Marc était ébloui par une lumière aveuglante et chaude. Une chaleur brûlante insoutenable parcourait tout son corps. Tout d’un coup, cette chaleur s’estompait jusqu’à disparaître totalement et, petit à petit, sa vue redevint net. Il sentit des picotements dans tous ses membres qui disparurent eux aussi. Et tout revint à la normal comme si rien ne s’était passé. Il se tourna devant son ami et dit :
- Échec et mat !
- Ha ! Marc tu abuses. Cela fait déjà trois parties de suite que tu gagnes, dit Phil. T'as un truc c'est pas possible autrement.
- Ouais mec, du savoir-faire, répondit-il en lui faisant un clin d’œil.
- Bon, je suis désolé, mais je vais devoir te laisser. Marie m’attend pour aller au restaurant et tu la connais, si je suis en retard elle va me mettre une chasse monumentale.
Ils rirent tous les deux et Phil se leva de sa chaise.
- On refait une partie quand tu veux, dit Marc.
- Ouais, mais la prochaine fois je te laisserai aucune chance.
- Moi aussi mon pote ! Passe le bonjour à Marie et les filles de ma part.
Ils se firent la bise et Phil quitta la place de jeu de Central Park. Marc regarda son ami partir. Il prit soudain conscience que cela faisait plus de 30 ans qu'ils étaient les meilleurs amis. Du haut de ses 38 ans, Marc l’avait rencontré à l'école primaire. Et durant tout ce temps, ils ne se sont plus quittés. Phil avait réussi sa vie, de bonnes études, une bonne situation professionnelle, une femme parfaite avec 2 enfants. Mais pour lui, c'était une tout autre histoire. Des difficultés à l'école, assez réservé dans la vie il était resté seul sans femme, ni enfant. Il avait bien des conquêtes de temps en temps, car il était plutôt bel homme, mais rien de bien sérieux. Marc pourrait presque lui envier sa vie, mais il était content pour son ami. Et c'était bien là le principal.
Le parc était animé aujourd’hui. Le soleil était présent et les gens voulaient en profiter. Après tout c’est normal. Les pluies diluviennes ces derniers temps pour un début juin étaient démoralisantes.
Soudain il entendit une personne à côté de lui, lui parler.
- Bonjour, lui dit l'inconnu. C'était un homme de petite taille, trapu avec un nez crochu assez proéminent. Il était habillé d'un costume 2 pièces noires assez chic avec une chemise blanche et des chaussures tellement bien cirées que le reflet de la lumière dessus pouvait guider un bateau sur la côte est des États-Unis.
- Bonjour, répondit Marc.
- Ho pardonnez-moi je suis navré. Je manque de civilités. Je m'appelle Garry, dit-il en lui tendit sa main droite, tout en tenant dans sa main gauche un attaché-case.
- Moi c'est Marc, dit-il, hésitant à lui tendre la sienne en retour. Que puis-je pour vous ?
- Je sais que ce n'est pas bien, mais je n'ai pu m'empêcher d'écouter votre conversation avec votre ami tout à l'heure et je cherche une personne assez douée pour faire une partie d'échecs.
Marc regarda sa montre. Il était 12h30 et il n'avait rien de prévu ce samedi. Un peu comme chaque week-end, se dit-il.
- Vous savez je ne suis pas si doué que ça, mais je me débrouille un peu, dit Marc. Mais ma foi, je n'ai rien de prévu alors pourquoi pas.
- Ho c'est génial je vous remercie !
- Par contre je vous préviens, je joue sans horloge. Je joue juste pour le plaisir et sans le stress du temps. J’espère que cela vous convient ?
- Aucun souci pour moi, dit-il en souriant, laissant découvrir une série de longues dents beaucoup trop blanches et nettes pour être des vraies. Il prit place sur la chaise de Phil.
- Voulez-vous commencer, demanda-t-il ?
- Non vous pouvez prendre les blancs, répondit Marc.
