Antoine Gasseau
Dans la tempête
Chaque pas résonne comme un écho dans sa tête. D’autres garçons sont autour de lui, il en a aucun doute. Ils sont sûrement en train de scander une énième remarque offensante à son sujet. Alex s’en contrefiche, il ne se concentre que sur ses bottes s’enfonçant dans la neige. En fait non, il ne se concentre pas sur elles. Il aimerait pourtant.
La neige virevolte dans tous les sens, dansant dans le souffle constant et de plus en plus puissant du vent. Ce même vent qui le force à braver ces flocons. Pourquoi donc les avoir envoyés à l’école si c’était pour les renvoyer quelques heures plus tard ? Foutu tempête !
Le blanc du ciel se mêle au reste de l’environnement nordique de ce mois de décembre pathétique. Le froid, tel un tueur, joue avec ses couteaux transperçant sa mince veste que les adolescents de son âge portent en guise de protection. S’il tournait la tête pour regarder derrière lui, le jeune homme ne verrait que de la poudre, la neige se déposant à un vitesse folle recouvre déjà ses empreintes.
Autour de lui on peut entendre à quelques moments des injures lâchées amèrement par les adultes des environs qui déneigent leurs véhicules. Tous sont frustrés c’est certain. D’autres viennent ajouter à leur humeur la confusion de voir autant de cette froide substance. Cela apporte une pointe de satisfaction chez l’étudiant, il n’est pas le seul à avoir le moral à terre pour une fois.
Un pas à la fois. Il progresse lentement mais sûrement vers chez lui, sa tanière, son refuge, l’endroit dans lequel il passera ses 10 prochaines heures à s’abrutir le cerveau devant son appareil électronique pour oublier ses problèmes ou plutôt son problème. Un pas à la fois. N’empêche que ces pas sont difficiles. Pas seulement à cause de la non-clémence du climat mais également puisque ses pieds semblent être reliés à un boulet. Un boulet que lui-même s’impose. Il pourrait se séparer facilement de ce boulet, mais le désire-il ? Veut-il se séparer de ce boulet qui, au fond, le réconforte. Se sentir retenu par quelque chose lui manque. Cela a beau être une invention de son esprit, ce boulet le retient à cet endroit. Ce boulet ne manque jamais à l'appelle. Ce boulet le soutient autant qu’il le retient. Ce boulet l’aide à ne pas penser à…
Mme Dubreuille le salut, il s'efforce de faire de même en mimant un sourire qui, il l'espère, ne trahit pas son humeur à crever. Cette femme dégage une orat incroyablement positive. Il l’admire. Lorsque son jardin a été infesté d’insectes ravageurs, elle a rit. Lorsque son poulet a cuit trop longtemps à noël, elle en a fait une anecdote croustillante à la fête de quartier qui a suivi. Lorsque sa voiture a été vandalisée, elle a modifié les dessins à sa guise pour en faire un chef d'œuvre. Tout ce qui se produit dans sa vie semble être un conte de fée dont elle semble être le personnage principal. À certains moments ça en devient presque passionnant. Aujourd’hui, cette attitude n’a pas changé d’un poil, elle chantonne en essayant du mieux que son vieil âge le lui permet de dégager sa voiture.
Les maisons enfouies sous des tonnes et des tonnes de neige ont défilé jusqu’à ce qu’enfin, il arrive chez lui. Une baraque d’un seul étage, peinturé de 12 teintes de bruns toutes différentes sur 4 types de planches différentes. Une cabane dont le châssis menace de céder à tout moment, dont le toit est rafistolé à la va-vite et dont les fenêtres commencent à prendre la teinte des murs. Son trou à rat. Alex n’est pourtant pas pauvre. Au contraire, son père travaille dans une grande entreprise… apparemment… Et il adorait s’en vanter quand il n’était encore qu’un poupon au primaire.
Le jeune homme enjambe les ramassis de neige qui le sépare de chez lui et entre enfin. Il ouvre les lumières, enfin, la seule lumière fonctionnelle, avant de se déchausser et de partir à la chasse. Que chasse-t-il? Des petits poissons, ceux-ci ont le goût du fromage et ont comme habitat un petit sac en carton. Il en prend quelques-uns. Il en prend une poignée. Il en vide le contenu puis s’affale sur ce qui était autrefois un canapé, ce ramassis de coussins, d'oreillers et de couvertures. Bien vite, les vidéos se confondent dans son esprit et il repense à l’inévitable.
