En attendant

Par Lyrou

  

 

  Mon sommeil fut écourté quand l’on manqua de me marcher dessus alors que le soleil n’éclairait même pas encore l’horizon. Ça s’agitait dans la maison et je me prit bientôt un faisceau de lampe torche en plein visage. Tout autour de moi il y avait des bruits de pas et des chuchotements qui échouaient à être discrets mais qui tentaient malgré tout.

 

- Debout il faut s’occuper du frigo et du congélateur.

 

Me souffla Marta, l’une des deux jeunes que logeait Jini, en me secouant pour appuyer ses propos avant de réitérer l’opération sur mon voisin de matelas. Je me mis en position assise, les paupières à peine ouvertes et l’esprit embrumé. Il faisait encore nuit et le noir de la maison n’était brisé que par les lampes de poches diffusant une lumière bleutée à certains endroits précis.

 

- Black-out ?

 

- Oui, apparemment il y a eut trois raids cette nuit, on en sait pas plus ; me résuma-t-elle avant de retourner au frigo suintant pour empêcher la flaque d’eau qu’il alimentait de s’étendre davantage.

 

Je rejoignit Jini au congélateur pour constater les dégâts et voir ce qui était foutu et ce qui pourrait être mis au frigo une fois le courant revenu. Nous étions encore tous activés autour des machines quand le soleil pointa finalement son nez de derrière les maisons voisines. Les faisceaux des lampes perdirent leur intensité avec le retour du jour et le courant revint avec lui.

Assez rapidement on eut des nouvelles des voisins, ou surtout de la radio des voisins, comme quoi il y avait effectivement eut trois raids qui avaient détruit le centre-ville et la zone industrielle. Mais surtout l’État avait prit la décision de tenter sur la ville un programme tout fraîchement développé avec le booste que le temps de guerre offrait au financement des recherches de défense. La chose restait très floue mais les gens prirent peur. Il s’agissait de déployer un bouclier autour des zones habitées, comme un immense champs de force qui empêcheraient les avions de nous bombarder. Mais ce qui maintenait des objets aussi puissants dehors nous maintenait aussi à l’intérieur et ça les gens le comprirent rapidement. Bientôt les rues se vidèrent, créant des embouteillages infinis sur les grands axes jusqu’au midi et une fois que le soleil eut entamé la deuxième moitié de sa course la ville avait sûrement été vidée de moitié. Les gens partaient, « en attendant », incapables de faire face à une situation que personne n’avait vécue avant nous. Personne ne savait ce que ce champ de force allait faire en termes concrets, et, nous le sûmes ensuite, l’État non plus. Au cinéma la plupart des ouvriers étaient au rendez-vous, beaucoup n’ayant de toute façon aucun moyen de quitter la ville. Tom et Georges vinrent nous dire au revoir, Tom un peu à contre cœur ça se sentait, mais ils en avaient pris la décision ensemble alors ils partirent. À la fin de la journée ils étaient les seuls membres du groupe qui avaient fait le choix de quitter la ville.

Je pense avec le recul qu’aucun d’entre nous ne mesurait comment le « bouclier défensif » comme les gens le nommaient allait impacter la vie citadine dans les semaines à venir. Comme annoncé il fut installé pendant la nuit suivante, et le temps de cligner des yeux la ville fut coupée de tout contact avec l’extérieur. L’alimentation par voie externe en électricité cessa, par chance le fonctionnement en générateurs nous permit de ne pas perdre le courant tout de suite, les ondes radios de toutes sortes ne passèrent plus et le réseaux téléphonique disparu purement et simplement.

Le chantier du cinéma ne s’en vit pas tellement affecté, sinon que l’on avait investi le bar voisin plus tôt que prévu, les patrons et la plupart des employés étant partis si l’on excluait le barman très croyant qui avait toujours ses cheveux implacablement plaqués en arrière. On l’avait trouvé le premier matin de l’isolation descendant des bouteilles derrière le comptoir, les cheveux plus du tout si bien plaqués en arrière et son collier de baptême dans l’évier . Il nous appris qu’il avait perdu sa femme et sa fille dans les derniers raids et la décision fut unanime de leur rendre un humble hommage sur la route désertée. L’on alluma quelques bougies, positionna deux planches pour faire une croix et l’agitation amena quelques curieux qui se joignirent à nous. Il y avait John le pasteur du temple protestant à un pâté de maison de là, ainsi que Nadir, Chloé et Adriel qui tenaient une pizzeria dans une rue adjacente et dont une amie et collègue avait également périt sous les bombes. Cela fait l’on se remit au chantier que les trois cuisiniers approvisionnèrent en petites pizzas et le pasteur en main d’œuvre volontaire.

