se déroulait dans un bar assez cool de l'agglomération. Elle le trouvait sympa et puis avait été attiré par son charme. Bon, Daniel s'était juste fait une petite virée entre potes, à la suite d'un conflit avec sa dame, mais voilà, pour lui il était hors de question de flancher avec ses nouveaux principes de vie qu'il se proposait. Et la fidélité pour lui était devenue une valeur importante. Cela ne l'empêcha pas de parler avec Jamila, de faire connaissance. Elle venait de se séparer de son conjoint, et elle sortait avec ses copines pour l'oublier. Les deux groupes d'amis passèrent une soirée plutôt cool, sous le signe de la bonne ambiance et de la détente.
Jamila envoya bien quelques messages à Daniel dans les semaines qui suivirent mais ce dernier y répondait qu'occasionnellement, et pour signifier à Jamila qu'il tenait à son couple, son mariage, et qu'il ne voulait pas trop laisser d'étincelles jaillir, au sein d'un foyer où les braises avaient déjà été quelque peu échauffés. Jamila, que Daniel n'avait semble toute pas laissé indifférente, prenait son mal en patience. Elle avait compris qu'il tenait plus que tout à son mariage mais le désir qui était né en son sein et en son cœur pour Daniel ne s'estompait pas.
Durant son temps de latence, le fameux temps de prise de recul exigée par Radia, Daniel ne fit pas que passer son temps en méditation et en lectures. Il en profita également pour aller rendre visite à Jamila chez elle. Ils passaient alors des heurs à discuter, à se confier, sur leurs envies, leurs histoires, leurs cheminements. Jamila fit clairement savoir à Daniel que celui-ci lui plaisait. Qu'il avait allumé un feu en elle qu'elle avait du mal à éteindre. Daniel lui fit comprendre en retour, que certes il l'a trouvait fort jolie et profonde, mais que pour le moment son histoire n'était pas finie. Ils s'étaient bien embrassés quelquefois, mais fidèle à lui-même, il retournait chez ses parents en attendant de pouvoir clarifier la situation avec Radia.
Jusqu'à ce fameux jour... ce jour de presque non-retour....
« - Seigneur, Djah...
Il m'a sauvé la vie. Je veux lui consacrer mon être...j'ai clairement ressenti son
appel et son être.. »
Alors que l'enseignement bouddhiste que suivait Daniel, corps et âme, jusque là, n'évoquait pas forcément la figure d'un dieu quelconque, lors de ce coma, et de cette probable expérience de mort imminente, il dit avoir ressenti sa présence. Et ce qui était encore le plus étonnant, c'est que lui, bien qu'ayant eu une éducation religieuse catholique, ne s'était par la suite plus jamais retourné vers les dénommés Dieu ou Jésus.
Et là, dès son réveil, les premiers mots qui sortait spontanément de sa bouche : « Seigneur, Yeshoua ! »
Ce cri, il l'avait sentit, était venu du plus profond de son âme. Cela ne trichait pas.
Par la suite, toujours alité quelques jours à l'hôpital, il se rappelait que Yeshoua était le nom originel du Christ, en langue hébreu. Et que lors d'une de ses multiples pérégrinations d'ordre spirituelle, au sein d'un temple pluri-confessionnel, il avait rencontré, en plus de ses amis bouddhistes qui l'accompagnaient, un petit groupe de cheminants orthodoxes, disciples du Christ. Et ces derniers, lorsqu'il évoquait leur Maître, le porteur du fruit Divin, il l'appelait Yeshoua et non Jésus.
Daniel reprit alors le fil de son histoire au creux de sa chambrée. Jamila, venait lui rendre visite de temps à autre. Ses parents aussi, avec la petite Chayma. Cela l'attendrissait, il abondait de gratitude à l'égard de la vie qui l'avait sauvé une fois de plus. Jamila lui avait confié quelques mois auparavant son attachement à la figure du Messie, fils de Marie. C'était une foi qu'elle gardait en vie, là au creux de son for intérieur. Et en plus de leur passion amoureuse, elle était heureuse de partager avec lui cet intérêt commun pour la vie de l'esprit.