Garry plaça ses pions et commença la partie. Ils s'échangèrent des regards pendant les déplacements comme si l'un voulait lire à l'avance les intentions de l'autre. C'était aussi un moyen de déstabiliser l'adversaire. Tout le jeu se passa en silence. Au bout d'une heure de jeu, Marc sourit et plaça sa tour à trois cases du roi.
- Échec et mat !
- Ho bien joué Marc. Effectivement vous êtes assez fort. Seriez-vous d'accord pour refaire une autre partie.
Marc se sentait bien. Il faisait beau dans le parc, les oiseaux chantaient, les gens riaient. Tout était réuni pour rester encore quelque temps ici.
- Oui pourquoi pas après tout ! Mais dites-moi, je ne vous ai jamais vu ici. Vous habitez dans le coin ?
Garry sourit de nouveau. Marc ne savait pas pourquoi, mais cela le rendit nerveux.
- Non, je ne suis que de passage. Je suis venu chercher un colis et je repars sur la route dès ce soir normalement. Mais j'aurais quelque chose à vous proposer. Que direz-vous de pimenter un peu le jeu ?
- Je suis désolé, mais je ne joue jamais de l'argent, répondit Marc du tac au tac.
- Non ne vous inquiétez pas je ne suis qu'un simple représentant, mais je vous ferais un cadeau si vous gagnez.
Cela attira la curiosité de Marc. Il était très joueur, et c'est d'ailleurs pour cela qu'il évitait de jouer de l'argent, de peur de ne plus pouvoir s'arrêter.
- Vous êtes représentant en quoi ?
Toujours ce sourire scotché au visage comme de la morve collée au nez d'un enfant. Marc eu un frisson qui lui parcouru tout le corps.
- Je vous le dirais plus tard ce sera la surprise. Est-ce que vous acceptez ?
Marc hésita. Et puis qu'est-ce que j'ai à perdre, pensa-t-il.
- OK c'est parti.
- Superbe nouvelle ! Si cela ne vous dérange pas, j'aimerais jouer avec mon échiquier que j'ai sur moi. Vous voulez le voir ?
- Oui, bien sûr allez-y.
Garry ouvrit son attaché-case et en sortit un échiquier pliable en noir ébène. Il le déplia et le plaça sur la table en pierre ou était gravé celui de Central Park. Garry était très méticuleux. Il prit chaque pièce une à une, les posa délicatement comme si les pièces étaient extrêmement fragiles et en verre, et prit automatiquement les noires pour lui. Marc l’observa faire sa petite préparation. Quelque chose le gênait dans cet échiquier, mais il ne savait pas quoi. Il avait une attention toute particulière sur le roi noir de son adversaire. Une sensation étrange.
- Je vous laisse commencer dit-il.
Marc commença par une ouverture italienne en E4 et Garry suivit en E5. Mais Marc était toujours aussi perturbé par le roi noir. Il le fixait sans se préoccuper du reste.
- Tout va bien Marc ? Vous semblez soucieux ?
Il n'entendit pas ce que Garry lui demanda. Il fixait toujours cette pièce, comme si cette dernière l'appelait. Il ne regardait pas le jeu et, au lieu de bouger son cavalier, bougea un pion en D4. Garry le regarda et suivit en D5. Marc semblait totalement perturbé. Garry pouvait jouer n'importe quelle pièce, il ne semblait pas s'en préoccuper. Machinalement il prit un autre pion en C2 pour le placer en C4.
- Ho, Marc quelle erreur vous venez de faire.
Il ne répondit toujours pas. La voix de Garry lui parut très loin, comme s’il était dans une autre pièce. L'appel était trop tentant. Il prit le roi noir de son adversaire dans ses mains.
- C'est du fait main Marc. Une très belle pièce comme tout l'échiquier, n'est-ce pas ? Mais celle-ci c'est ma favorite.
Marc tourna le roi entre ses doigts. Malgré la chaleur ambiante, la pièce était extrêmement froide. Ce n'était pas un roi habituel. Pas de couronne, pas d'homme. Mais une sorte de monstre mi-animal, mi-démon avec de grandes dents acérées et deux cornes sur le dessus du crâne. Soudain Il sursauta et lâcha la pièce sur l'échiquier. Quelque chose venait de le piquer. Il regarda son doigt et une goutte de sang perla.
