Déférence gardée envers Paul Valery

Par Pouiny
Notes de l’auteur : Histoire griffonnée durant un cours de philo, il y a bien des années de ça, elle est donc naturellement jonchée de références en tout genre. L'écriture a sans doute vieilli, car je n'ai jamais vraiment eu à cœur de la retravailler, mais je pense qu'elle mérite encore qu'on lui jette un coup d’œil... N'hésitez pas à me dire ce qui pourrait être modifié !

Le vent soufflait fort sur le cimetière de Sète. Cimetière marin ; cimetière splendide, pour cette ambiance si spécifique que mêmes les défunts appréciaient. Un soleil de midi l'éclairait alors qu'une fraîche brise donnait des nouvelles de l'au delà aux pierres debout et aux fleurs couchées. Le cimetière régnait toujours dans cet endroit ; les regrettés n'avaient que peu de compagnie. Les édifices, en hauteur, surplombait une mer claire, sans éclat ni vague ; au pays du repos, peu font d'écumes.

Ce paysage tant convoité comme lieu funéraire, était, il est vrai, magnifique et de grande envergure. Les rayons forts réchauffait les pierres, semblaient les purifier. Tout en hauteur, alignées, rangées et triées, les édifices ternes et solides paraissaient avoir été plantés depuis des siècles. Paysage immuable, comme figé dans le temps, il restait toujours étrange de l'admirer. Comme si quelque chose n'allait pas dans ce lieu au final si commun. Comme si quelque chose dérangeait malgré tout à notre regard, alors qu'il était parfaitement normal que tout ce qui était en ce lieu reste à jamais sans prendre le temps d'évoluer. Car après tout, de chez ces gens-là, on ne s'en va pas, monsieur.

Le bruissement des arbres au contact de l'air marin faisait concurrence à la mer et la plage qu'ils avaient la chance de surplomber. Gardiens du sommeil, et pourtant troubleurs de silence, ils se balançaient légèrement, frémissant au contact de cet air ; le seul souffle de vie qui les enveloppait véritablement.

Au bord d'une tombe, fraîchement creusée au dessus de cette mer si plane, avait fini par arriver une petite pousse. Les mains qui l'avaient plantée, qui lui seraient à jamais inconnues, avait soigneusement réfléchi à sa race, ses graines, son utilité. Mais encore, ici, il n'était que jeune pousse, à peine plus haute que l'herbe en friche. Etait-ce le contact humain à ses graines ? Ou alors était-ce plutôt du sel qui se s'était engouffré près de ses futures racines ? Sinon, cela pouvait être cette eau qui l'avait nourrie. Toujours était-il que cette jeune pousse, future ombre, bientôt arbre gigantesque et large, eut dès les premiers moments de sa conscience, une attirance pour l'ailleurs.
 

Étrange, n'est-ce pas ? Car l'arbre est un être extraordinaire. Il peut recevoir tant et tant de choses que nous ne pouvons imaginer. Il peut même apprendre une myriade d'élément ; il est un être de l'équilibre, planté dans les tréfonds de la terre, les feuilles dans le vent, dans la cime du ciel. Il a droit à une existence remplie de mouvement, voyant tout au long de sa très longue vie, le plus petit au plus grand s'approcher de lui et l'aimer, utile pour sa survie. Mais malgré toutes ses expériences, ses observations, la richesse de sa sève, si un arbre est bien incapable d'une seule chose, c'est bien de se mouvoir tout en restant en vie.


C'était un début de pin. Un pin parasol, demandé par le défunt dans son testament, pour que son ombre prémunisse ses amis de l'insolation. Mais l'arbre lui-même ne savait pas encore quelle serait sa taille. A vrai dire, il n'était mu que par un désir de grandir pour pouvoir sentir de plus près, avec plus d'intensité, le vent qui l'attirait. Le temps passait ; et effectivement, il grandissait.

 

« Ne te prend pas à trop espérer, mon ami, lui murmura le vent. Tu ne pourras jamais aller là où je vais, même en grandissant.

– Peu m'importe, fit l'arbre d'un bruissement. Je ne peux pas m'empêcher d'y rêver. D'où vient cette saveur que tu apportes ? D'où vient cette eau que tu transportes ? Elle me captive plus que tout.

– Les arbres ne poussent pas dans le sable, petit être, fit le vent à l'arbre. »

Il dépassait que légèrement sa pierre tombale. Mais pour le vent, tout être était infiniment petit.

« Et pourquoi pas ? Tu m'as apporté des nouvelles d'arbres vivant dans des marais, ou dans des déserts. Et si mes racines partent en direction de ce qui m'attire, peut-être que je bougerais, ne serait-ce qu'un peu.

– Tu te déracinerais, mon ami.

– Je ne peux vivre sans le tenter, insista le jeune arbre. Mais dis-moi ce que c'est, toi qui vois tout, à moi qui ne vois rien : quelles sont ces senteurs, ces vibrations, cette beauté que je ressens du plus profond de la terre ?

– C'est la mer, mon ami, fit le vent avant de s'éloigner en sens inverse. C'est une étendue d'eau immense, qui permet la vie à des êtres qui ne peuvent vivre en respirant mon air, et le voyage à ceux qui le peuvent. »

Le jeune arbre ne bougea plus. Mais, comme une vibration persistante, au creux de sa sève, il sentait ce souffle, ce nom, résonner en lui.

