En attendant la vague

Notes de l’auteur : Extrait de mon premier écrit, je le publie ici avec l'intention de prendre la température. J'aimerai savoir comment peut être reçu ce genre d'histoire.

 Le monde était n’était qu’un immense cadavre à ses yeux, un ensemble stagnant qui reprendrais son cours lorsque la mort viendra le délivrer.

 Le soleil, lui qui avait passé l’après-midi entière à caressait l’horizon de sa lumière orange, allait bientôt se coucher. De l’autre côté de cette césure, l’océan scintillait de milles et une variation de blanc venant pétiller dans les rétines, même à l’extrémité du monde. En descendant un peu plus son regard, il pouvait apercevoir la plage où les tambours marins venaient s’écraser dans un rythme solennel sur les hautes falaises qui dessinaient les contours de cette région sauvage. Au-dessus de lui, de magnifiques vaisseaux blanc, les éternels voyageurs de ce monde sédentaire, traversaient de part et d’autre le ciel, laissant dans leur sillage une mousseline brumeuse qui décore le ciel en leurs absences. Entre ces deux mondes, les longues touffes d’herbes qui tapissaient le sol sifflaient ce que lui murmurait le vent. Ce paysage, piégé dans une mélancolie infini, lui offrait cet épique spectacle qu’il répétait, sans jamais faillir, chaque fin de journée.

 Seul au milieu de ce décor, il était las, assis, attendant indolemment la fin de cette énième journée. Il regardait pensif l’extrémité du monde passait d’un bleu terne à un orange éclatant, pour ensuite s’obscurcir et laisser apparaitre des milliers d’étoiles sur une gigantesque toile dont la peinture paraissait chaque jour plus fraîche que la veille. Et comme chaque soir, c’est lorsque son ennuie allait s’accrocher à ses paupières qu’il prenait congé de son lieu de recueil, l’autel impie de son spleen, là où Elles aimaient le rejoindre. Ses muscles le levèrent sur ses deux pieds puis s’étira expéditivement contre l’arbre il était adossé et rebroussa chemin, suivant inconsciemment le tracé dissimulé d’innombrable semblable, en direction de son village, où seul les guetteurs faisaient mine de ne pas dormir.

 C’était un jeune garçon pas vraiment intéressant. Il était très banal comme toutes les personnes qui l’entouraient ; bien sûr, il se sentait différent de ces gens, mais comme tous les autres avant lui, ce n’était qu’une impression. Il avait une démarche lymphatique que le vent se contentait de traverser dédaigneusement. Sa tête lui était lourde à porter, ses joues rosâtres comme gonflées lui donnait cet air qu’il avait constamment les yeux plissés. Des passions, il n’en avait pas, des amis, très peu ; à sa défense, sa famille l’a longtemps poussé à être très casanier. Cadet d’une famille de bucherons se transmettant cette tâche de générations en générations, il n’avait pas le physique auquel on pouvait s’attendre d’une personne pratiquant cette profession. Il était mince et semblait malade à côté de ses frères et de son paternel qui avaient tous le corps dessiné par des muscles saillants de leurs nuques jusqu’à leurs mollets. Cette différence de constitution pouvait paraître étrange, mais était tout à fait naturelle, le jeune homme n’était, tout simplement, pas bucheron. Lors de ses premières années, son père était fort occupé par la transmission de son art à son frère ainé, le laissant la plupart du temps entre les douces mains de sa mère. Quand il revenait de son dur labeur, la fatigue et son mutisme émotionnel le conduire à développer une distance avec son nouveau-né. Celui-ci n’en fut pas trop peiner, il appréciait rester auprès de sa génitrice qu’il aidait avec grand plaisir dans ses tâches de gardienne du foyer. Le fil se tissant de lui-même, ce manque de complicité avec son père le poussa à rester auprès de sa mère, même s’il était maintenant temps pour lui de suivre la voie de son père, ce qui fit de lui le petit mouton noir du troupeau. Personne au sein de la famille ne discuta ce chemin qu’avait pris le cadet, mais malgré tout, une certaine tension revenait sans cesse non pas avec son père, comme on pourrait se l’imaginer, mais avec ses frères qui avait, quant à eux, bien suivit la voie qu’avait pavé leur paternel. Aucune violence, aucun conflit direct, uniquement des non-dits, tel était l’arme de prédilection de cette famille qui paraissait si parfaite aux yeux des leurs voisins. Seulement, il arrivait parfois que de la vapeur s’échappe de cette marmite toute rouillée. Quand des querelles se présentaient, la mère essayait de prendre la défense de son protégé. Cependant, il ne lui offrait en retour que son propre rejet, soit sa réponse instinctive pour essayer de retrouver cette virilité qu’elle lui aurait volé ; comme s’il y avait déjà eu quelque chose à lui dérober. Et le temps, telle de l’eau érodant les endroits où elle s’accumule, continua de creuser ce fossé entre lui et le reste de sa famille. Rejeté par ses frères, oublié par son père et reniant l’amour de la seule personne voulant bien lui en offrir, son cœur cadenassé développa une excroissance afin de lui offrir la compagnie qui lui manquait. Sans qu’il ne s’en aperçoive, Elles, il ne s’aurait les définir autrement, s’étaient immiscées dans sa vie et avaient envahi son être. Seuls chuchotaient à ses oreilles quand on lui parlait, riaient lorsqu’il doutait, chantaient à sa tristesse lorsqu’il était seul. Au fil du temps, il s’accoutuma à leurs présences, mais, en contrepartie, avait laissé en lui une graine dure et sèche qui ne saurait pousser qu’en des conditions extrêmes, l’attirant inexplicablement vers la mer, inévitablement vers son propre déclin.