Pour Daniel, il revenait à la vie, tout concordait ! La Vie lui avait pris, et lui redonnait ! Il en avait le souffle coupé.
« La construction n'est possible que sur un tas de ruines »
Il vivait une sorte de résurrection. Bien sûr, il vivait encore l'amertume de cette journée et de ces dernières semaines qui l'avaient vu aller et venir jusqu'à son ancien domicile familial...d'espoirs en espoirs, puis en peine et déséspoir..jusqu'à la chute, l'inattendu. La fracture de l'égo, de l'estime de soi...
Et là, la vie, qui s'offrait à nouveau à lui, un nouveau nom sur ses lèvres, qu'il choisira d'invoquer, de prier et de remercier, une nouvelle compagne, et sa fille toujours plus resplendissante et grandissante.
Au sortir de l'hôpital, autour d'une table achalandée au cœur de la maison de ses parents, entouré de Jamila, de leurs parents respectifs, de Chayma et de leurs plus proches amis, il posa sa main sur son cœur et s'engagea dans la voie du Divin, de son Seigneur intérieur, Yeshoua. Et alors lui revint, les histoires de sa grand-mère, la naissance miraculeuse, la bienveillance, la mansuétude, la passion, sur le Monts des Oliviers. Et puis la résurrection bien sûr, qui prenait tout son sens aujourd'hui pour lui. Par le cœur, par les tréfonds de l'âme et non par la tête. Jamila, se réjouissait pour lui, pour eux, pour elle. En effet, dans le secret de son cœur, elle avait toujours prié pour que la vie lui offre un époux qui emprunte la même sensibilité spirituelle. C'était important pour elle.
Ainsi s'ouvrit une nouvelle page dans la vie de Daniel.
Les deux tourteraux s'installèrent rapidement dans un appartement où ils construisaient leur petit nid douillet. Cet espace et ce temps permettait à Daniel de souffler, de laisser respirer et se refermer délicatement ces blessures profondes qui s'étaient fortement étiolées, suite aux récents événements.
Daniel mit peu de temps à reprendre de l'aplomb.
Il reprit son poste de travail, en tant que greffier au tribunal, avec une énergie et une foi renouvelée. Les nouveaux éléments que la vie lui offrait, tant dans sa vie intérieure que dans la matérialité, lui permettait de retrouver un équilibre.
En dehors de ses obligations mondaines, il prenait des temps réguliers de prière, seul dans sa chambre, et se rendait aussi souvent que possible à la chapelle orthodoxe qui se situait à quelques centaines de mètres de leur appartement. Il y aimait la simplicité du lieu, son calme. Les récitations collectives de litanies, ou de chants traditionnels, résonnaient en lui comme un pain nouveau. Cela le nourrissait littéralement et lui redonnait des forces pour arpenter le quotidien au dehors. En famille également, avec sa nouvelle dame et ses beaux-parents, ils marquaient les offices et fêtes liées au calendrier grégorien. La Noël, l'Epiphanie, la Pâques, étaient des moments où chacun aimait se rassembler autour d'une belle tablée, s'échanger des présents, et discutailler de tout et de rien.
Daniel avait même entreprit plusieurs voyages. Il était déjà allé une fois au Mont Athos, en Grèce, lieu de recueillement proéminent de l'enseignement orthodoxe.
Il avait suivi plusieurs séminaires en France, dans différentes régions, auprès de différents prêtres ou enseignants. Daniel menait sa barque en bon père de famille, et en bon cheminant plein de zèle pour la nouvelle embarcation qu'il venait de prendre.
De temps à autre, il sentait au fond de lui, quelques mantras qui lui revenaient, où la simple envie de s'asseoir en tailleur sur le zafu[2] et de faire silence. L'envie de reprendre un livre ou d'écouter des audios de ses lamas-racines lui revenait aussi de temps en temps. Mais il rangeait tout cela dans un tiroir, de son esprit ou de sa commode, et reprenait le cours allant de sa vie.
