Dialogue avec ses sens

Par Alwenah
Notes de l’auteur :  

            Cette corde glisse, se mouve le long de ma peau, tel un serpent voulant m’enlacer. Je me laisse délicieusement enjôler, soumise à ces pulsions innommablement destructrices. Elle me caresse, me touche langoureusement, et je l’ignore. Je suis dédaigneuse, insensible, je suis vipère, hargneuse, et je me plais. Mes pores s’échauffent doucement, mais se languissent pourtant, désireux de... Je ne sais quelle attitude adopter, quelle émotion je me dois de ressentir. Sous le voile d’Hécate mes paupières ont lourdement succombé, impuissantes.

 

            Ces draps de velours effleurent cette peau presque mienne, m’arrachant par moment un soupir. J’ai l’impression que ce drapé ondule autour de moi, me faisant sienne de cette danse sulfureuse. Les rythmes qui se balancent au gré de la nuit m’entraînent, se décident à m’emporter. Cette chambre aux apparences immobiles prend vie, indéniablement. Elle est là, devant moi, dans mon dos, à mes côtés, désirant posséder le fruit de mes entrailles. Je la sens passer sa main sur mon âme comme on le ferait sur le ventre d’une femme enceinte. Je sens l’oreille se poser tout contre moi, et les draps se resserrer contre mon corps, m’étouffant, m’effaçant. La soie s’épuise contre mes formes, mes courbes, se fond et se confond avec ma peau, entame sa lente métamorphose. Je la regarde, inerte et abasourdie par cette danse céleste se déroulant sous mes yeux désormais hypnotisés, paralysés.

 

            Je peine à imaginer ce que l’on pourrait percevoir de moi en cet instant. Une femme sans âge, une corde autour du cou, les orbites immensément vides, assise au milieu d’un lit à présent négligé. Ma vue me fait défaut, elle peine à reproduire cette réalité, si floue. Et lui, ce cœur, il frappe frénétiquement contre ma poitrine insouciante, ne demandant pourtant qu’à être perçu au milieu de ce vacarme inaudible et assourdissant. Il est tel que mes tympans courbent et crèvent, haineusement soumis. Mes phalanges ne m’autorisent aucun mouvement, stoïques, se décident à m’ignorer. Elles se referment convulsivement, abruptement sur ce tissu alors délicieusement maltraité. Je ne suis plus aux commandes, impuissante, inerte… Je ne peux que percevoir, sentir, subir. Et je peine à en comprendre le sens. Je me sens comme fautive, coupable, à l’origine de tout ce chaos résidant à l’intérieur de cette pièce criant famine.

 

            Et le monde… Il me surveille, je le sens, je le vois au travers de la fenêtre. Tous ces visages inconnus appuyés contre la vitre m’étudient, décèlent en moi une bête, une expérience. Ils ne me cacheront pas ma différence, me hurleront mon immondice, et me cracheront des insanités. Mon corps reste là, à les observer en retour, quémandant de l’aide. Mais cette masse d’étrangers agglutinés ne cesse de s’extasier devant tant de désespoir. Je sais qu’elle guette ma déchéance, se tient prête à ternir à jamais mon image. Cette foule à l’oreille attentive me terrorise, se plait à m’effrayer. Leurs ombres projetées contre les murs m’arrachent quelques frissons incandescents, malgré moi. Je les vois bouger tout contre eux, prêtes à me démembrer. Les mains tremblantes, je tente de me dégager de cette étreinte malsaine. En réalité, j’ai peur, je frémis, syncope, et rêve ainsi de disparaître.

 

            Alors mes rétines se dilatent, effrayées ; un bruit me parvient. Mon doigt s’avance pour venir se poser sur mes lèvres. Entendez-vous ces pas étouffés frémir sur le marbre immaculé ? C’est une angoisse indicible qui se plait à emplir mon être, méprisable. C’est une peur inconditionnelle qui hérisse mes sens presque vicieux, une peur tragique, paralysante. Le son est régulier, une unique personne s’approche, telle une horloge qui terminera indéniablement sa course, tel un pendule ne cessant de se balancer. Mon ouïe en quête d’indices se concentre, tente de s’expliquer, en vain. Mon être se perd et s’oublie. Les pas cessent, un chuchotement infâme se fait entendre. A sa suite, la poignée de la porte, glaciale de terreur tressaute, tremble de ce qu’elle pourrait cacher de l’autre côté.

 

            Brusquement, elle s’abaisse et une volute de fumée pénètre dans la pièce.

