En route

LES JUNKIES

 

 

 Ma Joyce râlait depuis la veille. Clara, son étrange corneille, n’était plus revenue frapper à notre carreau pour réclamer ses miettes et son morceau de lard. Elle s’efforçait pourtant de garder son sens de l’humour.

— C’est prêt… À table !

— J’arrive !

Elle ne s’en lassait jamais de sa blague pourrie et je ne me lassais jamais d’en rire, même si ce qui nous tenait lieu de rire relevait davantage d’un rictus sonore et grinçant. Elle cuisinait une tambouille un peu spéciale. Elle était devenue si experte, dans l’art de filtrer les cachets qu’elle dealait aux quatre coins de Paris, que c’en était magique. Elle commandait aux molécules comme un musicien commande aux notes et savait les marier pour produire des symphonies pas ordinaires.

Je quittais la fenêtre qui donnait sur le gouffre noir de la rue. « Les Irradiés », un groupe du deuxième district, braillaient en boucle une chanson de titane au son de laquelle je me démenais stupidement depuis une heure. Leur chanteur avait été battu à mort, l’année précédente, par des flics qui avaient fait irruption dans sa loge pour lui apprendre le respect de leur corporation. Un ciel noir repoussait la lumière de la lune au-delà de ce monde. Un orage grondait au loin avec des arpèges de bombes et tous les vieux qui avaient connu le jour maudit devaient se terrer dans leur trou en tremblant… une belle nuit pour chasser.

Nous avions gavé nos corps de tant d’amphétamines, que nous n’imaginions même plus nous asseoir. Il le fallait pourtant et j’obéis à l’ordre de son regard.

Ses yeux étaient faits d’encres. Ses pupilles avaient depuis longtemps pris le pouvoir dans son regard. Elles ne laissaient qu’un fin liseré de vert à leurs périphéries et semblaient à peine le tolérer. Joyce avait ses lubies, elle refuserait de me piquer tant que je n’aurai pas posé mes fesses sur l’antique fauteuil de cuir qui nous servait à peu près à tout. Elle refuserait aussi de me laisser faire. Elle avait comme ça, mais juste avec moi, un petit côté maternel. Il est vrai que je me ratais la veine une fois sur cinq et qu’elle détestait le gaspillage. Mon bras, pour rester à l’unisson de mes jambes qui s’agitaient stupidement sur place, tremblait comme une main de vieillard à la recherche d’un souvenir enfui. Pourtant, avide de sa ration, il se soumit dès que l’aiguille vint lui chatouiller l’épiderme. Ma veine aussi se laissa faire quand, tel un cheval rétif, elle se dérobait le plus souvent devant moi.

Joyce préparait toujours elle-même ses poisons. Ça lui prenait une bonne heure et parfois beaucoup plus encore. Un temps durant lequel il était interdit de lui parler, et même de lui caresser les fesses. Elle tira sur la pompe. Un peu de mon sang vint se faire admirer dans la lucarne de la shooteuse avant de s’en retourner chez lui. Le mélange détonnant commença par me tuer. Il se ravisa, comme il l’avait toujours fait. Mon cœur se mit à communiquer en morse avec mon cerveau pour lui dire que tout allait bien. Puis, sur un ultime spasme de pur plaisir, tout rentra dans l’ordre et mes connexions se remirent en place. Joyce jeta ma seringue sur la table basse. Elle arracha mon garrot et le posa sur son bras avec une telle dextérité et une telle avidité, qu’elle me fit presque peur. Elle ne broncha pas d’un cil en prenant sa propre punition. Elle se contenta de respirer un grand coup, puis elle se jeta sur moi et me mordit à l’épaule avant de me donner une gifle qui se voulait amicale. Ceci fait, elle ramassa le sac qui contenait nos déguisements et me lança mon blouson de nuit qui traînait sur un dossier de chaise. Je l’attrapai au passage et le balançai sur mon épaule. Le sien gisait au sol. Il ressemblait à une mue de panthère. Elle s’en saisit et l’enfila en deux gestes précis et nerveux avant de quitter notre squat aussi précipitamment que s’il venait de prendre feu. Elle ne se soucia pas de savoir si je la suivais. Je la suivis bien sûr. Je la suivais toujours. C’est en enfer que nous nous étions promis d’aller et elle m’ouvrait le chemin depuis bientôt quatre mois que nous nous étions rencontrés.

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Zultabix
Posté le 27/06/2021
Salut mon bon James,
Comment vas-tuyau d'poêle ?
Ah, une autre histoire post-apo !^^ Je ne me souviens plus si tu m'en avais parlé. J'ai la mémoire qui flanche avec toutes ces histoires. ^^
Est-ce ton tout dernier opus ? Ou une histoire ancienne ?
Quoi qu'il en soit, je retrouve bien la musique Wouaalienne dans ce prologue, ce mélange de langage écrit et de tournures pas piquées des hannetons. Tu parles à la crête des mots, c’est une écriture qui court sur la crête pour aller vite, pour ne pas perdre. T'as sûrement dû faire la guerre dans une autre vie, connaître les privations, t'aime pas gâcher.^^
Sur le fond, j'attends de voir. Tu m'allumes avec un shoot, je veux voir vers quel vertige tu vas m'amener, je suis prêt à chevaucher le dragon.
Micro bémol, j'aurais bien aimé que tu te fendes d'un cliffhanger, que tu me suspendes au rebord de la falaise. J'aime ressentir de l'angoisse, avoir des sueurs quand je tourne la page. Je te dis ça car il me semble que ton sujet s'y prête, non ?

Bien à toi !

Un cliffhanger, littéralement « personne suspendue au rebord de la falaise », est, dans la terminologie anglophone des œuvres de fiction, un type de fin ouverte, laissée en suspens, afin de créer une forte attente ; plus généralement, c'est aussi tout récit ou situation suscitant une grande angoisse.
James Wouaal
Posté le 29/06/2021
Je connais ce concept :))
J'ai écrit une petite nouvelle pour le quotidien du médecin un jour. Un feuilleton hebdomadaire. Il leur fallait cinq épisodes et des trucs comme ça à la fin des quatre premiers.
Je crois que c'était nul mais je n'en suis pas à pouvoir refuser une petite commande.

Enfin ça ce sont des technique d'amerloks !!! :))

Bon sinon j'ai voulu couper assez court, c'est un conseil que tu m'avais donné.
Je ne désespère pas de faire publier ce roman un jour, mais bon moi trois refus et je suis vexé comme un gamin. Il faudrait que je le renvoie à quelques éditeurs.
Puisqu'on en parle, mon deuxième roman ne paraitra qu'en début d'année prochaine. Parait que ça embouteille dans le monde de l'édition et qu'on peine à se remettre du covid.
Bonne balade au fait ! Reviens nous en pleine forme !
++ J.M
Zultabix
Posté le 29/06/2021
Tu as de la chance, le mien paraîtra en 2042. Mon éditeur vient de me le confirmer ! ^^
Bien à toi, l'artiste !
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