- Je suis navré dit-il. Je n’espère ne pas avoir abîmé votre roi. Mais que s’est-il passé ?
- Ce n'est rien Marc ne vous inquiétez pas.
Marc fouilla dans sa poche et en sortit un mouchoir en papier. Il voulut s'essuyer le doigt, mais il ne vit plus de goutte de sang, plus rien. Il eut soudain un léger vertige et saisit la table comme si c'était elle qui allait tomber. Mais cela lui passa. Garry souriait à pleines dents. De longues dents pour certaines assez pointues.
- Pouvons-nous continuer Marc ?
Marc reprit petit à petit ses esprits.
- Je… Je ne sais pas ce qu'il s'est passé. Je devrais peut-être rentrer.
- Je ne pense pas que cela soit une bonne idée Marc.
- Pardon ? répondit-il, toujours un peu étourdi.
- Vous savez… Cela ne te dérange pas si on se tutoie ? Donc je disais, tu sais, la partie est déjà commencée et tu as signé un engagement.
- Quel engagement ? Je n'ai rien signé ?
- Ho, mais si mon ami, avec ton sang, à l'instant même.
Marc était totalement déboussolé. Et qu'est-ce qu'il a à sourire comme un abruti ce type, pensa-t-il.
- Écoute mon gars, je ne comprends pas un traître mot de ce que tu me racontes et cette histoire est totalement absurde. Je vais mettre un terme à cette partie et m’en aller.
Marc voulu se lever, mais n'y parvint pas, car ses jambes ne le supportaient plus. Elles étaient totalement engourdies.
- Tu m'as fait quoi exactement ? Drogué avec ta pièce d'échec ?
Garry se mit à rire.
- Mais non voyons. Ne devrions-nous pas continuer notre partie ? Ho mais j’y pense, je ne t’ai pas dit quel serait le cadeau à gagner pendant cette partie. Et les règles du jeu de cette seconde partie on un peu changée à vrai dire. Mais commençons par ce qui t'intéressait tout à l'heure, le gain. Mon cher Marc, j'ai le plaisir de t'annoncer que si tu gagnes la partie, je t'offre ta vie.
Marc le regarda interloqué.
- Mais qu'est-ce que tu racontes mec.
- Tu as très bien entendu, si tu gagnes je t'offre ta vie, mais si tu perds, ton âme sera à moi. Tels sont les termes du contrat que tu as signé.
- Mais je n'ai rien signé moi ! Et c’est une histoire à coucher dehors.
Marc ne pouvait toujours pas se lever. Ses jambes étaient ankylosées. Il se rendit compte que les quelques joueurs d'échecs qui étaient autour d'eux il y a quelques instants n'étaient plus là. Seules quelques personnes un peu plus loin dans le parc jouaient sur les étendues d'herbes et profitaient du soleil.
- Maintenant voici les règles du jeu Marc. Elles sont très simples tu vas voir. Chacune de tes pièces principales hors pions correspond à une personne, dont certaines que tu connais mon cher. Tu vas devoir en un minimum de coup me battre pour éviter tout sacrifice inutile.
Marc prit un fou rire qu'il ne put contenir.
- Tu as totalement perdu la tête mon gars. Ton histoire c'est du grand n'importe quoi. Il faut que t'ailles te faire soigner mec. Et pourquoi je ne peux pas me lever. Que m'as-tu fait ?
Garry avait toujours ce sourire imprimé sur le visage.
- J'ai l'impression que tu ne me prends pas vraiment au sérieux mon cher ami. Je vais te faire une petite démonstration qu'en penses-tu ? On va faire une petite exception sur l'importance des pièces. Tu vois ton pion en C4 ? On va dire que c'est le jeune homme derrière moi au fond vers l'arbre qui joue avec son ballon.
Marc se demanda comment Garry savait qu'il y avait une personne derrière lui à cet endroit, car il ne s'était retourné à aucun moment. Garry prit son pion en D5 et fit tomber le pion de Marc sur l'échiquier.