Non, il faut qu’il fasse autre chose. Il saisit la télécommande et zappe les programmes plus monotones les uns que les autres avant de sombrer. Cette fois-ci, il a sombré sans même prendre un de ces tentants cachets. Il s’en félicitera en se levant.
Dans ses rêves, toujours le même sujet, toujours la même personne. Dans ses cauchemars, encore le même sujet, encore la même personne. Cela lui donne mal à la tête. Souvent, il se réveille en larmes. D’autre fois, ces fameuses idées lui semblent allicheuses. Mais aujourd’hui, ces idées ne sont pas la cause de son réveil. Cette fois-ci, c’est une interruption soudaine qui s’est chargé de cette tâche. L’électricité, il fallait s’en douter. Par réflexe, il regarde son téléphone. Rien. Il fallait s’en douter.
Il se redresse. Le noir. Cette couleur, toujours cette couleur. Cette couleur se mêle à tout, cette couleur fait qu’en ce moment, même en plissant les yeux, il ne distingue pas le relief de sa maison. Cette couleur est souvent accompagnée de silence. Le silence est à la fois réconfortant et à la fois troublant. Quand il suit le tonnerre des voix des abrutis à l'école, il est le bienvenu. Quand il est accompagné de… d’une voix réconfortante il rend les moments inoubliables. Cependant lorsqu’il est profond, lorsqu’il est si lourd qu’il semble t’empêcher de respirer, lorsqu’il permet de penser à … le silence est insoutenable.
Encore du noir. Alex est tenté d’ouvrir la lumière de son cellulaire mais se restreint bien vite. Il aime le noir. Celui-ci fait partie de lui. Ce teint envahit autant ses pensées que son style vestimentaire. Bien mieux que les fichus couleurs qu’il se trouvait intéressant de porter plus jeune.
Alex respire. Rien d’autre à faire. Aucun bruit ne vient chatouiller ses oreilles. Toutes les perturbations se concentrent à l’extérieur contrairement à celles du jeune homme qui, elles, restent bien au chaud à l’intérieur. À l’intérieur. Elles ne sont rien que pour lui. De toute façon, qui serait intéressé à écouter ? Les flocons semblent s’être transformés en quelque chose de plus solide, quelque chose qui a plus d’impact. C’est ce qu’Alex veut éviter à tout prix.
Pris de panique, il saisit à nouveau son abrutisseur. Que faire ? Écrire ? Bonne idée ! Les mots sont en quelque sorte une façon de se libérer. On pourrait dire que les mots forment une deuxième paire de poumons pour Alex. Cracher des mots sur une feuille ou un téléphone est libérateur. Cependant, il faut faire attention à la façon dont le crachat sort.
Sayez, la frustration monte. Ses sourcils se froncent, son visage prend une teinte plus rosée, son poul accélère. Et le voilà qui part. Ce n’est pas son premier voyage. Le cellulaire a l’habitude de se faire expulser de la sorte. Cela est encore plus libérateur pour Alex, mais oh combien plus douloureux. Lancer cet appareil revient à lancer sa vie. Oui, cela implique d’envoyer valser ses erreurs comme la fois où il a cassé un verre et l’a caché ou la fois où il a… Cependant, cela implique de jeter ses moments de bonheur ou de fierté comme lorsqu’il a marqué son premier but de hockey avec Maxence ou lorsqu’il…
Sayez, l’adolescent n’en peux plus, il va chercher une des ces fameuses pilules. Ces médicaments lui ont été confiés dans le but de lui empêcher de penser la nuit. Si seulement il pouvait en prendre la journée également. Il n’aurait plus à subir cette torture incessante qu’est sa tête, que sont ses pensés. Une fois, il en a eu tellement marre qu’il s’est mit à sangloter dans les bras d’une amie. Il en est venue à envier l’ancienne version de lui. La version de lui qui pleurait à cause qu’on l’avait privée de chocolat. La version de lui qui dansait sous le rythme de n’importe quelle musique. La version de lui qui riait aux blagues puériles de son père. La version insouciante de lui.
