Danse macabre

Année 1342

Eulalie plia son oeuvre. C’était une tapisserie presque vierge à l’exception du squelette en son milieu. Elle venait de passer ses dernières semaines à la tisser entièrement. Elle la déposa sur la table et finit d’écrire la lettre pour sa dernière propriétaire. Quelques consignes pour son utilisation. Elle enferma le tout dans un coffret en bois qu’elle cacha dans la petite trappe au sol. 

– Vous avez fini ?

Elle releva la tête vers le prêtre qui l’attendait sur le pas de la porte. 

– Oui.

Il lui fit signe de le suivre. Le bûcher venait d’être terminé.

Année 2242 - neuf siècles après

Laia découvrit le petit coffre dans le grenier de sa maison. Elle força la serrure rouillée par le temps pour en sortir une tapisserie jaunie. Pffff, qui gardait ça ? Elle la jeta à l’autre bout de la pièce. Le morceau de papier vola pour se poser à ses pieds.

Mais c’est quoi ça encore ? Elle le déplia un peu brutalement, si bien que le papier craqua sous ses doigts.

Cher toi,

Voila plusieurs temps que vous transmettez cette tapisserie. Si tout se passe comme prévu, tu en seras la dernière propriétaire. Chaque âme que tu tueras se conservera sur ce tissus. La mort ne peut-être distribuée sans répercussion.

Fais en bonne usage.

Eulalie

Encore une prophétie écrite par des ravagés. Elle poussa le corps à sa gauche pour poursuivre ses recherches dans les autres cartons.

– Tu trouves des trucs ?

La tête de Fred apparut par la trappe. Il avait du sang plein les cheveux et le visage mais ne semblait pas s’en soucier. 

– Eh attends c’est quoi ça ?

Il attrapa le morceau de tissus à ses côtés et l’examina. La tapisserie paraissait bien plus grande une fois dépliée.

– Ca peut valoir cher ce truc là.

Fred passa délicatement sa main sur le motif.

– Tu crois ?

– Tu devrais le revendre samedi, tu pourrais en tirer un bon prix.

Elle songea au marché de la semaine prochaine. Ils devaient essayer de vendre le plus de chose possible pour survivre les prochains mois. Il descendit, laissant Laia seule. Elle entendit des bruits de casse et des cris. Ils avaient pourtant débarassé la maison des ses occupants en arrivant.

Elle attrapa rapidement son arme et fourra le tissus dans son sac. Ses camarades avaient été rejoints par un autre groupe beaucoup moins sympathique. Ils n’étaient pas des anges mais faisaient au mieux pour survivre. Elle vit Sam passer, le visage en sang, suivi par un homme un couteau à la main. Elle lui balança un grand coup dans l’estomac qui le flanqua à terre et l’acheva une balle dans la tête. Son chargeur était pratiquement vide depuis leur entrée fracassante dans l’habitation. Les bruits de balle s’intensifiaient, les bruits de course se calmaient. Chaque personne qu’elle voyait passer était soit couverte de sang, soit blessée. Le groupe était surtout connu pour leurs attaques violentes et rapides. En quelques minutes, la situation tourna rapidement ; ils reprirent le contrôle de la baraque, laissant peu de chances aux autres de s’enfuir.

Le silence s’installa et Laia rejoint Fred dans le salon. Ils étaient tous réunis là, encerclant une femme inconnue.

– C’est qui elle ?

Fred haussa les épaules. Sam arriva en boitant, il se prit les pieds dans un corps au sol et laissa tomber un autre homme, dans un uniforme semblable à celui de l’inconnue. L’homme jura et s’étala, face contre le sol. Il se recroquevilla en se tenant la cheville.

– Vous êtes qui ?

– Je vous l’ai dit, aboya la femme, on cherche juste à manger.

Sam se tourna vers Fred. Il avait un oeil au beurre-noir et la bouche en sang.

– On va pas les laisser partir quand même. Il m’a défoncé la cheville.

