On faisait souvent la fête, au QG. Il suffisait que l’un des membres présents en démarre, et c’était parti. Ça m’arrivait, en rentrant, d’être immédiatement happée dans une soirée endiablée, où l’on consommait tout ce qui pouvait s’aimer, se brûler ou les deux à la fois. Que j’en aie envie ou non n’y changeait rien, je m’y faisais traîner et oubliais ce que j’avais pu faire dehors à coup de plaisirs faciles. C’était comme ça qu’on faisait, un mécanisme de survie comme un autre, qui nous donnait l’illusion d’être proches.
Une Meute, une vraie.
Cette nuit-là, j’avais un mauvais pressentiment. Mon existence m’avait rendue paranoïaque, alors j’ai tenté de l’ignorer, boire pour essayer de faire taire les voix. On était trop, à se tasser dans le salon, à parler fort pour couvrir la musique. Chaque battement de mon cœur me faisait mal alors je me suis levée dans l’espoir de quitter le brouillard.
Le couloir était plongé dans l’obscurité, à peine éclairé par la lumière clignotante d’une salle de bain - porte ouverte - un peu plus loin. Alors que je m’en approchais en titubant, la vision s’est précisée et j’ai remarqué deux jambes étalées et comme disloquées dans la lumière. Le spectacle n’était pas forcément inhabituel, mais le pressentiment que j’avais tenté de faire taire a ressurgi pour hurler dans mes oreilles. Je me suis grouillée pour atteindre la porte.
La panique a tout brouillé. Par flashes, j’ai vu le corps allongé là et je me souviens avoir pensé que peut-être quelqu’un avait tué quelqu’un d’autre - ça arrivait, même si on en parlait jamais. Mais j’ai reconnu Tamiko et une autre hypothèse m’est venue en tête.
Ce n’était pas la première fois que ça arrivait, mais c’était la première fois qu’elle était seule à ce moment-là. Par saccade, à nouveau, j’ai enchaîné les mouvements.
La lumière s’éteint, quand elle se rallume j’ai les genoux par terre. La peau de Tamiko est tiède alors que j’y pose mon oreille. La lumière s’éteint, quand elle se rallume je suis en sueur et je me rends compte que dans ses pupilles en tête d’épingle, rien ne bouge. D’un coup, il y a quelqu’un à l’entrée.
- Rain, que...
Clignotement clinique, panique qui étouffe. Ma voix tremble ;
- Va chercher Al.
Jamais Face ne m’aurait laissé lui donner d’ordres comme ça, mais c’est une question de vie ou de mort. Je perds patience et aboie :
- T’as de quoi l’appeler, tu sais toujours où il est. Va le chercher, putain !!
La lumière se rallume, Face a disparu et me laisse seule avec la catastrophe. Je fais ce que j’avais déjà vu faire, avec une précision dictée par l’urgence. Lever le sweatshirt - chercher l’endroit où presser - appuyer comme si je voulais l’achever, à travers la peau et les hématomes.
Au bout du cinquième coup, une côte a craqué. J’aurais menti en disant que ce n’était pas un son familier.
Et je presse, à chaque fois que l’ampoule clignote.
En essayant d’oublier que, sur le visage de Face, j’avais vu une peur réelle.
La suite de la soirée s’est perdue dans le brouillard. Je me souviens très vaguement qu’au moment où je me suis demandée si mes bras allaient lâcher, Al est apparu. On m’a éjectée de la salle de bain et je me suis retrouvée seule, entre le carrelage et la fête, à me demander ce que je devais dire et si j’avais tué quelqu’un que j’aimais.
Je savais que c’était pas la première fois et qu’on était censés s’habituer à ce genre de choses. Mais la vérité, la vraie vérité, c’est que j’ai eu tellement peur. Que je chialais sans m’en rendre compte en rentrant dans le salon, et que personne sauf Hope ne l’a remarqué. Dès que la nouvelle s’est répandue, l’envie de continuer à se foutre en l’air a disparu. Les plus fidèles - famille recomposée et dysfonctionnelle - sont restés ici, à attendre l’arrivée de renforts dans un silence horrible. À un moment donné, Dog a dit un truc dégueulasse sur Tamiko et j’ai vu Jezebel se précipiter vers lui à une vitesse effarante. Il ne s’est pas défendu mais a arrêté de rire quand elle a, d’un coup, creusé des sillons sur sa gueule avec ses ongles. Quand on les a séparés, elle l’insultait encore et lui avait commencé à répliquer. Et j’avais tout regardé la bouche ouverte comme une connasse inutile.
Je l’avais jamais vue comme ça.
"où l’on consommait tout ce qui pouvait s’aimer, se brûler ou les deux à la fois" -> Je vois ce que tu as voulu signifier là haha mais j'ai quand même un peu buggué sur la tournure
Sinon, y'a un point que j'ai pas trouvé très clair, c'est pourquoi Rain dit qu'elle a tué Tamiko ? Elle a juste trouvé le corps, non ?
En dehors de ça, eh bien, quelle scène horrible : ') j'espère que Tamiko va s'en tirer, et merci Jezebel d'avoir remis Face à sa place. Et Raïra qui lui donne des ordres, ça montrait bien la panique, le bouleversement de la hiérarchie, c'était bien foutu ! Enfin bref, je croise VRAIMENT les doigts pour qu'elle s'en tire
Et du coup, c'est normal qu'on sache pas trop ce qu'il s'est passé je suppose ? Une crise qq chose de ce genre ?
Mais du coup (c'est peut-être juste moi qui ne comprends pas 😅), qu'est-ce qui lui est arrivé ? Je suppose une crise, ou quelque chose comme ça, puisque Raira dit que "ce n’était pas la première fois que ça arrivait, mais c’était la première fois qu’elle était seule à ce moment-là" 🤔
Très intrigant, ce petit chapitre, en tout cas ! Et j'ai beaucoup aimé le passage en italique, comme si on plongeait réellement dans ses souvenirs ^^