Un jour d’automne, en attendant que les arbres se dévêtissent de leur feuilles, Madame Adélaïde Philippon , une grand-mère âgée de 73 ans, s’installait tranquillement sur son fauteuil en bois et sirotait sa limonade. Adélaïde avait très peu d’accointance, elle n’avait que ses enfants et elle aimait leur offrir des présents. Par ailleurs, elle préférait les confectionner de ses propres mains. Ce jour-là, une myriade d’idées passaient par la tête de Mme Philippon, mais une d’entre l'a inspiré plus que les autres : celle de crocheter deux paires de gants une blanche et une verte constellées de motifs rouges et de minuscules pompons bleu.
Pendants cinq longues journées, Adélaïde avait crocheté trois gants : deux verts et un blanc. Le dernier blanc n’était toujours pas terminé mais elle voulait absolument ranger les trois premiers dans une boîte en carton, elle était tellement impatiente qu’elle avait même déjà écrit une lettre à l’adresse de Marie et Thomas, ses enfants. Avant de fermer la boîte, elle parfuma les gants, le blanc sentait le citron et les verts sentaient la cannelle. Madame Philippon était ravie, son cadeau allait leur plaire elle en était certaine.
Trois jours plus tard, Thomas et Marie était là, devant la maison de leur mère. Les voisins disaient de Madame Philippon que son âme s’était envolée. Et Thomas et Marie demandèrent aux habitants de la rue Rue du Clair de Lune de tous leur conter.
- Elle n’a pas ouvert la porte quand je suis venu lui apporter sa gazette, commença le jeune facteur imberbe.
- Je ne l’ai pas vu à la fête de Madeleine hier soir, disait Joceline, la vielle dame potelée du bâtiment d’en face.
- Cela fait déjà trois jours… Je pense qu’elle est morte, a murmuré Raymond la tête baissée.
En entendant cette phrase, tout le monde s’est tu. Les enfants désormais orphelins de Mme Philippon savaient qu’un corps affaibli par la sénescence ne vivait pas éternellement, mais ils ne pouvaient pas empêcher ce deuil de leur briser le cœur. Marie, l’aînée, savait que larmoyer ne la fera pas revenir, mais elle le faisait quand même. Thomas aussi pleurait déjà depuis deux heures. Aucun des deux ne trouvait la force d’arrêter. La semaine prochaine, la maison était inoccupée et les gants avaient étés jetés près de la poubelle avec d’autres objets indésirables. Marie et Thomas ne les avaient pas remarqués, certainement parce qu’ils étaient trop occupés à pleurer leur mère.
Mais les trois gants n’en restèrent pas là, ils décidèrent tous les trois, de vivre. Alors, un par un, ils quittèrent leur boîte. Et on voyait de la boîte les ébauches maladroites de leurs gestes. La vie ne sera pas facile, ils le savaient bien : voilà déjà qu’ils marchaient sur une flaque.
- Oh c’est dégoutant ! s’exclama le gant vert.
- Comment vous appelez-vous, demanda le gant blanc désireux de faire la connaissance.
- Euh… Moi, je ne sais pas trop. Violette, est-ce-que ça vous va ?
- Mais oui bien sûr, c’est parfait mademoiselle Violette, répondit le gant blanc.
- Et vous, vous vous appelez comment ?
- Chevalier !
- Comment ça, Violette ? Mais vous êtes verte. Comme moi d’ailleurs, retorqua le deuxième gant vert.
Voyant que Violette se sentit embarrassée à cause de cette remarque Chevalier répondit au gant vert :
- Arrêtes, tu vois bien qu’elle rougit.
C’est vrai Violette était devenue très rouge…
- Je suis désolé si j’ai pu te blesser Violette je ne voulais pas, s’excusa le gant vert.
- C’est pas grave, le rassura-t-elle. Et toi comment te nommes-tu ?
- Hum… Anatole !
Désormais, Violette, Chevalier et Anatole avaient des prénoms, mais ils n’avaient pas de but et Violette considérait que mener une vie sans but était totalement absurde et inutile.