En avalant le bonbon drogué, il se contemple dans la glace. Ça lui arrive souvent. Se regarder. Voir quelle atrocité il était devenu. Avec ses cheveux longs, ses yeux bleu qui autrefois brillait. Parfois ça dure une dizaine de secondes et il retourne à sa vie qu’il qualifie de mouvementée. D’autre fois, il se perd dans ses yeux, il fixe ses pupilles couleurs espace et y cherche des étoiles en vain. C’est dans cette position qu’un professeur l’avait trouvé une fois. Celui-ci s’était inquiété mais Alex lui avait affirmé que tout allait bien alors que ses yeux imploraient de l’aide. Ce soir, un professeur aurait pu le surprendre, il ne s’en serait même pas rendu compte. Après peut-être une heure, il arrête.
Dorénavant à moitié Zombie, le jeune homme retourne dans son nid. Il ne s’endormira pas. Quelle heure est-il? Il reprend le projectile qui gisait toujours au sol et l’allume voir l’heure. 5 heure, plus tôt qu’il ne le pensait. Soudain, l’idée de sortir lui prend. Après tout, pourquoi pas?
Après avoir enfilé son manteau, il sort. De petits grains blancs tombent toujours d’en haut et viennent s’infiltrer dans tous les recoins. La lumière orangé des lampadaires est absente et rend l’atmosphère étonnamment calme. Le chant de l’air en mouvement est énervant mais moins que le foutu silence de la maison fantôme d’Alex. La tête vide, le jeune homme déambule maintenant. Il imagine voir à ses côtés une autre personne, il s’imagine lui parler, mais au lieu de lui rapporter le réconfort escompté cela fait Alex se sentir encore plus vide. Quelques minutes et voilà maintenant le garçon devant un embranchement qu’il traverse sans hésiter. Si un délinquant veut se faire plaisir, qu’il le fasse, se dit Alex. Ces personnes ne sont de toute façon que des pourritures. Des pourritures pires qu’Alex. Des pourritures tellement pourries qu’elles ne se rendent même pas compte qu'elles ne sont pas comestibles , qu’elles dégoûtent les autres. Des pourritures qui lorsqu’ils voient des immondices tel qu’Alex se font un plaisir de les rabaisser. Alex connaît déjà ses défauts, il se les rappelle tous les jours, comme une maniaque de chat énumère ses bestioles. Il n’a pas besoin d’un imbécile pour les lui rappeler.
L’air est frisquet mais agréable, il enivre les poumons du jeune garçon non fumeur. Il a beau être tombé bas, jamais il ne tomberait bas au point de transformer ses poumons en une usine. Autant courir, courir détruit les poumons, mais pour un court instant et les rends plus fort pas la suite. Si seulement il y avait une façon de faire courir son cerveau!
Les flocons chutent toujours. Ils tombent comme des taches de peintures allant s’installer sur un magnifique tableau. Seulement, Alex ne se trouve pas à sa place dans cette œuvre. Où est sa place ? Capuchon sur la tête, il est maintenant incapable de formuler des pensées clair, son médicament fait effet. N’empêche que sa place, il l’a toujours chercher, médicaments ou non, il n’a jamais trouvé un tableau dans lequel il se sentait à l’aise. Maxence, lui, son tableau, ou plutôt sa photo, est rempli de joueur de hockey dont il fait partie. Son père, lui, son tableau est probablement orné des pièces d’or qu’il ne rapporte pas à la maison. Mais lui, Alex, où est son tableau? Où est l’œuvre à laquelle il participe. Il pensait avoir trouvé, mais visiblement il s’était approprié celui de quelqu'un d’autre, celui de… celui de… celui de Jessica. Il pensait qu’ils auraient pu partager leur tableau mais les évidences ont dit le contraire. Son tableau serait-il composé uniquement de noir ? Noir comme cette ridicule peinture toute verte se vendant à des milliers? Noir comme l’entièreté de sa vie depuis un moment. Depuis une éternité!
