Lynn s’appuya pensivement à la balustrade de sa fenêtre pour contempler d’un œil maussade la cour intérieure de l’immeuble. Les murs gris et les toits en tuiles rouges laissaient peu de place au ciel. Il fallait lever les yeux au-dessus du mur de la maison d’en face pour apercevoir quelque chose de moins déprimant que la grisaille des bâtiments.
Vraiment, la vue qu’elle avait depuis sa chambre n’avait rien d’enchanteur et le cafard l’envahissait. Elle imaginait vivre dans une maison entourée de verdure, loin de la ville, de l’école et des contraintes inhérentes à cette vie monotone et pleine d’obligations.
Elle était sensée réviser ses leçons pour le lendemain car il y avait l’habituel contrôle du jeudi qui gâchait toujours les après-midi du mercredi. Ses cahiers étaient ouverts sur son bureau, mais elle les avait abandonnés pour rêvasser. Prévoyante tout de même, elle avait paré à toute irruption surprise de sa mère pour un contrôle de ses révisions. Tout était disposé de manière à laisser supposer de son assiduité aux études.
De toute manière elle comptait sur sa mémoire qui était plutôt bonne pour se tirer d’affaire. Généralement cela se passait bien il lui faudrait juste relire son cours un peu avant. Tant pis si cela lui prenait du temps sur son sommeil !
Appuyée sur la balustrade de sa fenêtre, le menton dans une main, Lynn regardait défiler les nuages dans le ciel.
Des animaux fantastiques se formaient et se déformaient au gré du vent. Les rayons du soleil jouaient à travers les nuages faisant des chanter les couleurs des toits et briller les fenêtres des immeubles d’en face. Un velux entre ouvert renvoya un rayon dans une pièce inaccessible au soleil en temps ordinaire. Des scintillements de lumière vinrent attirer le regard de Lynn. Tournant la tête pour découvrir la source de ce rayonnement inhabituel, elle aperçut quelque chose qui l’intrigua. Elle n’avait jamais remarqué cette fenêtre de sa chambre pour la bonne raison que des volets en masquaient toujours l’ouverture.
Un lustre couvert de pendeloques en cristal avait capté les rayons du soleil et les divisait en une myriade de feux qui illuminaient la pièce des couleurs de l’arc-en-ciel. Cela donnait une vision un peu irréelle à la façade terne et grise de l’immeuble. Lynn était fascinée par ce qu’elle découvrait et son imagination se laissait prendre au jeu des reflets chatoyants.
La pièce ainsi illuminée révélait un intérieur chaud et confortable rempli de bibelots et de tentures richement ornées. Elle apercevait un guéridon sur lequel étaient posé des statuettes en porcelaine. Sur la cheminée une grosse pendule indiquait un horaire fantaisiste qu’un balancier consciencieux s’efforçait de rectifier. Le ronronnement d’un gros chat roux faisait écho au cliquetis de la pendule. Il était confortablement installé sur un fauteuil Voltaire. Lynn ne l’avait tout d’abord pas aperçu, mais un éclat de lumière avait réveillé le magnifique animal et celui-ci, toujours en ronronnant, avait décidé de s’avancer vers la fenêtre. Après s’être étiré et fait un brin de toilette, d’un bond souple il se percha en équilibre sur la rambarde de la fenêtre.
Plissant les yeux il porta son regard turquoise sur Lynn et la fixa avec une intensité comme seul les chats en sont capables. Plusieurs minutes se passèrent et Lynn amusée se cala plus confortablement à sa fenêtre pour soutenir le regard insistant de l’animal. Cette joute l’intriguait et elle était décidée à ne pas baisser les yeux la première.
Le temps s’estompa et une douce langueur l’envahit, un peu comme si la chaleur du soleil lui était renvoyé par le regard du chat. C’était bizarre ce sentiment mais pourtant c’était la seule explication qui lui venait l’esprit.
“ Tu sais, tu peux attendre longtemps, je ne baisserai pas les yeux et je gagne toujours à ce petit jeu. ”
“ Mais pourtant un animal baisse toujours le regard devant un humain ! ”
Le chat eut un feulement de mépris.
“ S’il te plait ne me compare pas à la vulgarité d’un animal quelconque ! ”
“ Mais tu parles ! ”
“ Evidement, et toi aussi je te signale ”
“ Oui mais moi c’est normal je suis une fille. ”
“ Et bien moi je suis un chat et je parle, qu’y a-t-il d’étonnant ! Devrai-je rester bouche close, alors que tu me dévisages de manière fort peu civile ? ”
Lynn baissa les yeux d’un air contrit.
“ Allons, ne prend pas cet air désolé. Je sais que cela est inhabituel pour toi, mais c’est seulement parce que tu n’es pas assez attentive. Cela fait un bon moment que je t’observe à travers les volets de cette chambre, et je constate que tu rêves bien souvent à ta fenêtre, cependant je crois qu’il te manque des choses essentielles… ”
Le chat laissa sa phrase en suspens et passa sa patte derrière son oreille pour achever sa toilette.
“ Des choses d’essentielles ? Questionna Lynn, quoi donc ? ”
L’animal soupira et s’étira. D’un bond il sauta sur le toit qui faisait face à la chambre de Lynn et replongea ses yeux verts bleutés dans ceux de Lynn.
