Destins : 1- Tragédies

Notes de l’auteur : Que pensez-vous du destin ? Est-ce que pour vous, "cette personne était destinée à mourir, et rien ni personne ne pouvait le changer" ou bien est-ce que vous pensez plutôt que "tout le monde peut changer son destin, il suffit de le vouloir" ? Et que pensez-vous de ce qui arrive quand un tueur rentre chez vous ? Vous pouvez changer votre destin en le fuyant ? Pas sûr, hein ? Et si on vous pousse au suicide, vous allez réussir à vous défaire de l'idée que vous n'êtes pas légitime de vivre ? Et si vous aimez quelqu'un, est-ce que vous pensez pouvoir être avec cette personne, même si cet amour est interdit ou impossible ?

Elle était frigorifiée, seule dans le noir. Elle n’arrivait pas à dormir, seule dans son lit. Elle était roulée en boule, seule avec elle-même. Elle voulait hurler, mais refusait qu’on l’entende. De toute façon, personne ne l’aurait écoutée. Elle n’était pas seule dans cette maison, mais c’était tout comme. En tous cas, elle était persuadée être la seule à être ainsi gelée par cette chaleur, aussi effrayée par ce calme, aussi troublée par ce silence. Elle était angoissée, seule dans cette noirceur, de ne rien percevoir de sa chambre. 

Elle distinguait à grand peine les contours de sa table de chevet, et des livres posés négligemment au-dessus.De son bureau, toujours mal rangé pour ses parents, mais arrangé par et pour elle, le "désordre” était voulu. 

Elle ferma les yeux, afin de se plonger dans son monde. Cet univers qu’elle avait créé, habité par des êtres imaginaires, puis détruit et rebâti des centaines de fois. Dans lequel elle entreposait tout ce qui lui était cher. Elle n’y avait pas mis ses parents, ni sa sœur, mais ses amis et la personne qu’elle aimait et dont elle ne recevait que de l’affection. Elle y avait également rangé des personnes de sa famille vivant très loin d’elle, mais restant dans son cœur quand elles se quittaient. Elle songea à tout cela et quand elle commença à se sentir mieux, un léger cliquetis la tira de sa rêverie. 

Elle ouvrit grand les yeux tout en souvenant qu’elle ne pouvait rien voir. Ce bruit était anormal, elle l’a su dès qu’elle l’a entendu. Elle pensa alors à ses parents, tous deux dormant près de la porte d’entrée. Tout-à-coup, une suite de bruits sourds fendirent le silence et la firent sursauter. Elle se mordit la langue pour ne pas hurler. Après la chambre de ses parents, il y avait les escaliers, et juste en haut des escaliers se trouvait sa chambre.Une suite de jurons passèrent devant ses paupières, ses yeux à présent fermés s'ouvrirent. Des bruits de pas résonnèrent dans la cage d’escalier, un goût de sang lui emplit la bouche. Son sang. Elle se souvint qu’elle s’était mordue la langue quelques instants plus tôt et desserra enfin sa mâchoire. Les pas s’avançaient, marches après marches. Puis ils s’arrêtèrent, semblant buter contre un mur invisible. Il était devant sa porte. Elle songea à ses amis, qu’elle avait eu de la chance de les avoir. 

Trois petits coups brefs retentirent alors dans le silence posé de la maison. La poignée de la porte se tourna lentement et une silhouette s'engouffra dans la chambre. Une odeur de mort la précèda. Elle hurla, cette fois-ci pour de bon. La silhouette eut un mouvement de recul avant de disparaître derrière la porte. Elle n’en croyait pas ses yeux. Et elle compris. On l’avait sûrement entendue hurler, or s’il y avait quelqu’un d’autre dans la maison qu’une pauvre gamine de treize ans, il aurait peut-être du mal à l’éliminer. Il viendrait sûrement la tuer plus tard.

Tuer, quel mot étrange. Quand on n’est pas confronté au moins une fois à la mort, on ne peut le comprendre, seulement l’apercevoir, le distinguer, le deviner, mais jamais trop longtemps. Des bruits de pas précipités, un cri, des bruits de lutte, une détonation, un bruit de corps qui s’affaisse, un long gémissement, puis plus rien. Elle se rendit compte qu’elle hurlait toujours et s’arrêta. Déterminée à ne pas mourir, ou tout du moins pas sans combattre… Ou au moins pas sans avoir vu le visage de son assassin, elle se leva, fit quelques pas dans le noir et alluma la lumière. Celle-ci l’aveugla et elle ferma les yeux, d’abord, puis les cligna, ensuite les plissa avant de les ouvrir. Le tueur dut chercher s’il n’y avait personne d’autre car il mit un temps fou à revenir. 