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Il revenait de son habituelle promenade, solitaire et taciturne, le soleil dans le dos. L’hivers commençait peu à peu à sortir de son sommeil et ajoutait à la brise une morsure glacée, mais il était facile d’oublié ces froideurs passagères devant les couleurs qu’arboraient les plaines et la chaleur apaisante qu’elles dégageaient. Les hautes herbes du rivage ondulaient par intervalle, rappelant la respiration d’un ermite en pleine méditation. Quant à Elles, elles s’étaient assoupies, leurs têtes posées sur les épaules de leur hôte, tels des enfants qui auraient couru toute la journée. Lors de ces rares périodes de calme, ses nerfs avaient pour réflexe de se relâchaient, laissant de petites larmes s’agglutinaient aux bords de ses yeux, elles n’étaient pas très visible et nécessitaient d’y prêter regard attentif pour les observer, mais ce chagrin était bien présent. Sur le chemin du retour, il avait aperçu, bien avant d’être aux abords du village, de la fumée s’échappait derrières les remparts, formant un nuage morne au-dessus des huttes de pierres. Il passa les murailles anormalement déserte et traversa les rues sans se soucier de l’évènement, slalomant entre des congénères qui étaient plantés comme des piqués en train de fixer ciel, le visage interrogateur. Sa maison se trouvait de l’autre côté du village à l’extérieur des remparts, non loin de la forêt. L’étrange évènement de ce soir ne le souciait pas plus que ça, il n’avait jamais ressenti le besoin de s’intéresser à ces congénères. Ils n’avaient pas de compte à lui rendre et inversement, tel était sa vision des choses. Lorsqu’il posa sa main sur la porte de la maison familiale, il remarqua qu’il y avait beaucoup de bruit à l’intérieur, elle qui partageait habituellement la tranquillité des tombeaux. Il poussa délicatement la poignée, tout le monde pleurait à l’intérieur. Ne laissant pas une once d’émotion s’extirper de son corps frêle et lymphatique, Il se confina dans sa chambre et resta allongé sur son lit jusqu’au couché de la lune.

Il n’y avait pas de vie après la mort, enfin selon les croyances de son village. Ici, il était seulement convenu de pas pleurer les morts, ou tout du moins, pas devant les autres. « Le passé appartient au passé », c’était en quelque sorte le crédo de la communauté qui l’entourait. Tout comme la mort, il était dans l’ordre des choses de lâcher prises concernant les affaires du temps. Cela en faisant un peuple très porté sur le moment présent, vivant au jour le jour, sans tenir compte de l’avant et de l’après, la vengeance et le remord n’était d’ailleurs pas très bien vu pour ces mêmes raisons. Lui, il ne savait pas trop où se placer, quant à cette façon d’appréhender la vie. En fait, il n’avait pas beaucoup réfléchi à la question et suivait mécaniquement leurs coutumes, ainsi il pouvait se fondre dans la masse.

