Après trois jours de voyage, Adam et Amélie arrivèrent au chateau entourés par leur escorte. Trois jours sans pouvoir se parler sans que les soldats n’écoutent chacun de leurs mots, trois jours sans pouvoir dormir ensemble dans les relais où ils firent halte en toute discrétion. Amélie fut retransformée en princesse par les domestiques qui les accompagnaient, mais on le la laissa jamais se montrer pour ne pas trahir sa fugue. Le silence était pesant, le voyage long, mais peu importait. Il suffisait à Amélie d’un seul regard vers Adam pour se sentir mieux. Elle bénissait son calme, sa confiance en lui. Ses yeux noirs la réchauffaient et lui donnaient des forces. En réponse, elle lui souriait, tendre, et espérait lui rendre tout ce réconfort qu’il lui apportait par sa simple présence. Tout se passerait bien, elle en était persuadée. Tant qu’Adam serait là, tout ne pourrait que bien se passer.
Ils franchirent les portes de la cour du château et bientôt un serviteur s’avança vers eux d’un pas rapide.
- Veuillez me suivre, s’il vous plait, dit-il en s’inclinant devant la princesse.
Celle-ci, dissimulée par une large mante, obéit sans un mot suivie par Adam. Ils furent conduits jusqu’à un petit salon où un homme à la haute stature les attendait, tourné vers une fenêtre donnant sur la cour. Lorsque la porte se referma derrière eux, il se retourna, les laissant voir son visage altier aux traits durs.
- Ma fille, salua Altaïr d’Evont, souverain du pays d’Evont.
Adam s’agenouilla respectueusement tandis qu’Amélie se jetait dans les bras de son père.
- Père, souffla-t-elle en l’étreignant. Si tu savais tout ce que j’ai à te raconter. Comme tu m’as manqué.
- Tu m’as manqué, toi aussi, ma princesse, dit-il en répondant tendrement à son étreinte. Mais cette fois, je crains que te ne sois allée trop loin.
Tandis qu’il prononçait ces mots, deux gardes entrèrent et se saisir d’Adam. Au moment où ils le touchèrent, plus par réflexe que par réelle volonté de se défendre, il attrapa le poignet de l’un d’eux et le projeta sur le second. Les deux hommes se retrouvèrent à terre, sonnés.
Réalisant son geste, le comte leva les mains en signe de paix.
- Doucement ! s’inquiéta Amélie. Qu’est-ce qu’il se passe ? Papa, Adam m’a sauvée, tu le sais, n’est-ce pas ?
- Très impressionnant, comte de Saad, fit Altaïr qui n’avait pas vraiment l’air impressionné en resserrant son étreinte sur sa fille.
- Votre Altesse… commença Adam.
- Ne te laisse pas abuser à nouveau, Amélie, dit le roi alors qu’une dizaine de gardes rappliquait pour encercler le comte.
- Je ne me laisse pas abuser, père. Il a sauté à l’eau en pleine tempête pour m’éviter la noyade, il a nagé pendant des heures pour trouver une île où nous avons pu attendre les secours, sans lui je serais morte à l’heure qu’il est.
Le roi soupira profondément et secoua la tête.
- Nous en reparlerons, dit-il. En attendant, emmenez-le.
Cette fois, Adam ne se défendit pas, conscient que ça ne ferait qu’empirer les choses.
- Pour quel motif, mon roi ? demanda-t-il simplement alors qu’on lui passait les fers.
- Pour enlèvement et détournement de la princesse héritière, répondit-il grave. Et crois-moi, tu t’en repentiras.
- Je ne l’ai pas enlevée, se défendit-il tandis qu’on l’entrainait hors de la pièce. Je l’aime ! J’aime votre fille, mon roi !
La porte se referma sur son cri et le roi se retrouva seul avec sa fille.
- Père, insista Amélie inquiète et effrayée. Adam n’a rien fait de mal !
- Amélie, je te l’ai déjà expliqué. Cid Falk est un homme ambitieux, rongé par son désir de pouvoir et son fils est de la même espèce. Tu crois qu’il t’aime ? Vraiment ? Que c’est pour toi qu’il a sauté ? Non. Il ne fait que protéger ses intérêts et toi, tu tombes dans son piège. Je t’avais pourtant mise en garde.
- Les intérêts de Cid… Mais il ne s’agit pas de cela ! Adam Falk ne m’a pas détournée. Adam Falk ne m’a pas enlevée. Vous n’avez aucune raison de le mettre au fer et encore moins de le punir, son attitude a été irréprochable !
Le roi la considéra d’un regard aigu.
- Tu es fatiguée, lui dit-il d’un ton froid. Tu n’as pas les idées claires. Va dans ta chambre. Nous en reparlerons ce soir.