Soudain, Marc eut la sensation que tout se passa au ralenti. Le jeune homme jouait à s’envoyer le ballon probablement avec un ami à lui. Ce dernier lui fit une passe un peu forte et l'adolescent, qui ne devait avoir que 16 ans à peine, recula pour essayer de récupérer le ballon. Il recula encore jusqu'à être au bord de la route. Et il continua. Marc entendit un klaxon. Il tourna la tête et vit un bus arrivé assez rapidement. Marc était trop loin, spectateur de tout cela. Il ne pouvait rien faire. Le jeune homme réussit à récupérer le ballon avec ses mains. C'est la dernière chose qu'il réussit à faire dans sa courte vie d'adolescent. D'un seul coup le temps reprit sa vitesse normale. Le bus percuta de plein fouet le jeune homme de 16 ans. Le choc fut si violent que Marc entendit de sa place le bruit sourd de l'impact sur le bus. Le corps de l'adolescent passa sous le bus et sa tête fut arrachée et roula sur le sol à côté du ballon. Des cris commencèrent à monter autour du bus.
Marc, totalement abasourdi, se tourna et regarda Garry. Ce dernier ne souriait plus. Le sourire avait laissé place à un rictus affreux et immense. Un rictus rempli de longues dents affûtées. Il lui semblait même qu'elles étaient bien moins alignées et bien plus longues qu'avant.
- Je pense que ce jeune homme n'avait pas la tête au football tu ne trouves pas ?
- Comment… Comment est-ce possible ?
- Alors Marc, tu me prends au sérieux maintenant ? Je te suggère d'être un peu plus attentif sur tes déplacements dorénavant qu'en penses-tu ?
- Espèce de connard ! Comment as-tu fait cela ? Et qui es-tu bon sang ?
Marc se rendit compte que des larmes coulaient sur ses joues rougies par la colère.
- Qui je suis Marc ? Tu ne l’as pas deviné ? Mais je suis la mort et je viens te chercher. Et tu n'as qu'une solution pour éviter cela, gagner cette partie et cela devra passer par sacrifier tes pièces principales qui représentent des vies pour essayer de sauver la tienne.
- Et si je refuse ?
- Alors tu auras directement perdu. Ton âme et toutes celles de l'échiquier seront à moi. Après tout Marc, la vie n'est qu'une simple partie d'échec, tu sais. Chaque coup fait doit être réfléchi comme toutes décisions. Et il est impossible de revenir en arrière.
Marc ne savait pas quoi faire. Il était pied et poing lié. Il regarda autour machinalement comme s'il voulait appeler à l'aide, mais le coin des joueurs d'échecs s'était littéralement vidé. Il regarda la personne devant lui. Garry… Mais s'appelait-il vraiment Garry ? Si c'était le diable ou la mort, pourquoi l’avoir choisi lui et pas une autre personne ? Tant de questions qui se bousculaient dans sa tête.
- À toi de jouer, dit Garry.
Marc ne pleurait plus. Mais il transpirait à grosse goutte. Il leva sa main droite tremblotante au-dessus de l'échiquier, hésita, puis pris son cavalier G2 pour le placer en F3. La partie reprit.
Garry positionna son pion C7 en C5 et Marc prit le pion avec son cavalier en E5. Il était content d'avoir pris l'avantage sur son adversaire. Il fallait à tout prix qu'il prenne le maximum de ses pièces pour asseoir sa supériorité et assurer sa victoire et sa vie.
Il s'en suivit plusieurs coups ou Marc effectua un petit roque pour protéger son roi et lui prit deux pions supplémentaires.
Le ciel s'était couvert. Un vent frais commençait à souffler et un frisson parcourut Marc. Il se rendit compte que les oiseaux ne chantaient plus et que le parc s'était vidé suite à l'accident plus loin. Il plaça son fou sur l'échiquier, mais en relâchant sa pièce, il se rendit compte de son erreur. La peur pouvait se lire sur son visage. Il leva la tête et regarda Garry. Ce dernier avait toujours ce rictus horrible imprimé sur son visage. Marc eu l'impression que le visage de son adversaire se changeait petit à petit. Il lui sembla que son nez était plus crochu et une lueur jaune orangé se voyait dans ses yeux.
