Eclosion

Par Lemp
Notes de l’auteur : Quelques références à une série TV des années 80. N'hésitez pas à me dire si vous avez trouvé.

L'œuf écrasé sur l'A1 avait fini par être enlevé. L'autoroute avait été détournée suffisamment longtemps au goût des autorités. Cacher l'origine de l'objet, ou plutôt son absence d'origine, avait été un calvaire assez grand pour ne pas vouloir ajouter des désagréments supplémentaires – et des suppositions possibles – aux usagers. S'il s'agissait bien d'un satellite nouvelle génération, comme l'indiquait le communiqué officiel, les autorités n'auraient pas hésité à le récupérer rapidement. Aussi le colonel Etienne Jasper-Gauthier avait été chargé de cette mission, avec son régiment attaché à l'armée de l'air. Il avait été briffé. Des unités d'élite lui avaient été temporairement affectées. Après tout, son métier était le transport et la logistique.

Comme tout ce qu'il entreprenait, le colonel réalisa cette mission avec rigueur, organisation et célérité. Les camions arrivèrent, les militaires chargèrent l'objet, et les camions repartirent. Rien ne semblait pouvoir entraver cette belle machine qu'était l'armée de l'air. Seul un photographe fut appréhendé et son matériel détruit.

Cependant, un grain de sable vint stopper net la marche en avant qu'avait entreprise l'unité de son pas militaire. L'objet vibrait et brillait. Les scientifiques, qui avaient commencé à l'étudier, ne comprenait pas. Il ne pouvait évaluer le risque. Aussi la décision dut prise de réquisitionner un entrepôt sur la plateforme Delta 3 de Dourges, au bord de l'A1, et d'y déposer l'œuf. Un lieu non utilisé était disponible et fut sécurisé.

Jasper-Gauthier n'aimait pas ça. Ses subordonnés en faisaient les frais.

« Je préfère qu'un plan se déroule sans accroc. » disait inlassablement le colonel à son aide camp, le lieutenant Marouane Beladj, gentil garçon plutôt futé qui se demandait ce qu'il faisait là. Il n'avait pas sollicité cette affectation. Son bon caractère lui permettait de supporter son supérieur, mais il n'en pensait pas moins et attendait l'occasion de demander sa mutation. Cependant, il s'apprêtait à passer un assez long moment confiné avec le colonel. Il venait de recevoir un ordre de mission. Leur unité était affectée à la surveillance de l'œuf, afin de limiter les personnes au courant de la situation.

Le lieutenant se présenta à son supérieur avec le document officiel imprimé. Jasper-Gauthier le lut, le chiffonna et le jeta dans un coin. Il sortit un cigare de sa poche et l'alluma. Marouane savait que les heures suivantes seraient compliquées. Le colonel n'allumait un cigare qu'en deux occasions : Une grande joie ou une grande colère. Inutile de préciser que la seconde occasion faisait plus régulièrement surface.

« Ramassez ce papier et détruisez-le ! » hurla Jasper-Gauthier. « Pas de preuve. »

Il prit plusieurs bouffées de tabac.

« Putain d'œuf ! »

*

Sandra essayait en vain de détacher les yeux du spectacle qui s'offrait à elle. Pierrick et Valentini n'étaient pas en reste, même si ce dernier observait de plus loin. De l'œuf avait surgit une branche lumineuse qui avait commencé à grandir et à prendre de l'épaisseur. Puis une autre branche était née de la première, alors que des racines ancraient le tout au sol. En quelques minutes, un arbrisseau était né. Un arbrisseau lumineux comme un sapin de Noël.

Le frère Pierrick avança et caressa d'une main tremblante ce qu'on pouvait prendre pour des feuilles. Valentini sortit son téléphone et prit une photo. Au moment de l'envoyer, il se rendit compte qu'il n'avait pas de réseau.

— Partons, dit-il.

— Pourquoi ? demanda Sandra.

— Nous devons communiquer sur ce qui se passe ici.

— A vos supérieurs ? Je préfère rester ici et étudier l'objet.

— Hors de question, je vous ai amené ici, je vous emmène avec moi.

— Et lui ?

Sandra désignait le moine, qui observait l'arbre sous toutes ses coutures. Il avait maintenant atteint une taille humaine et continuait à briller. Il émanait de lui une impression d'intense énergie.

— C'est formidable, assura Sandra. Je n'arrive pas à déterminer ce que c'est. On n'a jamais rien vu de pareil sur Terre.

— Officiellement, non, assura Valentini.

— Officiellement, vous voulez dire que vous êtes en possession d'autres œufs ?

— Ne me dites pas que vous n'avez pas entendu parler du drone qui s'est écrasé sur l'autoroute A1 ?

— J'avoue que je n'ai pas écouté les informations, depuis que je vous ai rencontré.

— Un œuf est tombé dans l'océan il y a quelques semaines. Un bateau l'a repêché. Mais il n'a jamais brillé comme ça. Il y a eu plusieurs "atterrissages".

