Ses cheveux sont ce que j'ai remarqué en premier. Oh, ils n'ont pourtant rien d'extraordinaire : ils sont juste châtains, et quelques mèches rebelles viennent chatouiller ses joues. De si jolies joues... Pardonnez-moi, je m'égare. Mais elle est si belle, voyez-vous ? Il m'arrive de l'admirer des heures durant en ne pensant à rien d'autre qu'à elle. J'essaye de deviner le nom qui lui irait le mieux. Je ne peux lui demander, bien trop timide... A peine ses pupilles se poseraient sur mon insignifiante personne que j'en oublierais tous mes mots. Oh, que donnerais-je pour pouvoir une fois ne serait-ce que croiser son regard... Il me transpercerait, je le sais. Je le sais et n'y pourrai jamais rien.
Pourquoi diable est-elle avec lui ? Il l'enlace de ses bras crasseux, je la vois au milieu de cette foule suante et dansante. Je préfère rester à l'écart, comme toujours. Elle n'est pas heureuse... Si je touchais son visage, pourrais-je aspirer sa peine, la faire mienne ? Elle ne la mérite pas, et moi ça m'est égal. Je veux bien supporter toutes les peines du monde si cela me permet de la voir sourire à nouveau.
Elle se décolle enfin de cette infâme créature et s'éloigne de la salle surchauffée. Une fois dehors, elle semble profiter de l'air frais de la nuit. Une esquisse de sourire se dessine sur ses lèvres.
Et puis... Elle me regarde pour la première fois, s'approche de moi et je ne sais comment réagir. Devrais-je me lever et partir ? Aller à sa rencontre ? J'ai désespérément envie de me retourner pour voir s'il n'y a pas quelqu'un d'autre derrière moi mais ne veux pour rien au monde briser ce fragile et tant attendu contact visuel.
Elle vient s'asseoir à mes côtés, sur ce petit muret bien inconfortable, le regard baissé. Ma voix reste bloquée au fond de ma gorge sèche... Elle reste silencieuse, m'emplit de sa profonde tristesse si bien que les larmes me montent aux yeux, je les empêche tant bien que mal de couler. Elle la feraient certainement fuir... Je les ferme alors et me concentre sur son odeur. Elle est proche, si proche de moi en ce moment, je peux la respirer de tout mon être. Je me fiche de ce qu'on pourrait bien penser. Il n'y a qu'elle, moi, et notre silence. Je voudrais pour une poignée de secondes encore croire que ce moment n'est pas éphémère.
Elle le brisa la première. J'imaginais sa voix fluette, haut perchée. Il n'en est rien. Elle est puissante, bien plus puissante que le silence qui nous entourait. Chacun de ses mots est tel que je lutte pour ne pas l'embrasser violemment. Elle me parle de lui. Elle me parle d'elle. Elle me dit qu'elle n'est pas heureuse et qu'elle ne sait pas pourquoi elle vient me dire toutes ces choses, à moi qu'elle ne connaît pas. Et tandis qu'elle me dit ça, innocemment, elle a passé sa main sur la mienne. Sursautant presque, j'ouvre malgré moi les yeux pour les poser sur cette peau diaphane. Je la regarde si fort que je crains la voir s'écraser sous la pression. Essayez de comprendre, une telle occasion ne se représentera pas. Je contemple chacun de ses doigts, admire la moindre de ses phalanges, résistant avec peine à l'envie de les caresser.
Elle mérite que l'on prenne soin d'elle. Que je prenne soin d'elle. Sa voix me berce, me porte. Je pourrais presque la palper, elle est si présente autour de moi. Ses mots instables dansent devant mes pupilles ébahies et je ne peux m'empêcher de tourner le regard vers les lèvres qui les prononcent. Je ressens cet irrépressible désir de voir ce visage auquel je rêve la nuit autant que le jour. Je veux en connaître aussi bien chaque défaut que la beauté de sa perfection. Elle continuer de parler, de me noyer sous le flot de ses paroles. Je peine à les écouter, le cœur terrassé par son charme.
