Tu aimerais bien m’arrêter, mmh ? Tu aimerais bien me voir disparaître. Tu aimerais bien que le monde s’allie contre moi. Car tu as fait de moi ton ennemi. Tu as mis toute ta colère, tout ta haine sur moi. Tu t’es créé une cible soi-disant « idéale » sur lequel rejeter tout tes problèmes. Tu as façonné une image ignoble de moi. Un concept que tout le monde devrait détester, un personnage qui blesse tout le monde. Tu as essayé de trouver un bouc-émissaire pour ton mal être, mais rien ni personne ne te suffisait. Il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas avec eux. Toujours une faille. Toujours une logique où, lorsque tu essayé de coller l’ensemble de tes erreurs, il y avait un moyen de le retourner contre toi, de faire de toi l’aberration. Tu ne voulais pas rejeter le monde ou perdre espoir en celui-ci. Tu voulais encore moins réfléchir à toi-même. Tu ne voulais pas reconnaître la situation dans laquelle tu étais, tes erreurs, tes opportunités manquées, tes relations gâchées, tes rêves éparpillés. Tu ne voulais pas reconnaître que ce que tu as perdu était en grande partie de ta faute, que tu jouais un rôle dans ta propre vie. Tu ne pouvais pas accepter que tu n’aies pas le contrôle sur les éléments physiques de ta vie. Alors tu m’as créé. Tu m’as imaginé. Un concept sous lequel regrouper l’ensemble de tes tourments. Tu m’as associé à des défauts, à des problèmes. A des injustices et à des erreurs. Tu m’as maudit, insulté. Tu m’as accusé d’être la source de ton désespoir. Tu as pensé tellement de fois à moi, mais jamais à comment me contrer. Après tout, cela est voué à l’échec, nous le savons tous les deux. C’est ce que tu as imaginé. Tu m’as tellement façonné, tellement réfléchi à ce que j’étais que tu t’es imaginé objectif. Ce que tu racontais sur moi n’étaient que des faits, et beaucoup seront d’accord avec toi. Après tout, le monde sait que j’existe. Le monde a une vague idée de ce que je suis. Cependant tu n’es pas plus spécial qu’un autre, le monde essaie depuis des décennies de lutter contre moi.
Mais qu’importe tous les mots dont tu me qualifieras, qu’importe tes recherches, qu’importe tes écrits pour montrer ma nature horrible, pour me présenter tel que tu veux que le monde m’imagine… je ne reste que subjectif. Ce que je suis ne représente pas la vérité. Ce que tu as créé n’est pas authentique, et ne le sera jamais. Je peux sembler parler en son nom mais ce n’est rien d’autre qu’une façon dont quelqu’un a créé ce discours. Je ne représente jamais ce que je suis sensé être. Pas dans cette forme, ni dans vos esprits. Je ne serais jamais ce que je suis, encore moins ce que tu veux que je sois. Je peux parler de moi, mais ce ne seras qu’une partie de la vérité, qu’un aspect de la réalité. Un concept vu à travers des œillères, de l’eau qui glisse entre les doigts. Car par mon essence même, par ton imagination, par ta nature, je ne suis qu’une partie -ni vraie, ni fausse- de la réalité. Je ne suis que ce que tu vois, ce que tu veux bien croire.
Et dans ta colère, dans ton désespoir, tu n’as imaginé qu’une facette. Une facette vile et mesquine. Tu penses que mon but est de te blesser, de détruire. A tes yeux je ne suis qu’un ennemi que tu ne peux combattre. Un ennemi dont tu penses que tout malheur incombe. Que j’amène toute chose à sa fin, à son inéluctable destruction. Chaque futur dont je fais partis amènera toujours à sa perte. Perte de parents, de mémoire, de soi, de l’espoir. Perte de l’espèce, de la vie, d’un monde et de l’espace. Perte de l’Univers, de tout ce qui a existé et de tout ce qui n’existera jamais. Tes idées nihilistes n’ont construit qu’une image de moi, que tu as simplifié pour mieux me détester. Ignorant la nature de ce que je suis. N’acceptant pas que je puisse un jour continuer sans toi. Mais la vérité est bien loin de la réalité, bien loin de ta portée. Malgré tes paroles, tu ne le comprends pas, et probablement que tu ne le comprendras jamais. Car tu es humain après tout, et tu t’attaches à un espoir idiot. Un espoir auquel tu te moques toi-même mais auquel tu continues à croire. L’abandonner serait reconnaître une défaite et malgré le fait que tu as convaincu le monde que rien ne pouvait être fait contre moi, tu n’as pas réussi à te convaincre.
Car la vérité, la voilà. Malgré tes illusions égocentriques, je me moque de toi. Ce n‘est même pas vrai, tu ne m’intéresses pas. Et c’est encore une fausse idée, car je n’ai pas d’intérêt. Je ne veux pas t’apporter de la peine ni de la joie, car je ne veux rien. Je ne veux pas être un ennemi, ni un ami, non pas par méchanceté mais par indifférence. J’existe mais je ne suis pas. J’apporte la destruction, il est vrai, mais aussi la création. Pour qu’une chose soit détruite, il faut déjà qu’elle ait été créée. J’apporte la mort à la vie, mais j’ai d’abord apporté la vie à ce qui est inerte. J’apporte la douleur des blessures de la vie, mais aussi leur réparation. Je détruis les joies et les liens. Les bâtiments, les forêts, les êtres. Mais je t’ai aussi apporté à la vie. Combien de moi a-t-il fallu ? Combien de moi faudra-t-il pour un monde meilleur, pour une désolation ? Et pour combien de moi cela durera-t-il ? Car tout est voué à disparaître et tout est voué à être créer. Un jour, il y aura la fin de l’Univers, et un autre jour, il y aura son début.
La seule finalité que tu vois est parce que tu te donnes de l’importance. La fin des temps ne sera pas quand toi ni quand ton espèce s’éteindra. Elle ne sera pas non plus lorsque le Soleil explosera, pas même lorsque l’Univers disparaîtra. Tu le vois comme cela, car lorsqu’il n’y aura plus d’Univers, il n’y aura rien qui gardera la trace de ton existence. Pas d’identité, pas de vivant, pas de vestige attendant d’être découvert. Pas de tombe, pas de signaux, pas de lumière. Moi, je continuerai, inconscient de ta vie, inconscient de ta mort. J’apporterai une nouvelle création, un nouvel Univers, un nouvel être. Et, comme moi, il n’aura jamais conscience de ton existence.
Et tout cela, je le fais indirectement. Je n’en suis pas fier ni n’en n’ait honte. Mais je sais ce que tu penses, ce que d’autres pensent. Avec mes mots, mes explications, il semble que j’essaye de me justifier. Il semble que j’essaye de dédramatiser la situation, de te montrer que je n’y suis pour rien dans ton malheur. Il semble que j’essaie de te faire comprendre que ma création ne fera rien pour t’aider, que ton combat face à moi ne dépend que de toi. Mais comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas vrai. Puisque mes paroles ne sont pas les miennes, elles ne sont qu’un reflet de toi, de ton interprétation. Car le moi qui parle n’existe pas autre part que dans ton esprit. Toutes ces belles paroles, toute cette mise en scène sont fausses, car en réalité, je ne m’exprime pas. Je ne parle pas. Je ne ressens pas. Je ne réfléchis pas. Car, à la fin de cette histoire, je n’existe pas.