Un matin estivant, Daniel reçu un courrier. Il l'ouvrit.
C'était une lettre de Radia, qui lui annonçait son départ prochain pour la Norvège, avec son nouveau compagnon. Il fut foudroyé sur le champ... En effet, il comprit de suite, que cela signifiait que Chayma aussi, dont la mère avait la garde principale depuis leur séparation, allait aussi être du voyage...
Et leurs mercredis après-midi passés ensemble, et leurs week-end... Il se sentit alors démuni. Il tomba alors genoux à terre et se remit à la Vie.
Quelques mois après, Daniel s'était un peu accommodé à la situation et il parvenait à bien profiter des temps de vacances scolaires avec sa fille, qui revenait auprès d'eux pour l'occasion ; en avion, donc. Elle avait maintenant quatorze ans et avait largement gagné en autonomie.
Jamila et Daniel avait pris un train relativement « classique » de vie, entre leurs emplois respectifs, la salle de sport pour elle, les offices pour lui et la visite ponctuelle à quelques amis.
Par-ci par là bien sûr, leur ciel bleu se parsemaient de petits orages mais rien de bien méchant.
Daniel commençait à ressentir un fort retour en lui de ses racines bouddhistes. Il évaluait, voyait comment cela pouvait se marier en lui avec ses nouvelles croyances. A plusieurs reprises, Jamila l'avait surpris un chapelet à la main, récitant quelques mantras dans une langue qui lui était étrangère à elle, ou encore assis en tailleur, dans le silence. Elle était gêné, cela ne la rassurait pas. Elle se faisait une raison en se disant qu'après tout, l'important était que son mari, puisqu'ils étaient en effet civilement unis depuis peu, trouvait son équilibre et un sens à sa vie.
Mais pourtant dans son for intérieur, cela la rongeait. Elle avait du mal à concevoir que l'on puisse suivre deux traditions, avec des langues et des rites qui leur sont propres. Et puis, elle se demandait sur quoi cela allait-il accoucher ? Elle semblait perdre quelques-uns de ses repères et cela l'inquiéta dans sa posture de femme et de future maman. Elle portait dans son ventre leur petit garçon.
Un jour elle fit part à Daniel, de ses questionnements. Elle lui demanda à quoi cela pouvait rimer de s'amarrer à ces lectures, ces pratiques, inhérents à sa vie passée alors qu'il s'était engagé dans une voie nouvelle, en sa compagnie. Daniel lui expliquait, lors de ces temps d'échange qui devinrent de plus en plus fréquents, qu'il lui était difficile de ne pas revenir et s'imprégner des enseignements premiers qu'il avait reçu, et qu'intérieurement lui ne ressentait pas de dissonances.
Jamila se sentait gênée, touchée peut-être dans son intégrité, dans sa vision qu'elle pouvait avoir de son mari et de leur couple, du rapport à sa famille aussi et à la culture familiale de ce côté là, très prégnante, marquée. Qu'allait devenir cet équilibre si Daniel faisait chavirer le bateau en retournant sur ses pas, en arborant sur ses lèvres, et sa tenue, des postures ou de la vêture inhérent à cette tradition bouddhiste qui lui était parfaitement étrangère et somme toute, très exotique ?
Un jour d'hiver, elle prit les devant.
Cette fois-ci était celle de trop. Ce matin là, juste avant de sortir pour se rendre à son travail, en allant embrasser son mari, elle entrouvrit la porte de sa petite salle d'office, au sein de la maison, et elle vit son époux en tailleur, récitant des mantras an langue pali. Elle partit d'un trait, quittant la maison en claquant la porte.
Dans la journée, elle envoya un simple message à Daniel pour lui dire que le soir venu, ils se retrouveraient autour du repas pour discuter. Même par SMS Daniel avait compris que le ton employé par madame était différent des autres fois.
« - Y'en a marre de tes pratiques, c'est quoi l'truc ? Tu renies tout alors ? Et ta conversion ? Tu n'sais pas trancher, un coup c'est blanc, un coup c'est orange !