Elle ne voulait pas mourir, mais peut-être était-ce l’heure. Et puis qui était-elle pour décider ainsi si elle devait mourir non, elle n’avait pas le droit de réduire à néant ce qui était peut-être le travail d’une vie. Mais elle avait quand même envie de rester en vie et un plan commençait à germer dans son esprit, certes très peu fiable, mais c’était la seule chose à laquelle elle pouvait se raccrocher, alors elle décida d’y croire dur comme du fer. Elle se leva prudemment, ouvrit la porte de sa chambre, alluma la petite lampe de poche prise sur son bureau auparavant et éteignit la grande lumière. Elle scruta les alentours et ne vit personne. Elle progressait lentement et très doucement afin d’être sûre que le sol ne craquerait pas. Elle descendit prudemment l’escalier en retenant son souffle, une marche après l’autre. Une fois en bas, elle chercha les clefs de sa maison, tout en restant sur ses gardes.

Elle passa devant la chambre de ses parents dont la porte était entrouverte et elle se retint de vomir. Il n’existe pas de mot assez puissant à ce jour pour exprimer ce qu’elle ressentit, car ce qui se trouvait derrière la porte semblait sortir d’un film d’horreur. Un trou perçait l'œil gauche de chacun de ses parents et du sang coulait encore, ainsi qu’un autre liquide dont elle ne voulut pas connaître la nature. Leur ventres semblaient déchirés et des… choses en sortaient. Elle voulut à tout prix effacer cette horrible vision, mais sut que rien ne pourra plus jamais la supprimer de sa mémoire. Elle pensa alors à sa jeune sœur de neuf ans, l'imagina dans cet état et retint une bile qui bataillait pour sortir de sa bouche.

Enfin, elle trouva les clefs. Au même moment, un grognement survint, suivi de près par un jurons. Elle enfila des chaussures en vitesse tandis que des pas précipités résonnèrent dans l'escalier.

Elle courut dans l'allée de gravillons qui traversait son jardin et sentit quelque chose se ficher dans son épaule, un couteau, sans doutes. Elle retint un hurlement, mais ne ralentit pour autant que pour ouvrir le portail qui la ferait sortir de cet enfer et de le refermer. Le tueur la poursuivit, une lueur de fureur dans les yeux. Elle entendit une nouvelle détonation et tomba à la renverse prise d'une douleur intense à la jambe droite. Prise de panique, elle se releva tant bien que mal en traînant sa jambe blessée. Puis, il arriva. À la lumière de la torche, elle put enfin voir son visage. En fait, peut-être aurait-elle préféré ne pas le voir, car avec son œil plus gros que l'autre, son sourire sadique, ses dents limées en pointes et son… enfin… il n'avait plus de nez, seulement deux petits trous. Des cheveux blancs lui tombaient en cascade sur les épaules. Elle détourna le regard. Il arma et tira. Elle ferma les yeux et finit par se résigner. Une douleur fulgurante lui transperça les côtés et elle s'écroula.

 

                    *    *    *

Enfin fini ! Je referme mon livre et le pose à terre, à mes pieds. Mon roman favori, celui d'une ado tourmentée qui ne veut parler à personne de ses troubles. La seule chose qui me restait. La seule chose pour laquelle je restais en vie. Mais à présent, c'est terminé. Je me trouve en haut d'un immeuble d'une quarantaine d'étages. Des personnes me regardent d'en bas, on dirait des fourmis. Je m'apprête à partir vers la liberté. Un paradis sans personne pour m'emmerder au lycée. Les gens disent  que c'est un suicide, mais c'est faux. Je veux juste me libérer. Malgré ce qui me semble être des protestations de ces fourmis, je me laisse tomber dans le vide. Je sens la bise fraîche du matin mais j'ai fait les joues pendant que je chute, ainsi, dans le vide. Mais sans s'embrouiller et je me mets à pleurer. Et puis d’un coup, je regrette tout ce que j’ai pu faire dans ma vie, bien ou mal. J’en viens à penser que j’aurais dû descendre de cet immeuble tant que j’en avais l’occasion. Mais non, j'ai bien fait, je me serais fait harceler, encore et encore. Je continue à tomber, seule dans le vide et les fourmis se transforment peu à peu en humain.

J'ai décidé de mettre fin à mes jours pour échapper à quoi, déjà ? J'oublie peu à peu mes souvenirs, au fur et à mesure de ma chute. Mon harcèlement, seul mot trouvé pour tenter de diagnostiquer mon, enfin mes problèmes. Pourquoi toujours tout rentrer dans des cases ? Après, on s’étonne que des ados un peu con reproduisent ça : rentrer dans des cases. Ou être expulsé. Mais ce mot, harcèlement, il ne veut absolument rien dire pour moi. Ce que j’ai vécu, c’est une succession d’actions désagréables à répétition sur une longue période. Mais ce n’est pas que ça. Ma mère est morte quand j’avais douze ans, à présent, j’en ai seize, et depuis tout ce temps, mon père n’a fait que se morfondre en se réfugiant dans l’alcool. Ah, si, il a fait d’autres choses, nous frapper, mon frère et moi. Frère qui s’est fait coffré, à vingt ans, pour trafic de stupéfiants et vente illégale d’alcool et ce cigarettes. Frère qui, avant le décès de notre mère, luttait pour ne pas tomber dans ces trafics, mais qui est devenu un dealer après que notre mère soit partie. 