- J’ai les idées claires, affirma Amélie avec férocité. C’est ma parole que vous mettez en doute et maintenant ma santé mentale, père !
- Tu t’es enfuie ! cria-t-il. Tu as quitté le royaume sans protection, sans en parler à personne ! As-tu idée des soucis que tu m’as causés ? Je pense qu’en l’occurrence j’ai de quoi douter de toi. À présent, rentre à tes appartements et n’en sors que lorsque tu seras redevenue raisonnable.
Amélie baissa les yeux. Lorsque son père se mettait en colère, c’était bien pire que lorsque la mer se déchainait. Elle tourna les talons sans un mot et se dirigea directement vers les geoles. Elle passa devant les gardes qui ne firent aucun geste pour l’arrêter et chercha Adam dans les cellules du long couloir sous-terrain. Lorsqu’elle le trouva, elle resta un moment figée. Il avait été enchainé au mur. Son père le prenait-il vraiment pour un grand criminel ?
- Est-ce que ça va ? demanda-t-elle d’une toute petite voix.
Adam releva les yeux vers elle et lui sourit.
- Amé… souffla-t-il. Qu’est-ce que tu fais là ? Ce n’est pas un endroit pour une princesse...
- Je m’enquiers de ta santé, répondit-elle en passant une main derrière sa nuque. Je ne sais pas comment faire pour t’aider. Mon père est plus intraitable qu’un mur de glace.
- C’est toi qui avais raison, soupira-t-il. On dirait qu’il a trouvé un moyen imparable de se débarrasser de moi.
Il fit tinter ses chaines avec une grimace de dépit.
- Je ne te laisserai pas tomber, promit Amélie. Je te le promets, je ferai tout ce que je peux pour te sortir de là.
- Je te crois, assura-t-il avec un sourire tendre. Je compte sur toi. Et… Amé… Méfie-toi de De Laude, d’accord ?
- De Laude ? répéta-t-elle surprise. Que veux-tu qu’il fasse ?
- C’est un idiot fini, mais il croyait l’affaire réglée. S’il se sent en danger, il pourrait prendre des mesures… déplaisantes… On ne sait jamais.
- Bien. Je serai prudente. Et toi, ne bouge pas, je reviens dès que possible.
Elle rit et tendit la main pour tenter de le toucher.
- Je serai là, répondit-il en répondant à son geste, tendant la main aussi loin que possible.
Mais c’était loin de suffire. Les chaines le maintenaient au mur, loin de la porte.
- Je t’aime, dit-il d’une voix douce. Et tu me manques.
- Je t’aime aussi, et tu me manques bien plus.
Elle déposa un baiser sur le bout de ses doigts et souffla dessus pour le lui envoyer avant de s’enfuir.
Adam soupira. Dire qu’il se plaignait du manque d’intimité et d’hygiène qu’imposait le bateau, là, il ne pouvait pas tomber plus bas… Sans parler de la nourriture…
Il tâcha de trouver une pose plus confortable, faisant tinter les chaines qui retenaient ses poignets. Emprisonné comme un vulgaire bandit… Il était comte tout de même. Il aurait dû bénéficier d’un traitement de faveur. Même le dernier des malfrats avait droit à un procès équitable… Mais au moins, il avait droit à une cellule individuelle. C’était toujours ça.
Il soupira à nouveau. Comment allait-il se sortir de là ? Pour l’instant, il ne pouvait pas faire grand-chose d’autre que de compter sur sa princesse.
Sans aucune notion du temps, il lui sembla qu’une éternité avait passé quand il entendit des pas se rapprocher de sa cellule. Le sursaut d’espoir qui le saisit en entendant le bruit d’une clef tournant dans la serrure de sa prison s’évanouit aussitôt lorsque le roi en personne s’encadra dans l’ouverture, entouré de deux gardes. Il le regarda longuement de ses yeux glacés.
- Je vais faire court, dit-il d’un ton dur. Tu vas avouer tes manigances à ma fille. Tu vas lui dire que tu n’as fait que la manipuler et alors, je consentirai à te faire sortir.
- Il n’y a aucune manigance, mon roi. J’aime votre fille. Je l’ai toujours aimé, depuis le premier jour où je l’ai rencontrée.
Altair d’Evont posa sur lui un regard plein de mépris.
- Nous verrons si tu tiens le même discours après quelques jours enfermé sans boire ni manger.
Il se détourna et laissa les gardes refermer la porte.
- Je vous en prie mon roi, ne soyez pas si obtus ! cria Adam avec colère. Je me fiche bien du trône et du reste. Nous ne sommes pas vos ennemis.
Ses mots se perdirent dans le vide et il serra les dents, dépité. Voilà où il en était. Mais il pouvait bien l’affamer, le battre ou l’oublier ici. Il venait tout juste de retrouver son amour, jamais il ne le renierait.