Pourquoi fait-il le piquet? Depuis quand fait-il le piquet ? L’adolescent n’avait même pas pris conscience qu’il avait arrêté sa marche pour devenir une tombe. Les passants ont dû le prendre pour un imbéciles. Il se lance une insulte et continue son périple dans ce désert blanc que sont devenus les rues. Au loin, des petits garçons jouent aux guerriers dans leurs somptueux palais de neige. Leur rire est amusant et réconfortant. Sans trop savoir pourquoi, Alex finit par se trouver et toquer à la porte de Mme Dubreuille. Celle-ci l’accueille avec le plus grand des sourires, son dentier manquant même sortir de sa bouche. Elle le laisse entrer et se déchausser comme la première fois qu’il l’avait vue. C’était une journée de Juillet, il jouait pour la millième fois avec son bâton préféré et sans trop savoir comment, il avait réussi à se le fourrer dans le nez. Il avait beaucoup pleuré. En entrant dans la maison de l’aînée, le jeune Alex s’était alors émerveillé. Cette dame devait être mille fois plus riche que son père ! Toutes les lumières étaient fonctionnelles et de magnifiques tableaux décoraient les murs. Peut-être même que l’un de ceux-ci représentait ses parents ! De brillants luminaires étaient placés au plafond et la vieille télévision de la dame avait tout pour impressionner. Lorsque le jeune Alex lui avait demandé si le téléviseur avait vu les dinosaures, Mme Dubreuille avait été frappé d’un fou rire contagieux qui avait arrêté les pleurs du bambin. Rien n'avait changé depuis.
La vieille lui propose de s'asseoir, de manger de la nourriture et même de prendre le thé. Ne voulant pas la frustrer l’adolescent ne présente aucune réticence et accepte tout.
Mme Dubreuille, d’une voix enjouée, commence, après s’être assise confortablement à table, à raconter les péripéties de sa journée, de la veille et même du mois dernier. Les mots s’échappent à une telle vitesse de la bouche de cette veuve ! Alex en est étonné mais au fond, ce flot de parole a beau être assommant, Alex y trouve tout de même un certain plaisir. Si bien qu’au bout d’un moment, un sourire apparaît une fraction de seconde sur les lèvres du jeune homme. Un sourire discret. Un sourire imperceptible mais tout de même un sourire!
Sur le chemin du retour, Alex a repensé à cette contraction musculaire. Il a été surpris de constater que cela pouvait encore émaner de lui. Cela peut être anodin pour certains, mais chez l’adolescent, c’est un signe de bien être, quelque chose de puissant, mais surtout, dans son cas, un lointain souvenir. Un souvenir qui s’est presque élevé au rang de légende. Repenser à cela, refaire ce relief de visage, est à la fois libérateur mais également souffrant. C’est justement en repensant à son sourire que sa tête alla pêcher ailleurs tel un pêcheur recherchant un plus gros poisson. Ce poisson est cependant bien trop lourd, bien trop dur à sortir de l’eau et tiré au bout de ce fil est souffrant. Le poisson inévitable. Le poisson empoisonné. Maintenant dans sa maison, Alex broie pour du noir pour la milliardième fois dans le noir de sa baraque depouvue d’électricité.
Une nouvelle pilule vite ! S’exclama l’adolescent pour lui-même. Tout sauf penser à ça ! Il ne veux plus pêcher, il veut dormir. Il se saisit du pot de pillule et en prend une. La pensée de vider le contenant dans son gosier lui parcourt l’esprit mais s'envole tel un nuage de vapeur soufflée à l’extérieur une journée de tempête hivernale. De toute façon, à quoi bon. Son boulet encombrant prendrait son rôle de bienfaiteur et le garderait ici. Alex est condamné. Il a constaté cette évidence le mois dernier lorsqu’il a… Et le voilà qui sombre dans le sommeil.
Et finalement le voilà, le matin, le moment qu’Alex déteste le plus et où la lumière aveuglante et torturante du soleil vient l’arracher des bras de Morphée. Cette lumière contraste avec la nuit. Voir une telle clarté est affreux. Cette atrocité ose s’infiltrer partout sans aucune invitation. Le simple fait d’ouvrir une porte ou une fenêtre suffit à invoquer cette monstruosité qui a comme jeu préféré d’aveugler ceux qui regardent au mauvais endroit dont Alex fait partie. Le pire dans tout ça, c’est que malgré son indiscrétion, cette chose du démon est incapable d’infiltrer la tête d’Alex, la condamnant à la noirceur. Pour le meilleur et pour le pire, Jessica restant bien au chaud à l’intérieur de celle-ci jouant le rôle d’un fantôme mesquin.
Ce matin, au moins, la lumière est plus faible. Les nuages d’un gris foncé noircissent le ciel et laissent tomber leurs cendres blanchâtres sur le sol de la ville qui se réveille. Ces flocons forment un paysage enfantin en allant s'agglutiner sur les toits des maisons toutes pareilles. Cette atrocité qu’est le vent souffle toujours et vient obliger les branches des arbres à se battre entre elles, celles-ci devenant des lames tranchantes si disposées trop près d’un fil électrique.
Dans la chaleur de sa maison, Alex s’ébouriffe les cheveux. Il renifle, aucune odeur. Pas même l’odeur discrète des tranches de pain se faisant lentement griller. Un léger regard sur son téléphone lui indique qu’il n’a évidemment rien manqué. Il devrait arrêter cette habitude qui détruit son moral de plus en plus, mais il en ai incapable. Ce mouvement se fait automatiquement lorsqu’il se réveille ou lorsqu’il n’est pas assez perdu dans ses pensées pour perdre l’usage de ses membres. Son cerveau ne cesse de lui inventer des scénarios qui n’arriveront jamais et ces actions sont dirigées par ce même cerveau malicieux qui veut sûrement voir Alex souffrir. Le jeune homme aimerait bien frapper sa cervelle mais il sait bien que c’est impossible et ce n’est pas peine d’avoir essayé. Rien ne traverse son crâne. Enfin, rien de matériel.
L’étudiant se leva lentement tel un zombie et se dirige vers la salle d’eau. Un petit coup d'œil vers la chambre de son père lui confirme deux choses; son père n’est évidemment pas avec lui et le courant est revenu, le cadran affichant une heure bien trop proche de minuit. C’est parfait, c’est exactement ce que le garçon voulait. Cela signifie qu’il va pouvoir faire le piquet dans la douche. Recevoir des chutes d’eau n’est pas forcément réconfortant mais cela permet à Alex de changer d’air et… également… de souffrir ailleurs que dans sa tête. En entrant dans la baignoire, Alex soupire. Encore une autre journée commence. Encore une autre journée à se sentir vide, inutile, oublié, appart. Pourquoi se plaint-il au fond? Il est loin d’être dans la pire situation. Il suffit de regarder de l’autre côté de l’océan pour constater que des personnes meurent parce qu’ils ont faim, parce qu’ils ont soif ou parce qu’ils ne sont pas pareil. Alors de quel droit se permet-il de se plaindre !? Lui ! Dans sa douche une heure par jour ! À manger et boire toutes sortes de cochonneries que lui et les autres de son âge qualifie de “bouffe”. Quel idiot ! Il augmente la température. Encore. Il doit arrêter de penser ainsi, ce n’est pas fort de sa part d’être une telle victime. De pleurer à cause de… De crier à cause… De se frapper à cause qu’il… Il doit feindre un sourire en tout temps et pas seulement lorsque Mme Dubreuille le salue le soir sur le bord de la route. Il devrait être normal. Il devrait aller voir les autres. Il devrait rire de la même chose qu’eux et oublier ce qu’il aime. C’est ce que tout le monde fait… N’est-ce pas ?! Soudain, Alex sent des gouttes sur ses joues, ne sachant pas s’il s’agit de larmes ou de gouttes d’eau il se frappe. Quel imbécile! Il augmente la température puis sort quelques minutes plus tard le corps rouge comme un homard.