Il ponctua sa phrase d’un coup de pied dans le tibia de l’homme qui lui arracha un gémissement. 

– Si il cherchait juste à manger, c’est pas très important. Nous aussi on essayait de faire des réserves. Ce qui m’embête c’est pourquoi ils étaient aussi nombreux.

– On vous l’a déjà dit, lâcha la femme, on est les rescapés du programme jaune. On a formé un groupe certes plus nombreux que vous, mais on ne voulait pas vous attaquer. On a pensé que vous étiez des rassembleurs, pas des activistes.

Sam ricana. Il se tourna vers leur groupe d’un air décidé.

– C’est bien mignon comme excuse. Qu’est-ce qui nous dit qu’ils vont pas prévenir les autres et nous attaquer les prochaines fois ? On fout le feu et on rentre. De toute façon, ils sont pas en état de rejoindre les autres.

Tout le monde acquiesça et commença à rejoindre les véhicules. Personne ne contredit Sam, par peur de sa réaction. Les deux au sol pleuraient. Laia leur lança deux flacons.

– Prenez ça, au moins vous serez plus là quand ça cramera.

La femme lui lança un regard noir et déboucha la première fiole pour laisser couler le liquide dans la bouche de son compagnon. Il convulsa puis son corps se détendit.

Laia rejoignit le convoi de véhicules pour laisser son sac. Elle en sortit un briquet. Fred revint de derrière le bâtiment, un bidon à la main. 

– C’est bon vas-y.

Elle démarra le feu. Rapidement, une vive chaleur se dégagea. Toute la maison prenait feu progressivement. Les poutres craquaient et s’affalaient dans un terrible orchestre.

– Allez on rentre.

Laia grimpa dans le premier 4x4 et claqua la portière. Le trajet se déroula dans un silence religieux.

Ils gagnèrent leurs habitations en un temps record. La nuit était tombée depuis longtemps quand Laia claqua la porte de sa chambre et s’affala sur son lit. Aleyde se pencha au-dessus d’elle.

– Bonjour !

Laia se redressa sur son lit et la prit dans ses bras.

– Des trouvailles aujourd’hui ?

Aleyde rapprocha son sac et le déposa sur le lit. Elle en sortit la tapisserie.

– Oh.

Elle l’observa un long instant, passant ses doigts délicatement sur les bords.

– C’est qui ces trois personnes ?

Elle pointa trois figures, apparues aux côtés du squelette.

– Ils n’étaient pas là tout à l’heure.

Laia lui prit la tapisserie des mains et l’approcha de ses yeux. Trois personnes étaient apparues, elles portaient toutes le même uniforme et semblaient danser avec le squelette.

– J’avais pas dû les voir dans le grenier.

Le sac glissa au sol lentement. Aleyde reprit le tissus dans ses mains pour le soupeser.

– Tu pourrais en tirer un bon prix. J’ai vérifier les comptes et personne ne se plaindra si tu vendais ça.

– A ce point là ?

Elle acquiesça. Rien ne les avait préparés à souffrir autant de l’inflation des produits au marché noir. Plus personne n’étaient en mesure des faire pousser de la nourriture à la surface. Il ne restait que quelques maisons abandonnées et, à ce que les anciens disaient, des villes fortifiées où l’on pouvait trouver tout ce dont on avait besoin. Le seul problème, ces villes appartenaient au gouvernement qui avait tué la plupart d’entre eux lors du lancement du programme jaune. Les groupes d’activistes comme celui-ci luttait pour reconstruire une société, en vain. Maintenant, leur mission consistait principalement à essayer de survivre en dehors.

Aleyde la quitta et Laia s’endormit rapidement. Un souffle à son oreille la tira du sommeil. Elle sentit une main lui agripper le poignet et la trainer en dehors de son lit. Elle tomba lourdement de son lit en se débattant pour échapper à la poigne. On l’assis sur une chaise de force après lui avoir lié les mains et les pieds.  