- Quel dommage mon ami
- Je ne suis pas ton ami, répondit Marc sèchement.
- C'est dommage tu sais, l'amitié, c'est ce qu'il y a de plus sacré.
Il prit son cavalier, regarda Marc dans les yeux et continua :
- Une forte amitié c'est pour la vie, jusqu'à ce que la mort vous sépare.
Garry sourit et renversa le fou sur l'échiquier. Marc comprit rapidement ce qui était en train de se passer.
**
Dans le sud de Manhattan, Phil était en train de boire son café en compagnie de Marie sa femme. Le repas au restaurant a été succulent. Le serveur venait de leur amener l'addition et ils trouvaient que ce n'était pas trop cher pour la qualité du repas. Cela faisait une éternité que Marie et lui n’avaient pas été seuls en tête à tête et leur relation sexuelle était presque au point mort depuis la naissance de leur seconde fille. Mais cette fois-ci, les enfants étaient chez les parents pour le week-end et tous deux comptaient bien en profiter. Mais cela faisait une ou deux minutes qu'une douleur au niveau de la cage thoracique le lançait et il commençait à avoir chaud. Phil pensait que cela allait passer, mais cela devenait de plus en plus gênant et oppressant. Marie lui demanda si tout allait bien, mais il ne répondit pas. Il commençait à avoir beaucoup de mal à respirer et sa vue commença à se troubler. Marie ne souriait plus et Phil s'écroula sur la table du restaurant. Elle hurla à l'aide.
**
Marc se mit à sangloter. Il avait compris que son meilleur ami venait probablement de mourir, et c'était de sa faute. Il avait relâché son attention juste quelques secondes et voilà le résultat.
- Je m'occuperai bien de lui ne t'inquiète pas Marc.
- Espèce de…
Marc senti la colère monter en lui. Il aurait voulu lui sauter dessus, l'étrangler de toutes ses forces et lui enfiler toutes les pièces de son putain d'échiquier dans la gorge comme on fourre une dinde pour la Thanksgiving, mais ses jambes semblaient toujours vouloir faire la grève.
- Nous devons continuer la partie cher ami. C'est à toi de jouer. Et je te conseille de rester attentif si tu ne veux pas rejoindre ton ami.
Marc défia Garry du regard. Puis il se pencha au-dessus de l'échiquier et analysa le jeu. Il prit sa tour et l'amena à mi-chemin, regarda de nouveau Garry tout en gardant sa main sur sa pièce, puis enleva sa main. Garry plaça un pion deux cases en avant pour prendre sa tour en diagonale. Marc recula sa tour d'une case et Marc bougea un de ses cavaliers et bloqua sa tour.
- Putain ce n'est pas possible…
Marc pris conscience qu'il venait de faire une nouvelle erreur. Son adversaire quant à lui souriait à pleines dents, un sourire de plus en plus large et déformé. Il ne pouvait plus reculer sa tour, car elle était bloquée par ses propres pièces.
- Tu es obligé de jouer une autre pièce Marc. Cette vie est à moi !
Garry ricana assez fort, un rire qui rappela celui d'une hyène pensa Marc. Mais il avait raison. Il ne pouvait plus rien faire pour sa tour. Elle était condamnée et une nouvelle vie allait tomber. Il prit sa reine et la plaça dans le coin gauche de l'échiquier. Il espérait juste que la personne qui allait mourir n'était pas un de ces proches.
Garry prit son cavalier et fit tomber la tour d'Marc.