            Un hoquet de terreur reste bloqué au fond de moi, m’empêche de respirer. Mon corps transi de frissons se convulse encore, au rythme de la lune. Quelque chose est là, avec moi, je ne suis plus seule avec ma frayeur. Il y a quelqu’un, quelqu’un qui me veut du mal, quelqu’un de sale, de laid, quelque chose… Ma poitrine me fait souffrir. Un être de fumée à l’allure humaine se tient sagement devant moi, ayant l’air de me défier. Mon âme me hurle de partir, de fuir loin d’ici, mais ce voile opaque envahit désormais la pièce entière.

 

            Une sorte de cri plaintif, un gémissement, sort en continu de ma gorge rougie, se mêlant à la cacophonie de mon esprit embrumé. Cette fumée ne cesse pas, m’enveloppe, me tient prisonnière de son cocon de chaleur étouffante dont je ne parviens pas à percevoir l’origine, démoniaque ou céleste, peu m’importe. Je ne peux plus discerner mes mains, je suis comme aveugle, privée d’un de mes sens les plus chers. Tout se met à tourner, tout aussi bien dans ma tête que devant moi, mon esprit chancelle doucement, tangue, le tournis transite mon corps déchu et désorienté. Je sens mes yeux se révulser, mes lèvres trembler de terreur, incapables de combattre ce monstre inconsistant qui m’ensorcelle. 

 

            Ses incantations résonnent, fortes, tellement fortes, me brisent ces tympans déjà écorchés, me les tord à loisir, se rient incessamment de moi. Un rictus malsain a pris place sur le visage des inconnus à la fenêtre que je ne peux à présent qu’imaginer, cachée par cette atmosphère occulte dont la pièce est inutilement retenue prisonnière. Je sens d’ores et déjà les flammes de l’enfer me chatouiller la plante, je l’imagine me consumer toute entière, tel un hérétique que l’on ferait tourner maintes fois sur un bûcher, telle une sorcière, immobile au dessus de son brasier.

 

            Mes iris insouciants les regardent se mouver devant moi, les prenant pour une offre divine. Je surprends mes mains inconscientes et curieuses, s’approcher d’elles. Celles-ci se gonflent alors d’espoir, je crois mourir en découvrant qu’elles ne sont autres que le drap dans lequel je suis emmitouflée. Recouvrant ainsi mes sens, je le repousse brusquement, les jambes horriblement douloureuses. Ma peau et ce feu ardent se vouent un combat sans pitié auquel j’aurais préféré ne pas assister. Une éclosion a lieu à la surface de mon épiderme, déjà terriblement souffrant, l’étincelle a vaincu. Je sens ma peau  brûler et choir sur le sol souillé. Je la sens mourir, flétrir entre mes doigts. Je la sens lentement s’éteindre, de même que le cycle de la lune, bientôt, s’achèvera…

 

Personne, personne ne viendra taire ma lente agonie…

 

*

 

Les yeux flous et les mains fébriles, je tente de m’extirper de ces draps meurtriers. Les sens douloureux, je m’appuie contre le mur, cherchant avidement la sortie. L’être de fumée semble me suivre, comme pour m’empêcher de m’échapper, pour tenter de me corrompre. La poignée toujours aussi froide se fait sentir sous mes doigts tremblants. Brusquement, je l’abaisse et m’empresse d’ouvrir cette porte, tout en me débarrassant de cette corde parant mon cou. La voie enfin libre, je me précipite à l’extérieur, où le blanc aveugle mes pupilles, et où mon torse vient frapper une chose inconnue.

 

- Mademoiselle Schal… Mademoiselle Schal réveillez-vous…

 

Je sens un pouce humide caresser lentement ma joue.

 

- Alors… On a refait une crise ? 

 

 

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dominosama
Posté le 01/12/2012
Haha, je me suis demandée tout le long de quoi ça pouvait bien parler.
La Ptite Clo
Posté le 18/09/2010
Tu vois, Alwenah, il est tard et je me suis autorisée une petite lecture apaisante avant le dodo, et je me suis dit "pour ça, il me faut Alwee, il n'y a qu'elle qui a ce charme de la plume".
Et donc me voilà plongée dans ce tout nouveau texte de toi, totalement envoûtant, qui m'a emportée comme tous les autres... Je me suis sentie partir moi aussi...
Rolalala, tu as vraiment un don pour manier les mots ! C'est tellement joli ! *_*
Alwenah
Posté le 18/09/2010
Je viens de voir ton commentaire, merci ! *o*
Contente que tu apprécies autant mes textes =D ! ça me fait tellement plaisir *_* ! 
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