Le plancher grinça sous ses pieds. Le jeune homme avança d’un pas lourd vers son bureau qui le dominait, de toute sa largeur. De gros pieds sculptés qui s’affinaient et se courbaient pour accueillir la majestueuse planche de travail : une table épaisse, dont le bois était marqué par les travers de l’âge. Mais elle arborait ses griffures fièrement, comme des blessures dont elle s'était toujours guérie. Face à elle, l’adolescent se vit frémir. Son ventre se noua, sa respiration s’accéléra. Il appréhendait ce moment à chaque fois. Ce mouvement cérémonieux qui le ferait s’assoir sur la chaise tapissée de velours rouge qui l’attendait derrière le bureau. Il se convainquit qu’il ne méritait pas cette place, ni la plume qu’il craignait de brandir au-dessus du papier vierge. Néanmoins, son père le contraignait à cet exercice et l’usage était de s’atteler à la tâche.
Il détestait cela. Il détestait cette immensité vertigineuse dans laquelle la page blanche le lançait. Il détestait ces longues minutes – si elles n’étaient pas des heures – à osciller entre la fenêtre et la bibliothèque familiale. Son père avait toujours rêvé d’être un artiste. Ainsi décida-t-il d’en faire un de son fils, au détriment de ne jamais l’avoir été. Le jeune homme essaya de lui faire comprendre par tous les moyens que la plume le haïssait, que la muse ne connaissait ni son visage, ni son nom mais rien n’y fit.
Il regarda une dernière fois le bureau d’un œil dédaigneux. Puis, après avoir pris une profonde inspiration, il s’approcha timidement de la table qu’il esquiva pour s’assoir lourdement sur sa chaise, las. Le reste de la procédure ne fut qu’habitude. Le garçon ajusta son siège, dégagea ses cheveux à l’arrière de sa nuque, saisit la longue plume de paon qu’il trempa dans son encrier puis la suspendit au-dessus de la feuille. Les gouttes d’encre noire ne tardèrent pas à imbiber le papier sépia. Ça y est. Son ventre se resserra une nouvelle fois, la sueur monta à son front et ses yeux cherchèrent désespérément une issue à ce labeur fastidieux. Le garçon devait écrire quelque chose, il n’avait pas le choix. Alors, il prit sa tête entre ses mains et se plongea dans de profondes réflexions. Ses doigts se crispèrent contre ses tempes. Des images de toute sorte défilèrent dans son esprit en ébullition. Mais la fougue inspiratrice ne tarda pas à retomber. « Une coquille vide. Je ne suis rien d’autre qu’une coquille vide. » Songea-t-il. Il posa sa plume le long de sa feuille puis bascula contre le dos de son siège. Jamais il ne parvint à s’imaginer y arriver un jour.
A s’imaginer.
Il s’arrêta soudain.
« S’imaginer ».
L’idée germa comme un bourgeon au printemps. Cette idée, il la planta comme une graine dans son esprit. « S’imaginer y arriver ». Tout était là. L’imagination. Le jeune garçon comprit alors l’importance de ce à quoi il venait de penser. Il comprit à cet instant que le processus créateur, la mécanique de l’artiste, partait de cette graine qu’il venait de faire germer en lui. « La création découle de l’imagination ».
D’un geste triomphant, il saisit fermement sa plume, la fit tournoyer dans l’encrier et en posa la pointe contre la feuille. Le garçon eut un moment d’arrêt, comme s’il célébrait sa première communion entre son esprit et sa réalisation.
Puis il écrit.
« De la création ».
Si ce garçon réussit finalement à devenir l'artiste dont rêve son père, est-ce que cela voudra dire qu'une voie imposé peut parfois être la bonne ?
Petite remarque: "Ainsi décida-t-il d’en faire son fils" m'a paru ambiguë. Je ne sais pas si " Ainsi décida-t-il d’en faire un de son fils" serait plus claire. A toi de voir.
Merci beaucoup pour ce retour :3
Alors, pour ce qui est de la postérité de ce texte, il n'avait pas vocation à aller plus loin. C'était vraiment un moment spontané d'écriture que je n'ai pas souhaité prolonger, en laissant le lecteur libre d'imaginer potentiellement la suite !