**
Margaret était clouée au lit dans sa chambre au premier étage à cause d’une bonne grippe. Elle vivait seule, son mari John étant mort l'année dernière à l'âge de 70 ans d'un arrêt cardiaque. Il ne lui restait plus que son chat Pilou, la seule compagnie vivante dans cette maison de 120m². Mais l'infirmière qui s'occupait d'elle ne devait pas passer la voir avant ce soir et Pilou avait besoin de manger. Il ne cessait de miauler et de gratter à la porte de sa chambre et Margaret n'allait pas pouvoir supporter cela toute l’après-midi. Les croquettes du chat étaient en bas dans le cellier près de la cuisine. Elle regarda son réveil et il indiquait 14h. Elle devait lui donner à manger. Margaret prit son courage à deux mains et se leva. Ses jambes étaient faibles et sans force. Elle alla jusqu'à sa porte, l'ouvrit et le chat l'attendait derrière. Pilou miaulait si fort qu'il allait ameuter tout le quartier. Il vint se frotter contre ses jambes en faisant des allers-retours sans cesse. Elle avança dans le couloir et le chat se mit à trottiner jusqu'à l'escalier et s'arrêta. Margaret arriva devant l'escalier et commença à descendre les marches doucement. Mais Pilou avait faim, trop faim, il miaulait toujours. Et il se mit à descendre les escaliers et passa entre les jambes faibles de Margaret. Des jambes trop faibles pour pouvoir se reprendre quand elle commença à trébucher du haut des marches. Elle ne put se rattraper à la rambarde et elle dévala les marches une à une dans un bruit d'os qui se brisent. Elle se rompit le cou et tomba inerte tout en bas comme un pantin lors d'un crash test. Pilou attendait, il avait faim et vin se frotter contre le visage ensanglanté de Margaret et miaula.
**
Marc venait de tuer une autre personne. Il se sentait coupable de cela. Garry l'obligeait à sacrifier des personnes pour sauver sa propre vie. Mais le pouvait-il vraiment ? Pouvait-il sauver sa propre vie ? Si cela se trouve, je fais tout ça pour rien. C'est peine perdue, pensa Marc. Déjà 3 personnes mortes et il lui avait déjà pris presque tous ses pions, prit sa tour et son fou. Lui n'avait réussi à prendre que quatre pions à Garry. Les comptes étaient mauvais. Marc le savait. Il regarda l'échiquier, mais n'arrivait plus à analyser la situation et il se sentait vidé de toute force. Il prit sa tour et la bougea de 3 cases sur la gauche. Il regarda Garry, mais ce dernier ne lui rendit pas le sien. Marc, les yeux humides et rouges, sentait que son adversaire voulait en finir vite. Garry prit sa tour, leva les yeux pour regarder sa proie et plaça sa tour pas loin de son roi. Il releva de nouveau la tête et afficha un rictus affreux. Ce visage n'avait plus rien d'humain. Des dents irrégulières et pointues pour la plupart. Un nez aussi crochu qu'un bec de vautour et une lueur dans les yeux comme des flammes.
- Échec !
Marc avait peur et se remit à pleurer. Il n'avait pas le choix et devait bouger son roi, car Garry venait de le mettre en échec. Il le bougea d’une case à droite. Marc regarda Garry et ce dernier se mit à rigoler fortement, un rire si fort que cela lui fît mal aux oreilles. Sa bouche était tellement ouverte que cela n’avait plus rien d’humain. On pouvait y voir un abîme sans fond. Garry prit sa reine et le plaça proche de son roi.
Marc se rendit compte qu’il ne pouvait plus rien faire et regarda Garry qui riait toujours.
- Échec et mat Marc !! Tu as perdu !
- La partie est terminée effectivement. Que va-t-il se passer maintenant ?
- L’enfer cher ami. Tu vas connaître l’enfer !
Marc commença à avoir très chaud, extrêmement chaud même. Sa vue commençait à se troubler. Et soudain tout devint lumineux, brûlant sa peau et sentant son sang bouillir. Il entendait Garry au loin lui dire « Tu es à moi ! tu vas connaître l’enfer !! ». Il se sentit s’évanouir dans cette chaleur brûlante et lumineuse. Puis plus rien.
**
Lumière aveuglante. Je ne vois rien et j’ai comme des fourmis dans les jambes. Ah ! Ça y est, ma vue revient petit à petit.
