Dérangement climatique

Mathieu et Samira avaient une belle relation. Tous deux aimaient leur travail, tous deux étaient d'accord pour n' avoir qu'un enfant ; leur vie était déjà suffisamment remplie. Tous deux partageaient un penchant pour la collection d'objets, et leur petite maison de lotissement, depuis que leur fils, aussitôt son baccalauréat obtenu, était parti vivre à Strasbourg, plus jamais dérangée par la curiosité et les jeux d'un enfant, leur permettait de s'adonner à ce plaisir. Ils n'envisageaient pas de la quitter.

Samira exposait sa collection de poupées dans toutes les pièces de la maison, y compris la cuisine. Mathieu disposait ses statues d'animaux principalement dans le jardin ; il en avait de toutes tailles. Samira s'était un jour tordu la cheville en marchant sur une souris de chez Be-Arts cachée dans l'herbe. Cela avait occasionné une belle dispute, mais Mathieu avait amoureusement et efficacement bandé la cheville de Samira, et ils étaient allés passer la journée dans un vide grenier fructueux. Samira, depuis quelques années, donnait des conférences et menait des séminaires dans de nombreux pays du monde, sur le thème du bonheur au travail. Ce qu'elle y disait devait être convainquant, et elle était sollicitée par de nombreuses entreprises et organisations, qui la faisaient venir dans les centres industriels de la planète,et quelquefois dans les centres exclusifs du tourisme d'affaire. Elle profitait de chacun de ses voyages pour alimenter sa collection.

Mathieu ramenait un salaire moins conséquent à la maison : il était maître-ouvrier dans une petite usine de fabrication de pull-overs de laine confectionnés pour une clientèle avide de choses simples, de qualité, et coûteuses. Il avait transformé leur jardin en un lieu mirifique, habité d'animaux figés dans leur posture, escargots de métal, souris de résine fluo, tortue-mosaïque, girafe-patchwork, panthère-splash, rejoints depuis 2 ans par leurs congénères en terre cuite qu'il peignait lui-même en s'inspirant de peintres qui lui plaisaient, licorne-à-la-Soulage, flamand façon Miro, lion inspiré de Picasso, corbeaux de chez Van Gogh, panthère Rousseau et chouettes Klimt.

Un jour il rapporta un chat de 2m de haut, fabriqué sur mesure dans l'atelier TerreMère. Il l'installa au niveau de la porte d'entrée, le reste de l'espace étant déjà trop occupé pour le mettre bien en valeur. Il venait d'être mis au chômage partiel, ainsi que tous ses collègues, car leurs fournisseurs de matière première, exclusivement Néo-Zélandais ne les approvisionnaient plus. Des écolos fanatiques y avaient pris le pouvoir et bloquaient les ports.

- Mon chéri, s'exclama Samira en ouvrant la porte, tu ne veux plus qu'on sorte ?!
- Mais si, ma belle. Tu vas voir, ce chat veillera à ne laisser entrer que de bonnes personnes chez nous.
- Je vois surtout qu'en rentrant les courses on va être gênés.
- Nous ferons moins de courses. Comme ça on ne grossira pas, et on n'aura pas de problème pour passer la porte.
- Le premier qui sera coincé c'est bien toi, dit Samira en fixant son regard sur la bedaine que Mathieu développait depuis quelques temps.
Un peu vexé, Mathieu se tut. Mais dans les jours qui suivirent, Samira se cogna plusieurs fois au chat de terre cuite en entrant ou sortant, et commença à râler sérieusement. Mathieu ne cédant en rien, elle lui rappela la souris qu'il avait perfidement caché dans l'herbe. Il lui rétorqua qu'il ne pouvait plus s'allonger sur le divan, qu'il devait partager à présent avec 3 poupées. L'atmosphère s'envenima.
Il peint son chat géant les yeux emplis de la palette et des lignes de Matisse. Pour Samira, l'encombrement en devint plus voyant.
Elle lui reprocha de bloquer l'entrée, il lui reprocha de suffoquer l'espace intérieur.
Un soir, il fit tomber par inadvertance la poupée chinoise placée sur l'étagère à condiments dans la

soupe espagnole qu'il venait de cuisiner, en la posant sur la table. La robe rouge de la poupée répandit sa teinture dans la soupe, qu'ils décidèrent de ne pas manger. Tous deux se trouvèrent en colère, elle pour sa poupée, lui pour sa soupe.

Le lendemain matin, Samira partait pour un déplacement de 3 jours à Bruxelles. Il s'embrassèrent quand même, mais du bout des lèvres.
Mathieu soupira de soulagement en refermant la porte. Depuis qu'il avait beaucoup plus de temps pour lui-même, il pensait souvent à son chat. Il était insatisfait de ses couleurs primaires. Le chat lui-même lui semblait insatisfait..... il décide de profiter de ces journées de répit pour repeindre son chat. Il lui faudrait aussi repeindre la porte...

C'est là que les ennuis commencèrent...

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