Mais il est vrai que j'ai déjà essayé de prolonger le texte, sans y parvenir pleinement malheureusement ;-;
Et oui, belle remarque pour la formulation de cette phrase, je vais modifier de ce pas, je trouve la modification plus claire en effet :')
Merci encore <3
Merci beaucoup pour ce commentaire, il me va droit au coeur ! Je crois que la difficulté d'écrire m'avait donnée à ce moment-là toutes les images utiles à... écrire finalement !
Ravie que cette nouvelle t'ait plu ! <3
Nouvelle agréable à lire, ceux qui écrivent se reconnaissent immédiatement ! C'est le premier texte que je lis qui exprime vraiment la difficulté à écrire, et je dois dire que c'est surprenant. Surprenant que tu arrives à mettre sur papier le fait, justement, de ne pas trouver l'inspiration. Personnellement, je pense que c'est une des choses les plus difficiles à écrire, alors je m'incline devant toi. Belle prouesse !
Sur ce, à bientôt, en espérant que tu écrives d'autres nouvelles ! ^^
Et je m'étais aussi dit que ça permettrait à des lecteurs de se dire "moi aussi" et d'identifier la difficulté d'écrire quand on est dans l'impasse.
De ce fait, ton commentaire me touche beaucoup.
Merci <3
J'ai relu ce petit morceau de toi avec un grand plaisir ! Un petit Montaigne en devenir ce jeune garçon, j'en suis persuadée...
Bon, faut être objectif ici, alors au lieu de dire que j'ai adoooooooré, je vais dire que j'ai apprécié et que j'ai tiqué sur quelques usages des temps, surtout au début du texte. Au départ, j'avais l'impression (déjà à la première lecture, et encore aujourd'hui) que le père était dans le bureau avec son fils. C'est peut-être voulu de ta part, mais ça m'a perturbée (oui, faut pas grand chose).
Merci encore pour cette lecture Floooooo !
Je vais faire attention à la relecture mais merci beaucoup de ton commentaire encourageant ❤️
Tout d'abord, j'adore l'ambiance ! J'arrive bien à me retrouver dans ce personnage, dans ses difficultés et dans sa victoire. La fin donne très envie de savoir ce qu'il écrit et la suite de son histoire, mais elle n'est pas frustrante car elle ouvre l'imagination de la suite, ce que j'apprécie beaucoup ! Quelques soucis de concordance des temps, des phrases auxquelles il manque un mot de liaison, mais un style d'écriture très prenant !
Je vous souhaite une bonne continuation d'écrivain :)
Visiblement, la concordance des temps pose un vrai problème, je vais revoir ça très vite, ça fait partie de mes lacunes ^^
Et oui, je suis amoureuse des fins ouvertes, surtout avec ce texte très approprié pour ce genre de fin ! :")
Merci à vous et bonne continuation également 😁
Merci de ce partage ! On entre dans votre texte dès la premiere ligne. J'aime le décor, un peu suranné, ce bureau de bois sculpté, le rituel de son installation vers l'écriture.
Les descriptions m'ont plu. bien faites et sans excès. Enfin l'ambiance générale, la détresse puis le triomphe de l'auteur, sa progression mentale et sa réflexion autour du processus d'écriture (pourquoi ne pas l'étoffer un peu d'ailleurs ? pourquoi, aussi, ne pas développer l'acharnement de son père ? est-il lui-même écrivain ? ) sont de bons éléments. Parfois certains verbes au passé simple gagneraient à devenir de l'imparfait, je pense, mais ça n'est qu'une remarque subjective :)
En tout cas merci pour ces lignes ! Flora
Et concernant la nuance entre imparfait et passé simple, j'ai encore du mal à la saisir correctement dans l'ensemble de mes récits. Mais je vous remercie, je vais relire attentivement ma nouvelle pour ajuster :')
Eeeeett pour la question du père, il y a possibilité que la nouvelle s'enrichisse. C'est la première fois que je me lance dans ces atmosphères et ça me plait. De ce fait, je m'essaie à écrire quelques chapitres supplémentaires et qui sait, vous aurez peut-être de mes nouvelles d'ici peu ;)
Je vous remercie encore pour votre commentaire, qui au-delà de m'apporter de précieux conseils, me fait chaud au coeur :)
Je vous souhaite une bonne route sur Plume d'Argent !
En espérant que votre séjour dans mon univers vous laissera un bon souvenir ;)