Marc se tourna devant son ami et dit :
- Échec et mat !
- Ha ! Marc tu abuses. Cela fait déjà trois parties de suite que tu gagnes, dit Phil. T'as un truc c'est pas possible autrement.
- Ouais mec, du savoir-faire, répondit-il en faisant un clin d’œil à son ami d'enfance.
Superbe nouvelle. Je suis tombée dessus par hasard et je l'ai dévorée en vingt minutes. Le texte est fluide, et on est pris dans l'histoire, grâce aux morts, à la description angoissante de Garry.
La mort de Phil m'a un peu étonnée, j'avoue. Je pensais que plus la personne était importante aux yeux de Marc, plus la pièce était importante sur l'échiquier (par exemple, je m'attendais à ce que Phil soit la reine). Mais ça ne pose pas de problème à l'histoire, au contraire ça captive encore plus, de savoir que son meilleur ami est déjà mort.
J'ai beaucoup apprécié aussi la morale de cette histoire, si on veut. La mort est un éternel recommencement... C'est bien écrit, je trouve. À peine compréhensible, pour laisser une sorte de mystère... Ce qui procure un certain malaise au lecteur, et ce depuis le tout début, quand cet homme trop parfait salue Marc.
Enfin voilà, je t'encourage vivement à publier tes écrits, qui ont l'air vraiment captivants (j'ai lu les autres commentaires).
Bonne continuation =)
Purée mais mille merci pour ton retour !
J'osais pas poster ma nouvelle mais je suis content de l'avoir fait. Ca fait plaisir de lire tout ces retours :)
Je sais pas si ce genre de nouvelle peut être publiée, les nouvelles sont peut-être moins recherchées que les romans :)
Mais j'espère un jour y arriver ;)
Encore merci à toi !
Je ne te cache pas que je me suis vite douté du type de personnage que le pauvre Marc avait en face de lui mais j'ai été curieux de voir ce que t'allais en faire. Je n'ai pas été déçu. J'aime cette fin avec le sens de ce recommencement et honnêtement je pensais que Marc allait s'en sortir ou qu'il y allait y avoir un revirement de situation en sa faveur... du coup c'est encore plus cool qu'il s'en sorte pas ! Ca rend la chose imprévisible pour le lecteur qui s'apprête à avoir un happy ending ! Puis … j'aime quand les caractères principaux ne s'en sorte pas ...mouhahahaha
Apres je t'avoue que je suis frustré de ne pas savoir pourquoi il s'attaque à ce pauvre Marc. Pourquoi lui ? Mais bon je suppose qu'il n'est qu'un os parmis tant d'autre avec lequel Garry s'amuse.
Bref bref bref !!! Encore une fois bravo pour ce premier pas ! J'espère en voir d'autre ! Je sais à quel point c'est difficile de se lancer. Alors à très vite j'espère !
Partie d'une bonne idée, développer l'intrigue, on est vraiment happé par la succession de coups, et puis
**spoiler**
Cette fin..?.. Est-ce une allégorie de l'enfer ? :) un recommencement sans fin ? Je sais que c'est parfois pénible d'expliquer ses écrits aux lecteurs simplets comme moi ah ah.. Mais c'était juste pour savoir!
A part ça, j'ai vraiment apprécié la lecture du récit, et en fait ça se lit tellment en mode page-turner que même le passage de la dame avec son chat pourrait être raccourci, on sait par avance son destin ! Au ciné on prendrait peut être le temps de détailler la scène, mais à l'écrit franchement pas besoin je trouve !
Bravo pour ce texte j'aime bien ces nouvelles qui font leur boulot de nouvelles !
Alors déjà un grand merci pour ce commentaire qui fait plaisir :) Je vais être honnête avec toi : c'est la première fois que je montre un texte par manque de confiance en moi :)
Ton message est motivant, merci :)
*** SPOILER ***
Tu as bien vu, le recommencement sans fin, l'enfer et revivre sans fin une situation pas agréable. Et ne t'excuses pas tu as eu raison de demander :)
Encore Merci :)