Le revoilà sur son divan. Il ouvre la télévision de nouveau en guise de son de fond. Il dégaine son appareil puis le déverrouille et ne peut cette fois-ci s’empêcher de regarder l'application “photo”. La tentation est trop forte et il dépose son gros doigt sur le petit logo présent sur l’écran. Les photos qui se présentent devant lui commencent à défiler devant lui comme un film. Il ne manquerait plus que le pop corn pour attendre l'arrivée de la tant attendue Jessica. La grande star ! La plus belle actrice de son millieux, la plus généreuse, la plus drôle, la plus gentille, la… Cette fois-ci, Alex ne retient pas les larmes. Le jeune homme laisse ses larmes de crocodiles faire leur défilé de mode sur son visage et se roule en boule. Il ne désire plus qu’une chose, ne faire qu’un avec son boulet. Son corps est lourd, ses larmes se déversent comme si une rivière était placée pile derrière ses yeux. Son visage est sûrement détruit, il s’en fiche, ça lui est égal, au moins cette fois il est seul. Sa gorge se contracte. Elle se contracte si fort qu’Alex à l’impression que c’est un fantôme qui la contracte. Sûrement le fantôme de Jessica venu lui dire à quel point il était misérable et toutes les stupides erreurs qu’il avait faites. Les sanglots sont rendus incontrôlables et insupportables. L’adolescent hurle. Quel être misérable !!!
Il hurle, il hurle, il hurle! Sa tête finira par exploser, c’est du moins ce qu’il ressent, ce qu’il espère. Sentir sa tête partir en compote, voir son cerveau se déchirer sous la pression de ses cris serait un délice. Cela voudrait dire que tout est fini, qu’il n’aurait plus à penser à quoi que ce soit.
Une forte bourrasque de vent frappe dans les fenêtres et camoufle le son d’une autre bourrasque. Les deux tempêtes se déchaînent ensemble à l’unisson. De grosses boules chutent, s’abattent et créent du dommage. Propulsées violemment, ces boules finissent d’un côté par briser une fenêtre de la maison et d’un autre côté par briser autre chose. Le froid envahit soudain l’habitation. Alex ignore cela et émet les derniers sons qui ont encore la force de s’échapper de ses voies respiratoires. Un dernier morceau de grêle s’abat puis Alex se calme. Il n’a plus d’énergie.
Avec ses yeux brouillés, son visage détruit par la douleur et les muscles endoloris, il contemple le brouillard qui commence à sortir de sa bouche. L’adolescent tremble. De peur ? De tristesse? De colère ? De froid ? De tout à la fois ? Il ne le sait pas. En allumant son appareil photo, Alex constate tout d’abord le rouge qui lui chatouille les narines mais également la rougeur de ses joues et oreilles sous ses cheveux ébouriffés. Il ne semble plus être le même. Tel un vampire se transformant en chauve-souris, Alex est devenu une toute nouvelle chose. Une version dégradée de lui-même qui attendait son heure avant de sortir. L’adolescent devrait avoir honte de se voir ainsi mais il n’en a pas la force. De toute façon, qui pourrait le lui reprocher? Son père? Jessica ? Maxence ? Personne n’est là pour lui, il est seul avec son boulet. C’est ce qu’Alex pense chaque jour. C’est la vérité ! Qui voudrait d’une telle merde !?
De la neige s’engouffre dans le salon et vient encore plus refroidir la baraque. Le vent souffle et transporte l’odeur frais du matin. Tel un cadavre, Alex reste sur le canapé et ne tente même pas d’empêcher l’intrusion de la matière blanche. Son père s’en chargera. Il arrivera probablement dans une dizaine d’heure avec son gros manteau noir cachant une camisole jaunit et sa barbe de plus en plus longue. Voilà justement que dix heure plus tard, toujours posté sur le gros divan, Alex entend du bruit derrière la porte d’entrée. Cependant, chose étrange, on toque. Toujours aussi vide, Alex ne bouge pas et ne prend même pas la peine d’esquisser quelques mots vulgaires lui permettrait d’obtenir la paix. Les cognements se répètent une fois, deux fois, trois fois puis la quatrième fois l’adolescent se lève et va répondre. À sa grande surprise, Alex ne trouve pas son père ou un quelconque livreur perdu. Devant lui, se tient Mme Dubreuille qui est tout de suite apeurée, dès l’ouverture de la porte, par le sang séché reposant fièrement sur le nez du garçon.
- MON DIEU ALEX ! Qu’as-tu fais à ton nez !!!
- Mais… mais que faites-vous ici Mme Dubreuille ?