J'imagine poser mes lèvres sur cette bouche bavarde. Quel maelström de sensations ressentirais-je ? Je prendrais mon temps, goûterais à cette chair nouvelle. J'en redessinerais le pourtour jusqu'à le faire devenir mien. J'attendrai, patiemment, qu'elle me laisse entrer. Et puis...
Elle se tait et ce silence revient subitement nous hanter. Je sens son départ proche et ne peux le supporter. Je fais alors le geste le plus étrange et spontané qu'il m'ait été donné de faire : je la prends dans mes bras. Il ont bougé d'eux-mêmes, sans que je ne leur donne un quelconque ordre. Jamais je ne pourrais assez les remercier d'avoir pris cette improbable initiative. Je m'immobilise, les mains posées sur son dos, le visage niché dans le creux de son cou. Il n'est parasité par aucune odeur factice, j'ai la sensation d'avoir un peu d'elle en moi lorsque je respire. Je sens sa peau contre la mienne, fraîche. J'empêche mes mains désobéissantes de trembler, mon souffle de se saccader. Elle pourrait s'en rendre compte et ma chimère se briserait... Je veux graver dans ma mémoire le grain de sa peau, la couleur de ses mots. Je veux la dessiner, je veux l'écrire pour ne jamais les oublier. Je compte les secondes, sachant que la prochaine pourrait être la dernière.
Elle est d'abord surprise, je la sens se raidir. Puis elle laisse échapper un petit rire, m'étreint un moment avant de se lever. Elle me fait un signe de la main en repartant, me laissant seule, ne sachant si j'aurai à nouveau l'honneur de recevoir ses mots décousus.
C’est un beau récit d’amoureux transi. D’un côté, il pense qu’il pourrait la rendre heureuse, la délivrer de la souffrance, et d’un autre côté, il ne se croit pas digne d’elle. C’est typique du dépendant affectif qui a une faible estime de soi et qui a l’habitude d’aimer sans être aimé en retour. Mais cet amour qui croit pouvoir tout transcender est très romantique, et cette nouvelle est bien écrite. Dommage que tu ne sois plus dans les parages.
Coquilles et remarques :
A peine ses pupilles se poseraient [À peine]
briser ce fragile et tant attendu contact visuel [Pour plus de fluidité, je propose « ce fragile contact visuel tant attendu »]
Ma voix reste bloquée au fond de ma gorge sèche... Elle reste silencieuse [Pour éviter la répétition de « reste », je propose « Ma voix se bloque »]
si bien que les larmes me montent aux yeux, je les empêche tant bien que mal de couler [Je mettrais un point-virgule ou un point après « yeux ».]
Elle la feraient certainement fuir... Je les ferme alors [Elles / pour plus de clarté, je propose « Je ferme alors les paupières »]
Elle le brisa la première [le brise]
que je crains la voir s'écraser [de la voir]
aussi bien chaque défaut que la beauté de sa perfection [on ne peut pas parler de perfection s’il y a des défauts...]
Elle continuer de parler [continue]
Quel maelström de sensations ressentirais-je [La juxtaposition de « sensations » et « ressentirais-je » n’est pas très heureuse. Je propose « éprouverais-je ».]
J'en redessinerais le pourtour jusqu'à le faire devenir mien. J'attendrai, patiemment, qu'elle me laisse entrer [J’attendrais]
Il ont bougé d'eux-mêmes [Ils]
Je te remercie pour tes critiques si détaillées ! ça me fait vraiment plaisir ;) Heureusement que je reçois un mail à chaque nouveau commentaire, je ne t'aurais jamais lue ! (ou alors avec quelques mois/années de retard) Il y a pas mal de coquilles dans ces textes... Ils ont été écrit il y a quelques années, je n'avais pas encore mon super logiciel Antidote pour corriger toutes ces fautes d'inattention ! Je ne manquerai pas d'intégrer tes remarques à mes textes ;)
ça fait bien longtemps que je n'ai pas écrit... Mais je compte m'y remettre un jour !
Merci encore ;)
Mais sinon, c'est vraiment chouette et joli à lire !