– Mais vous êtes qui et comment vous êtes entrés ici ? hurla-t-elle.

– Silence !

La voix résonna dans toute la pièce. Elle entendait plusieurs respiration autour d’elle, sans parvenir à en identifier le nombre.

On alluma la lumière qui éblouit Laia. Elle passa de longues secondes à essayer de voir les visages autour d’elle. Plus ses yeux s’habituaient à la lumière, plus les visages lui semblaient familiers.

Elle chuta avec la chaise.

– Comment vous êtes là, vous êtes morts.

Trois personnes l’encerclaient ; les trois personnes qu’elle avait tuées dans la journée. Une créature sortit de l’ombre accompagnée d’une petite femme. 

– Je t’avais prévenu pourtant, mais on n’écoute jamais les prophéties.

Laia vit une flamme danser sous ses yeux. 

– Tu veux qu’on mette le feu à ta chambre ? proposa l’homme blessé à la cheville.

– Ou qu’on te tire une balle ?

Je vais me réveiller. 

Laia tremblait de peur. Elle ne comprenait pas comment ces gens avaient pu revenir à la vie ni la retrouver. La créature lui agrippa le bras pour la forcer à se relever. La porte de la chambre s’ouvrit pendant que la créature chargeait Laia sur ses épaules. En regardant de plus près, elle constata que c’était un squelette avec un masque sombre qui recouvrait son visage. Le groupe regagna la pièce principale du campement où tous les autres étaient rassemblés. Ils étaient tous accompagnés par des inconnus qui semblaient les terroriser. Laia chercha Aleyde, assise dans un coin face à un homme. Sam arriva aussi, suivi par une vingtaine de personnes.

– C’est quoi tout ce bordel ?

On le jeta au sol et il se calma.

La petite femme qui était apparue dans la chambre de Laia prit la parole.

– Vous voilà réunis ce soir, en cette douce soirée d’Halloween.

Des murmures parcoururent la salle. Personne ne se souvenait de ce qu’était Halloween.

– Vous avez pris la vie d’un grand nombre de mes camarades, clama la femme. Et moi, Eulalie, sorcière depuis le plus jeune âge, vous ai prévenu que les morts reviendraient un jour. J’ai prévenu chaque génération depuis ma mort. J’ai prévenu cette personne, la dernière, mais elle n’a pas agi.

Elle pointait Laia du doigt, vers qui tous les regards étaient tournés.

– Je vous ai regardé tuer sans cesse les autres humains, c’est pour cela que mon ami et moi allons faire cesser tout cela ce soir.

Laia sentit une main sur son épaule. C’était Aleyde qui s’était rapprochée. Elle s’assit à côté d’elle, sous le regard méfiant de l’homme qui l’accompagnait.

Le squelette avait rejoint Eulalie au centre de la pièce sous les acclamations des activistes. Un livre posé à ses pieds, il commença à réciter des paroles dans une langue inconnu. Les murs vibrèrent, le sol trembla. Tout semblait se distendre, si bien que Laia se sentit perdre connaissance. Une explosion de lumière et de couleurs déforma la pièce. Il ne restait plus rien mis à part du vide.

Quand Laia reprit connaissance, elle flottait dans une bulle noire. Elle aperçu Aleyde à ses côtés, inconsciente.

Des milliers d’autres bulles se situaient à côté de la leur. Parfois avec une personne à l’intérieur, parfois avec plusieurs.

Je refuse de vous laisser la vie pour détruire celle des autres.

Eulalie ramassa la tapisserie recouverte de portraits et se tourna vers la Mort.

– Tu crois qu’on a bien fait.

Elle haussa les épaules et referma son livre. 

– Au moins ça sera plus calme maintenant. 

La Mort sortit un autre tissu de son manteau. Des centaines de milliers de sphères y étaient représentées, comme une carte. Elle le tendit à Eulalie.

– C’est à toi de t’en occuper maintenant.