- Je… je fais le tour du quartier pour aider ceux qui ont subi des bris à cause de la grêle mais… Mon dieu qu’est-ce qu’il t’est arrivé?! On dirait que tu t'es battu !
- Je… je…
Que peut-il bien lui dire ? Un mensonge, vite ! De toute façon ce ne sera pas la première fois et probablement pas la dernière qu’il invente quelque chose. Il est devenu maître dans l’art d’inventer des bobards. Plus jeune, Alex avait caché le bris d’un pot de bonbon à ses parents et depuis, il n’a fait qu’améliorer sa technique. Au début, c’était pour cacher ses torts, pour ne pas avoir à subir le châtiment qu’est la déception des autres, mais, par la suite, c’est devenu une façon de ne pas faire mal aux autres. En effet, avec le nombre d'erreurs qu’il a commises, Alex a fini par comprendre que certaines vérités ne doivent pas être dévoilées et que la plupart des personnes préfèrent être ignorantes plutôt qu’être porteuses de tristes vérités.
- Je… oui, exactement je me suis battu !
Simple et efficace! Mme Dubreuille lui avait déjà fourni la réponse. Celle-ci ne semble, cependant, pas convaincue et fixe Alex des ses yeux bleus.
-Contre quoi ?
-Contre … contre un ours !
Le front de Mme Dubreuille se contracte et laisse de grands yeux se déployer sur le visage de la dame.
- Vraiment ? Lâche-t-elle plus que perplexe
- Oui
- …
- Oh non ! Tu as une vitre de brisée toi aussi !
Affirme la veuve en regardant par dessus l’épaule de son interlocuteur probablement pour changer de sujet.
- Oh… Oui, je n’ai pas le matériel pour boucher le troue…
- Ah bon ?
- Oui, donc j’ai préféré ne toucher à rien
- Si tu veux, je peux retourner chercher le matériel et on règlera ça ensemble !
- Oh non, ne vous embêtez pas pour si peu
- Mais si, ça me fait plaisir!
C’est ce que glisse la femme avant de s’éclipser pour revenir un quart d’heure plus tard. Avec un faux sourire et le nez nettoyé, Alex la reçoit et, ensemble, ils installent une plaque de bois devant la fenêtre endommagée. Ensuite, étant poli, Alex propose à la dame le thé qu’elle accepte. Pendant que l’adolescent se bat avec la bouilloire, une chaleur commence à se propager dans l’habitation. Mme Dubreuille le remarque et en fait par au jeune homme. S’ensuit une dizaine de discussions, ou plutôt de monologues interrompues par quelques remarques. Cette femme dégage un tel positivisme! C’est probablement la millième fois qu’Alex le remarque, mais il en est quand même surpris. Les mots continuent de sortir du mâche patate de la veuve pendant plus d’un tour d’horloge avant que celle-ci prenne un ton plus sérieux pour prononcer:
- Bon, Alex, nous avons réparé ta fenêtre mais il reste encore quelque chose à réparer, je me trompe ?
- De quoi parlez-vous? Répond le jeune homme perplexe.
- Toi. A prononcé Mme Dubreuille après un silence pesant.
- Mais… de quoi parlez vous ?!
- Tu sais Alex, tu peux tout me dire. Je ne te jugerai pas…
- Non arrêtez !
Cri Alex soudain tendu ses muscles se tendants. Ce discours, il l’avait déjà entendu sur les lèvres de quelqu’un d’autre. Au moins, aujourd’hui, il sait qu’il ne doit pas suivre cette mélodie attirante, qu’il doit la chasser, qu’il doit la fuir, qu’il doit tout faire sauf suivre cette piste.
- Il est tard, vous devriez partir. Crache-t-il sèchement.
- Mais Alex…
- Laissez moi, je ne veux pas de vous. Je ne veux de personne. Ce sont mes problèmes et seulement les miens. C’est de ma faute s' il m’arrive des choses ! Ma faute et seulement la mienne !
- Non…
- Partez ! Vous ne savez pas ce que j’ai. Vous ne voulez pas m’aider, je ne sais même pas ce que vous voulez !
- Je veux t’aider
- Et pourquoi ! Je suis un monstre ! Je fais tout mal! Je suis une atrocité! Tout ce que je commence, je le gâche !