J'ai vécu dans un quartier pauvre et je remettais les vieilles fringues de mon frère., toutes tachées, trouées, trop petites ou trop grandes, je n'avais pas d'affaires à moi. Donc ça, plus le fait que j'aime une fille, toute cette merde à conduit à mon harcèlement. Je n'avais pas de grand-père gentil pour me rassurer dans les moments difficiles, pas de grand-mère avec qui aller à la pêche le dimanche, personne. D'où mon suicide, enfin plutôt ma délivrance. C'est pas de bol, hein, tous ces malheurs sur une seule personne. Et pourtant, ça arrive, je ne suis pas la première, loin de là, et je ne serais pas là dernière, malheureusement. Et encore, il y a pire que moi : j'ai connu des filles qui se sont faites violées,et pas qu'une fois. Elles avaient quatorze, dix-sept et dix-neuf ans. Elles se sont pourtant relevées et ont contribué à avancer. Pas moi, ce n'est pas ce que je veux. Je  pousse un soupir, mon visage va bientôt toucher le sol et je ne peux pas prétendre que je n'ai pas peur. Une douleur fulgurante traverse alors mon crâne et se répercute dans mon corps tout entier. Puis je ne sens plus rien, juste un calme infini. Maintenant, je peux le dire : 

“Adieu monde cruel !”

 

*    *    *

Ce jour-là, il pleuvait des cordes. Et l’humeur était maussade, surtout au cimetière, car on venait d’y enterrer une jeune fille qui s’était suicidée en sautant du haut d’un immeuble. Et maintenant, seules quelques personnes restaient devant sa tombe. Six, pour être précise, deux groupes de trois. Le premier était composé d’une vieille femme, d’une jeune adolescente et d’un adulte d’une vingtaine d’années.

- Quel drame, tout de même ! se lamentait la vieille d’un ton qui sonnait faux.

- Madame, vous étiez sa voisine, vous auriez peut-être pu prévoir ce dénouement horrible, la blâmait le jeune homme.

- Ne lui faites pas trop de reproches, après tout, vous étiez son frère, Monsieur le prisonnier ! fit l’ado d’un ton sarcastique.

- Tiens, d’ailleurs, c’est un  peu à cause de vous qu’elle s’est tuée, Miss hétéro, rétorqua ledit prisonnier.

- Et vous, monsieur le dealer, vous vous croyez sans reproches peut-être ? Il me semble qu’elle fut fort affectée par tous vos… trafics, elle prononça ses derniers mots à voix basse, craignant peut-être qu’on ne l’entendît.

- Tout de même, quel drame, ne cessait de répéter la vieille femme.

    De l’autre côté de la tombe, d’autres personnes discutaient.

- Cheh ! On lui a bien foutu la merde ! s’exclama l’un des trois garçons.

- Ouais, elle a bien fait de se foutre en l’air, elle commençait à nous casser les couilles avec sa tronche de pédé ! renchérit un autre.

Le troisième cracha par terre en signe de mépris, les deux autres l’imitèrent. Un sourire narquois s’afficha sur leur visage. Le garçon qui avait commencé à cracher affirma : 

- Raz le cul de sa “suite de drames” à la con.

L’un des trois imita quelqu’un qui pignait en faisant semblant de pleurer et les autres se moquèrent.

- Y’a un truc qu’est sûr, c’est que personne va la regretter !

    Et ils ricanèrent de plus belle.

 

*    *    *

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Saphir
Posté le 18/02/2023
Salut !

Alors déjà, tout d'abord, ta nouvelle est incroyable ! J'ai tout lu d'une traite, sans pouvoir m'arrêter !
J'ai juste une question : je n'ai pas compris le rapport entre la première et la deuxième partie...
Sinon, superbe chapitre ! On ressent parfaitement bien les émotions du personnage, et je pense que même si ta nouvelle avait été à la troisième personne, ça n'aurait rien changé au ressenti !
Je n'ai pas de remarque particulière à faire à propos de possibles changements, tout est parfait, à mon sens.
J'ai adoré cette nouvelle !! J'espère que tu en écrira encor plus, parce que j'adore ta plume !
À bientôt !
Plume de neige
Posté le 18/02/2023
Yo !
Merci pour ton commentaire, qui me fait très plaisir !
En fait, dans la partie une, on suit la jeune héroïne du roman que la fille de la partie deux a terminé.
Merci encore pour tes encouragements qui me vont droit au cœur.
À bientôt, je l'espère.
Saphir
Posté le 18/02/2023
Ah, d'accord ! Je comprends mieux. J'y ai pensé, mais je n'en était pas sûre.
Très bonne nouvelle en tout cas.
Plume de neige
Posté le 18/02/2023
Merci !
Vous lisez