EMILIE

Samedi 7 septembre 2024. 16h27. Rome, parc de la villa Borghese. 

Emilie flâne. Le soleil est chaud. Sa peau dorée sollicite ses caresses. Insatiable, elle les réclame, avide de chaleur. Le sourire aux lèvres, la lumière dans le regard, elle remercie, chaque jour, le chemin parcouru. La gratitude, omniprésente, est devenue sa partenaire. Elle a appris à la cultiver. Pour elle, pour autrui. Additionnée à la gentillesse, à la douceur, à l’écoute, à la patience. Pour certains, c’est excessif ; c’est « trop ». Pour d’autres, Emilie est naïve. Il n’en est rien. Loin de là. C’est elle qui a choisi de devenir qui elle est. Avant, elle était différente ; tout le contraire, même. Une autre femme dans le même corps. Une femme dominée par des démons, ses démons. Le diable, je suis bien obligé d'y croire, car je le sens en moi ! reconnaissait Baudelaire. Le diable, elle aussi, elle y croyait. Sans doute, aucun, elle avait noué une relation intime avec lui. Doublage d’une Lily-Rose Depp emprise d’un Nosferatu aux visages multiples. Indéniablement, avant, elle n'avait le contrôle sur rien. Mais elle a appris. Appris à s’arrêter, à respirer, à devenir « sage ». Aujourd’hui, elle se sent bien. Enfin. Après toutes ces années, grignotée par un quotidien bancal. Le besoin d’émotions fortes, vital. La dépendance aux hommes. La cigarette, les soirées et leurs lots d’alcool, de cocaïne, de MDMA. Le sexe. Le travail, le sport, les craintes et les angoisses aussi. Un joli bout de femme borderline, somme toute. Mais ça, c’était avant. Et cet avant, que nombre regretterait, elle en a fait sa force. Son chemin, elle en est fière. Il lui permet d’être ce qu’elle est aujourd’hui. Puissante, sûre d’elle, réfléchie ; mûre.

A un moment, les maux, maltraitants, se sont mués en de doux stigmates.

C’est rare, mais, pour une fois, elle est seule à Rome. Cinq jours à elle, rien qu’à elle. Une bénédiction. Rome dont elle est tombée amoureuse sept ans plus tôt. Rome la belle. Rome l’authentique. Rome la faiseuse de rêves. La jeune femme s’y sent bien. Elle y est chez elle. David, coiffeur germanopratin, son ami de longue date, lui a confié les clés de son cosy 43 m2. Design signé Charles Zana, murs tapissés de velours carmin, chambre ornée d’un lit Bubble extra confortable avec petit dressing sur-mesure où elle niche ses trouvailles (zones shopping de prédilections : les rues Condotti, Borgognona, del Tritone et son célèbre mall le Rinascente).  En somme, ce cocon situé via del Salvatore, perpendiculaire à la piazza Navona, invite, à lui seul, à une échappée lyrique. La piazza Navona. Une des plus belles places au monde. Emilie l’avait découverte sous le chaud soleil d’août. La fontaine des Quatre-Fleuves et son obélisque égyptien, signée Bernini, placée en son cœur, l’avaient émerveillée. Son église Sant’Agnese in Agone, du célèbre architecte Borromini, avec sa coupole ornée de fresques peintes par Ferri, l’avaient émue. Ses petits cafés et restaurants typiques l’avaient séduite. Un bijou.

Le matin, avant l’arrivée des touristes, elle a pour habitude de s’installer à la terrasse du caffè Barocco. Che bella ragazza ! Hai le sopracciglia più belle del mondo ! S’exclama Paulo, le serveur solaire aux yeux rieurs, à la tignasse brune et aux bijoux extravagants, la toute première fois qu’il l’avait vue. Il est atypique et elle aime ça, les gens différents. Depuis, c’est son endroit bien à elle. Quand il la sait à Rome, il lui réserve même petite sa table (au soleil).

Cette place est aussi célèbre pour son marché. Elle aime s’y balader. Goûter les tomates bien mûres, déguster le pecorino, la pancetta, les cannolis et les pastacciotto de Lecce. Emilie est gourmande et ne se prive jamais d’un petit plaisir. Il mio piccolo sole ! S’écrie Andréa quand il la voit arriver. Le pâtissier lui sert toujours une coupe de Prosecco pour accompagner ses douceurs favorites. Il aime avoir l’avis de la jeune femme concernant ses produits. A dire vrai, elle lui rappelle sa fille. Partie s’installer au bout du monde, elle lui manque tant, sa Sofia. 

Après ces matinées de flânerie, les après-midis, durant des heures, Emilie se promène dans les rues tortueuses où chaque détour révèle une surprise. Son bonheur : découvrir les petites églises cachées aux beautés insoupçonnées. Sa favorite, l’église Sant’Ignazio di Loyola, non loin du Panthéon, où elle a rencontré sa petite amie Inaya, en avril dernier. Lorsque ses yeux s’étaient posés sur le plafond, la beauté des peintures l’avait époustouflée. Admirative du style baroque ; elle l’a étudiée au Royal College of Art de Londres pendant cinq ans. Aujourd’hui, elle est galeriste et passe son temps entre la France, l’Angleterre et l’Italie. A Rome, sa passion est comblée. Les échos du baroque sont omniprésents. Chaque ruelle, chaque place, abrite un joyau de cette époque. On y invente des histoires fascinantes, des amours cachés, des moments intimes fantasmés. Rome la merveilleuse.  

A 16h27, le sorbet parfum framboise coule sur ses doigts délicats aux ongles laqués de nuance violine. Elle lèche la glace fondue et se délecte de sa douceur acidulée. Contemplative, son lâcher-prise domine les pensées du quotidien. Elle s’allonge dans l’herbe, loin de toute agitation. Rapidement, un bien-être profond s’empare d’elle. Béatitude, bonheur parfait bien gardé par les élus au paradis. Les yeux mi-clos, les rayons percent entre les branches des cèdres pluricentenaires pour lui offrir de suaves caresses. Jappements lointains. Emilie se redresse. Une masse couleur noire accourt vers elle. L’animal se rapproche. Oh, un dogue allemand ! Elle adore cette race. Elle devrait avoir peur, mais il n’en est rien. Elle a confiance. La jolie fille a un cœur blanc sur le poitrail. Elle pose son gros museau humide sur la joue d’Emilie. Comme tu es belle toi ! Comment tu t’appelles ? Sur son imposant collier en cuir marron foncé est accrochée une médaille. Luana / Gianni : +39 345 123 4567. Luana se retourne. Son maître arrive, en courant. Gianni, probablement.

Gianni : Ciao ! Scusa, sono senza fiato !

Emilie : Ciao. Gianni ?  

Gianni : Si ! L'hai visto sulla collana?

Emilie : Esatto !

Luana s’assied contre Emilie. Son maître la regarde, attendri.

Gianni : Lei ti ama. Sei solare. A Luana piacciono le persone come te !

La main droite sur le dos de la chienne, Emilie sourit à Gianni. Émotions humaines. Les rayons du soleil percent toujours entre les branches des cèdres mais, à présent, ils caressent ces trois êtres à la recherche des belles énergies nourricières. Photographie de l’instant présent. Alors c’est cela, il dolce far niente de la ville éternelle ?

 

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