Un tintamarre quotidien s’élevait de la rue. Le bruit des sabots dans la boue, des supplications des mendiants, des jeux des enfants, des appels des marchands, des rires des ivrognes, impossible d’avoir le silence au travers des murs fins et délabrés de la bâtisse.
La vieille Agnes ferma les rideaux effilés de la chambre, comme si cela pouvait atténuer le boucan citadin. Elle contempla dans la pénombre le visage émacié de la jeune fille étendue sur le lit. Ses joues pâles et creuses étaient aussi immobiles que ses lèvres bleuâtres. Sous l’épaisse couverture mitée, la silhouette de son corps évoquait un mannequin de bois maigre.
La vieille femme caressa du bout de ses doigts tristes les boucles blondes, jadis rayonnantes, de Mary. Prise d’un doute, comme toujours, elle plaça sa main sous les narines de la jeune fille, guettant un infime signe de vie. Le temps s’étira dans l’attente de la chaleur d’un souffle, les bruits de la rue se firent plus tenus. Agnes déglutit, et soupira finalement en sentant une expiration légère glisser jusqu’à la paume de sa main.
- Pauvre petite, commenta-t-elle à voix haute, et Curtis qui n’a pas donné de nouvelle depuis des mois…
La vieille femme remit du bois dans le poêle situé juste à côté du lit de la malade. L’hiver était dur, ces temps-ci, et elle avait dépensé beaucoup pour chauffer son appartement, en particulier la pièce qui accueillait la jeune fille endormie. Elle attendait, depuis des mois, la délivrance de plus en plus incertaine de Curtis. Agnes s’en voulait de ne pas l’avoir plus aidé à payer les médicaments, mais avec son fils amputé à la guerre qu’il fallait entretenir, elle ne pouvait se permettre de trop donner. Mary dépérissait depuis longtemps, sa survie tenait du miracle. Parfois, son hôte avait l’impression de veiller une morte, prenant un courant d’air pour un souffle, un effet d’optique pour un frémissement.
Mary demandait systématiquement, lors de ses courtes périodes de conscience, des nouvelles de son frère. Sa gardienne n’était plus à même de les donner depuis qu’il avait dépassé Saint John’s, trois mois auparavant.
La vieille femme était attristée de voir la déception se peindre sur les traits de sa protégée. Cette dernière semblait alors s’enfoncer dans le sommeil pour échapper à l’absence de son frère.
- Pauvre petite… , répéta Agnes.
On toqua soudain à la porte, à coups vifs et clairs. La vieille femme se précipita dans l’entrée. Ce ne pouvait pas être son fils, qui tambourinait habituellement comme l’ivrogne qu’il était, ni ses voisins, bien plus discrets. Mais alors qui était-ce ?
Elle ne fut pas plus avancée en ouvrant la porte. Elle fit face à la haute carrure d’un jeune homme aux yeux gris-acier. Il se tenait près d’une nonne au regard doux.
- Vous êtes bien madame Agnes Cooper ? demanda la religieuse.
- O… oui, c’est exacte.
- Je suis Lucy, j’ai été envoyée par Curtis pour guérir sa sœur.
Agnes plissa les yeux, laissant tout de même entrer les inconnus.
- Vous savez, plusieurs prêtres se sont déjà relayés au chevet de Mary, mais aucun n’a pu changer quoi que ce soit à son état.
- Ça ne coûte rien d’essayer, rétorqua gentiment la sœur. Pourriez-vous me mener auprès de la malade ?
Malgré sa méfiance à l’égard de ses invités, en particulier du jeune homme, qui l’observait d’un air sombre, la vieille femme les guida jusqu’à la petite chambre de Mary.
- Je vous remercie, fit la religieuse, maintenant j’aimerais que vous quittiez la pièce.
Agnes fronça les sourcils.
- Je ne vois pas très bien pourquoi…
- Je vous en prie, madame, je vous assure que c’est pour son bien.
La vieille femme obtempéra, elle-même surprise de la facilité avec laquelle elle se laissait convaincre.
La fine porte de bois se referma sur Agnes Cooper. Wolfheim regarda Lucy retirer sa coiffe avec soulagement, et laisser cascader sur ses épaules ses cheveux nacrés.
- Ce déguisement est-il nécéssaire ? s’enquit-il à voix basse. La vieille ne semble pas si méfiante.
- Je préfère ne pas me faire remarquer, et puis la religion ouvre bien des portes. Maintenant, tu m’excuseras, mais j’aimerais que tu sortes toi aussi.
Wolfheim soupira.
- À ta guise, dit-il en sortant de la pièce.
La vieille femme leva les yeux de la tasse qu’elle tenait d’une main nerveuse lorsqu’il approcha.
- C’est fini ? demanda-t-elle.
- Non, elle vient juste de commencer.
- Je ne vous cache pas que je suis assez sceptique quant à votre démarche.
- Je vous comprends, mais laissez-la vous prouver que vous avez tort.
Son interlocutrice ne répondit rien, le fixant intensément.
- Où est-il, Curtis, d’ailleurs ? Pourquoi n’est-il pas venu avec vous ?
Wolfheim baissa les yeux.
- Il est mort.
Et c’est à cause de moi.
Mme Cooper couvrit sa bouche de ses doigts maigres.
- Mort ? Mais… comment ?
- Il… une mutinerie a éclaté durant l’expédition, et il a succombé aux blessures d’un combat.
La vieille femme se leva nerveusement et porta son regard sur la rue animée.
Un long silence s’écoula, de même que les larmes de la gardienne.
Lucy apparut alors.
- J’ai fini, déclara-t-elle avec un grand sourire.
Agnes Cooper se précipita vers la chambre.
Les rideaux avaient été entrouverts, laissant filtrer une lumière timide sur le visage de Mary. La maigreur étirait toujours ses traits, mais sa pâleur avait disparu. Son visage semblait étrangement auréolé de vitalité.
Les paupières de la jeune fille frémirent, puis s’ouvrirent, laissant le soleil inonder ses iris bleues.
Mary se redressa un peu et tourna la tête vers Agnes.
Elle lui fit un sourire éclatant.
La vieille femme l’étreignit avec force. Les larmes avaient jailli de nouveau, mais cette fois, c’était la joie qui les avait poussées au dehors.
Lucy contemplait ce spectacle avec bienveillance, soulagée d’avoir réussi sa mission. Elle eut une pensée émue pour Curtis et elle se frotta les yeux en reniflant.
- Je l’ai fait, murmura-t-elle.
Wolfheim sourit.
- Il nous reste tout l’hiver, désormais, avant de retourner dans le grand nord. Il va falloir s’occuper.
Elle jeta sur lui un regard intrigué.
- C’est vrai… qu’est-ce que tu voudrais faire par exemple ?
Le jeune homme détourna le regard.
- Je sais pas… passer du temps ensembles…
Le visage de Lucy vira au cramoisi.
- Ah… heu… oui, pourquoi pas…
Wolfheim se racla la gorge.
Je l’ai fait, pensa-t-il.
Mais il avait encore une mission avant quitter cet immeuble vétuste : annoncer la mort de Curtis à sa sœur, sa douleur serait son châtiment.
La neige avait doucement été chassée, révélant un tapis d’herbe tendre, que quelques rares fleurs coloraient. Les sapins revêtaient peu à peu une robe verdoyante, tandis que, haut dans le ciel, se profilaient les silhouettes d’aigles majestueux.
Au milieu de cette nature bruissante, un homme à la peau rouge sombre avançait. Il rejoignit bientôt sa destination, une maison de bois solitaire au milieu d’une clairière. Quatre tombes s’alignaient sur sa façade sud, les noms des défunts gravés à la hâte sur ses bouts de bois.
Curtis Gliesgow, Hans Klein, Martha Klein, et Katharina.
L’homme demeura devant cette dernière tombe, la seule qui était vide, pendant un long moment.
Il tourna à peine la tête pour voir un ours blanc émerger de la forêt et venir le rejoindre.
Oka se frotta affectueusement contre lui, le soutenant en silence. Il entoura ses bras autour de sa tête avec un sourire triste.
Soudain, l’ourse releva la tête vers l’est, et se dressa sur ses pattes arrières pour mieux voir.
- Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Ajaruk.