“ De l’exercice, ma belle, de la fantaisie, du piment et de la légèreté. Ce sont les ingrédients indispensables pour s’évader de la triste condition dans laquelle tu t’enlises. ”
“ Ma parole mais tu es un chat philosophe ! ”
“ Pourquoi ne le serai-je pas ? Si les chats semblent tellement insaisissables aux humains c’est parce qu’ils en savent long sur eux et c’est pourquoi on ne nous aime pas toujours. ”
Lynn sourit en pensant à son père qui ne supportait pas ces animaux, sur lesquels sa très forte volonté ne pouvait pas s’exercer.
Le chat s’approcha et Lynn put caresser son doux pelage. D’une pirouette, il s’éloigna et l’invita à le suivre. Lynn enjamba la balustrade et progressa sans peur sur les toits jusqu’à la fenêtre de l’appartement du chat.
“ Entrez belle jeune fille, je vous invite dans mon antre. ”
Pompeusement le chat avait pris place sur le pouf devant la cheminée. Lynn s’installa en face de lui en s’assurant que personne d’autre n’était présent dans la pièce. Mais ils étaient seuls, et tout était calme. Le chat la fixait toujours de son regard aigue-marine.
“ Chère demoiselle vous pouvez boire de cet excellent thé qui se trouve dans le samovar derrière vous, car je crois qu’il est l’heure de ce breuvage que les humains affectionnent. ”
“ Monsieur le chat votre délicatesse vous honore, et je vais faire honneur à votre invitation. ” Répondit Lynn assez pince sans rire devant le ton affecté du chat.
Elle remplit une tasse de thé et le goûta avec précaution. Surprise, elle constata qu’il était infusé juste à son goût. Avec délice elle sirota la boisson chaude et se laissa aller dans le confort du fauteuil. Le chat s’était délicatement lové sur ses genoux, et se laissait caresser doucement, quand une petite voix interpella Lynn.
“ Excusez-moi, mademoiselle, mais je ne suis pas sûre que nous ayons été présentée, ni que votre présence ici soit habituelle ! ”
Une petite femme au teint de porcelaine avait fait irruption dans la pièce près du fauteuil où Lynn se reposait. La jeune fille sursauta ce qui eut pour effet de faire descendre le chat un peu brutalement. Fort offensé de cette intrusion, il eut un regard dédaigneux pour la petite femme et furieusement il tourna le dos à la scène qui suivit.
Désorientée Lynn regarda la femme qui patiemment attendait une explication à sa présence dans la pièce ;
“ Bonjour, balbutia-t-elle, le chat m’a invitée, alors je l’ai suivi jusqu’ici. J’espère que cela ne vous ennuie pas. ”
“ Pas le moins du monde mais j’aurai souhaité que vous ayez eu la gentillesse de m’attendre pour le thé. ”
Et dans un frou-frou de tissus elle se dirigea vers le samovar et se servit une tasse.
Machinalement, Lynn lui tendit le sucrier qu’elle refusa d’un gracieux signe de tête.
Entre deux gorgées de thé, la petite femme emplissait la pièce d’un doux monologue. Ses rires de gorges ressemblaient à des roucoulements. Elle ne semblait pas s’apercevoir de la langueur qui envahissait Lynn et la laissait muette.
La porte de la pièce s’ouvrit avec fracas et une voix furieuse retentie :
“ Tu n’as vraiment rien de mieux à faire qu’à rêvasser ! On passe à table dans cinq minutes, dépêches-toi ! Après le repas je t’interrogerais sur tes leçons, et j’espère que tu auras une bonne note demain. ”
Abasourdie, Lynn vit sa mère qui partait et en regardant autour d’elle, elle reconnut sa chambre. D’un bond, elle se dirigea vers la fenêtre, tout était comme d’habitude. Triste, gris sans visibilité. Pourtant sur le toit un chat roux guettait deux pigeons qui se faisaient la cour. Il lui sembla un instant que le matou lui faisait un clin d’œil.
Rêve ou réalité ? Pour Lynne, les frontières étaient quelquefois bien minces !
Je viens découvrir ta plume et cette petite nouvelle est très sympathique à lire. C'était un bon moment de lecture détente, avec quelques sourires pour les passages avec le chat, qui est assez amusant. Il a du potentiel ton personnage de chat philosophe xD
L'ambiance de la pièce aide à profiter d'autant plus de la nouvelle et l'ensemble est très joliment écrit.
Bref, un bon moment !
Petite remarque :
"vers le samovar et se servi une tasse." -> servit
Au plaisir (=
On s'imagine bien à la place de Lynn, à rêvasser au lieu de travailler, puis à doucement se laisser aller dans le rêve au sens propre.
Ton histoire coule peu à peu dans le fantastique, et bien qu'on ressente un petit choc lors de la transition, son esprit enfantin semble presque l'accepter. On retrouve un côté fantasque avec cette pièce, où elle prend le thé.
J'aime beaucoup tes descriptions de ses sentiments, et de la pièce qu'elle découvre (en rêve?). L'appel de sa mère est aussi brutal que son retour dans la réalité, comme si on se réveillait en sursaut...
Bref, j'ai beaucoup aimé retrouver Lynn de ta précédente nouvelle, et suis impatiente de découvrir tes nouvelles productions.
A bientôt pour la suite ;)
Je suis contente que ce récit t'aies plu.
A très bientôt pour d'autres aventures!
Et moi aussi je parle à mes trois chats qui n'ont aucune gène pour me répondre....
Les chats sont des animaux enchanteurs, que d'histoires à leur propos!
A bientôt...