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CERISE
Nolwenn descend la colline à toute allure en direction de la plage. D'un revers de la main, j'essuie la sueur qui perle sur mon front et lui fais signe. Puis, empoignant à deux mains l’arrosoir, je verse doucement l'eau sur les fruits du potager. Nolwenn ne m'a pas vue. Sans doute rejoint-elle Papa au port, où le bateau accoste tous les mois afin de nous livrer tout ce dont nous avons besoin ; principalement de la nourriture et du matériel de recherche. La livraison mensuelle est aussi l'occasion de renouveler sa garde-robe, ainsi que de s'accorder quelques petits caprices. Notre père a toujours aimé nous gâter. Je suppose que c'est sa façon à lui de nous dire : « Je suis désolé de travailler autant, sachez néanmoins que je vous aime. »
Tout le monde y trouve son compte : Nolwenn s'invente le besoin urgent d'un nouveau jeu vidéo, Roxane fait valoir la nécessité absolue de posséder le dernier objet à la mode, Eugénie commande de quoi parfaire le petit laboratoire qu'est devenu sa chambre, Emma demande des livres, toujours plus de livres pour élargir son monde, Luna enrichit sa collection de vêtements gothiques, et Adoria trouve toujours bien de quoi intensifier encore ses entraînements. Faustine et moi-même sommes les seules à ne jamais manifester de désir particulier. Il m'est arrivé une ou deux fois de demander à Papa de m'acheter des graines venues de loin, afin de faire pousser de nouvelles plantes dans la serre, mais les résultats n'ont pas souvent été à la hauteur de mes espérances. Le climat d'Agnakolpa est peu clément. Les espèces qui ne sont pas taillées pour résister à la chaleur pesante et à la moiteur ambiante n'ont aucune chance de s'y épanouir ; aussi je préfère cultiver les variétés endémiques. En se promenant un peu dans la jungle, on découvre toujours une nouvelle variété.
Je repose l'arrosoir vide et passe la porte de la serre. Il fait frais à l'intérieur. Les jets d'eau abreuvent les plantes, on n'entend que le cliquetis des gouttes sur le sol et les gazouillis d'un oiseau, perché quelque part dans un arbre. Sur une bande de sable, à l'ombre d'un pommier, les ancolies flétrissent. Déjà leurs fleurs se fanent et leurs tiges se dérobent. Ces fleurs-là viennent d'Europe, où elles poussent en forêt. Ici, même dans la serre humide et tempérée, elles refusent de germer et, lorsque l'une d'elles daigne enfin montrer ses bourgeons, sitôt éclose, elle se laisse mourir. Chaque fois que je regarde ces fleurs dépérir, je pense à celle qui, sur cette île, éprouve le plus grand mal à s'épanouir : ma sœur Luna.
Luna est grande, Luna est svelte, ses longs cheveux profondément noirs et incroyablement lisses. Elle a le visage fin, la peau pâle et ambrée et les pommettes qui rougissent à tout-va. Loin de la faire passer pour mièvre, l'empourprement souligne ses yeux bruns et perçants. Ces yeux qui, toujours soigneusement bordés d'un épais trait de crayon noir, sèment partout où ils se posent des regards brûlants. Sous l’œil droit, un grain de beauté foncé vient ponctuer sa joue. Luna sourit, par habitude. Mais personne ne s'y trompe : c'est un sourire absent, un sourire las et triste. La seule chose qu'il exprime, c'est son trouble intérieur. Ma sœur porte un chagrin dont le nom, étrangement, rappelle les fleurs qui devant moi agonisent : c'est la mélancolie.
— Tu es là ?
La porte de la serre claque. Je reconnais la voix d’une autre de mes sœurs et me détourne aussitôt du parterre. Elle s'avance sur l'allée principale. Fidèle à elle-même, elle scrute les alentours, sans doute à la recherche de l'oiseau qui zinzinule.
Le soleil infiltre la verrière et fait pleuvoir sur ma sœur ses rayons mielleux. Elle s'arrête à mi-chemin et me sourit. Son visage noyé dans la clarté, je ne distingue que ses yeux malicieux, les pupilles contractées dans le vert de ses iris. Quelques mèches dégringolent des deux chignons qui maintiennent ses cheveux, tirés sur le haut de son crâne. Le long des tempes, celles qui ont échappé à la brosse flottent dans la lumière qui balaye les mèches châtains de ses reflets dorés.
Emmanuelle. Emma ou Em, pour la famille. Sher, pour moi.
— Tu as besoin de moi, Sher ?