— Ça correspond à ce que j'ai pu observer.

L'arbre continuait à grandir et faisait maintenant la hauteur d'un bus. Ses branches grossissaient à vue d'œil. Valentini le scruta, inquiet.

— Allez, on s'en va.

— Bon courage pour récupérer le moine.

— Il faudra bien qu'il vienne, je ne le laisse pas seul ici.

Le frère Pierrick commençait à escalader les racines qui étaient maintenant assez importantes pour porter un homme aussi corpulent que lui. Il glissa et tomba sur le sol. L'agent se précipita pour l'aider à se relever. Avant qu'il n'atteigne le moine, la pointe d'une branche vint se ficher dans la boue, entre eux. Valentini fut projeté en arrière. La branche irradiait.

*

Etienne Jasper-Gauthier faisait les cent pas. Il n'aimait pas être bloqué à un endroit, sans ordre de mission précis. Tel un lion en cage, il passait ses nerfs sur ses subordonnés. La plupart l'évitaient, surtout le lieutenant Beladj. Le colonel, qui n'avait pas encore compris ce petit jeu, arpentait régulièrement l'entrepôt pour une inspection surprise. Et gare à celui qui paraissait ne pas avoir une attitude conforme à tout bon soldat. Cette fois-là, il fut attiré par un fond musical très léger. Derrière une caisse, il surprit le large dos de son aide de camp.

— Barracuda ! murmurait celui-ci en dansant.

Le colonel lui tapota l'épaule. Marouane se retourna et pâlit à la vue de son supérieur.

— Alors, garçon ? On chante du Claude François pendant le service ?!

Le « garçon » ne savait que répondre et se mit au garde-à-vous.

— Vous allez avoir de mes nouvelles. Lorsque nous sommes en mission, le sérieux et la concentration sont de rigueur !

Des pas résonnèrent sur la passerelle métallique qui reliait les deux parties de l'entrepôt. Les deux hommes se tournèrent vers l'escalier et virent arriver une sentinelle qui courrait à perdre haleine.

— Colonel ! haleta le jeune soldat.

— Eh bien, jeune homme, quelle est donc cette tenue ? Reprenez-vous !

L'homme se mit au garde-à-vous et parla sur un signe de son supérieur.

— L'œuf, Colonel, il a bougé.

— Bougé ? Comment ça, bougé ?

— En fait, il s'est ouvert.

— Ouvert ? Et qu'y a-t-il à l'intérieur ?

— Bah, on ne sait pas trop. Ça brille.

— Bien ! soupira le colonel. Allons voir ça !

Décidément, il n'aimait pas l'improvisation. Il suivit la sentinelle et s'arrêta au bas de l'escalier.

— Vous aussi, Beladj ! Et que ça saute !

Le lieutenant sursauta et trotta sur leurs talons.

*

Valentini ouvrit les yeux. La première chose qu'il vit fut une intense lumière. Puis il aperçut vaguement Sandra Choque se précipiter vers lui. Elle l'aida à se relever pendant qu'il reprenait ses esprits.

— Ça va ? demanda-t-elle.

— Je pense. Rien de cassé en tout cas. Le moine ?

Ils firent le tour de la branche à la recherche de Pierrick. Celui-ci était prostré derrière ce qui pouvait maintenant passer pour une nouvelle racine. Ils le relevèrent avec difficultés et s'éloignèrent. Le saint homme était sonné. Il remontèrent le cour du ruisseau de quelques pas.

— Je n'ai pas de réseau, affirma Valentini en essayant de passer un appel. Nous allons redescendre.

— Mais nous devons étudier le phénomène... protesta Sandra.

— Je dois faire sécuriser l'endroit. Bordel, on ne sait pas ce que c'est !

— Pas besoin d'être grossier.

— Désolé, mais j'ai failli me faire empaler par une branche qui luit en mode sapin de Noël. J'ai tendance à être moins agréable dans ces circonstances.

— Parce que d'habitude, vous êtes plus agréable ?

Sans répondre, il ouvrit le chemin. A peine furent-ils sortis de la forêt que le téléphone sonna. La conversation dura quelques minutes avant que Valentini ne raccroche.

— J'ai demandé à ce que le périmètre soit sécurisé totalement. Tant pis pour les rumeurs. Mlle Choque, nous partons pour Dourges, entre Lille et Arras. A priori, quelque chose pourrait vous intéresser là-bas. Quant à vous...

Il se tourna vers le moine l'air sévère.

— Je vous dépose au monastère. Vous avez interdiction d'en bouger jusqu'à nouvel ordre. A vrai dire, vous serez confiné dans votre cellule jusqu'à ce qu'un médecin vous ausculte. Compris ?

Pierrick acquiesça.

— Alors en route.

Ils reprirent la voiture. Quand ils arrivèrent sur une hauteur, ils distinguèrent clairement l'arbre lumineux qui atteignait la même taille que les arbres les plus hauts de la forêt.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez