J’aime beaucoup jouer à chat perché. C’est compliqué, je le sais : avec mes tonnes de ciment, de métal et d’uranium, mon réacteur de cœur et mes cheminées en constante activité, rien ne me prédestine à remporter la partie. D’autant que je joue seule : aucune autre centrale à des dizaines de kilomètres à la ronde. Alors, pour passer le temps, je me contente de ce que j’ai sous les mains : un étang, pas très loin ; la colline voisine sur laquelle s’étend une forêt amie ; et la nappe phréatique où je pourrais presque tremper mes gros orteils.
Je m’ennuie. J’ai vingt-cinq ans, et plus l’âge de me distraire comme une enfant. Mais qu’est-ce que je m’ennuie. Les hommes s’affairent à mes pieds, trifouillent mes organes, expurgent mes sécrétions. Je ne comprends pas ce qu’ils veulent. Pourquoi ils m’ont construite et ce que je leur apporte, au juste. Parfois je me dis que c’est peut-être ça, la raison de leur agitation ; de leur présence, et de mon existence : le jeu. Rien que le jeu. Le bonheur d’être ensemble, la joie d’avancer les outils dans la main, de toujours courir après quelque chose : le travail, le progrès. Le temps.
Moi aussi, je veux jouer. Qui sait, je les sortirais peut-être de leurs habitudes ? Une adversaire comme moi, ça ne se rencontre pas à tous les coins de rue. J’imagine déjà ce que je pourrais leur offrir en échange de ma construction et de mon entretien. J’ai plus d’un tour dans mon sac. Un simple grondement de l’estomac ? Cela ne ferait que les alarmer, les mettre sur leurs gardes : pas très stratégique. Un petit incendie de rien du tout ? Ce n’est ni original, ni ma spécialité.
Non, ce qui me sortirait de ma torpeur, ce qui les surprendrait, ce serait une bonne explosion.
Qu’est-ce que je m’ennuie.
Je ne peux qu'encourager le format court : c'est efficace, moins prise de tête, ça peut servir de soupape comme de laboratoire d'expérimentation... Je m'y suis mise il y a quelques petites années, et je ne pourrais pas m'en passer !
Je trouve que le parti pris de personnaliser la centrale est vraiment judicieux. Il offre un regard décalé tout à fait intéressant et drôle qui te permet de développer des arguments avec ironie et humour noir.
Cette histoire démarre plus que bien ! Bravo
Eh oui, le nucléaire est quelque chose qui me fait peur, donc l'aborder avec la personnalisation d'une centrale et beaucoup d'humour noir m'a bien "amusée".
Désolée pour le léger contre-sens : il s'agit bien d'un recueil de nouvelles courtes, qui part d'ateliers d'écriture auxquels j'ai participé il y a près de trois ans, et qui a continué sa petite vie dans la foulée.
Quelle chouette découverte que celle avec ta plume. Beaucoup de force et de poésie dans ce texte, plein de rythmes et d'images intéressante. Une manière originale d'aborder un thème grave comme celui-ci, et j'aime fort le textes qui donnent comme ça la parole à des villes, des édifices et autres entités non vivantes. Un léger humour noir aussi qui fonctionne bien.
Je continue ma lecture !
J'aime que tu parles de rythme, qui me semble être un élément clef d'un texte (encore plus dans des textes courts ?) mais pas si facile que ça à capter...
Eh ben surprenant comme nouvelle pour faire connaissance avec ta plume !
J'aime beaucoup : le thème est original et tu écris fichtrement bien. Quelle belle écriture !
La chute est très bonne et la faible longueur pas gênante.
Obligé d'appuyer sur "suivant" xD
A tout de suite !
J'espère que tu vas bien, j'essaye de revenir un peu ici et ton recueil de nouvelles est idéal pour cela, alors je vais m'efforcer de tout lire et commenter (ce qui devrait être réalisable vu la richesse de tes textes ! ;))
Sans transition donc, j'ai trouvé ce texte d'une force incroyable. Il est très court et pourtant tellement poignant car d'un côté on a un discours un peu "blasé" et de l'autre, tu termines sur l'explosion et cette phrase percutante qui réveille et interpelle directement.
J'ai également beaucoup apprécié la confrontation entre le côté "banal" et un peu terre à terre (ta première phrase, l'idée du jeu, l'ennui général que l'on ressent, etc) et la véritable bombe à retardement que représente la centrale. En plus, pour un texte court, tu abordes de nombreuses thématiques. On pourrait presque en fait un commentaire de texte ahah.
Et pour terminer, j'aime beaucoup la façon dont tu secoues le lecteur aussi. Dès le début, on comprend que ce n'est pas un individu normal qui s'exprime, il n'y a pas de surprise par rapport au locuteur, mais les deux dernières phrases suffisent à nous bouleverser et ça, c'est fort !
Au plaisir de te relire bientôt :)
Le nucléaire fait partie des thèmes qui me semblent très peu explorés en fiction (surtout en littérature). Comme si on ne maîtrisait pas suffisamment ces composantes pour oser s'y atteler. Alors que les "accidents" nucléaires, eux, sont bien réels et en disent longs sur notre humanité. L'an dernier, j'ai lu La Supplication de Svetlana Alexievitch (je sais pas si tu connais - c'est un recueil de témoignages de personnes ayant vécu Tchernobyl de plus ou moins près). Et ça m'a complètement retournée. Depuis, je crois que j'ai besoin d'exorciser certaines angoisses, que ce soit par des textes courts ou plus longs. Celui-ci est venu au cours d'un atelier d'écriture de 30 minutes dont la consigne était de personnaliser un objet non-animal.
En tout cas, merci encore et à bientôt j'espère !