— Je m'apprêtais juste à aller faire un tour. Ça ne te dirait pas de m'accompagner ? Tu pourrais peut-être trouver de nouvelles plantes en chemin.
Je la connais par cœur. Cette promenade cache davantage qu'une petite cueillette. Cela dit, puisque nous serons toutes les deux, je suis persuadée que nous passerons un bon moment.
— Laisse-moi juste le temps de prendre une pelle et quelques pots.
Je me précipite sur l'établi, au fond de la serre, et entasse mon matériel dans l’un de mes sacs de récolte.
— Dis-moi, où est-ce qu'on va, au juste ?
Son sourire s'élargit.
— J'aimerais parler au doyen de Puertoculto. Il n'y a qu'à suivre la piste qui traverse la jungle. On ne se balade presque jamais par-là, alors il y a sûrement un tas de fleurs que tu n’as jamais fait pousser.
— Ne cherche pas d'excuse, va, me moqué-je sans hausser le ton. Il n'y a qu'à ! Dixit la tête de mule qui veut me faire faire deux heures trente de randonnée. Et dans quel but ? Aller rendre visite aux charmants voisins qui nous traitent de souillures dès qu'on les croise en mer. Ça alors, ça vend du rêve !
— S'il te plaît ? Ouch ?
— Tu mesures à quel point je t'adore...
Je glisse le sac sur mon épaule, la saisis par le bras et l'escorte hors de la serre. Rien ne sert d'essayer de la raisonner. Quand Sher s'est mis une idée en tête, impossible de l'en détourner. Ma sœur est têtue, mais je ne peux pas l'en blâmer : il y a parfois du bon à ne pas lâcher l'affaire. Lorsqu'elle se pose une question, elle obtient toujours une réponse satisfaisante. Sans sa patience à toute épreuve, de nombreux objets égarés ne seraient jamais revenus entre nos mains.
Nous descendons la colline d'un pas tranquille. Le vent se lève, la chaleur se fait moins pesante.
— Où sont les autres ? m'enquis-je.
— Papa est allé au port avec Roxie. Nono vient d’émerger ; elle a dû les rejoindre. Eugén' est restée à la maison : trop occupée pour prendre l'air. Ad' joue au tennis avec les frères Dalton. J'imagine que Luna entretient comme il faut sa solitude du côté des falaises. Et puis Faust... Tu la connais. Elle a dû disparaître à l'aube et on devra attendre qu'un monstre la poursuive ou qu'une mauvaise idée lui traverse la tête pour savoir où elle est.
Un petit rire m'échappe. On ne sait jamais à quoi s'attendre avec Faustine, quelle mouche peut la piquer...
Nous voilà arrivées à la lisière de la forêt. Le sentier se déploie devant nous. D'un pas décidé, nous entamons la traversée en direction du village de nos lointains voisins.
Petits détails sur la forme :
"Adoria trouve toujours bien de quoi intensifier encore ses entraînements" -> je trouve que le "bien" alourdit un peu la phrase.
- "Je viens à sa rencontre." -> je vais, plutôt ? Ce serait "elle vient à ma rencontre".
Et sur le fond :
- "éprouve le plus grand mal à s'épanouir : ma sœur Luna." -> j'ai trouvé curieux qu'une description si poussée du personnage de Luna intervienne à ce moment-là, alors qu'elle n'est même pas dans les parages. D'autant que si j'ai bien compris, tu vas faire le tour de toutes les soeurs, donc on devrait arriver sans tarder à Luna et la découvrir directement. Je pense que Cerise pourrait être davantage mise en avant dans ce chapitre. J'en retiens bien sûr qu'elle a un intérêt certain pour les plantes, mais je n'en sais pas beaucoup sur son caractère.
- "Elle se rend sans doute au port. Papa est là-bas, lui aussi." / "— Où sont les autres ? m'enquis-je. — Papa est allé au port avec Roxie." -> l'idée se répète un peu, même si la réponse d'Emmanuelle est parfaitement logique, c'est peut-être redondant à la lecture.
Je passe au chapitre suivant ! :)
Je garde ces remarques de formes sous le coude pour mes prochaines corrections.
Sur la répétition, ça me semble assez facilement contournable. Je note, je note.
Ce que tu dis sur la description de Luna et la "non mise en avant" de Cerise est véridique, et volontaire pour le coup. Cerise est un personnage effacé, c'est son caractère. Elle a pense aux autres avant de penser à elle, pense à Luna devant ses fleurs, et la longue description qu'elle en donne diffère un peu de la façon dont Luna elle-même se donnera à voir.
On apprendra à la connaître, à sa façon ;-)