- Ce n’est pas vrai.
- Et comment le savez-vous , vous…
- JE SUIS PASSÉ PAR LÀ
- Je… quoi ?
- J’ai broyé du noir, je m’en suis voulut pour tout et rien et j’ai eu probablement les mêmes pensées que toi !
- Arrêtez, vous êtes la positivité incarnée ! Vous mentez !
- Aujourd’hui oui, je suis très positive, mais fut un temps où j’étais autant perdu que toi, où faire un sourire me semblait impossible et… tu sais quoi, je m’en suis sortie
- …
- Et je veux que toi aussi tu t’en sorte.
- Je… eh…
- Il y a dans notre tête à tous une tempête. Certaines sont plus puissantes que d’autres et certaines sont dévastatrices, tellement dévastatrices que… Certaines têtes ne survivent pas à la tempête. C’est malheureusement normal. Il faut apprendre à dompter nôtre tempête. Tu vois, tout à l’heure, nous avons dompter la tempête en bouchant ce trou dans la fenêtre. Il faut réussir à faire pareil. Il faut savoir boucher certains trous pour que l’on puisse garder notre chaleur. Il faut savoir oublier, il faut savoir pardonner…
- Mais…
- Je sais que c’est difficile à faire. Il faut accorder plus d’importance au positif qu’au négatif, rire de nos erreurs et sourire en voyant ce qu’on était et ce qu’on est devenu. As-tu des passions ?
- Je… je ne sais pas …
- Quelque chose qui te fais du bien
- Mais.
- Et pas quelqu’un mais bien quelque chose.
- J… j’aime bien le hockey
- Commençons par là, vie ta vie, dis toi que tu es le meilleur joueur de hockey. Même si ce n’est pas vrai ! Sourit, même si c’est inutile ! Regarde l’amélioration que tu as à la place de comparer. Ça ne se fera pas du jour au lendemain , mais lentement mais sûrement, ton sourire deviendra réel. Ne perd pas espoir. Vie à fond, même la plus bête des choses. N’es pas peur d’apprendre. La vie est difficile et cruelle, nous sommes difficiles et cruels . L’important c’est que tu sois heureux. L’important c’est que tu aille bien. L’important c’est que tu sois toi-même. L’important c’est toi ! Aimes-toi ! La personne avec qui tu vivras le plus longtemps c’est toi alors ne te dénigre pas. Tu es une personne formidable. Nous sommes tous de formidables personnes. Si tu t’aimes, ceux qui le voudront t’aimeront en retour.
Le silence, un lourd silence s’installe. Lourd mais paisible. Un silence dans lequel se mêle une sorte d’excitation et une sorte de peur. L’excitation en lien avec le fait qu’une personne ait enfin dit ce qu’Alex avait besoin d’entendre mais également la peur de ce qui arrivera dans le futur . Réussira-t-il à vaincre ses monstres, à boucher des trous, à se concentrer sur le positif.
Réussira-t-il à s’aimer ?
- Je… j’ai…
- Merci !
Lance finalement le jeune homme avant de s’élancer dans les bras de la veuve. Au début surprise, Mme Dubreuille accepte l’accolade. Tel une mère, elle serre l’adolescent dans ses bras. Tout se propage grâce à ce câlin, la tristesse, la colère, la peur, les angoisses mais également le positif; la joie, l’acceptation et… l’amour. Pas l’amour amoureux, l’amour dont chaque humain a besoin, une sorte d’amitié. Un câlin est un partage. Un câlin partage tout.
Il reste encore beaucoup de chemin à Alex, mais il essaiera du mieux qu’il le peut d’obtenir, un jour, un beau et grand sourire semblable à celui de sa sauveuse. Alex ne se séparera pas de son boulet, de sa tempête, il le traînera, il la domptera . Il souffrira encore, c’est une évidence . Il sait que ce ne sera pas facile, que la vie n’est pas facile mais il essaiera du mieux qu’il le peut. Il s’aimera…
Le suicide peut sembler attirant mais celui-ci met fin à tant de choses. La vie peut être dure , mais, peu importe les difficultés, mérite d’être vécue. Vous êtes fort. Croyez en vous. Vous êtes une bonne personne. Vous méritez de vivre.