Comme souvent en cas de crise l’on observa ainsi un rapprochement des spécimen humains qui étaient restés que ce soit par choix ou non. Voyant un groupe aussi important s’agiter autour d’un bâtiment grisâtre peint petit-à-petit beaucoup furent intrigués et vinrent voir ce que l’on fabriquait. Assez naturellement le groupe grossit au fur et à mesure et en quelques jours les murs furent terminés et peints, et l’intérieur partiellement aménagé pour s’adapter aux nouvelles conditions. L’on fit venir des chaises et des fauteuils depuis des salles de spectacles et des restaurants abandonnés, et le hall qui devait servir d’entrée fut transformé en espace d’accueil communautaire où se chevauchaient les matelas et les valises. Bientôt le cinéma devint l’épicentre de la nouvelle vie citadine avec les quelques cafés et commerces non-désertés par leurs gérants de la rue d’en face, dont la pizzeria dans laquelle Nadir organisait désormais des cours de cuisine pour celles et ceux qui n’avaient pas l’habitude de devoir pourvoir à leurs propres besoins alimentaires. Il y eut ainsi un rapprochement certain entre les deux équipes du cinéma et du restaurant et je me retrouvais parfois à aider Nadir dans l’atelier cuisine s’il y avait trop de monde.

Nadir était, pour Alex, « un peu comme toi mais en plus impliqué » disait-elle «Un personnage secondaire mais qui fait des pizzas. Nadir c’est toi mais qui fait des pizzas » et tenta pour ce motif de nous rapprocher plus que de raison. J’y gagnai au final un ami proche et Alex un héros secondaire pour son film bien que reléguer Yana au rang de second-sidekick lui brisait le cœur. Elle s’en était bien sortie avec cette affaire finalement puisqu’à force d’essayer d’argumenter sur ces changements de personnages Yana l’avait faite taire en lui proposant un verre et elles avaient officialisé l’idée ensuite dans leur coin.

Il y avait bien sûr d’autres initiatives venant de différents quartiers. Certains s’organisèrent pour récupérer ce qui pouvaient l’être dans les grandes surfaces et furent installés des frigos dehors pour qui voulait, d’autres tentait de faire un recensement des personnes restées et de leurs compétences manuelles pour mettre tout le monde à profit. Il y eut également quelques « missions » pour faire parvenir l’existence des différents projets qui se mettaient en place dans le quartier aux oreilles les plus lointaines et pour les inciter à s’en rapprocher. Autant de gens au même endroit dans des circonstances aussi particulières était naturellement un terreau fertile pour des conflits d’intérêt mais dans l’ensemble les premiers jours ne se déroulèrent pas si mal. Le plus gros accrochage ayant été quand quelques grandes gueules apprirent qu’Alex était ukrainienne et l’accusèrent par procuration d’être la cause des raids et du champ de force, conflit dont elle se servit pour son métrage et qui fut désamorcé assez rapidement quand elle leur donna le rôle des méchants de son film.

Film d’ailleurs qui n’avançait pas mal si l’on en croyait ce qu’elle nous racontait sur ses nouvelles idées. Son scénario se mettait enfin en place et vu l’état de la ville elle n’avait pas beaucoup d’efforts à fournir pour des décors post-apolyptique. L’histoire en très gros consistait en deux héros déchus de leurs pouvoirs qui n’auraient pas pu empêcher la destruction de leur ville et devait faire face ensuite à la culpabilité, à la rancœur des gens et au deuil de manière générale. Je dû admettre après quelques tournage que jouer aux acteurs n’était pas déplaisant et aidait réellement à détendre l’atmosphère et à oublier la situation le temps de quelques scènes. Ceci étant dit les situations étaient parfois absurdes quand l’on se retrouvait à enjamber des immeubles en ruines alors qu’il y avait encore si peu de temps des gens étaient morts ici. C’était comme si se mélangeaient sans se confondre une ancienne tragédie, une réalité présente et un monde fictif en construction. Et comme elle filmait à peu prêt tout et n’importe quoi, Alex avait les trois aspects sur sa carte mémoire et ainsi matière à faire son film, un documentaire sur la production de ce dernier et un documentaire sur la ville pendant les raids et après ceux-ci.