L’animal poussa en réponse un grognement joyeux et s’élança vers deux silhouettes à peine discernables à l’horizon.
Ajaruk vit d’abord des cheveux immaculés s’élever dans le vent, masquant à peine les deux petits bois qui trônaient fièrement au dessus d’un visage souriant.
- Je suis de retour ! clama Lucy en agitant le bras.
Le bonheur se fraya un chemin sur le visage dur d’Ajaruk.
Il sourit.
MAIS C’ÉTAIT UNE SUPER HISTOIRE ! (tonnerre d’applaudissements)
L'épilogue est vraiment émouvant avec cette Agnes (ça ne s'écrit pas Agnès, d'ailleurs?) et Mary...
White Lucy va me manquer et malgré tout, la fin reste ouverte !
Que les fleurs de l'inspiration s'épanouissent sur ton passage !
Pluma.
Agnes c’est la version anglophone ^^
Tu as éclairé ma journée ❤️
Que des sentiers infinis s'ouvrent à toi ~
Que jamais ton imaginaire faillisse, AudreyLys !
Que l’imagination s'épanouisse en toi comme un champ de fleurs ~
Que tu nages éternellement dans une mer de rêves...
Bravo pour ta poésie et tes descriptions de nature. Pour le mystère et la magie! Et aussi pour la construction globale, ça retombe bien sur ses pattes!
si tu dois le retravailler je propose : moins de dialogues mais plus de réactions de personnages (descriptions d’actions)
Tu me fais trop plaisir ^^
Je note pour les défauts ! C'est marrant parce que ce problème des dialogues a déjà été remonté. Il y a vraiment un travail à faire à ce niveau là, du coup merci de me le pointer !
Et je fais que te remercier mais du coup, une fois de plus ne va pas changer grand chose : merci pour ta lecture complète de WL et pour les gentils com' motivants que tu as semés !
Si tu as le temps - et si tu le veux bien sûr - j'aimerais te soumettre un petit questionnaire sur ton avis sur WL.
Bisouilles !
La dernière scène avec Ajaruk est très belle ! La guérrison de la soeur aussi <3 !
j'ai juste été un peu surprise par la mention du mariage ! je n'avais pas trop senti qu'il y avait un truc entre Lucy et Wolfheim (a force de voir du yaoi partout, je n'ai plus aucun instinct pour les ships hétéro xD). Je pense qu'il faudrait insister un peu plus là-dessus si tu fais des corrections, peut-être ajouter une petite scène romantique... en même temps tout se passe si vite !
Autre chose aussi, je pense (mais c'est peut-être pas évident a mettre en place, je sais pas trop) que ça serait bien, peut-être, que l'obsession de Klein pour trouver la Maat soit liée à ce qui s'est passé, la femme qu'il a tué qui possédait Kat. Prouver à tout le monde qu'il avait raison, je trouve que c'est une raison un peu faiblarde pour que ça l'obsède autant, on comprendrait mieux si ça avait un lien avec son passé (mais peut-être que c'est le cas et que j'ai pas compris ?)
J'ai beaucoup aimé cette histoire, très jolie, assez triste quand meme mais positive ! bravo !! <3
Oui, c'est vrai qu'il fait un peu tache XD je me suis demandé si c'était bien de le laisser là. En revanche, pour ce qui est de l'histoire d'amour, je pensais que c'était obvious et que, au contraire, dans les premiers chapitres, j'en faisais des tonnes XD. Mais je note, je rendrais ça plus explicite. Mais c'est vrai qu'entre le chapitre 5 où on quitte Wolfheim, et le 13 ou on le retrouve, on se rappelle plus trop de leur histoire d'amour.
En fait, c'est lié à son passé, à sa rencontre avec la Maät. Tu sais, quand elle cueille une pomme. Elle lui efface à moitié la mémoire, mais du coup il a cette impression désgréable de ne pas avoir retenu tout, il cherche les morceaux manquants. Après, comme le dit le mot, c'est une obcession, dans le sens clinique du terme. Il n'y a pas grand chose de rationnel là-dedans, c'est un trouble du comportement. La raison est "faiblarde" comme tu dis, parce que justement il n'y a pas vraiment de raison.
Merci^^ je pourrai de te faire un questionnire du coup ?