Tu va leur transmettre quoi aux enfants ? Moi je voulais qu'on leur transmette un amour commun pour Dieu, pour Yeshoua, pour la foi. Et là....et là....ça remet tout en question...
- Chérie, je t'ai déjà expliqué que pour moi, tout converge, Dieu est Un et il a donné plusieurs voies d'accès qui se valent ? Après c'est à chacun de prendre ce qui lui semble bon sur sa route pour avancer. Non, je ne renie rien, j'ai simplement besoin, de temps à autre, de me connecter à ce qui fait sens pour moi, pour ensuite mieux être avec vous. C'est comme ça, je l'explique pas. Je ne peux pas choisir.
- Si c'est comme ça, Daniel, dit-elle d'un ton ferme, les larmes qui commençaient à lui couler des yeux, je préfère que l'on s'arrête là. Pour moi c'était clair, j'épousais quelqu'un qui partageait le même chemin que moi, les mêmes convictions.
- Mais chérie, tu m'as connu bouddhiste et tu m'as pris tel quel, avec mes défauts, et mon côté encore déjanté. Aujourd'hui que je suis plus posé, que je trouve mon équilibre et que je participe du mieux que je peux à notre vie familiale, tu remets tout en question parce que je ne prie plus autant à l'office, que tu me vois reprendre d'autres outils qui me nourrissent ? Qu'est-ce qui est important, le fond et la finalité, ou les formes ? Les apparences, le fait d'être bien vu aussi par ta famille ?
- C'est décidé Daniel, je n'y reviendrais pas, c'est soit le chemin de Yeshoua, soit la porte. »
Daniel reprit contact avec ses vieux travers ; face à cela, il avait juste envie de lâcher prise et d'aller boire quelques bonnes bières, tranquille, loin de la maison. Tout bouillonnait dans sa tête, leur cheminement, leur belle rencontre, l'appartement, l'arrivée du petit...et ce choix, cornélien que Jamila lui proposait....waouh, ça lui semblait impossible pour lui de choisir puisque pour lui ces différents enseignements rejoignaient la même source...et pourtant, elle lui avait posé un ultimatum.
Durant les jours qui suivirent, pour ne pas mettre de l'huile sur le feu, en bon diplomate qu'il était, Daniel mit de côté son zafu, ses livres, son chapelet et son encens.
Et il entra dans une introspection très profonde ; en réalité, c'était même une nouvelle crise qu'il traversait. Son appel profond ? Sa femme et son foyer ? Pourquoi choisir là où il n'y a pas à priori de choix.
Jamila resta distante les jours qui suivirent leur échange houleux. Elle maintenait sa position et le faisait bien sentir à Daniel. Il en allait de sa stabilité, de son honneur.
Daniel ressentit en son for intérieur, qu'il ne pouvait déroger à ce bel équilibre familial qui lui avait tant apporter et le nourrissait tout autant. Aussi, il fit le choix d'annoncer à sa femme qu'il avait tranché, malgré lui. Qu'il allait dédié sa vie à sa famille, à les chérir, et à suivre l'enseignement de Yeshoua. Il était prêt à sacrifier une part de son être, de son attirance profonde, pour maintenir le cap et l'équilibre du navire familial. Jamila en fut fort heureuse et soulagée. Au fond d'elle, elle ne souhaitait pour rien au monde perdre son époux, et le père de son enfant.
Mais rien ne nous dira si ce choix rationnel que Daniel avait pris, apparemment décidé, pour sauver son couple, maintenir son unité, n'allait pas lui, le diviser à nouveau dans son for intérieur.
En attendant, à l'aube de sa quarantaine, Daniel prit un verre de thé à la menthe et vint s'asseoir juste là, sous l'olivier qu'il avait planter dans le jardin de ses parents, cinq ans auparavant, à quelques mètres du figuier.
Figuier et olivier dans le même jardin, et oui, avec le réchauffement climatique tout était possible, même en Alsace!!
[1]Surnom donné à la ville de Mulhouse.
[2]Petit coussin dédié à la pratique du Zazen, l 'assise en silence.