On organisait dans le même temps des projections tous les soirs grâces aux dvds que chacun amenait, le stock étant constamment renouvelé grâce aux grandes surfaces, et faisions régulièrement salle comble. Le cinéma devint avec l’atelier cuisine l’un des rendez-vous journaliers du quartier. On y mangeait, on y discutait et on y dormait pour certains, tout cela donnant une ambiance étrange de camping de colonie permanent.

Autour de tout ceci s’organisèrent aussi des construction d’éoliennes artisanales pour alimenter les générateurs et, une voix très sage ayant constaté que nous ne pourrions pas vivre éternellement sur les réserves des frigos, l’on démarra des potagers à peu près partout où on le pouvait et prit particulièrement soin de ceux qui existaient déjà dans quelques jardins.

Cependant à la fin d’une deuxième semaine qui semblait avoir été trop simple nous tomba dessus un problème nouveau que nous étions parfaitement incapable de gérer. Il y avait quelques médecins encore sur place, mais plus de chirurgiens. Nous le découvrîmes sans doute un peu tard quand Chloé nous quitta après une attaque. Plus les jours passaient plus les citadins qui avaient rejoint le quartier formait un noyaux dur et soudé et plus il était difficile pour beaucoup de supporter l’impuissance face aux problèmes de santé qu’il aurait été si facile de gérer avec un hôpital en fonctionnement. Nous en perdîmes d’autres ensuite quand ils ne pouvaient pas être soignés par un diagnostique et des médicaments, à chaque fois cela paralysait temporairement l’activité au quartier jusqu’à ce que moi ou Nadir n’aie enterré le trépassé et qu’une petite cérémonie eut été faite dans les us et coutume de sa religion si la personne en avait une.

Après quelques mois nous avions célébré deux mariages dans les ruines de la cathédrales, fêté le solstice avec des belles récoltes dans les nombreux potagers chouchoutés dans tous les espaces de terre de la ville, finit de vider les grandes surfaces de leurs rayons frais, installé une dizaine d’éoliennes sur les toits et nettoyé la plupart des rues bouchées par des gravats des trois derniers raids. C’était à cette période là que l’on se rendit compte qu’il n’y aurait probablement pas d’après. Mais ce fut une lente acceptation que nous n’avions simplement pas encore prononcé à voix haute, donc quand cela fut fait ça ne préoccupa finalement pas grand monde. Nous avions de toute façon tellement réorganisé la vie en ville que l’on considérait un peu tous qu’un retour à un fonctionnement classique serait quasiment impossible si jamais le champ de force venait à tomber.

Nous ne le savions pas et ne le sauront jamais mais cette belle technologie toute fraîchement sortie des tiroirs des recherches militaires était tellement neuve que de nombreux problèmes n’avaient pas été résolus ou même questionnés, comme certains effets indésirables tel que l’isolement total que nous avions constaté, mais surtout pour ce qu’il s’agissait, tout simplement, de le désactiver. Il n’y aurait pas d’après, pas de « en attendant » et les gens ne reviendront pas.

 

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Fannie
Posté le 16/07/2020
Voilà comment le provisoire devient permanent. Mais c’est probablement cette impression de restructurer la vie communautaire en attendant que tout revienne à la normale qui a donné à la population restante le courage de s’organiser de la sorte, et tout ça dans une bonne entente. On voit aussi que ces raids et le manque de moyens médicaux ont fait un certain nombre de victimes, que le deuil a frappé. Comme les survivants n’ont pas le choix, ils font preuve de résilience.
Je ne comprends pas vraiment où et quand ça se passe, ni quelles sont ces attaques, mais je pense que ce n’est pas le propos.
Finalement, en écrivant cette histoire, tu racontais un confinement avant l’heure, même si les circonstances sont très différentes.  ;-)
Voilà. Je t’envoie les coquilles et remarques par courriel.
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