 A son réveil, il était seul, plus aucune âme ne semblait s’abriter sous le toit qui le surplomber. Retrouver sa maison vide de toute vie ne lui était jamais arrivé, où est ce que sa famille était-elle passé ? Il plongea dans la pénombre et vagabonda entre les foyers éteints. Le ciel, lui aussi immaculé, mais d’étoiles, était brouillé par la fumée qu’il avait aperçu en rentrant. Ne sachant plus quoi faire, il se rendit vers les côtes dans l’espoir de les retrouver ou de ne plus jamais les revoir. Ses yeux longèrent la plage, toujours aucune trace de vie. Il observa l’horizon, scrutant les limites de son petit monde, terrifié à l’idée que son rêve le plus fou soit devenu réalité. C’est alors qu’une petite lumière rayonnante jaillit perçant cette ligne qui sépare le ciel et la mer. Elle l’hypnotisait, il voulait à tout prix savoir ce qu’il se cachait derrière cette fée étincelante, lui qui avait toujours cru qu’il n’y avait rien derrière l’océan. Il courut en direction de la plage, mais cogna son pied contre une pierre qui dépassait du sol provoquant ainsi sa chute. Son crâne frappa la terre sèche caractéristique de son pays et resta complètement assommé. Il fut doucement réveillé par des jurons effacés, il était au chaud dans un lit mais qui n’était pas le sien. Ne reconnaissant pas l’endroit et ne se souvenant pas comment il était arrivé ici, il sortit précipitamment du lit emprunta la porte en face de lui. Il se retrouva à la plage, il retourna sa tête il était dans une cabane de pêcheur.  Une voix l’appela : "Ah ! T’es enfin réveillé ! Ça va ? T’es correct ?" Il reconnut aisément cette voix familière, il s’agissait de Dolarc, un pêcheur vivant hors du village qu’il croisait de temps à autre lorsqu’il se rendait près des côtes. Dolarc était un cinquantenaire excentrique qu’il appréciait dans une certaine mesure, plus que ses autres homologues.  Il lui demanda comment il était arrivé ici, et le pêcheur nonchalant lui expliqua qu’il l’avait retrouvé allongé au sommet de la falaise près de l’embouchure emmenant à la plage. Son corps était apparemment si froid qu’il se pressa de le réchauffer à l’intérieur de son logis. Il lui proposa une prendre quelques un de ses poissons avant de repartir mais il déclina l’offre gêné d’encore couté à son bienfaiteur. Il rétorqua qu’il lui fallait bien une excuse pour revenir chez lui sans se faire chicaner. "Aller ! C’est moi qui régale . T’auras qu’à leur dire que tu m’as aidé à pêcher Héhé." Quand il rentra au village, tout le monde était là, tout était normal, mais il n’avait pas oublié ce qu’il avait vu. Sa curieuse disparition passa sous silence et les poissons furent grillé le soir même accompagné de carottes et d’oignons. Il passa les jours qui suivirent cette évènement à épier l’horizon en espérant revoir ce signal d’un autre monde. Il n’arrivait toujours à dire si tout cela ne fut qu’un rêve seulement il avait l’intime conviction que ce n’était pas anodin. Son nouveau comportement investigateur n’était pas passé inaperçu et le village s’interrogeait sur ses intentions, il ressentait cette nouvelle pression qu’Elles n’hésitaient pas à utiliser contre lui. Après de longues phases de doutes, il prit la décision de prendre la mer afin d’aller découvrir la source de cette lumière. Il savait que personne ne le laisserait partir, alors avec l’aide du vieux marin, il construisit une chaloupe de fortune, à l’abri des regards inquisiteurs de ses semblables. Il ne donna jamais à Dorlac la véritable raison qui lui poussa à demander son aide. Malgré l’affection qu’il portait pour le vieille homme, il souhaitait que le moins de personne possible soit mise au courant de son futur voyage et s’il arrivait que ses parents prenne connaissances de son futur départ… Il préférait ne pas y penser. Lorsque son embarcation fut terminé, il s’empressa de partir sans dire un mot, sans retourner au village, sans récupérer des affaires, sans dire au revoir à sa famille, comme pour éviter ne serait-ce qu’une hésitation. Une fois face à l’azur, il resta figé comme un roc. Sa chaloupe embrassa le sable pendant plusieurs semaines pour finalement ne faire plus qu’un avec le décor. Il ne comprenait pas pourquoi l’idée d’enfin renverser son quotidien mortifère le pétrifiait. Il avait beau se débattre, son esprit n’arrivait pas à s’accorder avec son cœur.  

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