« La mer… »
 

Le temps soufflait sur le court du vent. L'arbre grandissait, s'élargissait, s'alourdissait. Des oiseaux commençaient à faire leur nid dans ses branches, des insectes l'escaladaient, des hommes le bénissaient pour cette ombre inopinée. Cet arbre aurait pu être magnifique. Il était grand, beau, fort ; cependant n'importe qui, en le voyant, ne pouvait trouver d'adjectif pour le qualifier. Si vous demandiez à quelqu'un à quoi il ressemblait, ils hésitaient, gênés et bafouillaient :

« Il lui manque quelque chose. »

 

Le pin parasol n'était pas heureux, alors même qu'il était dans son jeune temps. Pour tous les autres arbres, cela semblait incompréhensible.

« Eh bien mon ami, tentait un cyprès. Tout ne va pas au mieux pour vous ? Vous ne manquez pas d'oiseaux ni de voyageurs. Vous devez avoir été planté pour un être reconnu parmi les siens.
– Oh, je n'ai pas à me plaindre, semblait-il répondre. Mais… je trouve que cette vie ne me correspond pas.
– Ah non ? J'aimerais pourtant bien être à votre place, moi ! Vous avez de tout ! Alors que moi, vieil arbre… »

Les cyprès sont des arbres bavard. Il leur est plus facile de se secouer, eux qui sont tout en bougie, que les autres arbres. Ainsi, ce pin parasol solitaire ne trouvait pas de compréhension nulle part.
« Vous n'avez jamais tenté de bouger, vous ? Avait-il tenté une fois à un haut cyprès, un peu plus jeune que les autres.

– Bouger ? Si le vent me secoue, oui ; mais sinon, pourquoi faire ? J'ai tout ce qui me convient ici. Il n'y a pas à rêver de plus. Vous dites des choses biens étranges, mon bon ami ! »

Le beau temps ne dure jamais, se disait-il alors, sans répondre à cet ami. Si une tempête de vent arrivait ici, peut-être qu'elle me déracinerait, plus près du bord de cette mer qui me fait tant souffrir de désir. Peut-être même que, si cela arrivait, je pourrais y survivre. Après tout, je suis le plus solide des arbres qui sont ici, continuait-il. Mais il se gardait bien de dire ceci à quiconque. Tout le monde craignait la puissance destructrice du vent, parmi les arbres.

Il vécu assez longtemps pour subir ces rares tempêtes qui peuvent arriver à Sète. Il vit plusieurs cyprès se déraciner et disparaître au loin. Mais, hélas ! Il avait une ramure plus solide, et bien qu'il ait des racines orienté que d'un seul coté, il faisait face au vent le plus fort, sans rien craindre. Il était, a son plus grand désespoir, admiré pour cette force qu'il aurait bien légué.

« Tu es bien cruel, mon vieil ami, souffla-t-il au vent. Pourquoi viens-tu m'apporter ce que je désire tant sans même m'y amener ?

– Ta voie est ailleurs, petit être. »

Le pin était désormais l'arbre le plus grand du cimetière et en était une des fiertés.

– Tu as été planté dans un but précis, et tu ne peux y réchapper. Tu n'as pas à espérer autre vie. L'entendras-tu un jour ? Car si tu continues ainsi à déplacer tes racines vers les versants, tu n'y trouveras que la mort.

– Si tu savais à quel point parfois j'aimerais être raisonnable, cher ami… Mais j'ai bien l'impression que la voie de la raison ne m'amènera qu'à une autre sorte de mort. Alors, qu'il en soit ainsi. »

L'arbre, à partir de ce jour là, ne s'adressa plus a personne. Il dévoua toute son énergie, toute sa sève pour s'orienter au plus vers ces grains de sables salés et cette eau pure et bleue qui lui plaisait tant. L'on vit un jour sortir les racines de l'arbre du versant. Celles-ci, a l'air libre, ne trouvaient plus de nutriment pour son porteur. L'arbre se décrépissait presque à vue d’œil. Il devenait si affreux que beaucoup rêvaient de le couper, et l'enlever de ce magnifique paysage qu'il meurtrissait par sa misérable apparence.

Bientôt, plus personne ne fit attention à lui. Il semblait proche de cette mort que d'ordinaire ses congénères ne croisaient pas si tôt. Le vent, seul témoin du spectacle, voyant les racines s'évader de plus en plus et l'arbre se flétrir, tentait d'apporter plus d'eau, mais la fin finissait par être proche et inévitable. Le vent s'éloigna un moment de cet endroit, peut-être pour éviter la mort d'un de ses amis, ou peut-être plus probablement parce qu'il avait autre chose à faire.

Il revint après un long moment. La stupéfaction était à son comble ; le pin parasol n'avait jamais été aussi luxuriant.

« Et bien mon ami, es-tu enfin devenu raisonnable ?

– Tu comprendras bien assez tôt. C'est la seule solution que j'ai pu trouver pour atteindre mon but. Pourra-tu répondre à ma requête, quand tu la comprendras ? »

Il ne se dit rien de plus. Mais, à peine quelques jours plus tard, la beauté de l'arbre avait complètement disparu. Des branches cassées, mortes, tombaient à l'eau, et désormais nu de tout aiguillon ; La vie l'avait quittée. Rapidement, il fut déraciné, car même elles détruisaient le paysage, en sortant du sol de façon si absurde. Il fut découpé, broyé, et jeté. Il n'existait plus.

Un matin d'été, au cimetière marin, le vent avait fait son entrée. Poussée par cette mer si envoûtante, il engouffra tout le lieu. Puis, il sentit quelque chose d'étranger voler avec lui. Il comprit rapidement ; et exauçant la requête désormais dévoilée de cet arbre si particulier, il emporta vers la mer, vers le sable et peut-être vers une terre fertile, toutes les graines que le pin parasol avait laissé derrière lui : dernier espoir pour accomplir ce fol désir.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez